Intervention de Philippe Marini

Réunion du 16 février 2010 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Article 1er

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances :

Le dispositif de taxation des bonus qui nous est proposé est clairement ciblé sur les opérateurs de marché – en clair, les traders – employés par des banques ou des entreprises d’investissement indépendantes ou filiales de banques. En revanche, comme mes prédécesseurs à ce micro viennent de le souligner, il ne couvre pas les bonus des gérants des fonds alternatifs, ou hedge funds, alors que ces personnes exercent grosso modo les mêmes activités – ce sont d’ailleurs souvent d’anciens traders – et perçoivent des rémunérations variables très élevées, et que les fonds pour lesquels elles travaillent peuvent avoir des effets déstabilisants, on l’a vu la semaine dernière avec la crise de la dette grecque.

On peut cependant, madame le ministre, comprendre les raisons qui, à ce stade, ont déterminé le choix du Gouvernement.

En premier lieu, le dispositif français se veut le plus proche possible de celui de la Grande-Bretagne, et ce afin d’éviter tout nouveau désavantage compétitif à l’égard de la place de Londres, notre principal concurrent. Or la taxe britannique ne couvre pas les bonus des gérants de hedge funds.

En deuxième lieu, ces fonds alternatifs n’ont pas joué les premiers rôles dans la crise financière. Ils ont supporté directement certaines de ses conséquences, avec la fuite de leurs investisseurs, et le paysage de ces fonds a été considérablement assaini depuis 2008, après des années de croissance facile, voire de croissance folle.

En troisième lieu, le problème des fonds alternatifs vient avant tout, je voudrais le souligner, de leur manque de transparence, du faible niveau de régulation et de diligences auquel ils sont soumis dans certaines juridictions, et de leur recours parfois opaque et excessif aux effets de levier. Il apparaît donc préférable – c’est la voie que vous nous proposez, madame la ministre, mais je voudrais vous demander quelques précisions à ce sujet – de privilégier une stratégie de rapatriement de ces fonds pour en faire des fonds onshore, c’est-à-dire pour susciter leur existence dans un cadre français et européen régulé. De fait, le droit français prévoit des véhicules spécifiques : nous avons créé les OPCVM contractuels, les OPCVM à règles d’investissement allégées, dédiés à des investisseurs qualifiés et dont les sociétés de gestion font l’objet d’un agrément. De même, la proposition de directive sur l’encadrement des gérants de fonds alternatifs, dite « directive AIFM », présentée par la Commission européenne le 29 avril 2009, fait actuellement l’objet de négociations au sein du Parlement européen et entre les États membres.

Il serait heureux que vous nous confirmiez, madame le ministre, les positions que vous avez prises à ce sujet, car, si nous n’avons pas étendu la taxe que vous nous proposez aux opérateurs des hedge funds, c’est pour éviter de rendre encore plus difficile la négociation dans laquelle vous êtes investie.

La commission des finances a déjà relevé les principaux enjeux de cette directive très importante dans son rapport d’octobre dernier sur la modernisation de la régulation financière. Parmi ces enjeux figurent la définition du champ de la directive, la question très controversée du « passeport » des gestionnaires de pays tiers, l’indépendance de la valorisation des fonds, mais aussi la rémunération des gestionnaires.

Vous avez déjà beaucoup œuvré, madame la ministre, dans le cadre de ces travaux internationaux et européens. Les fonds alternatifs peuvent être pour certains un objet de fantasmes et d’opprobre excessifs ; il n’en reste pas moins que la crise a mis en relief, dans ce domaine aussi, la nécessité de mieux encadrer, mais d’encadrer de façon concrète et réaliste. Car, ici comme ailleurs, « le diable est dans les détails » !

Je souhaiterais donc que vous puissiez nous exposer avec précision les options défendues par le gouvernement français dans les négociations européennes et internationales. Notamment, je me pose les questions suivantes : quel sera le rôle des autorités nationales de régulation ? Comment est envisagée la question de l’effet de levier ? La question des rémunérations des gestionnaires est-elle oui ou non sur la table ? Le passeport des gestionnaires offshore est-il désormais écarté ? Le régime des « fonds alternatifs à la française » est-il à la fois suffisamment sûr et attractif ?

Si vous pouviez nous éclairer sur ces points, madame la ministre, nous serions confortés dans notre choix de ne pas encore intervenir sur ce champ. Néanmoins, si nous avions le sentiment que tout cela n’avance pas et n’est pas promis à un accord réaliste, nous nous réserverions bien entendu la possibilité de revenir sur le sujet à l’occasion d’un prochain texte. Et puisque j’invoquais le diable : ce serait tout de même bien le diable que l’on n’ait pas d’autre loi de finances rectificative dans le courant de cette année 2010 !

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