Mes chers collègues, nous recevons M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
La question du recours aux cabinets de conseil dans le domaine numérique se pose avec une particulière acuité dans un contexte de numérisation progressive des services publics. La crise sanitaire a accentué ce phénomène, en particulier avec l'application StopCovid et son successeur, TousAntiCovid.
Plus généralement, nous souhaitons vous entendre sur la stratégie de l'État en matière de numérique et sur la capacité de la puissance publique à développer des compétences en interne pour faire face aux nombreux enjeux à venir.
Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, les collègues peuvent également intervenir par visioconférence.
Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites: « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cédric O prête serment.
Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames, Messieurs les sénateurs, vous m'invitez aujourd'hui à un exercice de transparence démocratique. C'est évidemment bien volontiers que je m'y soumets.
Je comprends du travail de la commission que vous cherchez à faire toute la lumière sur la manière dont l'État recourt pour répondre à ses besoins, y compris en temps de crise, à des prestations intellectuelles fournies par des conseils privés. Cela rentre évidemment dans les attributions du Parlement. J'espère contribuer à cette mission dans le cadre des attributions qui sont les miennes.
Il me semble toutefois important à ce titre de commencer par préciser quelles sont mes attributions, définies par le décret du 14 août 2020.
En tant que secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, je suis, comme vous le savez, placé auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Pour le compte du ministre de l'économie, des finances et de la relance, je traite des questions relatives à la souveraineté numérique, au développement de l'économie numérique et des technologies numériques, à la transformation numérique des entreprises et aux communications électroniques.
À ce titre, je veille notamment au développement des entreprises et des acteurs français du numérique. Je promeus les actions propres à accélérer la transformation numérique de notre économie. Je participe à l'élaboration du cadre juridique relatif au numérique, aux technologies d'avenir et aux plateformes à l'échelle nationale, européenne et internationale. Je participe également à la mise en oeuvre du programme des investissements d'avenir dans le domaine du numérique. Je traite des questions relatives à la promotion et à la diffusion numérique, à la gouvernance d'internet, aux infrastructures, équipements, services, contenus et usages numériques, ainsi qu'à la sécurité des échanges des réseaux et des systèmes d'information. Je contribue enfin à l'action du Gouvernement en matière de transition écologique, de souveraineté technologique et d'éthique.
Pour le compte de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, je participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de transition numérique des territoires.
Je pilote, à ce titre, le déploiement des infrastructures numériques et promeus une meilleure accessibilité aux services numériques. Je mets ainsi en oeuvre la politique d'inclusion numérique du Gouvernement visant à garantir l'accès et l'appropriation par l'ensemble de la population et dans tous les territoires des usages et services numériques.
J'ai fait cette description en plein parce qu'elle recouvre une description en creux : au regard de mes attributions - vous avez, je crois, auditionné il n'y a pas très longtemps ma collègue Amélie de Montchalin -, je n'exerce pas de compétences pour le développement du numérique au sein de l'État. Cette mission est dévolue à la ministre de la transformation et de la fonction publiques, qui promeut les actions propres à accélérer la transformation du numérique de l'État.
Il peut bien évidemment y avoir une forme d'adhérence, par exemple lorsque nous développons une politique de cloud, mais la supervision de la direction interministérielle du numérique (Dinum), a fortiori la supervision de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), le travail de sous-traitance supervisé le cas échéant par la Dinum en matière de développement informatique ne sont pas dans ma responsabilité ministérielle. Nous travaillons ensemble, avec Amélie de Montchalin, mais c'est elle qui en exerce la responsabilité.
Ce long préambule ayant été fait, je souhaite saisir l'occasion que vous m'offrez aujourd'hui pour dire quelques mots afin d'éclairer le recours aux cabinets de conseil par l'administration, qui, comme vous le savez, est encadré par la circulaire du Premier ministre du 19 janvier dernier.
Vous avez eu, je crois, l'occasion d'en discuter lors de vos auditions avec des personnes qui ont plus de responsabilités ministérielles que moi en la matière. L'objectif de cette circulaire est de s'assurer que les prestations de conseil soient utilisées conformément au cadre réglementaire, mais également à bon escient, c'est-à-dire pour renforcer la capacité d'action de l'État à un moment donné sur un sujet nécessitant une expertise particulière et en appui aux agents publics.
Il n'y a pas, je crois, de doutes sur le fait que les cabinets de conseil peuvent constituer une ressource utile pour multiplier l'action des agents dans un certain nombre de cas, notamment trois.
Premièrement, pour faire face à un besoin en compétences expertes à un moment donné. Dans ce cas, l'accompagnement peut couvrir plusieurs étapes du diagnostic et la mise en oeuvre du changement. Mais il appartient toujours à l'administration de prendre des arbitrages sur les propositions formulées par les cabinets de conseil.
Deuxièmement, pour faire face à un projet limité dans le temps et que les équipes ne peuvent pas intégrer complètement. L'exemple typique est le recours au conseil pour des prestations informatiques en lien avec des compétences rares et utiles, uniquement ponctuellement.
Troisièmement, pour disposer d'un regard extérieur affûté sur des situations comparables dans d'autres environnements. Il peut s'agir de prestations d'expertise pour des besoins d'analyses comparatives avec d'autres entités du secteur public, du secteur privé ou à l'étranger dont l'administration ne dispose pas toujours. Les cabinets de conseil qui interviennent chez des clients variés peuvent disposer plus aisément des éléments comparatifs.
Plus généralement, un regard externe est souvent indispensable pour aider à concevoir et à mettre en oeuvre une transformation. Les cabinets de conseil disposent de compétences et de méthodes éprouvées dans ces domaines. Ce sont des compétences qui sont parfois rares - nous y reviendrons peut-être - et qui sont utiles, en appui des compétences propres de l'administration : DITP, inspections générales, etc.
Comme nous traitons là du sujet de la donnée, qui, je le sais, vous intéresse, je vous propose de conclure mon propos avec quelques éclairages en la matière, du point de vue de la puissance publique.
Les cahiers des charges des marchés publics, tout particulièrement dans le domaine des prestations intellectuelles, prévoient des clauses pour encadrer la propriété intellectuelle, soit de manière spécifique au marché, soit en référence au cahier des clauses administratives générales dédié aux prestations intellectuelles. Le non-respect de cette obligation est sanctionné par la résiliation pour faute du titulaire, en application de ce cahier des charges.
Ce sont les administrations qui contrôlent les données transmises, souvent d'ailleurs après un premier retraitement pouvant amener à les anonymiser ou, en tout cas, à les agréger. Les cabinets de conseil ne peuvent pas réutiliser ces données à des fins commerciales pour d'autres études.
Les données transmises sont donc protégées par les dispositifs contractuels. Il est en outre de plus en plus souvent demandé, conformément au plan achats de l'État, que les données soient hébergées sur des serveurs basés en France ou dans l'Union européenne. Cet élément est d'ailleurs repris dans la récente circulaire évoquée par Amélie de Montchalin. Des clauses de sécurité peuvent également être intégrées pour protéger ces données du risque cyber.
Dans les questions préliminairement transmises, vous m'avez posé un certain nombre de questions sur les cabinets de conseil. En l'espèce, je pense qu'ils sont les plus à même de vous expliquer comment ils sont organisés pour pouvoir proposer rapidement des prestations dans ce cadre.
Je me bornerai à constater que les cabinets s'appuient sur des travaux préparatoires sur lesquels ils peuvent capitaliser, réalisent eux-mêmes des benchmarks à partir de leur réseau international ou en faisant appel à des prestataires et ont de puissantes capacités d'analyse des données ouvertes. Celles-ci constituent déjà une source très importante d'information.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre propos liminaire, qui ne répond pas à un certain nombre de questions que nous vous avions adressées en amont de cette audition.
Vous avez évoqué la circulaire du 19 janvier dernier. Nous la connaissons évidemment. Mais vous comprenez bien que notre commission d'enquête a été créée bien en amont de cette circulaire. Nos travaux se fondent sur ce qui a pu se passer pendant des années, en particulier ces quatre dernières années, en matière de recours à des cabinets de conseil.
L'application StopCovid a été développée à partir du mois d'avril 2020 par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), avec le concours en pro bono d'opérateurs privés, comme Orange, Dassault Systèmes, mais aussi le cabinet de conseil Capgemini, qui aurait mobilisé une trentaine de collaborateurs sur ce projet. Pourriez-vous nous dresser la liste des cabinets de conseil intervenus en pro bono dans l'application StopCovid, puis TousAntiCovid ?
Je veux d'abord nous replacer dans la situation qui est la nôtre lorsque nous commençons à travailler sur cette question des applications de contact tracing. Un certain nombre de travaux, à l'échelon international ou européen, pointent l'utilité probable de ces applications dans la limitation de la propagation de l'épidémie. Des pays, en premier lieu le Royaume-Uni, commencent le développement de cette application. Nous travaillons avec les Anglais et les Allemands.
Notre travail sur ces sujets ayant été assez rapidement rendu public, énormément d'entreprises françaises du numérique - il y a aussi eu des entreprises étrangères - nous offrent leurs services, en nous proposant de venir gratuitement nous aider à répondre à une situation de santé publique.
Assez rapidement, deux voies divergentes émergent en Europe. L'une consiste à recourir à une fonctionnalité développée en commun par Apple et Google qui, il faut le dire, va être retenue par la plupart des pays européens. La France fait un choix différent. Elle a choisi de ne passer que par des entreprises françaises et de maîtriser l'ensemble des briques technologiques.
Dans ce cadre, nous commençons à travailler, à ce moment pro bono, avec un certain nombre d'entreprises sous un double pilotage de la direction générale de la santé, qui est responsable de l'aspect sanitaire, et d'Inria, qui est leader en France, avec la participation de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) notamment. Au-delà des opérateurs ou des services de l'État que j'ai mentionnés, les entreprises qui participent à ce consortium sont les suivantes : Orange, Dassault Systèmes, Capgemini, Lunabee Studio et Withings. C'est donc un ensemble de savoir-faire qui sont un peu différents, mais complémentaires.
Le « top départ » de ce projet, c'est le 8 avril 2020. Du 8 avril au 2 juin, ces entreprises travaillent pro bono : elles ne sont pas rémunérées par l'État. Elles viennent - et je le dis très honnêtement et très directement ici : je veux les en remercier - pour aider l'État français à développer une brique technologique qui peut être utile pour lutter contre l'épidémie de covid-19.
Toutes les entreprises que j'ai citées sont des entreprises françaises reconnues, maîtrisant diverses technologies, par exemple des technologies de Bluetooth et d'hébergement. Il y a un savoir-faire particulier, qui est un savoir-faire de pilotage et de maîtrise complexe, y compris d'intégration système, piloté par l'entreprise Capgemini. Nous avons accepté l'aide de cette dernière pour une raison extrêmement simple : c'est une entreprise française, et elle est reconnue en la matière.
Nous considérons assez rapidement qu'il est sain, y compris d'ailleurs pour des raisons de pilotage de projet - lorsque les gens travaillent gratuitement, il est difficile d'être exigeant avec eux -, de rentrer dans un cadre contractuel plus normé. À partir du 2 juin, c'est par l'intermédiaire d'Inria, sauf erreur de ma part, que cette équipe entre dans ce cadre contractuel plus normé. C'est une décision relative à la situation de crise qui permet de prolonger un projet s'effectuant dans l'urgence. Un peu plus tard - je vous retrouverai la date, et je me permettrai de vous la faire passer par écrit -, nous décidons de passer dans un cadre contractuel plus compétitif.
Nous sommes alors dans une situation d'urgence, où il faut répondre à un besoin à court terme. Nous avons les compétences en France, et nous refusons de passer par les entreprises étrangères.
Un peu plus tard, alors que l'épidémie semble durer - à l'époque, on ne sait pas pour combien de temps -, nous comprenons que ce cadre contractuel n'est pas acceptable sur le long terme, pour plein de raisons évidentes. Nous décidons donc de passer par un appel d'offres. D'ailleurs, à ce moment-là, l'entreprise Capgemini sort du consortium et est remplacée par Orange Business Services, qui s'occupe aujourd'hui de la maintenance au niveau de l'hébergement.
Comment le groupe qui a travaillé gratuitement jusqu'au 2 juin - vous en avez mentionné les cinq membres - s'est-il constitué ? L'État a-t-il été contacté par un représentant de ce consortium informel ou est-il allé les solliciter ?
Vous indiquez que le consortium a ensuite fait l'objet d'une contractualisation à partir du 2 juin. Que signifie « contractualisation » ? Quel type de marché ? Dans quel type de procédure ? Et pour quel montant ?
La description que vous faites de l'évolution dans le temps est la bonne. Au début, il y a la constitution d'un consortium qui relève, de mémoire, d'une proposition de services de la part d'une partie de ces entreprises. C'est vrai de Withings, de Capgemini et de Lunabee Studio.
Je précise que nous avons eu, je pense, des propositions de services de plusieurs dizaines d'entreprises françaises. Il faut vraiment se replacer dans le contexte de l'époque. Nous pensons que nous sommes face à une pandémie dévastatrice. À ce moment-là, tout le monde nous propose ses services, de manière d'ailleurs un peu désorganisée.
Assez vite, le pilote, Inria, va décider que nous avons besoin de telles et de telles compétences, avec des gens qui ont la surface pour pouvoir gérer ces projets. Je pense qu'il doit y avoir entre 200 et 250 entreprises françaises capables de manager plusieurs centaines de personnes sur de tels projets. Au-delà de Capgemini et de quelques autres cabinets, il n'y en a pas beaucoup.
De mémoire, c'est nous qui allons chercher l'entreprise Outscale, pour une raison simple : c'est la seule entreprise labellisée SecNumCloud à l'époque. Or nous voulions les meilleures garanties de sécurité.
Comme je l'indiquais, je pense que c'est l'entreprise qui nous a proposé son aide - je vous le confirmerai par écrit le cas échéant -, de la même manière que plusieurs dizaines d'entreprises françaises. Ensuite, Inria a fait un choix en fonction des compétences des uns et des autres. Et nous sommes allés au plus rapide, avec une forme de caractère unilatéral qui correspond à l'urgence de la situation.
C'est donc Inria qui a proposé la constitution du consortium sur la base de propositions de services de ces sociétés, éventuellement complétées de sollicitations ?
Je pense qu'en la matière, c'est moi qui ai dû valider ces éléments.
Oui, dans mes fonctions de secrétaire d'État.
Nous voyons comment cela s'est constitué. Ensuite, il y a eu une contractualisation sous forme de marchés. Quels types de marchés ? Quels montants ?
Il s'agit d'un accord-cadre entre la direction générale de la santé et Inria. Nous souhaitions que ce soit un opérateur public qui soit le maître d'oeuvre de l'ensemble du consortium.
Le régime de l'urgence impérieuse nous permettait d'éviter de passer par appel d'offres. Si nous étions passés par appel d'offres, nous n'aurions pas pu déployer l'application aussi rapidement. Je rappelle que la France a été le premier pays à la déployer. L'accord avait seize mois de validité initiale, pour un montant de 2 millions d'euros.
Aujourd'hui, nous sommes au-delà de ces seize mois. J'imagine qu'il y a donc eu d'autres marchés...
Le marché initial était un marché de gré à gré. Ensuite, il y a eu des marchés à bons de commande. Le premier a été passé le 6 juillet 2020, et le second le 30 juillet 2021.
Initialement, le chiffre est significativement supérieur à l'issue du marché. Mais je me permettrai de vous répondre plus précisément par écrit sur ce point. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de communiquer publiquement sur le coût global de l'application.
De quoi s'agit-il précisément ? Au départ, il faut concevoir une application. Ce sont donc des prestations de conseil.
Ce n'est pas une prestation de conseil ; c'est une prestation de maîtrise d'ouvrage. Ce que fait Capgemini, ce n'est pas un conseil sur les choix technologiques. C'est une prestation de pilotage d'informations, c'est-à-dire une prestation informatique. Je fais vraiment la différence.
C'est ce que nous essayons de faire, parce qu'il y a aussi des prestations informatiques, qui se distinguent du conseil.
C'est de la prestation de pilotage de projets informatiques.
Oui. Il n'y a pas de prestations de conseil. Nous savons ce que nous voulons faire. C'est Inria qui s'en charge. Elle a le savoir-faire pour cela. Elle décide de la brique technologique et développe elle-même le Bluetooth.
Nous avons un sujet de pilotage de projet, qui est un très gros projet informatique. Au demeurant, en règle générale, il faut deux ans pour mener un projet comme celui-là. Là, cela a été fait, de mémoire, en deux mois.
Il y a donc toute une opération de pilotage de projet informatique par Capgemini. Cette entreprise n'a pas de mission de conseil sur le choix, par exemple, de telle ou telle application. Elle a une mission opérationnelle.
Au sein de Capgemini, il y a des activités de conseil, qui peuvent s'apparenter à ce que font d'autres grands cabinets, comme Bain ou McKinsey, et il y a des activités de services et d'ingénierie informatique (SSII).
En l'occurrence, Capgemini a un travail de SSII.
Pourrions-nous connaître le total des sommes versées à Capgemini pour cela ?
Peut-on savoir qui assure la maintenance et l'hébergement de l'application ?
À l'époque, c'était Capgemini avec Outscale. Et aujourd'hui, c'est Orange Business Services, toujours avec Outscale.
Dans un premier temps, oui. Il y a d'abord un travail en pro bono qui est formalisé par un marché de gré à gré, dans le cadre de l'urgence sanitaire. Ensuite, il y a une remise en compétition qui aboutit au fait que ce soit Orange Business Services qui continue le projet.
Dans les documents que nous avons demandés aux administrations, aux cabinets de conseil, mais aussi à l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), il apparaît que Capgemini a bénéficié d'un versement de près de 215 000 euros pour un projet dont on trouve la trace dans les documents sous le nom de ContactCovid. S'agit-il de l'application dont nous venons de parler ou d'autre chose ?
Sauf erreur, c'est le logiciel utilisé par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour faire le contact tracing. Cela relève de la responsabilité d'Olivier Véran. Je ne m'en occupe pas.
Quels sont les besoins citoyens auxquels la digitalisation des administrations doit répondre ? L'intervention des cabinets de conseil est-elle justifiée seulement pour répondre à ces besoins ou pour les identifier également ?
Quelles sont les actions concrètes mises en place aujourd'hui et dans le futur pour encadrer l'action des cabinets de conseils en matière digitale ?
Je vais me permettre de répéter ce que j'ai indiqué de manière préliminaire.
L'encadrement du recours aux cabinets de conseil est formalisé et piloté par la DITP, qui est une direction interministérielle placée sous la double responsabilité du Premier ministre et d'Amélie de Montchalin. Cela ne relève donc pas de mon champ ministériel. Je ne décide ni des conditions de recours, ni des choix, ni du processus UGAP pour les cabinets de conseil, quel que soit le domaine : santé, numérique, etc.
Ensuite, il peut y avoir des moments où la direction générale des entreprises a recours à des cabinets de conseil, notamment dans le cadre du numérique. Elle le fait pour les trois raisons que j'ai eu l'occasion d'évoquer tout à l'heure : la capacité à avoir un benchmark extérieur ; la capacité à mener des missions ponctuelles nécessitant une force de frappe additionnelle et des expertises rares dont l'État ne dispose pas.
J'en profite pour dire que cela peut notamment être le cas dans le numérique ou sur des sujets très précis. Sur la blockchain, le metaverse, l'intelligence artificielle, l'État ou les autorités en général manquent de compétences qui sont extrêmement rares et, surtout, extrêmement chères. Cela pose d'ailleurs d'autres problèmes de politique publique.
Je voudrais m'arrêter sur le Health Data Hub (HDH). C'est tout de même un projet très important, qui vise à centraliser les données des Français pour faire avancer la recherche publique, mais également privée. Ces données sont extrêmement larges : de la médecine de ville aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en passant par les laboratoires de biologie médicale.
Quel a été le rôle du cabinet de conseil Capgemini, encore lui, dans le développement du Health Data Hub ? Pourquoi n'a-t-il pas donné les garanties nécessaires concernant la confidentialité des données et leur lieu d'hébergement ? Ce que nous savons, c'est que le cabinet a tout de même perçu 1,9 million d'euros sur ce dossier en 2019 ; confirmez-vous cette information ?
Je vous précise un élément qui m'a été transmis entretemps : au total, TousAntiCovid, c'est 15 millions d'euros à date. Je me permettrai de vous donner le chiffre précis pour Capgemini par écrit.
Si nous vous avons bien entendu, il s'agit uniquement de maîtrise d'oeuvre ?
C'est uniquement du développement informatique et de l'hébergement, c'est-à-dire de la technique.
Je rappelle comment cela s'est passé pour le Health Data Hub. L'entreprise Capgemini n'est pas intervenue en développement informatique sur le sujet. Elle est intervenue en mission de préfiguration de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) à la fin 2018 ou au début 2019 pour estimer le besoin en benchmark de solutions techniques.
Oui, exactement.
Il y a une annonce, de mémoire le 31 mars 2018 - je me rappelle avoir été à l'Élysée à l'époque -, du Président de la République sur une stratégie en intelligence artificielle. Un des axes forts de cette stratégie, c'est le domaine de la santé. La capacité à traiter des données, à les croiser, est essentielle dans le développement de la médecine du futur : la réponse à un certain nombre de personnalisations de traitements, la capacité à traiter des grandes masses de données, etc.
Cette mission est d'abord confiée à la Drees, à une époque où le groupement d'intérêt public Health Data Hub n'existe pas. C'est donc la Drees qui mène des travaux préliminaires. Dans ce cadre, onze organismes sont consultés - je pourrais vous en donner la liste - pour héberger Health Data Hub, ce qui requiert un certain nombre de fonctionnalités techniques avancées.
À l'issue de cet hébergement, et d'un comparatif des offres faites par les différents organismes, il apparaît que seule la société Microsoft est capable de répondre à l'ensemble des prérequis du Health Data Hub et que, par conséquent, pour le lancement de celui-ci, nous passerions par cette société. C'est dans ce cadre que la société Microsoft a été choisie au mois de mars 2019 ; cela perdure aujourd'hui.
La société Capgemini a travaillé sur la préfiguration de ce choix, le benchmark des solutions techniques et l'organisation du groupement d'intérêt public (GIP). C'est dans ce cadre qu'elle a été rémunérée.
Si nous avons bien suivi, il y a actuellement un moratoire sur la décision de mise en oeuvre avec les services de Microsoft pour des questions de sécurité. En effet, comme cette société peut être soumise au cloud act, c'est-à-dire à la réglementation des États-Unis, nous n'avons pas de garantie quant à la sécurité des données qui lui seraient confiées.
La société Capgemini avait-elle à prendre en compte ces questions de sécurité dans son analyse de l'ensemble de la situation ?
Je vais me permettre d'être en désaccord avec une partie des points que vous évoquez.
D'abord, il n'y a pas de moratoire sur le HDH. Aujourd'hui, sur un certain nombre de projets, une équipe de recherches va faire une demande à l'Agence de la biomédecine ou au Système national des données de santé (SNDS) pour avoir accès à des données. Celles-ci vont être extraites des endroits où elles se trouvent et mises sur le HDH. C'est là que l'on participe à un certain nombre de traitements de données pour réussir à sortir des interactions médicamenteuses, des comorbidités, etc. Cela peut être dans le cadre du covid-19 ou de la recherche sur le cancer. Il y a énormément de projets extrêmement intéressants qui sont menés.
Les demandes sont systématiquement soumises à l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui a approuvé chacun des projets en cours. Dès lors, sauf à considérer que la CNIL ne fait pas son travail, on ne peut pas dire qu'il y ait un risque sur les données personnelles des Français dans le cadre de l'utilisation actuelle du HDH.
Je pense que vous faites référence à une autre chose. Ce qui est certain, c'est que ce processus est extrêmement consommateur en temps pour les équipes de recherche, dont certaines ont d'ailleurs abandonné la recherche scientifique dans le cadre du HDH, considérant que les temporalités étaient trop longues.
La réflexion initiale était de dire que l'ensemble des données du SNDS, donc de l'assurance maladie, devraient être hébergées à terme sur le HDH, parce que cela permettrait d'aller beaucoup plus vite. C'est cette demande qui a été faite à la CNIL et qui a été retirée, pour deux raisons.
D'une part, vous le savez, il y a des discussions techniques, juridiques et sanitaires sur les fournisseurs de cloud du HDH. Olivier Véran a indiqué voilà quelques mois que nous souhaiterions remettre à plat l'architecture du HDH sous deux ans ; désormais, cela doit faire un an. Il se trouve, qu'entretemps, il y a eu de nouvelles crises covid-19 et que c'est un énorme travail, y compris de la direction des affaires juridiques, et en lien avec des services sanitaires, parce qu'il y a un effet sanitaire extrêmement important. Les services de la santé sont relativement occupés par le covid-19. Ce n'est donc pas très pratique de mener un travail aussi fouillé sur le sujet du HDH.
D'autre part, et je vais le dire sans ambages, ce sujet est devenu excessivement politique, avec un seul biais, qui est un biais industriel. On ne peut pas dire que, dans le HDH, il n'y a pas des questions légales et des questions sanitaires qui se posent. À titre personnel, je suis chargé du numérique ; ma mission est de faire en sorte que les entreprises françaises du numérique soient les plus performantes et les plus puissantes du monde. Mais, dans le HDH, il n'y a pas qu'une question industrielle ; il y a une question d'efficacité sanitaire. Il y a donc un travail à mener, qui doit s'appuyer sur des considérants techniques de souveraineté nationale et sur des considérants légaux. Je le rappelle par ailleurs que, dans le cas de la société Doctolib, le Conseil d'État a estimé que l'hébergement des données chiffrées sur Amazon était légal. Ces considérants légaux emportent des considérants de cloud act et des considérants de marché interne européen. Et il y a des considérants sanitaires, sur ce que l'on peut faire avec les offres qui nous sont adressées en matière de recherche.
Ce travail est un très gros travail. Ceux qui disent qu'on peut le résoudre en cinq minutes et que la réponse est binaire se moquent de la santé des Français. Je vois bien le point de cristallisation politique que certains en font actuellement.
Je réponds à votre question sur le moratoire : non seulement les services du ministère de la santé, notamment la direction des affaires juridiques, sont extrêmement occupés en ce moment à gérer le covid-19, compte tenu de tout ce que vous connaissez sur la vaccination, mais le sujet nécessite par ailleurs, me semble-t-il, une instruction technico-légale et sanitaire méritant un peu plus de sérénité.
Par conséquent, ce que vous appelez un moratoire n'en est pas un ; c'est seulement un décalage d'une approche plus systémique à après l'élection présidentielle.
Dans vos fonctions de secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, avez-vous espoir que l'on ait une société au moins européenne, quitte à ce qu'il y ait des collaborations entre des entreprises de différents pays, à pouvoir réaliser ce type de prestations et que Microsoft ne soit plus le seul à sortir du chapeau ?
Mon ambition, et c'est pour cela que nous avons annoncé un plan de 1,8 milliard d'euros pour le cloud français, c'est de faire en sorte que, dans les années à venir - soyons lucides : ce ne sera pas dans deux ou trois ans -, nous ayons des acteurs du cloud européens aussi puissants, avec la même qualité de service que les acteurs du cloud américain.
Je rappelle juste un chiffre pour que tout le monde se rende bien compte de l'ampleur du problème : les investissements d'Amazon s'élèvent à plus de 20 milliards de dollars chaque année ; l'ensemble de la recherche française, publique et privée, c'est 60 milliards d'euros.
Ce n'est pas vrai que les choses se font d'un claquement de doigts.
Par ailleurs, je constate que certaines candidates à l'élection présidentielle, très sensibles sur le sujet de Microsoft, ont fait passer l'ensemble de la région Île-de-France sur Microsoft Teams et Office 365...
Monsieur le secrétaire d'État, nous n'avons pas à inviter la campagne électorale dans le cadre de notre commission d'enquête. Je vous demanderai donc de ne pas le faire. Ce n'est pas le sujet.
Comme vous le savez très bien, dans la vie, tout est politique. Je comprends bien que le sujet de la temporalité se pose. Mais ce qui nous interroge, c'est le manque de transparence et l'opacité qui règnent sur toutes ces questions. Nous essayons de comprendre les circuits pour les restituer au plus grand nombre.
Le propos de notre commission d'enquête n'est pas de nature politicienne. Je vous remercie donc de ne pas inviter la campagne électorale dans nos échanges.
Je vous prie de m'excuser de cette petite incartade, Madame la rapporteure. Toutefois, je ne vois pas totalement le lien entre la prestation de Microsoft, qui n'est pas un cabinet de conseil, et l'objet de la commission.
Ma question portait sur la qualité de conseil de Capgemini. Le contrat avec ce groupe sur le HDH existe-t-il toujours ?
Oui, il existe toujours un contrat avec Capgemini sur le HDH.
Vous avez souligné la rareté et le coût de la ressource humaine en matière de transition digitale. Ne pensez-vous pas que les cabinets de conseil, par leur capacité à recruter les meilleurs spécialistes informatiques, ont créé une relation de dépendance de l'État vis-à-vis d'eux ? À votre avis, que faudrait-il faire pour sortir d'une telle relation ?
Les difficultés de recrutement de l'État en matière informatique dépassent largement le sujet des cabinets de conseil. D'ailleurs, ce ne sont pas ces derniers qui attirent le plus les meilleurs informaticiens sur le marché ; ce sont les très grandes entreprises du numérique et les start-up françaises. Dans le secteur privé, vous pouvez bénéficier de salaires trois, quatre ou cinq fois supérieurs pour faire à peu près la même chose que ce qui est demandé dans le secteur public. Je le rappelle, l'État compte aujourd'hui 18 000 agents dans le numérique public et en recrute 2 000 par an ; pour chacun de ces agents, il est soumis à extrêmement forte concurrence.
En la matière, c'est surtout la qualité, plus que la quantité, qui compte.
Certes. Mais l'une de mes missions et l'un des objectifs que je me fixe en tant que secrétaire d'État au numérique est de former beaucoup plus de monde. Le premier facteur limitant de la croissance des entreprises numériques françaises, c'est la capacité à recruter, sachant qu'elles offrent déjà des salaires trois à quatre fois supérieurs à ceux du secteur public. Même si cela relève plus du domaine d'Amélie de Montchalin, je connais extrêmement bien l'état du marché.
Par ailleurs, un salaire d'informaticien du haut du panier dans la Silicon Valley peut atteindre 240 000 dollars à la sortie de l'école. Or les entreprises de la Silicon Valley, qui peuvent aujourd'hui recruter en télétravail, trouvent des ingénieurs à des salaires deux fois moindres. Mais deux fois moins qu'un salaire dans la Silicon Valley, cela reste toujours sans commune mesure avec ce que l'on est capable de payer dans le secteur public.
Le sujet n'est donc pas celui des cabinets de conseil. Ces derniers ne recrutent qu'une infime partie des informaticiens.
Le sujet général pour l'État, comme pour les autorités indépendantes, c'est la capacité à avoir recours à une compétence. C'est pourquoi nous avons créé voilà deux ans le pôle d'expertise de la régulation numérique (Peren), qui est une plateforme rassemblant une vingtaine d'informaticiens, de data scientists ou de spécialistes de l'intelligence artificielle de très haut niveau. Cet outil est mutualisé entre les services de l'État, la CNIL, les autorités indépendantes car tout le monde a des difficultés à recruter des performances de pointe. D'ailleurs, cela pose un problème d'application des politiques publiques. C'est très bien de dire que l'on doit auditer les algorithmes des très grandes entreprises du numérique. Mais, quand elles vont payer un million d'euros par an des gens qui sont les meilleurs informaticiens du monde, il faut avoir des gens qui soient capables de le faire en face. Or, sur la question du salaire, c'est un défi pour la puissance publique, à laquelle je crois.
Aujourd'hui, je ne suis pas chargé de la Dinum. Mais je l'ai été pendant un peu plus d'un an, entre ma nomination au 31 mars 2019 et le remaniement de l'été 2020.
C'est à ce moment-là que nous avons commencé le travail de réinternalisation d'une partie de la compétence sur le suivi de projet et sur le conseil à l'intérieur de l'État. Cela a été évoqué par ma collègue Amélie de Montchalin : c'est le fameux décret du Premier ministre du 22 octobre 2019. De toute évidence, il y a la nécessité de réarmer l'État pour lui redonner des compétences en matière informatique.
Ce que je crois, c'est que c'est un défi de salaire et d'organisation du travail, y compris dans le télétravail. Aujourd'hui, pour recruter un développeur, il faut le télétravail. J'étais hier chez Back Market, la plus grosse start-up française : le recrutement est en complet télétravail.
L'État, la puissance publique, doit être capable de répondre à cette difficulté. C'est un sujet de salaire et de conditions de travail. Celles-ci sont probablement plus rigides, plus compliquées et relèvent de statuts au sein de la fonction publique qui ne répondent pas à l'attente. Nous devons y répondre si nous voulons être capables de disposer de cette compétence, qui est essentielle pour développer nos projets informatiques et pour appliquer nos missions de service public et de déploiement de politiques publiques.
Nous observons que l'État a eu recours massivement, pour accompagner des projets informatiques - là, nous ne parlons pas de maîtrise d'oeuvre ; nous parlons bien de conseils de pilotage -, à des cabinets de conseil.
Vous venez d'admettre la nécessité de traiter la question de ressources humaines : attractivité des postes, types de contrats, télétravail, salaires, etc. Nous avons entendu des réponses extrêmement diverses de la part des administrations qui vous ont précédé devant cette commission. Vous dites qu'il s'agit d'un problème réel, mais nous n'avons toujours pas d'indication concernant les solutions...
Je me dois tout de même de tempérer mon propos.
Le sens qu'il y a à travailler pour l'État et l'intérêt général est aussi une motivation pouvant conduire des gens à choisir d'aller travailler pour la puissance publique sans avoir le même salaire. Plus le différentiel de salaire avec le secteur privé augmente, plus un tel choix devient difficile, notamment s'agissant d'informaticiens expérimentés, qui ont des enfants. Mais il y a tout de même des administrations qui peuvent continuer à attirer, par exemple parce qu'elles ont une image d'excellence.
Dans la dérive du recours à des activités de sous-traitance, il faut vraiment différencier, je pense, ce qui relève du conseil sur les grands choix stratégiques de ce qui relève du pilotage des projets informatiques.
Là où vous avez raison, c'est qu'il y avait eu des dérives liées au recours à des cabinets de SSII sur les grands projets informatiques de l'État, Louvois étant peut-être le meilleur exemple en la matière, même si je pourrais également évoquer le système d'information des ressources humaines de l'éducation nationale.
C'est pour cela que, dans la circulaire d'octobre 2019, nous avons introduit, d'une part, un contrôle transverse par la Dinum des grands projets de l'État au-dessus de 9 millions d'euros, qui permet de faire vérifier par des gens ayant la capacité technique à juger du service fourni par des SSII si le tarif est justifié, et, d'autre part, le conseil aux différents ministères sur des questions techniques par la Dinum. Ce faisant, nous avons internalisé au sein de la Dinum une partie des compétences que nous allions chercher ailleurs.
Cela a notamment été rendu possible par l'image de qualité que renvoie la Dinum, probablement supérieure à celles de la DSI de tel ou tel ministère.
Depuis deux ans, les dérapages budgétaires ont été divisés par trois si l'on regarde les tableaux de suivi des grands projets informatiques de l'État qui ont été introduits en 2019. Mais c'est un travail de longue haleine.
Nos travaux montrent que des cabinets de conseil privés interviennent de plus en plus souvent en lieu et place de notre administration, et pour des sommes assez considérables, allant même jusqu'à la prise de décision politique. Nous sommes des acteurs politiques. Cela nous interpelle.
Le cabinet McKinsey a participé au pro bono pour l'organisation, en mai 2018, du sommet Tech for Good, au cours duquel le Président de la République a notamment réuni les patrons de Microsoft, Uber et Facebook. À l'époque, vous étiez conseiller au numérique auprès du Président de la République.
Avez-vous participé avec McKinsey à la préparation de ce sommet ?
Oui. J'en étais effectivement chargé au sein du cabinet du Président de la République.
Plus généralement, quel est votre sentiment sur de telles prestations gratuites ? Ne pensez-vous pas qu'il peut s'agir d'une forme d'introduction d'un prestataire attendant ensuite un retour sur investissement ?
À mon sens, le principal, dans le recours aux prestations gratuites, est qu'il n'y ait pas de conditionnalité sur des marchés futurs.
Ce que je crois - mais c'est à eux qu'il faut poser la question - est qu'il peut y avoir un intérêt en matière de réputation pour les cabinets de conseil à travailler pro bono pour l'État.
Vous m'interrogez sur la participation de McKinsey à la dynamique Tech for Good. Celle-ci a réuni à l'Élysée un certain nombre des très grands patrons des grandes entreprises américaines et françaises du numérique. Ils se sont engagés à travailler ensemble sur un certain nombre de sujets : l'avenir du travail, l'éducation, la santé et l'inclusion numérique. Cela a abouti, par exemple, à des engagements d'IBM sur l'éducation numérique.
Le cabinet McKinsey s'est proposé, parce qu'il connaît bien ces très grandes entreprises, notamment au niveau de son dirigeant américain, de travailler avec elles pour piloter les groupes de travail. C'est un travail de longue haleine, avec énormément de participants. Nous avons accepté. À aucun moment il n'a été question d'une quelconque contrepartie. D'ailleurs, si cela avait été le cas, nous n'aurions jamais accepté.
Que le cabinet McKinsey y trouve un intérêt, tant mieux pour lui. Mais ils ont produit un travail de qualité qui n'a rien coûté à l'État et qui a permis d'aboutir à des engagements de la part de ces très grandes entreprises. Je n'ai, honnêtement, qu'à m'en féliciter.
Mais vous êtes bien conscient qu'il y a tout de même une contrepartie évidente : l'État participe à la réputation de McKinsey et fait sa promotion à travers cette fonction.
De telles prestations gratuites font-elles l'objet d'un contrat ? Si oui, de quel type ? Et qui l'établit ?
De mémoire, pour la prestation de McKinsey avec l'Élysée, il n'y a pas eu de contrat. D'une certaine manière, cela protège plus l'État que McKinsey.
Pour TousAntiCovid, sur la partie pro bono, nous avons, je crois, fait préciser aux entreprises qu'elles étaient d'accord pour intervenir gratuitement. Mais je vous le confirmerai par écrit.
Quel a été le rôle de M. Tadjeddine dans l'organisation du sommet Tech for good ?
De mémoire, ce n'était pas lui le chef de projet. Toutefois, étant donné que beaucoup de personnes de McKinsey étaient impliquées et que lui-même connaît assez bien le numérique, il n'est pas impossible qu'il ait participé. Mais, en tout cas, il ne pilotait pas l'ensemble du processus.
Juridiquement, on ne peut pas agir pro bono comme cela pour l'État, me semble-t-il. Il y a tout de même bien une convention qui est signée ?
Il nous a été indiqué qu'indépendamment des interventions pro bono, les salariés des cabinets de conseil travaillaient bénévolement et se mettaient directement à disposition de services de l'État, notamment pendant la crise sanitaire. Cela me semble poser d'autres problèmes.
Avez-vous eu personnellement connaissance de ce type de « bénévolat » ?
Pas personnellement.
Ce que je sais, c'est que les quatre ou cinq entreprises - je vais au-delà des cabinets de conseil - ayant travaillé sur TousAntiCovid pendant les deux mois qui ont séparé le 8 avril et le 2 juin n'ont pas ménagé leurs efforts.
L'une d'elles, venue aider bénévolement à la résolution de la crise sanitaire, m'a dit : « La prochaine fois, je ne le ferai pas. Vous travaillerez avec les Américains. »
Excusez-moi, mais cela me sort par les yeux : un certain nombre d'entreprises qui sont venues aider la France dans un moment où notre pays était en difficulté se sont retrouvées traînées devant le parquet national financier. Mais ces entreprises ont perdu de l'argent : elles sont venues aider la France, et elles ont perdu de l'argent. Et la récompense qu'elles en ont, c'est de se retrouver traînées dans la boue.
La France a fait le choix d'aller chercher des entreprises gratuitement pour aller développer une brique souveraine. Nous avons été le seul pays à pouvoir le faire grâce au savoir-faire de nos entreprises. Et ces dernières se retrouvent dans la presse avec le terme « parquet national financier » à côté de leur nom.
Je le dis, c'est tout à l'honneur de ces entreprises d'être intervenues pro bono.
Ce cadre pro bono pose tout de même un certain nombre de problèmes. Les différents responsables politiques, représentants de l'État, que nous avons entendus, se sont exprimés sur le sujet de manière extrêmement hétérogène. Certains, au plus haut niveau, le condamnent complètement. D'autres ont des réticences ou, en tout cas, voient quelques points de vigilance.
J'entends ce que vous nous dites, mais il est naturel que la représentation nationale s'interroge aussi sur ce cadre du pro bono.
Monsieur le président, je n'ai aucun problème avec le fait que le Parlement fasse son travail de vérification, et s'assure que ces actions pro bono ne constituent pas, en quelque sorte, une première dose d'héroïne.
Dans le cadre de la crise sanitaire, d'autres entreprises, que je ne citerai pas, sont intervenues pro bono. Nous avons veillé à ne recourir qu'à des entreprises françaises. L'une d'entre elles a développé pour nous une plateforme mettant en relation les hôpitaux et les services de santé avec les fournisseurs de blouses et de gel, à un moment où nous étions incapables de fluidifier ces relations. Elle l'a fait gratuitement.
Bien sûr, il faut faire attention avec le pro bono, car personne - hors cette crise sanitaire - n'est philanthrope. L'image de marque entre en jeu. Mais on ne peut pas le condamner en soi, notamment dans le cadre de la crise sanitaire.
Je vous concède volontiers que la crise sanitaire est un événement tout à fait particulier. Mais notre questionnement va largement au-delà de cette crise car cette pratique, que nous avons découverte, est tout de même assez répondue.
Je souhaite rebondir sur la question de Jérôme Bascher.
J'ai bien compris qu'il n'y avait pas de conventions : nul besoin de signer un quelconque document afin de travailler pro bono pour l'État. Dès lors, pourquoi Guillaume Rozier a-t-il eu autant de difficultés, dans les premiers temps, à obtenir les données qui auraient permis à une équipe de citoyens développeurs de fournir une information publique sur les contaminations de covid-19 ? La situation, à cet égard, s'est améliorée au fil des mois mais, au début, tout a été assez compliqué pour ce citoyen, que notre délégation à la prospective avait entendu.
Je précise que le recours au pro bono est dorénavant encadré par la circulaire, que vous connaissez bien, du Premier ministre.
Il me semble, Madame la sénatrice, que le sujet est quelque peu différent. Je le connais bien, pour avoir été l'un des promoteurs de l'open data en matière de santé, comme Guillaume Rozier pourra vous le confirmer.
En l'espèce, la question n'était pas de savoir si Guillaume Rozier serait payé, ou non. La difficulté est plutôt venue de l'éternelle réticence, dans l'administration, à ouvrir les données, à les rendre publiques - alors même que la France est en pointe en matière d'open data !
Vous connaissez bien l'administration, Madame la sénatrice, et vous savez que, dès lors que l'on souhaite rendre publiques des données non consolidées, ou dont la pertinence à court terme est sujette à caution, c'est toujours très compliqué. Bref, nous nous sommes plus heurtés à des problèmes organisationnels qu'à des oppositions de principe ou à des questions de rémunération.
Je n'ai rien contre le fait que des entreprises participent et nous accompagnent de façon gratuite, dès lors que tout est bien encadré.
Mais quid de la non-divulgation des données ? Les informations communiquées peuvent être très confidentielles. Comment s'assure-t-on que les données ne sont pas divulguées ?
Sur ce sujet, il faut être extrêmement précis. Le premier principe est la minimisation des données transmises par l'administration aux cabinets de conseil, ou aux personnes ayant vocation à les traiter. Si le cabinet a besoin d'informations, l'administration choisit un set de données et le lui transmet. Ce n'est pas le cabinet qui vient se servir dans les systèmes d'information de l'administration.
De plus, ces données sont circonscrites à une utilisation bien définie et elles doivent être effacées et supprimées à la fin de la mission. Elles sont soumises à l'ensemble des contraintes énoncées par le règlement général sur la protection des données (RGPD) : si ce sont des données sensibles, elles doivent être hébergées sur une infrastructure de confiance. Cela permet, sur la base d'un contrat, d'accorder les mêmes protections à ces données dans le cadre de leur utilisation par un prestataire extérieur et dans celui de leur utilisation par l'État. Et l'on veille tout particulièrement à empêcher toute fuite de ces données à l'occasion de ce type d'utilisation.
Ce que l'on nous a expliqué, c'est que ces questions se réglaient à travers un contrat qui précisait les obligations en matière de sécurité et de conservation des données.
Madame la rapporteure soulève de nouveau cette question parce que vous nous dites que, quand on fait du pro bono, il n'y a pas nécessairement de contrat, ce qui supprime toute garantie de sécurité à cet égard.
Lors de missions pro bono, il n'y a pas de transmission de données. C'est une règle de bon sens, et elle s'est appliquée pour TousAntiCovid, pour McKinsey... Il me semble évident que toute transmission de données devrait être encadrée par un contrat apportant les protections nécessaires.
Vous avez indiqué que le recours aux cabinets privés résultait du besoin de certaines compétences rares, en particulier dans le domaine du numérique. Les enjeux pour l'avenir sont très importants, avec la transformation digitale qui est devant nous, notamment dans les administrations publiques : algorithmes, problèmes de sécurité, intelligence artificielle, voire metaverse.
Comment faire pour que les quelque 5 millions de fonctionnaires des trois fonctions publiques soient non seulement compétents en la matière, mais même en pointe sur ces sujets ? C'est vital, vu les enjeux de société qui sont associés à ces évolutions, et même les enjeux financiers : je comprends que le recours aux cabinets privés, en France, coûte chaque année un milliard d'euros environ. Du reste, ces évolutions peuvent motiver un certain nombre de personnes et les pousser à acquérir des compétences que le secteur privé serait bien en peine de fournir. Et cela ne coûterait pas nécessairement plus cher, même s'il fallait forcer un peu au niveau des rémunérations : si l'on additionnait les compétences que l'on doit demander au secteur privé et le niveau de rémunération, évalué à travers l'achat de prestations, nous nous y retrouverions. Ce serait à l'échelle des enjeux qui sont devant nous, notamment en matière d'administration publique.
Le plan pour les talents du numérique annoncé par ma collègue Amélie de Montchalin montre la volonté très claire du Gouvernement et de l'administration de travailler sur l'attractivité de la fonction publique, au-delà de la seule question informatique. Dans un monde traversé par les transitions environnementales et numériques, nous avons besoin d'attirer des talents qui comprennent ces transitions, sont capables d'outiller l'État et de piloter son action.
L'un des premiers avantages de la fonction publique est de se mettre au service de l'intérêt général. C'est une motivation qui en surpasse beaucoup d'autres. Il faut tout de même la nourrir par un cadre permettant de trouver de l'intérêt à son travail. Dans une très grande entreprise, ou dans une start-up, on accomplit une mission pendant deux ans, puis l'on en change pour aller voir d'autres choses. C'est moins facile lorsque l'on travaille pour l'État.
J'ai évoqué la question salariale, et celle de la flexibilité des horaires de travail. L'État rencontre ces problèmes, mais les grandes entreprises aussi ! Je le sais pour avoir moi-même travaillé dans le secteur privé, elles souffrent des mêmes problèmes de rigidité de leurs cadres d'emploi, qui font qu'elles ont du mal à attirer. D'ailleurs, une part significative des diplômés des très grandes écoles françaises ne va plus travailler dans les grandes entreprises, mais dans les start-up ou les grandes entreprises étrangères du numérique. Ils y trouvent un sens, des responsabilités, une organisation du travail qui correspondent à leurs désirs.
Nous devons évoluer sur l'ensemble de ces problématiques. C'est difficile pour l'État, qui est une grosse organisation. Mais l'attractivité de long terme et la pertinence même de la puissance et des politiques publiques en dépendent.
Nous devons prendre acte du fait que les actifs, aujourd'hui, changent facilement de travail - surtout les plus diplômés. Or cela multiplie les cas de potentiels conflits d'intérêts. Au risque de ne pas être très populaire, je souligne qu'un informaticien de grand talent, s'il comprend que travailler pour l'État lui interdira, ensuite, de revenir dans le secteur privé, n'ira tout simplement pas travailler pour l'État. Nous devons travailler sur ces sujets. On peut accepter de gagner moins d'argent pendant quelques années pour se consacrer à l'intérêt général. Mais, si cela doit vous empêcher de revenir dans le secteur privé, c'est autre chose... Cela dit, je sais que les réseaux sociaux ne manqueront pas de dénoncer cette opinion, en disant que je suis « vendu » au secteur privé !
Le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) nous a indiqué que les avis de refus de mobilité étaient très rares. Mais les avis favorables avec des réserves, comportant des précisions sur les fonctions qui ne pouvaient pas être exercées, sont plus fréquents.
Je vous remercie pour cette audition.
Outre les documents que nous vous avons déjà demandés, pourriez-vous nous fournir une description des missions que McKinsey a exercées pour Tech for Good??
Pour des raisons institutionnelles, je pense que c'est plutôt à l'Élysée qu'il faudrait transmettre cette demande.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, que nous remercions pour sa présence dans un contexte épidémique toujours tendu.
L'intervention des cabinets de conseil dans le secteur sanitaire n'est pas nouvelle. Elle a toutefois pu susciter une certaine émotion dans l'opinion publique lors de la crise sanitaire.
Les cabinets Roland Berger, Citwell et JLL sont intervenus dans l'organisation logistique de la distribution des masques puis des tests ; McKinsey a travaillé sur la campagne vaccinale ; Accenture est intervenu sur plusieurs systèmes d'information, comme le « SI Vaccin » ou le passe sanitaire, de même que CGI France.
Le montant de ces prestations s'élevait à près de 25 millions d'euros en septembre 2021. La présente audition devra nous permettre d'obtenir des chiffres actualisés.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) a demandé cette commission d'enquête pour mieux comprendre les mécanismes d'intervention des cabinets de conseil dans les politiques publiques en général et dans celles relatives à la crise sanitaire en particulier.
La rapporteure l'a répété à plusieurs reprises : nous ne sommes ni des juges ni des procureurs. Nous ne sommes pas là pour faire des procès d'intention, mais pour investiguer sur des faits - tous les faits, rien que les faits.
De même, nous ne sommes pas là pour minimiser l'ampleur de la crise sanitaire ni le travail accompli par l'ensemble des fonctionnaires pour y faire face, dans les hôpitaux bien sûr, mais aussi dans l'administration centrale et déconcentrée. Si notre pays a tenu bon, c'est grâce à nos agents publics.
Le 9 février 2021, vous avez déclaré devant l'Assemblée nationale : « on a du talent dans le privé (...) et dans le public aussi ». Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, sous réserve que l'administration ne devienne pas dépendante de sociétés privées, en particulier dans le secteur sanitaire et dans les domaines régaliens.
Nos questions sont en réalité très simples : pourquoi avoir eu recours à des cabinets de conseil ? Comment ont-ils été recrutés ? Pour quelles missions ? Comment ont-ils été évalués ?
J'avoue que l'audition de Santé publique France n'a pas permis de répondre à ces questions, pourtant essentielles.
Nous vous remercions d'avance, monsieur le ministre, pour vos réponses sur l'ensemble de ces sujets factuels. Vos services nous ont d'ores et déjà transmis des pièces, dans un esprit coopératif que nous ne pouvons que souligner.
Je précise que cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, les commissaires peuvent également intervenir par visioconférence.
Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran prête serment.
C'est à un exercice de transparence que je suis appelé aujourd'hui. Je m'y soumets bien volontiers. Ce n'est pas le premier, d'ailleurs. Je me soumets à de tels exercices depuis le premier jour d'une crise sanitaire qui a toujours donné toute sa place à la mission de contrôle du Parlement. C'est bien normal, et ce n'est pas l'ancien parlementaire que je suis qui vous dira le contraire ! Le recours aux cabinets de conseil est un bon sujet, qui mérite d'être traité avec clarté et hauteur. Je sais que nous n'en manquerons pas. En effet, on ne saurait opposer l'État, d'un côté, et, de l'autre, de sombres prédateurs privés qui s'enrichiraient à ses dépens.
Vous le savez, les politiques publiques de solidarité et de santé sont aujourd'hui confrontées à un environnement en profonde et constante évolution : évolution des risques qui pèsent sur nos concitoyens, évolution des prises en charge rendues possibles par les progrès de la médecine et, plus globalement, de nos connaissances et expériences, évolution des attentes de nos concitoyens, révolution numérique, etc.
Ces évolutions imposent d'adapter sans cesse les réponses que nous apportons et l'organisation des ressources pour les mettre en oeuvre. Sur une période récente, on pourrait citer la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, la stratégie de transformation du système de santé, l'objectif de faire de l'exercice coordonné en santé la norme pour la prise en charge des patients et ainsi faire reculer les déserts médicaux.
C'est dans ce contexte de transformation que doit être replacé le recours à des cabinets de conseil par l'administration, dont le cadre d'utilisation s'est structuré ces dernières années. Le secrétaire général de mon ministère, M. Étienne Champion, le délégué interministériel à la transformation publique (DITP), M. Thierry Lambert, que vous avez tous deux entendus précédemment, ont détaillé, chacun pour ce qui le concerne, au sein de mon ministère ou dans d'autres directions, dont la DITP, le rôle des différents acteurs pour encadrer et contrôler le recours à ces prestations de conseil. L'objectif est de nous assurer que celles-ci sont utilisées conformément au cadre réglementaire mais également à bon escient, c'est-à-dire pour renforcer la capacité d'action de l'État, à un moment donné, sur un sujet qui nécessite une expertise particulière et ce en appui aux agents publics.
Les cabinets de conseil constituent donc une ressource utile pour démultiplier l'action des agents dans un certain nombre de cas, pour faire face à un besoin en compétences expertes à un moment donné, pour faire face à un projet limité dans le temps, que les équipes ne peuvent pas intégrer complètement, pour disposer d'un regard extérieur affûté sur des situations comparables dans d'autres environnements, d'autres ministères, d'autres pays ou même des entreprises, notamment pour proposer des évolutions des organisations.
Dans le champ spécifique du numérique, des externalisations ont été engagées sur des fonctions opérationnelles. Si les domaines à plus forte valeur ajoutée, comme le pilotage et la conception, doivent être durablement portés en interne, le recrutement de développeurs revêt une importance croissante, ainsi que celui d'experts de la donnée.
Avant de vous rejoindre, j'intervenais, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, dans un forum européen consacré à l'évolution des règles éthiques en matière de stockage et d'utilisation des données de santé. Nous en discutons à 27 : les 27 États membres de l'Union européenne font appel à des compétences internes mais aussi externes.
En complément des indispensables savoir-faire internes, il est nécessaire de recourir à des expertises externes pour la conception, le design, le développement et la diffusion de produits numériques.
Le positionnement du cabinet de conseil est très clair. Il vient toujours en appui ou conseil d'un chef de projet interne à l'administration, dans le cadre d'une expression de besoins clairement définie, avec des livrables clairement identifiés. La restitution de ces travaux se fait également dans un cadre défini en amont de la commande. Le commanditaire est clairement identifié, ainsi que le dispositif de pilotage de la prestation. L'objectif est que la prestation de conseil nous permette pleinement d'éclairer le décideur public, mais que les choses soient claires : jamais elle ne s'y substitue.
On trouve cette frontière inscrite noir sur blanc dans les documents contractuels qui nous lient avec le cabinet McKinsey, que vous avez cité tout à l'heure : les devis excluent toute forme de conseil en politique publique, en droit, en matière médicale et, bien entendu, de substitution en matière décisionnelle.
Ces cabinets de conseil viennent par ailleurs toujours en complément des ressources internes, qu'il s'agisse de celles des directions du ministère ou de celles de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Le recours aux cabinets de conseil a connu une actualité particulière pendant la crise sanitaire. Personne n'ignore que l'ampleur de la crise que nous traversons est sans précédent. Mon ministère possède un dispositif efficace de prévention et de réponse aux crises sanitaires mais l'ampleur de cette crise a nécessité de mobiliser, en un temps record, des renforts importants en nombre et en expertise.
Je vais vous donner le détail de ces renforts, venus de différentes sources. Ils ont été d'abord recherchés en interne, notamment auprès de l'IGAS : au 1er juin 2021, 112 missions d'appui avaient été assurées dans le cadre de la crise du covid-19 par l'IGAS, dont 84 en administration centrale et 28 au sein des agences régionales de santé (ARS). Ils proviennent aussi de contrats spécifiques de renfort : on compte ainsi 226 contrats en 2021, dont 132 pour une durée inférieure à six mois, 83 pour six à douze mois et 11 pour douze mois. Enfin, nous avons recherché des capacités externes interministérielles : le ministère a reçu des renforts de l'Inspection générale des finances (IGF), de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), du ministère des armées et du ministère de l'intérieur.
Les cabinets privés sont intervenus en plus de tout cela. Nous les avons recherchés pour leur expertise spécifique en logistique et systèmes d'information, notamment, et pour leur capacité à mobiliser très rapidement des équipes importantes et expertes.
Les permanents, additionnés aux renforts, ont constitué une base de 450 à 500 agents, dont une centaine d'intervenants externes.
Ces renforts, qu'ils proviennent de l'IGAS, d'autres ministères, de contrat spécifique ou de prestataires privés, se sont ajoutés à une mobilisation absolument exceptionnelle de mon administration : direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), direction générale de la cohésion sociale (DGCS), sans oublier la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la direction de la sécurité sociale (DSS), la délégation à l'information et à la communication (Dicom) et la direction des affaires juridiques, que je ne remercierai jamais assez pour le travail monumental qu'elle accomplit, jour et nuit, sept jours sur sept.
Du reste, mon secrétaire général vous a adressé 50 gigaoctets de données numériques, ce qui représente plusieurs milliers de pages de documents. Cela vous permettra, en toute transparence, d'aller piocher ce qui vous semble utile ou important pour votre travail d'enquête.
Tous les agents du ministère, sur leurs fonctions propres ou en redéploiement, se sont engagés dans la gestion de crise, qui s'est ajoutée à leur mission permanente. Un directeur d'ARS me disait que, par exemple, un agent qui était en charge de l'inspection des eaux, comme ingénieur, s'était retrouvé à faire des tableaux Excel de répartition des doses Pfizer pendant les premières semaines de la campagne vaccinale, pour s'assurer que chaque centre était achalandé au prorata du nombre de rendez-vous pris. Et je ne parle pas de l'extension horaire du travail de nombreux agents publics, que je tiens à saluer : sans eux, nous n'y serions pas arrivés.
Cependant, en comparant les moyens consacrés aux prestations de conseil dans le contexte de la crise aux moyens similaires relevés en 2019, par exemple, on constate une très forte hausse : entre mars 2020 et aujourd'hui, 54 commandes ont été passées, pour un montant global de 26,79 millions d'euros, contre 1,717 million d'euros engagés en 2019 sur un périmètre équivalent. Le coût de ces prestations reste toutefois modéré au regard de l'ensemble des dépenses liées à la crise sanitaire, qui ont atteint 30 milliards d'euros en 2020 et 2021, dont 7 milliards d'euros pour l'hôpital.
Nous avons très récemment, début 2022, passé un nouveau contrat avec le cabinet McKinsey, en renfort de la campagne de vaccination pédiatrique cette fois, et ce jusqu'à la date du 4 février 2022, c'est-à-dire après-demain.
Les prestations demandées au cabinet de conseil recouvrent principalement trois grands champs : la programmation, la logistique et les systèmes d'information de crise à initier pour disposer d'outils numériques aptes à gérer une pandémie.
Je rappelle qu'il a fallu trois semaines pour développer le portail SI-DEP, alors qu'il s'agit tout de même d'un système d'information commun à tous les laboratoires, avec une centralisation et une sécurisation des données, permettant une vision exhaustive et un traçage des cas contacts ! Qui l'eût cru ? Même remarque sur le système d'information pour la vaccination ou sur l'élaboration du passe sanitaire et de ses multiples révisions.
La période exceptionnelle de crise sanitaire que nous traversons devra nous permettre de nous améliorer pour l'avenir, comme nous avons déjà eu à coeur de nous améliorer, au fur et à mesure des différentes vagues, pour assurer la réponse la plus réactive et la plus efficace possible à nos concitoyens, dans le respect du cadre démocratique et administratif.
Nous pouvons déjà souligner que les agents du ministère ont fait preuve d'un engagement et d'une adaptabilité remarquables. C'est toute une administration qui s'est mobilisée et se mobilise encore pour répondre à la crise, donc environ 400 à 500 agents travaillant directement dans les cellules de crise en administration centrale, au plus près de la pandémie, sans compter les équipes des ARS, mobilisées sept jours sur sept et 24 heures sur 24 pour combattre l'épidémie - le tout depuis déjà deux ans, sans interruption.
Il faut saluer la mobilisation exceptionnelle de l'ensemble des agents publics qui ont constitué le premier rempart face à la crise, et que des cabinets de conseils ou des consultants ne pourront jamais remplacer, même si leur expertise et leur capacité à mobiliser très rapidement et sur une période limitée des équipes ciblées sur les besoins urgents auront constitué un appui indispensable, sans lequel notre réponse n'aurait pas pu être ce qu'elle a été.
Nous étions astreints à une obligation de résultat : protéger la santé des Français face à cette épidémie sans précédent. Nous avons mobilisé toutes les ressources disponibles dans ce seul objectif. Je conclurai sur une image, celle de la bibliothèque Simone Veil, la magnifique bibliothèque Art déco du ministère des solidarités et de la santé, qui a été transformée en un immense open space, ouvert le dimanche et les nuits, où des tableaux de bord ont fait leur apparition au milieu des rayonnages et où les agents issus de tous les corps de métier se sont succédé : ingénieurs, logisticiens, militaires, civils, issus du public comme du privé. Certains de nos concitoyens sont d'ailleurs venus tout simplement, dans l'urgence, offrir leurs compétences : qu'ils en soient remerciés.
Bien sûr, nous sommes fiers de l'engagement de celles et ceux qui ont dû faire face, dans des conditions difficiles, à cette épidémie, qui n'est malheureusement pas terminée, même si les choses se sont améliorées.
Je souhaite vous interroger sur le rôle des cabinets de conseil dans la prise de décision. Avant cela, je rappelle que la vocation de notre commission d'enquête est de comprendre. Pourquoi une telle augmentation, ces derniers temps, du recours à des cabinets de conseil privés, pour des missions qui nous semblent importantes ?
Pour comprendre, nous aurons besoin de dissiper certaines opacités. Votre ministère nous a transmis, à notre demande, l'ensemble des livrables des cabinets de conseil pendant la crise sanitaire. Nous vous en remercions.
Leur lecture donne le vertige car elle montre une intervention massive de ces cabinets sur tous les pans de la crise sanitaire et sur des missions qui nous semblaient relever de l'administration.
Ainsi, dans un livrable en date du 23 août 2021, le cabinet McKinsey fait un bilan des injections vaccinales réalisées et établit des projections sur la vaccination pour atteindre la cible de 50 millions de primo-vaccinations que le Gouvernement s'était fixée en septembre 2021. Quel a été le rôle de McKinsey dans l'établissement de ces projections vaccinales, par exemple en septembre 2021 ?
Ce document de McKinsey a été transmis au Conseil de défense sanitaire le 23 août 2021. A-t-il été utilisé par le Conseil de défense pour préparer ses décisions ? Sinon, pourquoi le lui avoir transmis ? Vous savez, monsieur le ministre, que l'on s'interroge beaucoup sur le périmètre et les missions de ce Conseil...
Je vous réponds volontiers. Le document que vous évoquez n'est pas un livrable. Nous avons reçu de nombreux documents comparables, dont certains figurent toujours sur mon tableau de bord, qui rassemble les documents rendant compte de façon très visuelle et rapide de la progression de la campagne vaccinale, des perspectives d'utilisation des consommables, des commandes éventuelles, des sondages, des enquêtes d'opinion, ce qui informe sur la progression que l'on peut espérer dans la vaccination et les leviers pour l'accélérer, etc.
Face à une crise si vaste, j'ai besoin d'un tel tableau récapitulatif, tant sont nombreuses les connaissances à acquérir et les actions à mener au quotidien. Il s'agit donc non pas de livrables mais de documents internes au ministère, qui relèvent de nos équipes, et à l'élaboration desquels McKinsey a participé, en simple renfort.
Vous avez parlé de la prise de décision : à aucun moment, McKinsey ne m'a fait prendre la moindre décision en lien avec la crise sanitaire ou la campagne vaccinale.
Même si ce document n'est pas un livrable, mais un document interne au ministère, sur lequel est intervenu McKinsey, il a été transmis au Conseil de défense. Pourquoi ?
C'est un document de mon ministère, produit par les équipes du ministère. Si nous vous l'avons transmis, si vous le montrez aujourd'hui, c'est d'ailleurs qu'il n'est pas classifié et qu'il porte sur des données transparentes et publiques.
Vous nous permettrez tout de même de nous interroger sur l'intervention de McKinsey sur ces documents...
Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas le sens de votre question. Comme nous sommes en commission d'enquête, je vous demande de la reformuler.
Vous nous dites que ce document a été réalisé par les services du ministère.
Ma question est simple : McKinsey est-il intervenu dans l'élaboration de ce document ?
Le cabinet de conseil a renforcé l'ensemble des équipes en charge de la politique vaccinale. Il ne s'agit donc pas d'un document McKinsey.
Ce n'est pas ce que j'ai dit, j'ai bien précisé que le document était celui du ministère. Est-ce que McKinsey est intervenu ?
McKinsey a contribué à la rédaction de ce document.
La société McKinsey a donc bien participé à l'élaboration de ce document.
Quand on passe un contrat avec une société de conseil, on lui confie une mission précise. Vous nous parlez de « renfort » : avez-vous confié à McKinsey une prestation de complément ou bien une commande précise ?
Nous étions dans une situation exceptionnelle, où chaque jour nous devions faire le point sur le nombre de seringues dont disposait tel ou tel centre, sur les dispositifs en stock dans les locaux de Santé publique France, sur le nombre de vaccinations réalisées tel ou tel jour, toute une masse de données que nous rendions accessibles en open data. Les documents dont nous parlons rendent compte par le biais d'indicateurs visuels de tout ou partie des éléments dont nous disposons. Ils ont été réalisés par les équipes du ministère.
Nous avons eu besoin dans cette période de campagne vaccinale de renforcer les effectifs de nos équipes par des prestataires issus du cabinet de conseil McKinsey mais nous n'avons pas demandé à ce cabinet de réaliser ces documents. Il s'agissait juste d'un renfort en ressources humaines pour participer à la mise en exergue des enjeux logistiques.
Il s'agissait d'une commande interne. Nous avons intégré des ressources humaines à nos équipes pour une durée donnée et des missions précises dans le cadre de la campagne vaccinale.
Laissez-moi vous donner un autre exemple : des officiers de gendarmerie en tenue sont venus renforcer les équipes de Santé publique France parce que nous avions besoin de leurs compétences logistiques pour des missions précises, notamment celle de distribuer des masques dans tous les territoires. Nous avons eu besoin de renforts de compétences dans des domaines précis, en provenance du secteur public comme du secteur privé.
Dans le cadre de la campagne vaccinale, McKinsey a contribué à renforcer les équipes internes au ministère.
Y a-t-il des contrats précis sur cette commande ?
Tous les responsables publics qui prennent l'appui d'un cabinet de conseil revendiquent la décision qui en découle, cela va de soi. Toutefois, nous savons bien que les éléments fournis par le cabinet contiennent certaines orientations plus ou moins subtiles.
Dans les documents que vous nous avez transmis figure une note en date du 27 octobre 2020, préparée par le cabinet Roland Berger, qui porte sur la distribution des gants médicaux du stock stratégique de la France. Trois scénarios sont proposés. La note conclut : « les options 2 et 3 ne permettent pas d'envisager une reconstitution du stock stratégique avant 2021. Elles font perdurer un système où les acteurs bénéficient d'une distribution de sécurité de l'État sans que celle-ci soit de nature à les inciter à s'arrêter de s'approvisionner par eux-mêmes ». Un arbitrage politique est-il vraiment possible lorsque le consultant ferme ainsi la porte à deux des trois scénarios qu'il propose ? N'y a-t-il pas une étape supplémentaire à prévoir avant la décision politique, impliquant un travail de l'administration ?
Tout passe par le filtre de la direction générale de la santé. Aucune note n'est arrivée directement d'un cabinet de conseil jusqu'à mon bureau, en vue de valider une option ou une autre. Je ne me suis pas non plus arrêté aux choix de l'administration. La décision relève de la responsabilité du politique. C'est le propre du politique de contredire parfois l'administration.
Nous sommes tous d'accord sur ce point. Les notes ne parviennent jamais directement au ministre mais sont systématiquement retraitées par l'administration.
Oui. Les notes nous parviennent à l'issue de plusieurs étapes, elles sont retraitées par l'administration, par mon cabinet, puis par mon directeur de cabinet. Elles sont accompagnées d'une lettre du directeur d'administration, d'une note du cabinet et d'un document à parapher. Par exemple, cette audition a été préparée et visée par mon directeur de cabinet, par ma conseillère spéciale, par le directeur de cabinet adjoint et par mon conseiller parlementaire.
Les questions que nous vous posons se fondent sur les documents que vous nous avez transmis. Nous n'avons rien inventé.
Nous avons satisfait votre demande mais avons bien conscience que vous envoyer des milliers de pages de documents, c'est aussi l'assurance de pouvoir se noyer.
On s'en est sorti...
Le 8 juillet 2021, soit quatre jours avant l'intervention du Président de la République pour annoncer la vaccination obligatoire des soignants et l'extension du passe sanitaire aux lieux de loisirs et de culture, McKinsey rédige un livrable intitulé « Sécuriser l'objectif de 40 millions (de vaccinés) à fin août »...
Madame la rapporteure, je vous arrête tout de suite.
Quel logo figure sur ce document ? Est-ce qu'il y a marqué McKinsey quelque part ? Non, c'est le logo du ministère des solidarités et de la santé. Ce n'est donc pas un livrable de McKinsey mais un document interne à ce que l'on appelle le cabinet covid ou la task force vaccinale, qui relève directement de mon autorité au sein du ministère. Je veux qu'on soit très précis.
Nous disposons d'une note administrative adressée au directeur général de la santé sur la cellule de coordination interministérielle « logistique et moyens sanitaires » (CCIL-MS). Ce dossier a été suivi par deux personnes dont l'une est salariée d'un cabinet de conseil privé.
Une note de la direction générale de la santé peut effectivement être rédigée par un salarié d'un cabinet privé venu en renfort de nos équipes. Quel est votre étonnement ?
Malgré le fait que le document est estampillé par le ministère des solidarités et de la santé ?
La personne qui a rédigé ce document n'est pas au siège de McKinsey mais est, et c'est le principe d'un renfort de conseil, déléguée par le cabinet au sein d'une équipe du ministère. C'est la règle du conseil. Lorsque vous faites appel à des ressources humaines extérieures, vous intégrez ces personnes à votre équipe.
Malgré l'intervention du cabinet de conseil, le document reste estampillé par le ministère des solidarités et de la culture ?
Oui. Vous nous avez demandé de vous envoyer la totalité des documents auxquels le cabinet de conseil a pu contribuer de près ou de loin, d'où l'exhaustivité des pièces que nous vous avons livrées. Si vous aviez voulu ceux estampillés par McKinsey présents dans le dossier, vous auriez eu une feuille blanche. Vous avez là tous les documents auxquels ils ont pu contribuer de près ou de loin, au titre des renforts RH internalisés dans nos équipes le temps de la mission, sans pouvoir décisionnel et sans lien direct avec le ministre.
Selon l'expérience que j'ai pu avoir de l'administration, il me semble qu'une note est toujours rédigée par l'agent qui relève de la responsabilité du ministère, l'intervention de la personne issue du cabinet de conseil restant annexe. Ne faudrait-il pas bien séparer ces deux types d'intervention ?
C'est toujours le cas en temps normal, mais rarement dans un contexte exceptionnel. Lorsqu'un agent public comme un gendarme ou un militaire intervient auprès des équipes du ministère, notamment pour la gestion logistique des masques, cela ne semble pas vous gêner, mais vous faites preuve de suspicion dès qu'il s'agit d'un ingénieur ou d'un logisticien issu du secteur privé. Pourtant, les règles sont très claires : aucun pouvoir décisionnel, des contrats rigoureux, une évaluation et le respect strict du suivi prévu par la loi dans l'attribution des marchés.
On trouve des ressources et des talents dans le secteur privé comme dans le public. Dès lors que nous traversions une crise exceptionnelle et que nous devions mener une campagne tambour battant, il fallait aller chercher les compétences dont nous avions besoin partout où elles se trouvaient. Les règles sont parfaitement claires, de sorte qu'il n'est pas besoin de faire figurer le logo de la gendarmerie nationale sur un document, au motif qu'un gendarme a participé à la collecte d'informations qui a permis d'élaborer un bout de tableau dans un document.
Il y a une différence entre faire appel à un agent public et recourir à un agent du privé. Ce sont deux statuts différents.
Encore une fois, quand on passe un contrat avec un cabinet de conseil, on lui confie une mission précise. En l'occurrence, vous semblez avoir intégré des compétences à l'intérieur de vos équipes et il faudra que nous regardions de près dans les documents que vous nous avez transmis comment leurs fonctions ont été encadrées. Vous nous donnez l'impression d'avoir pris des agents dans un vivier privé sans avoir passé avec le cabinet de conseil de marché clair sur une mission précise.
Je ne peux pas vous laisser insinuer que certains marchés n'étaient pas clairs. Prouvez-le !
Il n'y a eu aucune ambiguïté dans la nature des contrats qui ont été passés ni dans leur réalisation.
Nous étions dans une situation exceptionnelle, d'extrême urgence. Le Président de la République considérait que le pays était « en guerre ». Tout le monde nous demandait d'agir rapidement, les sénateurs comme le reste des citoyens, à juste titre. Nous avons pris la peine de respecter les procédures de marchés publics, les règles de recrutement en vigueur et celles d'attribution des marchés. Nous avons passé des contrats en vérifiant qu'ils étaient parfaitement limpides. Nous n'avons fait que renforcer nos équipes par le recrutement de personnes issues du privé et du public pour « faire la guerre ».
Il est parfaitement légitime que nous rendions des comptes et nous vous avons présenté l'ensemble des contrats et des documents auxquels les uns ou les autres ont pu participer de près ou de loin, et je suis là pour répondre à vos questions.
Je vous le redis, sous serment : à aucun moment il n'y a eu de dérogation aux procédures de fonctionnement et au règlement en vigueur. En revanche, nous avons fait évoluer la pratique : alors qu'habituellement nous procédions par missions extérieures parfaitement bordées et externalisées, il a fallu que nous enrichissions nos équipes. En période de guerre, regarde-t-on qui prépare les munitions, à quel endroit on le fait et si les munitions sont bien transférées dans l'arsenal ?
Je n'insinue rien. Nous examinerons les documents que vous nous avez fait parvenir, hier. Ce type de contrats n'est pas habituel.
Je sais d'expérience que les compétences se trouvent aussi dans le privé. Il est tout à fait compréhensible que, dans la crise inédite que nous traversons, il ait fallu solliciter ces talents. Ce que vise notre commission d'enquête, c'est la transparence.
Le cabinet McKinsey a indiqué avoir eu physiquement accès à la cellule interministérielle de crise, située au Centre de ressources documentaires ministériel (CRDM) du ministère des solidarités et de la santé. Confirmez-vous cette information ? Si tel est le cas, quelles ont été les précautions prises pour ouvrir l'accès à un lieu aussi stratégique ?
Il s'agissait de la bibliothèque Simone Veil, où nous avons créé un open space qui s'apparentait à une véritable fourmilière. Nous avons créé de l'espace parce que c'est la guerre.
Au plus dur de la crise, le dimanche, à 21 heures, des dizaines de personnes s'affairaient sur des tableaux de bord, chacune sur sa mission, avec des espaces dédiés aux commandes ou au stockage de matériel. Les équipes servaient l'intérêt général.
Vous avez mentionné le strict respect des procédures de marchés publics. Certaines sociétés ou certains cabinets de conseil vous ont-ils fourni des éléments pro bono, c'est-à-dire gratuitement ?
Avez-vous souscrit systématiquement à la règle du « tourniquet », conformément à l'accord-cadre de la DITP ? Si vous y avez dérogé, comme il semble que cela ait été le cas, sur quels fondements juridiques avez-vous pu le faire ?
Nous n'avons bénéficié d'aucun pro bono, d'aucun service de conseil gratuit. La règle du « tourniquet » a été respectée. Dans la mesure où les contrats concernant la campagne vaccinale ont été prolongés, McKinsey s'est vu attribuer plusieurs marchés de manière renouvelée. Il y a eu des continuités de contrats, qui avaient trait à la même démarche.
Peut-on considérer que la règle du « tourniquet » mérite encore son nom ?
Si, après avoir eu recours à McKinsey pour participer la gestion logistique de la campagne vaccinale avec les équipes du ministère, j'avais ensuite sollicité Accenture, puis encore une autre société, cela n'aurait pas eu de sens. Nous aurions passé plus de temps à accueillir de nouvelles personnes et à leur expliquer le travail qu'à recueillir leur conseil.
Oui, le contexte et le cadre étaient les mêmes. Le « tourniquet » a été respecté et s'est arrêté sur McKinsey pour la campagne de vaccination. S'il s'était arrêté sur un autre cabinet, nous serions passés par cet autre cabinet. Il n'y a aucun sujet là-dessus.
En décembre 2020, le cabinet McKinsey a mis à disposition un agent de liaison pour assurer « la coordination opérationnelle » entre Santé publique France et votre ministère sur la distribution des vaccins, pour un montant de 170 000 euros.
Cette mission s'est ensuite prolongée en janvier 2021 par la mise en place d'une « tour de contrôle » à Santé publique France, pour un montant de 605 000 euros
McKinsey a notamment participé à la « mise en place et à l'animation de briefs quotidiens transverses internes » à Santé publique France, deux fois par jour, à 9 heures et à 15 heures. Quel a été le rôle exact de McKinsey à Santé publique France ?
C'est un agent d'interface avec Santé Publique France. Il a été remplacé par des ressources internes au ministère dès que la situation sanitaire l'a permis.
Ce point nous a beaucoup interpellés. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?
Je peux détailler : il devait s'assurer que les consignes logistiques transmises par la task force vaccinale étaient bien appréhendées par Santé publique France. Il veillait à la fluidité des transmissions et des relations entre la task force vaccinale et Santé publique France. Il vérifiait que les alertes de Santé publique France étaient bien prises en compte dans les analyses logistiques de la task force.
Après le départ de McKinsey, cette fonction a été confiée à une chargée de mission au pôle logistique de la task force.
Oui, mais elles étaient utilisées. Je peux vous assurer que personne n'était planqué dans les placards en train de se tourner les pouces pendant la crise sanitaire. Si vous avez un doute, nous avons une magnifique exposition de photographies du travail de chacun, en télétravail comme en présentiel. Tout le monde a travaillé à plein pendant cette période : logisticiens, statisticiens, ingénieurs, cadres et toute personne susceptible de nous aider. Quand la charge de travail a diminué, nous avons remplacé les renforts par des personnes en interne.
Il s'agit d'argent public. L'addition se monte à 700 000 euros pour une personne en charge d'assurer la coordination opérationnelle et de mettre en place une « tour de contrôle » à Santé publique France. Sincèrement, c'est un peu cher la mission.
Je doute très fortement qu'il s'agisse de cela. On vous l'éclaircira : ce n'est pas 700 000 euros pour deux personnes.
Ce sont les éléments que nous avons à notre disposition et que nous vérifierons.
Je n'ai pas tout en tête mais nous vous avons donné tous les documents. Ce n'est pas 700 000 euros pour une personne qui fait la liaison entre Santé Publique France et la task force, certainement pas.
Je sais que par votre engagement politique, que je salue, vous êtes sensible à la qualité de vie au travail...
Je sais ce que vous allez me dire, ce n'est pas le sujet. Vous le dîtes tout le temps lorsque vous êtes en séance, ici au Sénat.
Il y avait des lits de camp dans les bureaux et dans les couloirs, au ministère, pour que les gens puissent faire des micro-siestes entre deux missions. Je vous assure que les ressources publiques ont été employées à bon escient.
Nous ne le contestons pas. Nous avons reconnu d'emblée la mobilisation de vos personnels. Nos questions portent sur autre chose.
Il y a sans doute une ambiguïté à lever autour du terme de « conseil ». De nombreuses prestations opérationnelles relèvent du renfort d'équipes et presque de l'intérim, dans un contexte particulier.
Y avait-il par ailleurs des interventions en conseil, consistant en de l'aide à la décision ou en accompagnement stratégique ?
La liste des actions et des missions que nous vous avons transmise vous aidera à vous forger une opinion. Nous avions besoin de ressources humaines pour compléter nos équipes face à la masse de travail à réaliser dans l'urgence. Nous avons pris les compétences là où elles étaient.
La pratique est particulière au contexte.
Je souhaitais connaître la proportion du recours au conseil stratégique, notamment pour l'organisation logistique, où les équipes du ministère manquaient sans doute de compétences.
L'un des prestataires de l'État pour la distribution des masques, le cabinet Citwell, possède parmi sa clientèle des entreprises comme Sanofi. Avez-vous pu vérifier en amont l'absence de conflits d'intérêts ? Avez-vous eu le temps, dans ce contexte d'urgence ?
Pour cette dernière question, ce n'est absolument pas moi qui m'occupe de cela. Je ne peux pas vous répondre, encore moins sous serment. On essayera de vous apporter une réponse, bien évidemment.
Pour ce qui est du conseil stratégique, nous avons eu besoin de compétences de nature exceptionnelle en renfort pour des missions stratégiques. Des gendarmes, par exemple, ont prêté main-forte lorsqu'il a fallu aménager des avions gros porteurs pour transporter des masques depuis la Chine.
Le 26 janvier dernier, Martin Hirsch a déclaré devant la commission d'enquête avoir reçu un appel du cabinet du Premier ministre le 14 mars 2020, pour lui proposer l'intervention pro bono de plusieurs grands cabinets de conseil.
Avez-vous été informé de cette démarche du cabinet du Premier ministre ?
D'une manière générale, quelles ont été les mesures prises pour encadrer les prestations pro bono des cabinets de conseil durant la crise sanitaire ?
Il n'y a eu aucune mission pro bono au profit du ministère. Je suis ministre de la santé et je ne suis pas directeur de l'AP-HP.
Il semble que McKinsey a réalisé une étude pro bono en 2020 pour les services du Premier ministre. Il s'agissait de comparer les réponses des autres pays face à la crise sanitaire. En avez-vous eu connaissance ?
Cela concernait le secteur sanitaire, de sorte que vous auriez pu en avoir connaissance.
J'ai eu des flots de benchmarks. J'en ai encore eu aujourd'hui sous les yeux. Je ne peux pas vous répondre factuellement.
Vous avez précisé que vous aviez un contrat en cours avec McKinsey sur le renfort de la vaccination pédiatrique. McKinsey a indiqué devant la commission d'enquête avoir reçu une nouvelle commande de l'État à la fin de l'année 2021 pour l'organisation de la campagne de rappel. Où en est-on de l'ensemble des contrats ?
D'une manière générale, quelles sont les prestations de cabinet de conseil en lien avec la crise sanitaire qui sont toujours en cours ?
Certains chercheurs et universitaires valident le terme de « consultocratie hospitalière » s'agissant de l'intervention des cabinets de conseil. Les cadres ou responsables dans le domaine public de la santé que nous avons auditionnés, notamment la directrice générale de l'ARS Île-de-France et la directrice générale de Santé publique France, ont semblé interloqués quand nous les avons interrogés sur l'adéquation de ce terme et nous ont renvoyés au ministère ou aux collectivités hospitalières.
Rejetez-vous complètement ce terme ou bien peut-on considérer qu'il y a une intervention des cabinets de conseil beaucoup plus importante qu'auparavant ? Si c'est le cas, où se fait-elle principalement ?
Avant de parler de « consultocratie hospitalière », il faudrait étudier la consultocratie au sein des collectivités territoriales, que vous connaissez mieux que moi. Si l'on comparait à budget équivalent...
Nous sommes dans la maison des élus et vous m'avez posé une question d'appréciation. Je vous propose de comparer le budget des hôpitaux et celui des collectivités territoriales et d'étudier la question à l'échelle d'un département.
Ce ne sont que des supputations, nous n'avons aucun chiffre pour en débattre.
Ce n'est pas dans le périmètre de la commission d'enquête. Ce n'est pas le sujet.
Pour ma part, j'irai regarder !
La part budgétaire des hôpitaux consacrée à des activités de conseil atteindrait 0,18 % ou 0,19 %. Je vous laisse juger si c'est beaucoup ou pas beaucoup. Elle évolue assez peu et reste très limitée à l'échelle d'un hôpital.
S'agit-il du budget global de l'hôpital, de la part dédiée au fonctionnement ou bien à l'investissement ?
Quelle est la proportion par rapport à la part de fonctionnement ?
Les universitaires qui étudient la question parlent d'un « effet cliquet », de sorte que, lorsque l'on recrute en externe, on n'embauche plus en interne. Il faut également vérifier que les ressources n'existent pas déjà en interne.
L'Agence nationale d'appui à la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP) a diligenté des enquêtes à la demande des hôpitaux, du ministère ou des ARS. Cela a conduit à passer des contrats avec des sociétés de conseil, qui ont permis de créer des guidelines que l'on a ensuite mutualisées entre les hôpitaux pour réduire les coûts. L'agence a été créée par Roselyne Bachelot, lorsqu'elle était ministre de la santé.
Si vous me permettez la comparaison, il en va des réformes du fonctionnement des hôpitaux comme de la mise aux normes incendie des ascenseurs : le temps de faire les travaux, il faut recommencer. Les hôpitaux doivent absorber des réformes en flot continu, par exemple celle du financement de la tarification des urgences, cette année. Ils ont donc parfois besoin de recourir à des prestataires extérieurs.
La comparaison que je vous propose de faire avec les collectivités territoriales n'est pas vaine. C'est ainsi que l'on pourra savoir si le terme de « consultocratie hospitalière » est valable ou si l'on est plutôt dans une consultocratie publique liée à la quantité de réformes et de transformations que l'on demande aux organismes publics. Comme ministre en charge des solidarités et de la santé, je ne suis pas au fait de ces questions. Selon mon avis personnel, le flot continu de ce que les hôpitaux doivent absorber justifie leur recours à des prestations extérieures. Je ne suis pas choqué par cela. Nous vous répondrons sur les coûts de fonctionnement.
En revanche, je suis très choqué par le recours à l'intérim médical et paramédical qui coûte une « blinde » : 500 millions d'euros en 2013 quand j'ai rédigé mon rapport parlementaire, probablement plus de 1 milliard d'euros aujourd'hui ; c'est dix fois les dépenses de conseil annuelles des hôpitaux ! Voilà qui me choque plus.
Pouvez-vous préciser le contenu et le montant de la nouvelle commande passée à McKinsey pour la campagne de rappel vaccinal ? Pourquoi cette commande échappe-t-elle au « tourniquet » ? Parce qu'il s'agit d'une campagne de rappel ? Un autre cadre n'aurait-il pas été envisageable ?
Non, d'autant qu'il s'agissait de la poursuite de la campagne de rappel et de la poursuite de la campagne de vaccination pédiatrique : c'était du deux en un pour répondre à votre question.
Une autre mission est en cours sur des prestations numériques, afin d'adapter, avec des codeurs, l'application TousAntiCovid, notamment au passage du passe sanitaire au passe vaccinal.
Vous trouverez le reste des informations souhaitées dans les documents que je vous ai transmis.
Vous y trouverez tous les montants, de toutes les commandes passées.
J'imagine qu'il s'agit d'une prestation à bons de commande, avec un marché initial et un montant global...
Hier, nous avons entendu Mme Florence Parly : le ministère des armées s'est doté de sa propre structure de conseil depuis 2020. Envisagez-vous d'en faire autant afin de réduire votre recours aux cabinets privés ?
Si vous auditionniez la cheffe de l'IGAS, elle pourrait vous montrer toutes les lettres de saisine que j'ai signées lui demandant des renforts.
L'une des externalités de cette crise terrible, c'est que j'ai pu obtenir des moyens pour renforcer nos équipes dans les territoires.
Premier exemple : le Ségur de l'investissement en santé et ses 19 milliards d'euros. C'est colossal, cela permettra la reprise de dette et la rénovation-modernisation de 3 000 hôpitaux et établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Afin de les déployer au plus vite sur le terrain, nous avons temporairement délégué des ETP dans les ARS pour assurer le suivi de la mise en place opérationnelle du Ségur de l'investissement. Nul recours au privé dans ce cas de figure. Nous avons donc augmenté la masse salariale des ARS afin qu'elles disposent pendant quelques années de personnels qui se consacrent à cette mission.
Deuxième exemple : le versement automatisé des pensions alimentaires intermédiées. Nous avons renforcé les effectifs des caisses d'allocations familiales (CAF) pour l'accueil, le traitement des dossiers et le système d'information.
Mais, ensuite, on nous reproche de n'avoir pas supprimé suffisamment de postes de fonctionnaires... Mais, dans la vraie vie, voilà à quoi servent les fonctionnaires.
Nous espérons tous ne plus jamais traverser une telle crise sanitaire. J'ai bien compris que vous avez eu recours au secteur privé, dans l'urgence, pour accompagner les agents de la fonction publique dans leurs missions. Mais imaginons qu'une nouvelle crise se produise. Quelles leçons tirez-vous de la crise actuelle ? Prendrez-vous les mêmes mesures ? Pensez-vous possible que les fonctionnaires assument en qualité et en quantité les fonctions que, dans cette crise, vous avez demandé au secteur privé d'assumer ?
Vous et moi contestons le procès permanent en excès d'argent public dans les ARS. On me dit que les ARS sont pléthoriques. Pourtant, en plus de leurs missions habituelles qu'elles ne pouvaient pas abandonner - prévention, détection des cancers, surveillance de la qualité de l'air et de l'eau, pilotage des hôpitaux, contrôles des Ehpad... -, on leur a demandé d'assurer de nouvelles missions - 1 600 centres de vaccination, une logistique monstrueuse, etc.
Si les ARS avaient été capables, sans renforts, d'absorber, en plus de leurs missions classiques, ces missions extraordinaires liées à la crise, vous seriez en droit de me dire que, hors temps de crise, elles sont probablement pléthoriques. On n'évite pas une crise : elle nous déborde. Quand elle survient, on fait face et on utilise tous les moyens disponibles.
Conclusion : premièrement, les ARS ne sont pas pléthoriques ; deuxièmement, elles ont été renforcées, notamment dans leur volet départemental, en lien avec les élus locaux ; troisièmement, si une nouvelle crise devait survenir, dans l'urgence, je ferais appel aux compétences où qu'elles se trouvent, qu'elles soient publiques ou privées. Je le revendique. Des compétences étaient disponibles pour nous aider, avec des gens de bonne volonté pour protéger les Français dans cette période : pourquoi nous en serions-nous privés ?
Je suis persuadé qu'en cas de nouvelle crise, ceux qui me succéderont, quel que soit leur bord politique, prendront les mesures nécessaires pour, avant tout, protéger les Français.
Nous les renforçons ! J'ai évoqué tout à l'heure le renforcement du volet départemental des ARS et les ETP supplémentaires que nous y avons délégués.
Nous devrons tirer les enseignements de cette crise. Dans les territoires et les agences, de nouvelles et précieuses compétences ont été acquises : nous devons les conserver, car nous en aurons peut-être besoin un jour.
Nous devrons également nous interroger sur la structuration du paysage sanitaire : fallait-il fusionner l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) dans Santé publique France ? Quid de l'empilement des structures : Santé publique France, direction générale de la santé, Haute Autorité de santé (HAS) ?
J'aurai bien évidemment des propositions à faire sur la réorganisation du paysage sanitaire et la manière de prévenir l'émergence de nouvelles crises. Mais tout cela ne se fait pas pendant la crise. Je n'ai rien vu à cet égard dans le programme de Valérie Pécresse...
S'il vous plaît, n'invitez pas vous aussi la campagne présidentielle dans cette commission d'enquête. Ce n'est pas le lieu.
Je voulais seulement dire que je ne peux pas imposer à un candidat d'avoir une idée sur la question.
Quelles étaient la nature et la typologie de ces contrats ? D'ordinaire, les cabinets de conseil offrent des prestations de services sur des projets. Ici, cela a consisté en des mises à disposition de personnel, ce qui, juridiquement et au regard des missions confiées, ressemble plutôt à de l'intérim...
Comment avez-vous traité la question déontologique liée à l'incorporation de ces personnels aux équipes de fonctionnaires ?
On sait que les agents publics sont soumis à de strictes obligations déontologiques ; c'est d'autant plus important qu'ils traitent des données sanitaires. Lorsque l'on signe un tel contrat de prestation de services, des précautions déontologiques sont prises : cela a-t-il été le cas ou l'urgence ne l'a-t-elle pas permis ?
Ces contrats comportent une clause de confidentialité. En revanche, la loi ne prévoit pas de vérification concernant les activités antérieures ou les liens familiaux des uns et des autres. Or nous avons scrupuleusement respecté la loi, rien que la lettre de la loi.
Mais nous n'avons pas vu ces contrats de renforts ! Dans un contrat de conseil classique, le cahier des charges prévoit des obligations de sécurité et de confidentialité. En outre, le donneur d'ordre vérifie qu'il n'y a pas de conflits d'intérêts, avec, par exemple, un grand laboratoire ou toute autre entreprise aux intérêts divergents. Ce qui pose ensuite la question du contrôle...
Mais dans le cadre de ces renforts, de ces personnels mis à disposition pendant la crise sanitaire, par quel contrat les conditions déontologiques de leur intervention étaient-elles garanties ?
Je le répète : les règles de confidentialité des cabinets de conseil sont garanties par contrat, au même titre que n'importe qui. Rien d'extraordinaire à cela.
Mais, au-delà de la confidentialité, quid des éventuels conflits d'intérêts ?
La loi ne prévoit pas d'aller regarder les éventuels liens ou conflits d'intérêts d'une personne que vous prenez dans le cadre d'une mission externe. Je vous le disais tout à l'heure : nous respectons la loi. Nous ne pouvons pas aller au-delà de la loi.
On peut imaginer que certains salariés de ces cabinets de conseil aient travaillé pour des entreprises aux intérêts divergents...
Ce sont les règles applicables aux marchés de la DITP. Ce sont des sujets techniques, qui ne sont pas de mon niveau de décision - c'est pourquoi je viens de me le faire préciser par mon secrétaire général -, mais je vous dis comment les choses sont faites dans mon ministère, dont j'assume la responsabilité.
Un contrat de prestation de services obéit au régime de la commande publique, or un contrat d'intérim n'en relève pas. Il y a peut-être un problème de qualification, que nous examinerons à la lumière des documents que vous nous avez fournis.
Il ne s'agit pas d'une prestation d'intérim, mais d'une prestation de ressources humaines et de conseil.
Tel que vous nous l'avez présenté, ce renforcement laissait penser qu'il s'agissait d'intérim...
C'est du renforcement en conseil, et non pas en intérim.
Les agents privés auxquels il est fait appel dans l'urgence ne devraient-ils pas être soumis aux mêmes règles déontologiques que les agents temporaires du service public ?
La DITP l'envisage. Cela relève de la loi. À titre personnel, j'y suis très favorable : tout ce qui nous permettra d'éviter de nous trouver dans des situations problématiques a posteriori va dans le bon sens. Au cours de ma courte carrière parlementaire, j'ai toujours lutté contre les conflits d'intérêts.
Mais, en tant que ministre, je ne demande pas à mes services d'aller au-delà de ce qu'impose la loi : cela pourrait également m'être reproché.
Si la loi est modifiée, ou si la DITP change ses règles, je m'y conformerais volontiers.
Sur le site internet de votre ministère, on peut lire que « la stratégie nationale de santé constitue le cadre de la politique de santé en France ».
Dès lors, pourquoi avoir confié son évaluation à un cabinet de conseil - McKinsey - qui a reçu trois commandes en 2021 - janvier, juillet et octobre - pour un montant global de 1,12 million d'euros ? Quel a été l'apport de ce travail ? Quelles conséquences en ont-elles été tirées ?
Je pense qu'il s'agit d'une aide ponctuelle dans une période compliquée. Je ne connais pas du tout le détail de cette prestation.
Nous avons eu besoin d'aide dans la période, avec toutes les transformations et réformes à mener : monter 700 lits de réanimation, recruter et former 6 000 infirmières et aides-soignantes supplémentaires, décloisonner, regrouper... Les missions ne manquent pas.
Je ne sais pas de quoi il retourne, mais vous trouverez tous les détails souhaités dans les documents que je vous ai adressés. Je ne suis pas étonné que nous ayons eu besoin d'une mission d'appui dans cette période.
C'est une information que nous avons trouvée sur le site internet du ministère.
S'il s'agit d'une mission de conseil diligentée par mon ministère, vous trouverez tous les détails souhaités au sein des pièces que je vous ai adressées.
Merci, monsieur le ministre.
La réunion est close à 19 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.