Commission d'enquête Cabinets de conseil

Réunion du 1er février 2022 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Florence Parly, ministre des Armées, que nous remercions de sa présence.

Notre commission d'enquête a entrepris d'évaluer l'ampleur du recours aux cabinets de conseil par l'État et d'en comprendre les ressorts, ainsi que les modalités.

Cette audition revêt une importance particulière au regard des enjeux de sécurité liés à l'intervention des cabinets de conseil : comment articuler l'intervention de grands cabinets, parfois de droit étranger, et la nécessaire sauvegarde de la souveraineté nationale ?

Nous sommes d'autant plus désireux de vous entendre, Madame la ministre, que le ministère des Armées a passé son propre accord-cadre de prestations de conseil, assorti de procédures spécifiques, qui n'existent pas dans les autres ministères.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, nous collègues pourront également intervenir par visioconférence.

Nous sommes bien entendu astreints au secret de la défense nationale, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Je veillerai naturellement au respect de cette règle tout au long de l'audition.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je vous indique qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, Madame la ministre, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure.?»

(Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Madame la ministre prête serment.)

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre des Armées

Je vous remercie de me donner l'opportunité de contribuer à vos travaux. Je m'efforcerai de vous éclairer au mieux, en vous indiquant dans quel cadre et à quelles fins le ministère des Armées a recouru et recourt aujourd'hui aux prestations des cabinets de conseil.

Tout d'abord, le ministère des Armées s'est appuyé sur les prestations de cabinets de conseil afin de garantir les conditions du succès des transformations, notamment quand elles se sont imposées à lui dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Un regard extérieur peut être légitime pour aider à l'amélioration du fonctionnement, tant que le cadre est clair et maîtrisé.

Par ailleurs, depuis 2018, nous avons recentré ce recours aux cabinets de conseil sur la transformation numérique. En parallèle, nous avons cherché à développer une capacité d'accompagnement interne au ministère, pour assurer le conseil en matière de stratégie et d'organisation.

Désormais, pour que le ministère des Armées puisse faire appel à des cabinets de conseil, trois conditions doivent être réunies.

Premièrement, il convient de s'assurer que le recours à ce type de prestations est limité aux cas pertinents et légitimes. Cela concerne les situations pour lesquelles le ministère ne dispose pas de l'expertise nécessaire ou bien lorsque le recours à un cabinet de conseil permet de bénéficier d'une expérience reconnue en ce qui concerne la connaissance des meilleures pratiques du secteur privé et d'apporter une vision innovante sur le sujet à traiter. En tout état de cause, cela suppose en amont l'expression d'un besoin clair, significatif et pertinent.

Deuxièmement, il est évidemment nécessaire de s'assurer que la prestation contractualisée apporte une plus-value réelle par rapport au besoin exprimé.

Troisièmement, il est aussi essentiel d'assurer, dans les cas où cela s'avère pertinent, le transfert de compétences ou de données au profit du ministère. Autrement dit, nous devons avoir la capacité de capitaliser sur les résultats obtenus.

En effet, la Cour des comptes, dans son rapport de 2014, tout en reconnaissant la nécessité pour l'administration de recourir dans certains cas aux prestations de conseil, avait relevé trois principaux points d'attention.

En premier lieu, la Cour a mis en évidence la difficulté à établir de façon exhaustive les données et les critères permettant d'apprécier l'importance budgétaire du recours aux prestations de conseil.

En deuxième lieu, la Cour avait noté un défaut de pilotage, notamment imputé au trop grand nombre de pouvoirs adjudicateurs en mesure de contractualiser des prestations de conseil. Elle avait également souligné l'absence de stratégie d'achat dans le domaine des prestations intellectuelles.

En troisième lieu, la Cour avait souligné la nécessité de justifier plus systématiquement le recours aux consultants extérieurs et de renforcer la maîtrise d'ouvrage pour réunir les conditions permettant d'atteindre les objectifs fixés.

Je souhaitais faire ce rappel important car le ministère des armées s'est pleinement saisi de ces recommandations. Et je suis donc heureuse de pouvoir vous dire que les choses ont beaucoup changé depuis 2014.

Ainsi, dès 2015, le ministère a mis en place une politique ministérielle d'achat de conseil couvrant les prestations dans le domaine de la stratégie, de l'organisation de nos services, de l'accompagnement de la transformation et de la formation des armées, directions et services.

La mise en oeuvre de cette politique, adoptée par chacun des grands subordonnés du ministère, autrement dit le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement et la secrétaire générale pour l'administration, repose sur un processus de décision très complet, qui nous permet de nous assurer, d'une part, que le besoin est avéré et, d'autre part, que tous les enjeux ont été appréhendés. La validation des grands subordonnés est naturellement requise.

La politique ministérielle d'achat de 2015 organise également l'exclusivité des achats de conseil. La multitude des pouvoirs adjudicateurs pointée par la Cour des comptes était un facteur de risques, en particulier de duplication des efforts. Le ministère des Armées a donc procédé à une forte rationalisation de la fonction achat.

C'est un effort que j'ai souhaité poursuivre. Depuis 2018, seulement deux pouvoirs adjudicateurs sont responsables des prestations de conseil. Il s'agit du secrétariat général pour l'administration pour les prestations qui ne concernent pas le domaine numérique et de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (Dirisi) pour le domaine numérique. Nous sommes ainsi passés de plusieurs centaines de pouvoirs adjudicateurs et services prescripteurs en 2014 à seulement deux en 2018.

Dans le même temps, nous avons renforcé le processus de validation des demandes de prestations de conseil. Depuis juin 2021, l'ensemble des prestations requiert une information et une validation de mon cabinet, qui s'assure de la pertinence de la demande au regard des objectifs politiques de transformation assignés aux services.

Ce n'est pas nouveau concernant les accompagnements dans les domaines de la stratégie et des organisations. En effet, ce dispositif de validation était déjà en place depuis 2018 pour les prestations hors du domaine du numérique. En 2021, nous avons étendu cette modalité de contrôle aux prestations du secteur numérique, qui revêtent une dimension de plus en plus stratégique pour le ministère.

Pour résumer, les besoins de prestations de conseil émis par les armées, directions et services suivent un parcours complet de validation à trois étages : les grands subordonnés, les responsables des programmes budgétaires puis mon cabinet.

C'est un processus robuste qui nous permet de garantir la pertinence du besoin et la « juste suffisance » du recours à la prestation de conseil.

J'illustrerai mon propos par quelques chiffres.

Alors que les prestations contractualisées hors domaine numérique s'élevaient à plus de 22 millions d'euros en 2018, elles ont été divisées par deux, représentant en 2021 un montant de 10 millions d'euros. En 2021, sur 41 demandes de prestations en vue d'un recours à un cabinet de conseil extérieur exprimées auprès du secrétariat général pour l'administration (SGA), seules 14 auront finalement été validées.

Compte tenu de l'ambition que j'ai fixée pour la transformation numérique du ministère, il était indispensable d'en assurer l'accompagnement. Dans ce contexte, le montant des prestations contractualisées a évolué, de façon naturelle et justifiée, de 6 millions d'euros en 2018 à 11 millions d'euros en 2021.

Le ministère des armées est très attaché à ce qu'un transfert de compétences soit réalisé à chaque fois que l'on recourt à un cabinet de conseil extérieur. C'est un enjeu important pour préserver notre autonomie.

C'est avec cette préoccupation en tête que j'ai décidé, dès 2019, de développer une capacité interne de prestations de conseil en créant la délégation à la transformation et à la performance ministérielles (DTPM), une entité directement rattachée à la secrétaire générale pour l'administration.

Cette délégation, créée le 1er janvier 2020, est composée de 25 agents et de 6 apprentis. Elle constitue une réelle offre alternative pour un bon nombre de démarches en accompagnant les états-majors, directions et services dans la mise en place de leurs projets de transformation.

La DTPM intervient sur quatre thématiques majeures : écoute et parcours usagers ; simplification des processus ; transformation des métiers ; et accompagnement du changement.

Dans son accompagnement, la DTPM recourt aux méthodologies et techniques en vigueur dans les cabinets extérieurs. Bien que récente, elle a déjà mobilisé son savoir-faire sur 105 projets dont elle a été saisie. Un peu plus de la moitié est d'ores et déjà clôturée.

Au-delà de l'intérêt budgétaire évident que présente l'internalisation de prestations de conseil, la démarche s'inscrit dans une approche globale de transfert de compétences et, donc, de plus grande autonomie de notre ministère. Elle permet aux services et à leurs agents de s'approprier ou de se réapproprier la démarche de transformation, d'en garder la pleine maîtrise et de gagner en efficacité et en pérennité.

D'autres exemples récents témoignent de la capacité du ministère à internaliser ou réinternaliser certaines prestations. Ainsi, dans le domaine de la transformation numérique, la direction générale du numérique et des systèmes d'information et de communication (DGNUM) s'est d'abord appuyée dans ses travaux sur des cabinets extérieurs.

Dans un premier temps, entre 2016 et 2017, nous avons défini nos besoins, fixé notre niveau d'ambition et identifié tous les enjeux de cette transformation. Après cette phase de cadrage initial, nous avons eu une phase de mise en oeuvre du projet de transformation, pour laquelle la DGNUM s'est appuyée sur les cabinets Deloitte et Eurogroup.

Ces prestations de conseil, qui se sont déroulées sur la période 2017-2020, étaient indispensables pour donner l'impulsion à la transformation numérique du ministère. Elles ont notamment apporté l'appui nécessaire à la rédaction du schéma directeur du numérique, à la définition des feuilles de route métier, à la montée en puissance de l'équipe étatique et, enfin, à la stratégie globale pour l'hébergement, le cloud du ministère.

À l'issue de ces prestations, la DGNUM a organisé la reprise complète de la conduite du projet, en s'appropriant les travaux passés. Cette démarche est désormais effective. La nouvelle stratégie Cloud est aujourd'hui rédigée par une équipe totalement étatique. Seules quelques prestations d'expertise technique ciblées subsistent.

Cet exemple, sur un sujet ambitieux, démontre la capacité du ministère à développer ses compétences internes dans de nouveaux domaines techniques à partir des prestations de conseils sur lesquelles il s'est dans un premier temps appuyé.

De la même façon, le recours à la DTPM nous permet d'internaliser des prestations de soutien à la mise en oeuvre du logiciel Source Solde, qui a fort heureusement remplacé le système Louvois et a mis fin à des années d'anomalie de paiement de la solde de nos personnels.

D'un point de vue financier, la mise en place de la délégation à la transformation et à la performance ministérielles a dégagé une économie de 14 millions d'euros depuis sa création, sur deux exercices budgétaires.

Depuis cinq ans, nous avons progressé dans les modalités de recours aux cabinets de conseil. Nous avons renforcé les conditions de contractualisation et de contrôle de ces prestataires. Nous avons oeuvré à ce que le ministère puisse disposer d'une capacité interne d'accompagnement, même s'il reste à gérer la montée en puissance du dispositif. C'est une perspective stimulante pour que le ministère puisse préserver sa capacité à répondre lui-même à ses propres besoins.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Nous vous remercions pour ces propos liminaires d'une grande clarté. Vous affichez plusieurs ambitions, dont la volonté de réinternaliser un certain nombre de missions.

Le ministère a instauré, bien avant les autres ministères, une doctrine d'emploi des cabinets de conseil, qui prévoit la rédaction d'une fiche préalable et l'obligation de plusieurs visas, dont celui des autorités fonctionnelles renforcées (AFR).

Y a-t-il un lien entre la création de cette doctrine du ministère des Armées et les difficultés rencontrées dans un projet comme Louvois pour la paie des militaires, d'abord développé en interne puis avec le cabinet Sopra Steria, sous la forme du projet Source Solde ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je n'étais pas en responsabilité quand le projet Louvois a été lancé. Les errements auxquels il a donné lieu ont été source de très nombreux enseignements. Je ne crois pas qu'il existe de lien direct entre les difficultés liées à ce projet et la décision de créer une doctrine d'emploi des cabinets de conseil. Les accords-cadres que nous avons passés n'ont été étendus au numérique que dans un second temps.

En matière de conduite de projet, le secteur du numérique amplifie les difficultés que l'on peut rencontrer dans d'autres domaines. Celles auxquelles nous avons pu être confrontés dans la période postérieure au rapport de la Cour des comptes de 2014 nous ont aidés à concevoir l'encadrement et le contrôle du recours aux prestations de conseil pour le domaine du numérique.

La décision selon laquelle Louvois n'était pas réparable a été fondatrice. Elle était difficile à prendre mais c'est une bonne décision qui nous a permis de ne pas nous acharner dans l'échec. Nous avons revu notre méthode de fonctionnement en la faisant reposer sur une définition extrêmement précise de nos besoins. C'est un principe qui devrait être commun à tous les projets dès lors qu'il faut les mener dans le respect d'un certain calendrier et d'une enveloppe budgétaire précise, et en sélectionnant de manière soigneuse ce que l'on sait faire et ce pour quoi l'on a besoin d'un conseil extérieur.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Quel rôle a joué le cabinet Sopra Steria dans la démarche de reconstitution d'un logiciel de veille ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Celui d'un maître d'oeuvre.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Oui, dont le métier est de réaliser des logiciels et des applications. Sopra Steria a mis en oeuvre les spécifications que nous avons édictées pour que l'Armée de terre, l'Armée de l'air, la Marine nationale et tous les services qui relevaient du système de paiement Source Solde puissent être soldés de manière régulière et précise.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous cherchons à bien différencier ce qui relève du conseil en informatique et la prestation elle-même.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Dans ce cas particulier, Sopra Steria a été le maître d'oeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vous avez mentionné le rôle d'un référent ministériel pour les prestations de conseil. Comment centralise-t-il les livrables obtenus par le ministère des Armées ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Pour assurer un contrôle renforcé, nous avons établi une procédure fondée sur un système de fiches normalisées destinées à cerner le besoin. Une fiche navette accompagne ainsi la demande de prestation depuis son émission jusqu'à son évaluation, qui intervient après l'achèvement des travaux. Les informations à renseigner doivent être argumentées pour permettre l'instruction de la demande par le ministère.

Le demandeur doit établir un descriptif détaillé de la prestation, il doit estimer les livrables attendus, le coût que cela représentera pour le ministère, justifier les enjeux liés au besoin de cette expertise externe, préciser comment il s'organisera dans son rôle de maîtrise d'ouvrage et garantir la soutenabilité budgétaire du projet.

La demande est analysée et l'on vérifie qu'il n'existe pas de solution interne alternative pour répondre au besoin exprimé. La délégation à la transformation et à la performance ministérielles est systématiquement saisie de manière à ajuster la prestation au juste besoin et, si possible, à internaliser les travaux.

La demande est soumise au visa systématique des autorités fonctionnelles concernées - chef d'état-major des armées, délégué général pour l'armement ou secrétaire général pour l'administration - avec, pour objectifs, de contrôler qu'aucune prestation similaire n'a été réalisée, de mutualiser certains travaux en cours et de s'assurer que le projet est en cohérence avec les politiques développées par le ministère.

Un visa préalable est fourni avant validation in fine par mon cabinet.

En 2021, sur 41 demandes de prestation de conseil hors numérique, nous n'en avons retenu que 14, ce qui prouve que des solutions alternatives ont été trouvées. Le processus peut encore être perfectionné, mais nous sommes satisfaits des premiers résultats.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Une évaluation des missions validées par le visa a-t-elle été prévue ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Un bilan de la prestation réalisée est systématiquement établi. Nous demandons au bénéficiaire de remplir un document qui comporte des critères d'appréciation tels que la qualité des livrables par rapport aux attentes initiales, le respect des délais, l'adéquation des profils d'experts mobilisés par le fournisseur de prestation, sa capacité d'innovation ou encore la rigueur mise en oeuvre dans le pilotage du projet.

Cette évaluation est importante car, dans la mesure où le système est itératif, il faut pouvoir tirer les enseignements de chaque projet pour l'améliorer. Sur la base de ce travail d'évaluation, nous proposons ainsi des mesures d'accompagnement du bénéficiaire afin de l'aider à préciser sa demande et à interagir avec le prestataire sur le suivi et la conduite du projet. La capacité de maîtrise d'ouvrage joue un rôle essentiel. Lorsqu'on recourt à une prestation de conseil, il ne s'agit pas de se débarrasser d'un problème sur un tiers, mais de se montrer partie prenante et de s'impliquer dans la conduite du projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Le processus que vous décrivez suppose une doctrine d'emploi et une réflexion préalable pour recourir au prestataire externe.

La circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 impose aux ministères de réduire de 15 % par rapport à 2021 le montant des conseils en stratégie et organisation. Avez-vous été consultée sur cet objectif ? Allez-vous pouvoir le tenir ?

La circulaire prévoit également d'obtenir l'accord d'un comité d'engagement pour toutes les commandes de conseil dépassant 500 000 euros, en associant la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et les inspections générales. Comment le ministère des Armées articulera-t-il cette obligation avec le processus interne que vous nous avez présenté ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Des accords-cadres se sont succédé depuis 2014, dont le dernier, négocié en 2021, prévoit une réduction significative de notre enveloppe de conseil. Le « droit de tirage » avait été fixé à 105 millions d'euros pour la période 2018 à 2021. Pour les quatre prochaines années, il est amputé de plus de 15 %, à hauteur de 40 millions d'euros. Nous sommes confiants et nous veillerons à tenir cette enveloppe sans compromettre la réponse aux besoins du ministère des Armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Qu'en est-il de la validation par la DITP et par les inspections générales ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je ne sais pas vous répondre, mais je vous enverrai des éléments complémentaires par écrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Il n'y a donc pas eu de dialogue entre les services du Premier ministre et votre administration sur l'élaboration de la circulaire ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Il y a eu dialogue dans la mesure où nous nous sommes emparés du sujet depuis plusieurs années, de sorte que l'expérience du ministère des Armées a été utile au niveau interministériel.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Vous nous avez expliqué que le ministère des Armées disposait de sa propre structure de conseil. Quel bilan tirez-vous de son activité ?

Je suis membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, où l'on mentionne souvent la transformation du service de santé des armées (SSA). Avez-vous eu recours à un cabinet de conseil pour mener ce projet ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Notre structure de conseil interne est jeune : elle a été créée en 2020. Elle assure de manière efficace un filtrage qui nous permet de nous concentrer sur les prestations de conseil qu'il est justifié d'aller chercher à l'extérieur. Il faudra établir un bilan quant à la qualité de l'accompagnement fourni par la structure interne, pour nous assurer qu'il soit le meilleur possible.

Cela nécessitera de veiller à la bonne rotation des agents de la structure. Ils sont nombreux à venir de cabinets de conseil. Le renouvellement doit être régulier.

Le service de santé des armées (SSA) est engagé dans une transformation de très grande ampleur. Il a dû tirer toutes les conséquences de la réduction massive du format de nos armées décidée au début des années 2000. Il a fallu recentrer le SSA sur sa mission première, à savoir répondre aux besoins des militaires, y compris au plus près des combats. Nous avons dû également rationaliser l'existence de cette structure en la faisant participer au service public de la santé. Les hôpitaux militaires ont ainsi accueilli de nombreux patients atteint par le covid. Cette reconfiguration à la fois numérique et fonctionnelle a été très importante.

Nous avons recouru à des prestations de conseil et ouvert un grand nombre de chantiers. Depuis 2018, il y a eu six marchés de prestation de conseil pour un montant total de 3,3 millions d'euros. Il s'agissait de coordonner et de fournir un appui méthodologique aux projets de transformation. Les prestations ont porté sur le pilotage et la conduite du projet de l'Observatoire de la santé des militaires (OSM), sur la transformation du service des ressources humaines du SSA pour relever le défi plus général du recrutement dans les métiers de la santé et de la fidélisation des médecins et des infirmiers. Elles ont également concerné la définition d'un plan d'action pour le développement du numérique et de la simulation au sein du SSA.

Nous avons eu recours à deux cabinets de conseil, Eurogroup et BearingPoint, avec lesquels nous avons travaillé de manière très intégrée afin de bénéficier d'un transfert de compétences, grâce à leur expertise.

De la même manière, nous avons créé et structuré la division « anticipation et stratégie » du SSA. En effet, dans la stratégie énoncée par le chef d'état-major des armées, il est prévu que nous visions le combat de haute intensité, ce qui a de nombreuses implications non seulement sur l'équipement et l'entraînement des forces, mais aussi sur la capacité du SSA à traiter des pathologies lourdes en grand nombre. L'anticipation joue un rôle majeur pour accompagner cette stratégie dans les années à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

La direction générale de l'armement (DGA) a bénéficié de l'accompagnement massif de BearingPoint pour sa réorganisation, pour un montant estimé à 4,3 millions d'euros. Pourriez-vous nous préciser les objectifs, le contenu et les résultats de cette prestation ?

Le cabinet Eurogroup aurait été missionné en 2021 pour évaluer des officiers à haut potentiel, pour un montant d'environ 62 000 euros. Quel a été son rôle exact ?

Vous appliquez la règle du « tourniquet » dans vos accords-cadres...

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Il n'y a pas de « tourniquet », le ministère des armées ne fonctionnant qu'avec des marchés subséquents.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Le cabinet McKinsey est l'un des titulaires du lot 1A de votre accord-cadre de 2018, consacré à la stratégie et au cadrage des projets. Néanmoins, il n'a obtenu aucune prestation entre 2018 et 2021. Pourriez-vous nous préciser pourquoi ?

Enfin, les leçons tirées du dysfonctionnement de Louvois l'ont-elles été grâce à des cabinets de conseil externes ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je n'ai pas d'information sur un travail réalisé en amont qui aurait conduit à la décision d'abandonner Louvois. J'ai travaillé avec mes équipes, sans cabinet de conseil. Je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'un cabinet de conseil soit en mesure d'éclairer un ministre sur ce type de décisions, de nature tout à la fois économique, budgétaire, managériale et politique.

Lorsque le délégué général à l'armement a été nommé, je lui ai demandé, dans le contexte de la préparation d'une loi de programmation militaire très ambitieuse, qui redonnait des moyens considérables aux armées, de garantir que nous pourrions utiliser le mieux possible chaque euro investi, notamment pour les crédits d'équipement qui constituent une part majeure de notre budget.

Le respect des délais est un critère majeur à respecter dans la conduite d'un programme d'armement. Or, nous devions à chaque fois demander à l'état-major d'exprimer un besoin militaire, que la DGA traduisait ensuite en besoin industriel, avant d'engager des discussions avec les industriels susceptibles de pouvoir y répondre. Les délais s'additionnaient, allongeant l'exercice.

Le lean management des entreprises nous a semblé avoir un grand intérêt, de sorte que j'ai demandé à la DGA d'oeuvrer avec un cabinet de conseil pour définir des principes découlant de cette méthode, afin de nous assurer que nos programmes d'armement étaient conduits de la manière la plus efficace possible.

Nous avons changé nos processus et accompagné les managers de la DGA dans cette transformation. La réforme a été mise en oeuvre et nous avons réduit certains délais. Pour le premier exemplaire du sous-marin Barracuda, qui sera bientôt admis au service actif, la durée des essais a ainsi été réduite de moitié. Il y a donc un véritable intérêt à s'inspirer de méthodes qui ont fait leurs preuves dans l'industrie pour importer, quasiment clé en main, des processus efficaces.

En ce qui concerne Eurogroup, j'aurais tendance à vous dire que, si vous le dîtes, c'est donc que c'est vrai.

Le fait que le cabinet McKinsey n'ait réalisé aucune prestation n'est pas forcément signifiant. Ça ne veut pas dire que nous n'étions pas satisfaits des propositions de McKinsey. Soit McKinsey n'a pas été le meilleur répondant aux appels à candidatures, soit il n'y a pas eu de sollicitation particulière dans le domaine où ce cabinet pouvait répondre. L'intérêt des accords-cadres est de pouvoir identifier par avance un certain nombre d'attributeurs potentiels.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Il y en a quatorze. Nous avons aussi prévu dans le nouvel accord-cadre un lot destiné à la maîtrise d'ouvrage pour des besoins inférieurs à 50 000 euros. L'objectif est de gagner en vitesse et en rigueur. Une fois les procédures respectées, la « préidentification » et la présence de plusieurs attributaires possibles par lot nous permet de gagner du temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Et pour les officiers à haut potentiel ? Prendre des conseils pour ce genre de sujets est une démarche un peu étonnante...

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Non, ce n'est pas une démarche étonnante ; c'est une démarche somme toute assez classique. Le ministère des Armées est une grande organisation, au sens sociétal du terme. Et, comme toute grande organisation, il a besoin de pouvoir évaluer les plus hauts potentiels. Des techniques sont mises en oeuvre dans beaucoup d'entreprises et d'organisations. Nous souhaitions pouvoir nous assurer que la méthode que nous avions mise en oeuvre était la plus efficace possible et nous permettait de nous améliorer. Car c'est tout de même un enjeu fondamental pour nos armées que d'avoir la certitude qu'elles seront dirigées par les meilleurs chefs.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Ce que vous avez fait auditer par un cabinet externe, c'est bien la méthode d'évaluation, et non les officiers eux-mêmes ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

C'est, me semble-t-il, la méthodologie qui a été évaluée et améliorée par le recours à ce cabinet de conseil. Mais je vérifierai s'il y a un doute.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous souhaiterions en effet que vous puissiez nous communiquer des éléments écrits plus précis sur le sujet.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Naturellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Si le cabinet McKinsey n'a pas obtenu de marché, est-ce parce qu'il n'a pas répondu au marché subséquent ou parce qu'ils avaient une évaluation insuffisante par votre ministère sur les dossiers soumis ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Il a pu être supplanté par un cabinet dont la réponse était plus adéquate.

Debut de section - PermalienPhoto de Mickaël Vallet

Les métiers du conseil, de l'audit ou de la transformation des organisations proviennent d'une pratique états-unienne qui s'est répandue dans le monde occidental. Nombreux sont les grands groupes mondiaux qui sont américains, même si nous avons pour interlocuteurs des filiales ou des « bureaux parisiens » qui revendiquent une étanchéité totale avec la maison-mère.

Néanmoins, et sans vouloir sombrer dans la paranoïa, entre Alstom, l'extraterritorialité, les révélations sur les pratiques de la National Security Agency (NSA), le Cloud Act, il existe des raisons de s'interroger sur les garde-fous.

Le ministère a-t-il recours à des cabinets issus de groupes mondiaux étrangers ? Ou s'agit-il de filiales dont nous pouvons avoir la garantie qu'elles ne sont pas liées à leur maison-mère ?

Si nous avons bien recours à de tels groupes, ce qui est le cas, reconnaissez-vous qu'il y a un point de vigilance ou d'alerte ? Quelles garanties de protection de nos données et informations vis-à-vis des éventuelles intrusions faussement justifiées par la notion bien pratique d'« extraterritorialité » avez-vous mises en place ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Vous mettez évidemment le doigt sur un sujet essentiel : l'actualité nous prouve chaque jour que le caractère étanche n'est pas nécessairement toujours garanti.

Vous avez relevé à juste titre que les cabinets auxquels nous avons recours ne sont pas nécessairement tous franco-français. D'ailleurs, il n'est pas rare qu'ils soient la filiale d'un groupe situé à l'étranger. Dès lors que c'est une filiale, il y a forcément un lien avec la maison-mère.

Par conséquent, nos marchés de prestations sont des marchés qui nécessitent de s'assurer des personnes qui vont pénétrer dans nos enceintes. En matière numérique, où l'enjeu est majeur, car il y a des données en jeu, ces marchés relèvent des marchés de défense ou de sécurité. De ce fait, ils disposent d'un certain nombre de protections particulières.

Tout d'abord, lorsque c'est possible, nous pouvons faire jouer la préférence européenne. C'est une autorisation accordée par le code de la commande publique : il peut être imposé à ces contractants de produire en Europe.

Par ailleurs, nous faisons ce que l'on appelle le « criblage » : nous passons au crible les personnes ayant vocation à pénétrer dans les enceintes du ministère des Armées. Il y a nécessité de s'assurer que ces personnes ne pourraient pas compromettre des informations en lien avec la défense nationale. Elles doivent donc disposer d'une habilitation. Dans le domaine du numérique, il s'agit d'une habilitation niveau secret. Je le précise, car la terminologie a changé - nous avons harmonisé la nomenclature -, « habilitation niveau secret » est le nouveau nom de ce que l'on appelait précédemment le « confidentiel défense ».

Vous avez donc tout à fait raison, Monsieur le sénateur.

D'une part, il faut pouvoir éviter lorsque c'est nécessaire certains cabinets de conseil. Cela signifie qu'il faut s'affranchir des règles des marchés publics et le code de la commande publique le permet pour les marchés de défense ou de sécurité.

D'autre part, il faut s'assurer de la probité et de la capacité des personnes qui travaillent dans ces cabinets de conseil. Et nous le faisons par la délivrance, ou pas, d'une habilitation.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la procédure d'habilitation niveau « secret » ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

C'est une habilitation qui est délivrée à la suite d'une investigation menée par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), dont c'est le travail. Cette dernière a deux tâches.

Premièrement, elle doit assurer le criblage au moment de l'incorporation des militaires au sein de nos forces. Des enquêtes sont réalisées avant le recrutement.

Deuxièmement, elle doit s'assurer, d'une part, de l'habilitation de toutes les personnes qui travaillent en lien avec notre ministère - je pense en particulier à tous les industriels de notre base industrielle et technologique de défense, avec lesquels nous allons échanger de l'information et des données - et, d'autre part, du bon niveau de sécurité du système d'information des entreprises concernées et de leur capacité à protéger des données relevant de notre défense et de notre sécurité nationale.

Nous vérifions donc la probité des individus et leur vulnérabilité. C'est l'objet des enquêtes traditionnelles menées dans de tels cas, en fonction de la situation familiale ou des liens éventuels avec des pays étrangers. C'est un travail classique, mais il est en l'occurrence effectué par une direction de notre ministère.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Pourrions-nous avoir un ordre de grandeur du nombre de consultants ainsi habilités « secret » chaque année ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Nous pourrons vous le fournir. Là, je n'en ai pas la moindre idée.

Les habilitations représentent un travail qui est extrêmement accaparant. Nous nous sommes heurtés à une difficulté, pas seulement pour les cabinets de conseil, mais, plus généralement, pour les industriels de la défense qui demandaient à pouvoir habiliter un certain nombre de leurs salariés. Nous avions accumulé beaucoup de retard dans la délivrance de ces habilitations.

La direction concernée a donc pris à bras-le-corps la question de l'amélioration du traitement des demandes. Aujourd'hui, nous avons résorbé l'essentiel de notre retard. Nous avons énormément perfectionné le système de traitement. Les demandes d'habilitation sont nombreuses.

Mais nous vous communiquerons l'ordre de grandeur s'agissant des seuls cabinets de conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Une question a interpellé beaucoup d'entre nous et, plus largement, nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens au début de la crise de la crise sanitaire.

Nous le savons, l'armée a toujours disposé d'une grande capacité logistique, par exemple pour le soutien des soldats en opération. Le 15 décembre dernier, le président du cabinet Citwell Consulting a même déclaré devant notre commission d'enquête : « la logistique a été inventée par l'armée. En 2020, au début de la crise, je me suis même demandé pourquoi l'armée française n'avait pas été missionnée pour venir aider le ministère de la santé. Cela m'a étonné. »

Dans quelle mesure l'armée a-t-elle été associée à l'organisation de la campagne de vaccination ? Auriez-vous souhaité que ses capacités logistiques soient davantage mises à contribution qu'elles ne l'ont été, en lieu et place de cabinets de conseil comme McKinsey, Citwell Consulting ou JLL ?

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Pour apporter de l'eau au moulin de Madame la rapporteure, je lisais dans un périodique ce matin que la responsabilité de la vaccination était confiée à un militaire de très haut rang en Allemagne et en Italie.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Les armées disposent effectivement de capacités logistiques, d'un sens de l'organisation et d'une capacité à déployer rapidement des moyens.

C'est la raison pour laquelle lorsque l'organisation de gestion de la crise s'est mise en place, sous l'égide du ministère des solidarités et de la santé - le choix qui a été fait en France a été de placer ce ministère au centre de la gestion de crise -, nous avons apporté notre contribution à chaque fois qu'elle nous a été demandée. Elle nous a été demandée dans différents registres.

Nous avons en effet fourni des experts à différents moments sur différentes spécialités, ayant toutes, de près ou de loin, trait à une compétence logistique ; nous pourrons vous communiquer des éléments plus précis. Nous avons mis à disposition de la cellule du ministère des solidarités et de la santé plusieurs experts à ce titre.

Par ailleurs, nous avons participé à chaque fois que cela nous a été demandé à des opérations particulières réalisées dans un contexte d'urgence spécifique. On s'en souvient, le ministère des Armées a mobilisé successivement des moyens aériens pour assurer des évacuations sanitaires, des moyens navals pour pouvoir évacuer des patients atteints du covid, qu'il s'agisse de la Corse ou des outre-mer, et ce que l'on a appelé à tort un « hôpital de campagne ». En réalité, il s'est agi d'un élément mobile de réanimation qui a été conçu dans l'urgence. Il nous a permis d'accueillir jusqu'à trente patients en réanimation à proximité de l'hôpital de Mulhouse. Nous l'avons depuis scindé en plusieurs éléments que nous avons déployés de manière régulière, en particulier dans les outre-mer.

Nous avons donc répondu à chaque fois que cela nous a été demandé pour venir compléter les moyens du système de santé publique.

Nous avons également été mobilisés à partir de la fin du printemps 2021 s'agissant de la vaccination. Nous avons mis à disposition des capacités logistiques pour gréer ces centres de vaccination déployés dans de nombreuses communes de France, souvent par mise à disposition de locaux communaux. Nous avons mobilisé des moyens informatiques et des militaires qui ont assuré toute la procédure d'enregistrement des patients afin de permettre aux personnels médicaux de se concentrer sur l'action essentielle, c'est-à-dire la vaccination. Nous continuons aujourd'hui d'apporter un soutien. Ainsi, près de 200 militaires sont aujourd'hui quotidiennement mobilisés à la demande des préfets et des agences régionales de santé afin d'apporter un coup de main, cette fois-ci pour assurer la réalisation de la vaccination.

Vous le voyez, nous avons non seulement contribué à travers la logistique, mais également apporté un soutien pour la vaccination elle-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous ne doutons pas que votre ministère ait participé à toutes ces actions.

Mais ma question portait, de manière plus large, sur la capacité d'organisation générale de la logistique par le ministère des Armées. Aurions-nous pu éviter d'avoir recours à de très nombreuses et très onéreuses prestations de conseils de la part de cabinets, dont certains sont d'ailleurs étrangers ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Il est très difficile de dire ce qui se serait passé si l'on avait procédé différemment... Notre pays a fait un choix : s'organiser autour de notre système de santé publique et du ministère des solidarités et de la santé. Il en découlait la nécessité d'apporter un appui dans tous les domaines où nous pouvions le faire à ce ministère et à ses différents services.

Il faut, me semble-t-il, garder en tête un élément que j'ai mentionné tout à l'heure : le service de santé des armées n'était pas dimensionné pour faire ce que le système de santé publique a fait à sa place.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Ce n'était pas l'objet de ma question, qui portait sur l'organisation logistique générale.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Certes, Monsieur le président. Mais je tenais à faire ce rappel, car, au-delà de votre question, il y a parfois une question subséquente qui consiste à se demander pourquoi le service de santé des armées n'a pas été plus mobilisé. À mon sens, il a vraiment fait tout ce qu'il a pu pour apporter son concours.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je vous réponds sur la conception de la logistique et l'organisation. Nous avons été sollicités par le ministère des solidarités et de la santé pour mettre à disposition des experts, et nous l'avons fait.

Il m'est délicat de vous répondre plus que je ne viens de le faire. J'espère que nous avons apporté les meilleurs profils et les meilleurs experts au ministère de la santé dans cette gestion de crise, qui a évidemment été extrêmement difficile.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

J'aimerais à présent aborder les questions déontologiques. Pouvez-vous nous confirmer que le ministère des Armées ne recourt pas aux prestations gratuites, les fameuses pro bono, de la part des cabinets de conseil ? D'une manière générale, que pensez-vous de telles prestations, dont on peut parfois craindre qu'il ne s'agisse d'une forme de pied dans la porte ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Nous n'avons pas recours à ce type de prestations, pour les raisons que vous venez d'indiquer.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Demandez-vous aux cabinets de conseil de remplir des déclarations d'intérêts lorsqu'ils interviennent pour le ministère des Armées ? Leur demandez-vous également la liste de leurs autres clients, afin de vous assurer qu'ils ne servent pas plusieurs intérêts possiblement contradictoires en même temps ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Cette question mérite une vérification.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Je l'entends bien. Nous comptons donc sur un retour écrit de votre part.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

M. Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées entre 2014 et 2017, avait créé en 2018 sa société de conseil et a également travaillé pour le Boston Consulting Group (BCG).

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris cette information ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

À partir du moment où le chef d'état-major des armées avait quitté les armées, il était parfaitement dans son droit de s'engager dans une nouvelle carrière. Je n'ai donc pas de commentaire à faire par rapport à cela.

Mais il est vrai que chaque fois qu'un personnel militaire quitte les armées pour être embauché par une société privée ou participer à ses activités - peu importe le statut -, il y a un examen attentif de la traçabilité qui est assuré par l'intermédiaire d'une commission de la déontologie.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Oui, cette commission est interne au ministère. Elle s'assure que la deuxième carrière sur le point d'être entamée par un personnel militaire quittant l'institution répond à un certain nombre de critères de déontologie.

Autrement dit, il est hors de question qu'un militaire ayant été chargé des marchés au sein de l'état-major parte dans une entreprise avec laquelle il a été en négociations. Voilà le type de sujets que cette commission de déontologie examine.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Cette commission de déontologie peut-elle aussi exprimer des réserves, c'est-à-dire indiquer que, du fait de ses fonctions antérieures, un ancien militaire ayant rejoint un cabinet de consultants ne pourra pas entrer en contact avec telle ou telle direction ou sous-direction du ministère ?

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) donne parfois des avis de conformité avec réserves, et ces réserves sont souvent assez détaillées et copieuses. Est-ce également votre mode de fonctionnement ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

C'est le cas. Et ces réserves peuvent s'appliquer pendant plusieurs années.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je voulais précisément vous interroger sur la durée des réserves, d'autant que certains militaires partent à la retraite très tôt.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

En effet. Les militaires quittent l'institution fort jeunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Avez-vous un moyen de comptabiliser le nombre de militaires qui sont dans des cabinets de conseil ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Nous nous sommes efforcés de les comptabiliser pour cette audition. Je ne mentionnerai que les officiers généraux ; je pense que les chiffres seraient disponibles sur un échantillon plus large.

En 2018, deux officiers généraux ont intégré un cabinet de conseil, cependant que six autres ont créé leur propre entreprise dans le domaine du conseil. En 2019, un officier général a rejoint un cabinet de conseil et dix-huit ont créé leur entreprise. En 2020, deux officiers généraux ont intégré un cabinet de conseil et treize ont créé leur entreprise. En 2021, un officier général a intégré un cabinet de conseil et dix-sept ont créé leur entreprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

La semaine dernière, lors de l'audition de Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la question du suivi des réserves est apparue. Certes, l'édiction de réserves est positive ; elle est même indispensable. Mais la qualité du système réside dans la capacité à suivre ce qui se passe dans la vie réelle pendant plusieurs années. Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Ce suivi est rendu possible par le fait que les officiers généraux quittant l'institution sont tenus de déclarer leurs activités au ministère.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Tout à fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Au-delà du déclaratif, la HATVP dispose d'un système de veille. Certes, ce n'est pas infaillible ; tout dépend de la qualité des informations reçues.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je ne dis pas que ce n'est pas perfectible.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Vous nous confirmez que les officiers généraux et, plus généralement, tous les militaires ayant quitté l'armée active doivent vous déclarer toutes leurs activités ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je vous le confirme pour les officiers généraux.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je me permets de me réfugier dans le silence avant de vous répondre par écrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Pouvez-vous nous confirmer que Défense Mobilité est bien un service du ministère, et non une agence de l'État supplémentaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Ce service accompagne les anciens militaires dans leur reconversion professionnelle. Peut-elle leur conseiller d'aller travailler dans un cabinet de conseil ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je pense que ce n'est pas interdit. Mais il me semble que Défense Mobilité se charge principalement des militaires qui ne sont pas des officiers généraux ou que les emplois et qualifications ne prédestinent pas particulièrement à rejoindre de tels employeurs.

L'agence reconvertit chaque année environ 10 000 militaires. Elle est donc chargée de la reconversion de militaires du rang, de sous-officiers et, désormais, de leur conjoint ; cela fait partie des extensions que nous avons décidées récemment. Je ne sais pas - nous pourrons le vérifier - si elle a eu l'occasion d'accompagner un officier général dans une reconversion au cours des dernières années.

Mais, en règle générale, les cabinets de conseil cherchent des profils assez seniors et hauts dans la hiérarchie.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous avons relevé que l'agence Défense Mobilité était elle-même accompagnée par un cabinet de conseil, pour un montant de 820 000 euros. Pouvez-vous nous indiquer le rôle exact de ce cabinet ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je vous le préciserai.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Bien sûr. Mais, encore une fois, il est légitime de pouvoir être toujours au meilleur état de l'art dans un domaine qui a des équivalents dans le monde économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Madame la ministre, nous vous remercions de ce long échange, très intéressant pour nous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos services publics ».

Votre collectif a produit l'année dernière un travail remarqué portant sur l'externalisation par l'État des missions de conception et de mise en oeuvre des politiques publiques.

Cette étude présente un lien direct avec nos travaux, même si son champ est plus large : elle traite de l'externalisation en général alors que notre commission d'enquête porte sur les cabinets de conseil, en particulier. Nous souhaitons donc vous entendre plus particulièrement sur cette dernière thématique.

Nous compléterons votre point de vue par l'audition des syndicats de la fonction publique, qui est prévue la semaine prochaine.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, les collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je vous indique qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de 3 à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amendes.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Arnaud Bontemps prête serment.

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

J'interviens au titre du collectif « Nos Services Publics » et je tiens à vous préciser que cette audition a été préparée collectivement avec des collègues qui ont une expérience large dans l'État, les collectivités territoriales ou encore dans les hôpitaux. Je vais tenter de vous restituer de manière la plus fine, nos analyses collectives.

Notre collectif d'agents publics s'est créé il y a moins d'un an afin de reprendre la parole de l'intérieur, sur les dysfonctionnements des services publics. L'idée est de construire des services publics qui répondent aux besoins des gens. L'objectif est donc très ambitieux.

Notre première analyse portait sur l'externalisation. Ce phénomène est général et nous voyons un mouvement croissant dans l'externalisation des services publics. Cela interroge sur la capacité de l'État à remplir ses propres missions.

Ce n'est pas nouveau : le secteur public a toujours travaillé avec le secteur privé. Depuis le milieu des années 90, on retrouve une volonté au sein de l'appareil de l'État d'entreprendre des réformes en donnant de plus en plus de place au secteur privé et de chercher une nouvelle articulation entre le public et le privé.

On peut dater l'origine de ce mouvement en 1995, avec la circulaire Juppé qui plante le cadre intellectuel et discursif des 25 années suivantes et qui est toujours d'actualité, en redéfinissant les périmètres respectifs de l'action publique et du secteur privé.

Dans un premier temps, ce mouvement s'est traduit pour le service public en confiant des missions entières au privé. Il s'agit des concessions et des délégations de service public.

Dans un deuxième temps, vers le milieu des années 2000, un deuxième mouvement s'ajoute : le public confie des fragments de son action au privé, à travers notamment des prestations. Ces prestations sont multiples : elles vont du gardiennage, du nettoyage ou encore de la sécurité aux cabinets de conseil.

Ce mouvement s'est accéléré conjointement avec un mouvement de réduction de l'État sur ses propres effectifs. Il s'agit d'une tendance est importante, bien qu'elle soit difficile à objectiver par manque de données publiques.

Le recours croissant de l'État aux prestations intellectuelles et la diminution des effectifs, notamment au sein de l'appareil d'État, est très marqué entre 2006 et 2012 avec la suppression de 165 000 équivalents temps plein (ETP) sur cette période, en cohérence avec la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Cette réduction de l'emploi public, sans diminution des missions, a contribué à déporter une fraction croissante de la réalisation des missions publiques vers le secteur privé. C'est là qu'interviennent en partie les cabinets de conseil.

Pour la France, l'intervention de ces cabinets de conseil est évaluée aujourd'hui à 814 millions d'euros. Ce chiffre est à intégrer dans l'externalisation globale, estimée à 160 milliards d'euros, 120 milliards étant consacrés à des délégations et concessions de service public et 40 milliards répartis à peu près également entre des prestations pour l'État et les hôpitaux, pour les collectivités territoriales et pour les entreprises publiques.

La contrainte du plafond d'emploi et les contraintes juridiques peuvent amener l'administration à recourir à des cabinets de conseil. La fongibilité asymétrique des crédits est une règle mise en place par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en 2001. Ces normes donnent à l'administration des ressources financières qu'elle ne peut dépenser en recrutement mais qu'elle peut utiliser pour embaucher un consultant extérieur.

L'enjeu de cette contrainte est important et apparaît notamment dans le récent rapport d'information de la députée Cendra Motin sur les différentes missions confiées par l'administration de l'État à des prestataires extérieurs. Les administrations relèvent, comme premier facteur de recours aux prestations intellectuelles, les enjeux relatifs aux ressources humaines.

Ce recours à l'externalisation a plusieurs conséquences. La première d'entre elles est que l'on se coupe progressivement de notre capacité d'agir. On ne dispose plus en interne de ces compétences externalisées, alors même que l'on a un besoin structurel de leur usage.

Un rapport de la Cour des comptes de 2015 sur le recours de l'État aux conseils extérieurs parle de risque de perte de mémoire portant sur certaines missions centrales de l'État.

Une autre conséquence porte sur un risque en termes de qualité des politiques publiques : à force d'intervenir de façon intermittente dans les dossiers sans connaître nécessairement le contexte, le produit peut être moins terminé ou adapté. Il y a des risques opérationnels en termes de rigidité, de réversibilité et de coûts. Enfin, il existe des risques en termes de confiance, d'impartialité, voire d'apparence d'impartialité.

Il n'est pas question de dire que le recours à des cabinets de conseil est, en soi, toujours un problème. C'est loin d'être mon propos. Il y a des moments spécifiques sur des compétences pointues pour lesquels le recours à des cabinets de conseil est possible.

La base du recours aux cabinets de conseil est d'en avoir le choix stratégique. Or, la réalité de la plupart des administrations est la contrainte. Quand on ne choisit pas d'avoir recours en interne ou en externe pour une prestation donnée, on se met dans des situations de dilemme.

Votre commission d'enquête est particulièrement intéressante dans le débat public dans cette période pour permettre de réinterroger les raisons, les réalités et les conséquences du recours aux cabinets de conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

On peut s'entendre sur le fait que le recours à des cabinets privés ne date pas d'aujourd'hui et qu'il a augmenté, notamment au cours de ces cinq dernières années.

Il y a bien sûr un lien avec la réduction des équivalents temps plein (ETP) dans la fonction publique. Mais nous pouvons constater une défiance de l'État envers les fonctionnaires. Ils sont parfois mis sur la touche au profit de cabinets privés qui viennent assumer leur mission en lieu et place de leur savoir et savoir-faire.

En même temps, nous constatons des « allers-retours » entre la fonction publique et les cabinets privés. Avez-vous un écho de ce phénomène ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Ce phénomène est reconnu et est d'ailleurs partiellement encadré sur le plan juridique. Il existe le délit de prise illégale d'intérêts, inscrit dans le code pénal.

Un mouvement de déontologie s'est développé en parallèle pour encadrer la pratique des « allers-retours ». Il y a des progrès et des améliorations substantielles à conduire, notamment du point de vue de la réflexion collective.

La déontologie est un élément important. Nous dépassons toutefois très largement le cas des cabinets de conseil. Il peut y avoir des enjeux de conflits d'intérêts avec d'autres parties du secteur privé, que les agents publics sont amenés à réguler ou avec lequel ils sont amenés à travailler. C'est particulièrement le cas dans les administrations centrales, qui ont ce rôle de régulation.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Il y a une question d'attractivité pour certains emplois publics, notamment dans le domaine du numérique.

La question du salaire n'est pas neutre. Certains responsables publics rencontrent des difficultés pour recruter des talents car le statut de la fonction publique ne leur permet pas de les rémunérer à la hauteur de ce qu'ils pourraient recevoir ailleurs.

Avez-vous eu une réflexion sur le statut de la fonction publique pour résoudre ces questions d'attractivité ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Il y a deux sujets, celui du statut et celui de la rémunération. Si on a un souci de recrutement à cause de la rémunération, il suffit de l'adapter.

En dehors du numérique, l'administration a recours à des cabinets de conseil comme dans le secteur de la santé ou de la défense. Il y a en réalité un enjeu global d'attractivité du secteur public vis-à-vis de certains emplois. La rémunération est un des facteurs, les conditions de travail en sont un autre, les capacités à agir et le sens des missions peuvent également jouer. Dans le même temps, le secteur public dispose de ressources pour recruter des agents, parmi lesquelles figurer le sens donné à ses missions.

Il y a des secteurs dans lesquels l'administration fait appel à des prestataires extérieurs alors qu'il y aurait des possibilités d'internalisation. C'est le cas du dispositif beta.gouv.fr, qui fait intervenir de nombreux prestataires extérieurs, alors que les mouvements de réinternalisation sont très limités. Ce sont des salariés qui viennent travailler pour le secteur public mais à qui on ne propose pas de recrutement, à cause notamment du plafond d'emploi. On arrive à des situations ubuesques.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

L'administration va rechercher des consultants privés car elle a un problème de plafond d'emploi ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

J'ai vu des cas où on demande à un agent contractuel de mettre fin à son contrat avec l'administration et de devenir prestataire, donc de continuer à travailler pour elle. Cela permet de recruter un autre contractuel sur son poste, tout en respectant le plafond d'emploi.

Le plafond d'emploi conduit à des conséquences parfois absurdes. Nous avons des moyens, budgétairement parlant, mais nous n'avons pas toujours le droit de recruter. Par contre, on peut faire un chèque à un prestataire extérieur quand bien même ce serait plus cher...

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Sauf que les choses s'envisagent sur la carrière entière. Il est évident que l'on prendra un prestataire extérieur pour une mission ponctuelle ou limitée dans le temps.

Le turn over des agents doit être maîtrisé. Il me semble nécessaire sur les fonctions de « conseil interne » pour avoir toujours des personnes au sommet de leur compétence, comme nous l'a dit M. Martin Hirsch lors de son audition. C'est également le cas au ministère des Armées.

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Je comprends ce besoin mais je reste dubitatif sur le risque que vous évoquez.

Sur ce type de missions, à la pointe de la technologie, les jeunes ne se voient pas 20 ans sur un même poste. Ils sont mus par des projets et des envies de changement, d'évolution et ne souhaitent pas se « fossiliser » dans un poste de l'administration. Je ne suis pas inquiet sur cet enjeu.

En revanche, je pense qu'il y a un vrai enjeu sur la question de savoir de quelles compétences l'administration souhaite disposer en interne. Lorsque l'on veut recourir à un prestataire extérieur, de manière croissante, on aurait intérêt à se poser la question de savoir si un recrutement en interne ne serait pas préférable, pour augmenter la capacité d'agir de la puissance publique. Trop souvent, l'administration n'a pas les moyens de se poser cette question, ni l'envie.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Quelle a été la réaction de votre collectif lorsque vous avez appris que le cabinet McKinsey avait été rémunéré 496 800 euros pour rédiger un rapport sur l'avenir du métier d'enseignant ?

Quelle est votre position concernant la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 pour mieux encadrer les prestations de conseil ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Je pense que cette circulaire est le signe d'une prise de conscience. C'est une bonne nouvelle.

Elle prévoit la réduction du recours aux prestations intellectuelles en stratégie et organisation de 15 % en 2022 par rapport à 2021, la création d'un pôle interministériel sur l'achat des prestations intellectuelles, envisage la réinternalisation des compétences et demande le respect d'un certain nombre de bonnes pratiques.

Cela me semble parfois effrayant de devoir rappeler certaines bonnes pratiques, comme le fait d'éviter les confusions entre un prestataire et un agent public...

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Cette circulaire contient-elle des notions suffisantes en matière de la transparence ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Elle met en place des garde-fous collectifs à l'usage des prestations intellectuelles, qui vont dans le bon sens.

Quand on parle de dispositifs ministériels de pilotage qui associent les inspections ou les conseils généraux ou d'un dispositif interministériel de vérification des bons de commande de plus de 500 000 euros, cela me semble plus que nécessaire. C'est un dispositif lourd mais nécessaire.

La baisse de 15 % des prestations de conseil se limite néanmoins au conseil en stratégie et en organisation. Les prestations informatiques et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ne sont pas concernées. Je pense qu'il y a un problème de périmètre. Si cette réduction des commandes ne trouve pas à s'appliquer pour des secteurs où les prestataires privés remplacent des agents publics, on aura vite un enjeu de qualité du service public et de son pilotage.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pensez-vous qu'il y a un risque de dépendance de l'administration envers les cabinets de conseil ?

M. Frédéric Pierru, sociologue, disait qu'au fil des ans, les consultants sont venus compenser l'éclaircissement des rangs de la haute fonction publique, qu'on était face à une dépendance structurelle. Les cabinets de conseil plaident pour l'amaigrissement de l'État mais proposent ensuite leurs services pour pallier le manque de fonctionnaires ! Dès lors, comment baisser le budget alloué aux prestataires extérieurs, qui se sont rendus indispensables ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

C'est à peu près le point de vue que je viens de développer.

J'ajouterai l'effet cliquet : une fois que l'on a eu recours à une prestation extérieure et que l'on a diminué le plafond d'emploi, il est difficile de réinternaliser la mission. Si des économies ont été réalisées grâce à l'externalisation, ce qui n'est pas toujours vrai, l'administration aura le même problème pour récupérer son budget lorsqu'elle souhaitera « reprendre » la mission. Une fois que l'on a externalisé un pan de l'action publique, on doit en reconstruire les compétences et c'est parfois long...

En 2012, trois corps d'inspection ont rendu un rapport sur la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il soulignait que la RGPP n'avait pas réduit stricto sensu le périmètre des missions de l'État mais avait plutôt procédé à des réductions de moyens sur l'ensemble des missions, à une exception près : l'ingénierie publique. Si l'on devait reconstruire aujourd'hui ces fonctions, cela nous prendrait probablement une décennie. C'est la conséquence majeure de cet effet de cliquet. La réinternalisation est une opération nécessaire mais complexe.

Debut de section - PermalienPhoto de Mickaël Vallet

Je souhaite saluer la clarté des articles de votre collectif.

Pourriez-vous nous apporter votre éclairage sur la question hospitalière ?

Lors de l'audition conjointe de la directrice générale de l'Agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France et de la directrice générale de Santé publique France, elles nous ont dit ne pas avoir recours aux cabinets de conseil, ces recours provenant soit du ministère, soit de la collectivité hospitalière. Elles n'ont pas répondu à la question de savoir quelles sont les missions dans lesquelles il y avait un recours aux cabinets de conseil.

Certains parlent de « consultocratie » hospitalière. Est-ce une exagération ? Quel est votre point de vue ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Tout d'abord, la question de l'emploi n'est pas traitée de la même façon dans les hôpitaux, dans l'État ou dans les collectivités territoriales.

La règle de fongibilité asymétrique s'applique strictement à l'État. Dans les collectivités territoriales, la norme porte sur les dépenses de fonctionnement. Dans les hôpitaux, il n'y a pas de schémas d'emploi, en revanche, il y a des consignes, notamment de la part des ARS.

Il y a parfois des stratégies quasi assumées de souhaits d'externalisation, par exemple sur la fonction achat pilotée au niveau de l'administration centrale.

Concernant la « consultocratie » hospitalière, le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (COPERMO) donnait son accord ou non, selon des critères assez rigides, sur l'évaluation des plans d'investissements hospitaliers ou de restructuration. Ce comité, qui a été supprimé par le Ségur de la santé, a été remplacé par une autre structure moins rigide. Des cabinets de conseil s'étaient spécialisés dans les réponses aux critères du COPERMO de manière à faire passer les dossiers !

La fonction publique est capable de susciter elle-même ses propres besoins de consultants, en édictant des règles rigides. Il y a quelques années, la Cour des comptes a rendu un référé sur le recours aux cabinets de conseil dans la fonction publique hospitalière. C'est une réalité à laquelle sont confrontés les hospitaliers.

Sur le recours médiatique et polémique au cabinet McKinsey pour la campagne vaccinale du Gouvernement, cela pose la question de la responsabilité. C'est la même responsabilité que lorsque le cabinet McKinsey a été rémunéré sur son rapport sur l'avenir du métier d'enseignant. Quelle est la plus-value des consultants ? Quelle est leur connexion avec des réalités très complexes comme la chaîne vaccinale ?

D'une manière générale, les accords-cadres de prestations de conseil de l'État diluent parfois les responsabilités.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Ma dernière question porte sur les 800 millions que vous avez cités comme ordre de grandeur pour le recours annuel aux cabinets de conseil pour les trois fonctions publiques.

Nous avons-nous-mêmes collectés un certain nombre de données et nous aurions entre 600 et 650 millions de dépenses de l'État en matière de conseil. Cela laisse une part assez congrue aux autres, notamment les collectivités territoriales !

Je m'interroge sur ces ordres de grandeur...

Debut de section - Permalien
Arnaud Bontemps, co-fondateur et porte-parole du collectif « Nos Services Publics »

Nous avons un vrai problème de transparence et de compréhension de ce qui se passe. Je comprends et partage votre étonnement.

Si vous trouvez déjà 600 millions d'euros de prestations de conseil pour l'État, cela pose la question du périmètre. Est-ce qu'on se concentre uniquement sur les cabinets de conseil en organisation et en stratégie ? Est-ce qu'on intègre la maîtrise d'ouvrage, l'assistance à maîtrise d'ouvrage, le conseil en informatique ?

Il existe une nomenclature des achats de l'État, segmentée en huit catégories distinctes, qui pourrait servir à appréhender le sujet.

Il y a bien un enjeu de compréhension pour la collectivité publique et pour les citoyens. Vos collègues députés avaient proposé d'ajouter un jaune budgétaire sur les prestations externalisées, de la même façon que l'on a un jaune budgétaire sur la fonction publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Je vous remercie de votre participation.

La réunion est close à 18h50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.