Intervention de Olivier Véran

Commission d'enquête Cabinets de conseil — Réunion du 2 février 2022 à 16h30
Audition de M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

C'est à un exercice de transparence que je suis appelé aujourd'hui. Je m'y soumets bien volontiers. Ce n'est pas le premier, d'ailleurs. Je me soumets à de tels exercices depuis le premier jour d'une crise sanitaire qui a toujours donné toute sa place à la mission de contrôle du Parlement. C'est bien normal, et ce n'est pas l'ancien parlementaire que je suis qui vous dira le contraire ! Le recours aux cabinets de conseil est un bon sujet, qui mérite d'être traité avec clarté et hauteur. Je sais que nous n'en manquerons pas. En effet, on ne saurait opposer l'État, d'un côté, et, de l'autre, de sombres prédateurs privés qui s'enrichiraient à ses dépens.

Vous le savez, les politiques publiques de solidarité et de santé sont aujourd'hui confrontées à un environnement en profonde et constante évolution : évolution des risques qui pèsent sur nos concitoyens, évolution des prises en charge rendues possibles par les progrès de la médecine et, plus globalement, de nos connaissances et expériences, évolution des attentes de nos concitoyens, révolution numérique, etc.

Ces évolutions imposent d'adapter sans cesse les réponses que nous apportons et l'organisation des ressources pour les mettre en oeuvre. Sur une période récente, on pourrait citer la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, la stratégie de transformation du système de santé, l'objectif de faire de l'exercice coordonné en santé la norme pour la prise en charge des patients et ainsi faire reculer les déserts médicaux.

C'est dans ce contexte de transformation que doit être replacé le recours à des cabinets de conseil par l'administration, dont le cadre d'utilisation s'est structuré ces dernières années. Le secrétaire général de mon ministère, M. Étienne Champion, le délégué interministériel à la transformation publique (DITP), M. Thierry Lambert, que vous avez tous deux entendus précédemment, ont détaillé, chacun pour ce qui le concerne, au sein de mon ministère ou dans d'autres directions, dont la DITP, le rôle des différents acteurs pour encadrer et contrôler le recours à ces prestations de conseil. L'objectif est de nous assurer que celles-ci sont utilisées conformément au cadre réglementaire mais également à bon escient, c'est-à-dire pour renforcer la capacité d'action de l'État, à un moment donné, sur un sujet qui nécessite une expertise particulière et ce en appui aux agents publics.

Les cabinets de conseil constituent donc une ressource utile pour démultiplier l'action des agents dans un certain nombre de cas, pour faire face à un besoin en compétences expertes à un moment donné, pour faire face à un projet limité dans le temps, que les équipes ne peuvent pas intégrer complètement, pour disposer d'un regard extérieur affûté sur des situations comparables dans d'autres environnements, d'autres ministères, d'autres pays ou même des entreprises, notamment pour proposer des évolutions des organisations.

Dans le champ spécifique du numérique, des externalisations ont été engagées sur des fonctions opérationnelles. Si les domaines à plus forte valeur ajoutée, comme le pilotage et la conception, doivent être durablement portés en interne, le recrutement de développeurs revêt une importance croissante, ainsi que celui d'experts de la donnée.

Avant de vous rejoindre, j'intervenais, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, dans un forum européen consacré à l'évolution des règles éthiques en matière de stockage et d'utilisation des données de santé. Nous en discutons à 27 : les 27 États membres de l'Union européenne font appel à des compétences internes mais aussi externes.

En complément des indispensables savoir-faire internes, il est nécessaire de recourir à des expertises externes pour la conception, le design, le développement et la diffusion de produits numériques.

Le positionnement du cabinet de conseil est très clair. Il vient toujours en appui ou conseil d'un chef de projet interne à l'administration, dans le cadre d'une expression de besoins clairement définie, avec des livrables clairement identifiés. La restitution de ces travaux se fait également dans un cadre défini en amont de la commande. Le commanditaire est clairement identifié, ainsi que le dispositif de pilotage de la prestation. L'objectif est que la prestation de conseil nous permette pleinement d'éclairer le décideur public, mais que les choses soient claires : jamais elle ne s'y substitue.

On trouve cette frontière inscrite noir sur blanc dans les documents contractuels qui nous lient avec le cabinet McKinsey, que vous avez cité tout à l'heure : les devis excluent toute forme de conseil en politique publique, en droit, en matière médicale et, bien entendu, de substitution en matière décisionnelle.

Ces cabinets de conseil viennent par ailleurs toujours en complément des ressources internes, qu'il s'agisse de celles des directions du ministère ou de celles de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Le recours aux cabinets de conseil a connu une actualité particulière pendant la crise sanitaire. Personne n'ignore que l'ampleur de la crise que nous traversons est sans précédent. Mon ministère possède un dispositif efficace de prévention et de réponse aux crises sanitaires mais l'ampleur de cette crise a nécessité de mobiliser, en un temps record, des renforts importants en nombre et en expertise.

Je vais vous donner le détail de ces renforts, venus de différentes sources. Ils ont été d'abord recherchés en interne, notamment auprès de l'IGAS : au 1er juin 2021, 112 missions d'appui avaient été assurées dans le cadre de la crise du covid-19 par l'IGAS, dont 84 en administration centrale et 28 au sein des agences régionales de santé (ARS). Ils proviennent aussi de contrats spécifiques de renfort : on compte ainsi 226 contrats en 2021, dont 132 pour une durée inférieure à six mois, 83 pour six à douze mois et 11 pour douze mois. Enfin, nous avons recherché des capacités externes interministérielles : le ministère a reçu des renforts de l'Inspection générale des finances (IGF), de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), du ministère des armées et du ministère de l'intérieur.

Les cabinets privés sont intervenus en plus de tout cela. Nous les avons recherchés pour leur expertise spécifique en logistique et systèmes d'information, notamment, et pour leur capacité à mobiliser très rapidement des équipes importantes et expertes.

Les permanents, additionnés aux renforts, ont constitué une base de 450 à 500 agents, dont une centaine d'intervenants externes.

Ces renforts, qu'ils proviennent de l'IGAS, d'autres ministères, de contrat spécifique ou de prestataires privés, se sont ajoutés à une mobilisation absolument exceptionnelle de mon administration : direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), direction générale de la cohésion sociale (DGCS), sans oublier la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la direction de la sécurité sociale (DSS), la délégation à l'information et à la communication (Dicom) et la direction des affaires juridiques, que je ne remercierai jamais assez pour le travail monumental qu'elle accomplit, jour et nuit, sept jours sur sept.

Du reste, mon secrétaire général vous a adressé 50 gigaoctets de données numériques, ce qui représente plusieurs milliers de pages de documents. Cela vous permettra, en toute transparence, d'aller piocher ce qui vous semble utile ou important pour votre travail d'enquête.

Tous les agents du ministère, sur leurs fonctions propres ou en redéploiement, se sont engagés dans la gestion de crise, qui s'est ajoutée à leur mission permanente. Un directeur d'ARS me disait que, par exemple, un agent qui était en charge de l'inspection des eaux, comme ingénieur, s'était retrouvé à faire des tableaux Excel de répartition des doses Pfizer pendant les premières semaines de la campagne vaccinale, pour s'assurer que chaque centre était achalandé au prorata du nombre de rendez-vous pris. Et je ne parle pas de l'extension horaire du travail de nombreux agents publics, que je tiens à saluer : sans eux, nous n'y serions pas arrivés.

Cependant, en comparant les moyens consacrés aux prestations de conseil dans le contexte de la crise aux moyens similaires relevés en 2019, par exemple, on constate une très forte hausse : entre mars 2020 et aujourd'hui, 54 commandes ont été passées, pour un montant global de 26,79 millions d'euros, contre 1,717 million d'euros engagés en 2019 sur un périmètre équivalent. Le coût de ces prestations reste toutefois modéré au regard de l'ensemble des dépenses liées à la crise sanitaire, qui ont atteint 30 milliards d'euros en 2020 et 2021, dont 7 milliards d'euros pour l'hôpital.

Nous avons très récemment, début 2022, passé un nouveau contrat avec le cabinet McKinsey, en renfort de la campagne de vaccination pédiatrique cette fois, et ce jusqu'à la date du 4 février 2022, c'est-à-dire après-demain.

Les prestations demandées au cabinet de conseil recouvrent principalement trois grands champs : la programmation, la logistique et les systèmes d'information de crise à initier pour disposer d'outils numériques aptes à gérer une pandémie.

Je rappelle qu'il a fallu trois semaines pour développer le portail SI-DEP, alors qu'il s'agit tout de même d'un système d'information commun à tous les laboratoires, avec une centralisation et une sécurisation des données, permettant une vision exhaustive et un traçage des cas contacts ! Qui l'eût cru ? Même remarque sur le système d'information pour la vaccination ou sur l'élaboration du passe sanitaire et de ses multiples révisions.

La période exceptionnelle de crise sanitaire que nous traversons devra nous permettre de nous améliorer pour l'avenir, comme nous avons déjà eu à coeur de nous améliorer, au fur et à mesure des différentes vagues, pour assurer la réponse la plus réactive et la plus efficace possible à nos concitoyens, dans le respect du cadre démocratique et administratif.

Nous pouvons déjà souligner que les agents du ministère ont fait preuve d'un engagement et d'une adaptabilité remarquables. C'est toute une administration qui s'est mobilisée et se mobilise encore pour répondre à la crise, donc environ 400 à 500 agents travaillant directement dans les cellules de crise en administration centrale, au plus près de la pandémie, sans compter les équipes des ARS, mobilisées sept jours sur sept et 24 heures sur 24 pour combattre l'épidémie - le tout depuis déjà deux ans, sans interruption.

Il faut saluer la mobilisation exceptionnelle de l'ensemble des agents publics qui ont constitué le premier rempart face à la crise, et que des cabinets de conseils ou des consultants ne pourront jamais remplacer, même si leur expertise et leur capacité à mobiliser très rapidement et sur une période limitée des équipes ciblées sur les besoins urgents auront constitué un appui indispensable, sans lequel notre réponse n'aurait pas pu être ce qu'elle a été.

Nous étions astreints à une obligation de résultat : protéger la santé des Français face à cette épidémie sans précédent. Nous avons mobilisé toutes les ressources disponibles dans ce seul objectif. Je conclurai sur une image, celle de la bibliothèque Simone Veil, la magnifique bibliothèque Art déco du ministère des solidarités et de la santé, qui a été transformée en un immense open space, ouvert le dimanche et les nuits, où des tableaux de bord ont fait leur apparition au milieu des rayonnages et où les agents issus de tous les corps de métier se sont succédé : ingénieurs, logisticiens, militaires, civils, issus du public comme du privé. Certains de nos concitoyens sont d'ailleurs venus tout simplement, dans l'urgence, offrir leurs compétences : qu'ils en soient remerciés.

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