Certes. Mais l'une de mes missions et l'un des objectifs que je me fixe en tant que secrétaire d'État au numérique est de former beaucoup plus de monde. Le premier facteur limitant de la croissance des entreprises numériques françaises, c'est la capacité à recruter, sachant qu'elles offrent déjà des salaires trois à quatre fois supérieurs à ceux du secteur public. Même si cela relève plus du domaine d'Amélie de Montchalin, je connais extrêmement bien l'état du marché.
Par ailleurs, un salaire d'informaticien du haut du panier dans la Silicon Valley peut atteindre 240 000 dollars à la sortie de l'école. Or les entreprises de la Silicon Valley, qui peuvent aujourd'hui recruter en télétravail, trouvent des ingénieurs à des salaires deux fois moindres. Mais deux fois moins qu'un salaire dans la Silicon Valley, cela reste toujours sans commune mesure avec ce que l'on est capable de payer dans le secteur public.
Le sujet n'est donc pas celui des cabinets de conseil. Ces derniers ne recrutent qu'une infime partie des informaticiens.
Le sujet général pour l'État, comme pour les autorités indépendantes, c'est la capacité à avoir recours à une compétence. C'est pourquoi nous avons créé voilà deux ans le pôle d'expertise de la régulation numérique (Peren), qui est une plateforme rassemblant une vingtaine d'informaticiens, de data scientists ou de spécialistes de l'intelligence artificielle de très haut niveau. Cet outil est mutualisé entre les services de l'État, la CNIL, les autorités indépendantes car tout le monde a des difficultés à recruter des performances de pointe. D'ailleurs, cela pose un problème d'application des politiques publiques. C'est très bien de dire que l'on doit auditer les algorithmes des très grandes entreprises du numérique. Mais, quand elles vont payer un million d'euros par an des gens qui sont les meilleurs informaticiens du monde, il faut avoir des gens qui soient capables de le faire en face. Or, sur la question du salaire, c'est un défi pour la puissance publique, à laquelle je crois.
Aujourd'hui, je ne suis pas chargé de la Dinum. Mais je l'ai été pendant un peu plus d'un an, entre ma nomination au 31 mars 2019 et le remaniement de l'été 2020.
C'est à ce moment-là que nous avons commencé le travail de réinternalisation d'une partie de la compétence sur le suivi de projet et sur le conseil à l'intérieur de l'État. Cela a été évoqué par ma collègue Amélie de Montchalin : c'est le fameux décret du Premier ministre du 22 octobre 2019. De toute évidence, il y a la nécessité de réarmer l'État pour lui redonner des compétences en matière informatique.
Ce que je crois, c'est que c'est un défi de salaire et d'organisation du travail, y compris dans le télétravail. Aujourd'hui, pour recruter un développeur, il faut le télétravail. J'étais hier chez Back Market, la plus grosse start-up française : le recrutement est en complet télétravail.
L'État, la puissance publique, doit être capable de répondre à cette difficulté. C'est un sujet de salaire et de conditions de travail. Celles-ci sont probablement plus rigides, plus compliquées et relèvent de statuts au sein de la fonction publique qui ne répondent pas à l'attente. Nous devons y répondre si nous voulons être capables de disposer de cette compétence, qui est essentielle pour développer nos projets informatiques et pour appliquer nos missions de service public et de déploiement de politiques publiques.