Bonjour, Mesdames et Messieurs les parlementaires. L'une des premières figures de modélisation auxquelles vous avez pu être confrontés est celle qui a été élaborée par l'équipe de Neil Ferguson à l'Imperial College. Il s'agissait, à la veille du premier confinement en France, le 16 mars 2020, d'une simulation de temps long, couvrant la période mars 2020-décembre 2021, sur la potentielle épidémie à laquelle pouvait être confronté le Royaume-Uni. À l'époque, cette équipe était, à notre connaissance, la seule à aller aussi loin dans les simulations. Ce modèle faisait apparaître sept vagues. Bien évidemment, des différences sont à noter entre la situation actuelle et cette simulation. Il ne faut pas en déduire que la qualité prédictive des travaux est insuffisante, dans la mesure où l'on ne peut prévoir l'avenir au-delà de quelques jours, mais ceci montre le potentiel d'anticipation sur le temps long des modèles en épidémiologie. Il est donc important de continuer à explorer les modèles, en utilisant des données de terrain qui doivent être de qualité.
En France, nous nous sommes rapidement essayés à reconstituer l'épidémie en population générale à partir des données fiables du moment. Tout début avril 2020, nous avons ainsi mis en ligne l'une des premières versions de notre modèle, CovidSIM, qui permettait de construire l'épidémie en population générale sur la base des données hospitalières et en particulier des admissions en soins critiques. Ce modèle dit « compartimental » permet, en suivant la trajectoire des données en soins critiques et de la mortalité hospitalière, d'inférer la situation en population générale et d'anticiper la date et la hauteur des pics hospitaliers. Nous avons continué à procéder ainsi tout au long de la pandémie. La dernière modélisation produite concerne la double vague Delta et Omicron, qui n'est toujours pas achevée. En nous appuyant sur les données disponibles au 22 décembre 2021, nous avons mis en ligne l'impact potentiel de cette double vague sur les soins critiques. Cette modélisation ne se voulait pas prédictive, dans la mesure où, à cette date, de nombreuses inconnues subsistaient. Il s'agissait de prendre des valeurs de paramètres optimistes, afin d'avoir une borne inférieure du capacitaire nécessaire dans les services de soins critiques au niveau national et de se préparer pour les mois à venir. Plus de 43 jours après, cette modélisation n'est toujours pas mise en défaut : selon le jour, elle se situe soit au-dessus soit au niveau du scénario le plus optimiste. Ceci montre que les modèles permettent d'anticiper, non pour prévoir stricto sensu, mais au moins pour avoir une idée et permettre de s'organiser et de prévenir les différentes tensions.
Quel sera l'avenir de la dynamique du SARS-CoV-2 en France - qu'il convient de distinguer du Covid-19 critique dans la mesure où la situation changera avec la mise en place, déjà en cours, de thérapeutiques ?
Bien sûr, ceci dépendra de la durée de l'immunisation biologique, qui deviendra de plus en plus hybride. Pour le moment, la moitié environ de la population française n'a toujours pas rencontré le SARS-CoV-2. La couverture vaccinale et l'immunité post-infectieuse font que l'immunité globale se consolide, mais l'on sait que celle-ci décline malheureusement au regard de l'infection et de la succession des variants.
Les variants sont soumis à une pression de sélection qui filtre de facto les mutants apparaissant à chaque infection, qui présentent des antigènes différents. On connaît bien ce phénomène d'échappement immunitaire, de « dérive » antigénique : il est analogue à celui que nous vivons chaque année avec la grippe saisonnière.
Le troisième point est probablement le plus anxiogène mais il est potentiellement de plus en plus éloigné : il s'agit de l'émergence de variants préoccupants, c'est-à-dire ceux qui présentent des changements phénotypiques importants sur le plan de la virulence ou de la contagiosité. Plus l'épidémie dure, plus la fréquence de ces variants risque de diminuer. Bien sûr, des épidémies non contrôlées dans divers endroits du monde ou des événements extrêmement rares peuvent être à l'origine de tels variants ; mais la préoccupation majeure ne sera pas celle-ci et concernera essentiellement la dérive antigénique du virus, c'est-à-dire l'échappement immunitaire.
Il est donc important de modéliser cet aspect le plus finement possible. Bastien Reyné, doctorant dans l'équipe, a construit un modèle original, prenant en considération non seulement l'âge des individus, mais aussi l'infection et la vaccination, au moyen d'équations aux dérivées partielles, avec différents niveaux d'immunisation - on peut par exemple prendre en compte des situations telles qu'une infection post-vaccination, qui confère une immunité supplémentaire. Si l'on intègre dans le modèle des phénomènes tels que la différence d'efficacité vaccinale en fonction des variants (élément qui est aujourd'hui bien documenté) et l'érosion progressive de cette efficacité, on peut élaborer une modélisation sur le temps long, c'est-à-dire sur plusieurs années. Par exemple, en faisant l'hypothèse d'une saisonnalité de l'épidémie, d'une amplitude totale de 20 %, de rappels annuels pour certaines personnes, d'une baisse de la transmission de 50 % due au vaccin et d'un déclin de l'immunité vis-à-vis d'Omicron, alors on aboutit, si l'on estime que la létalité d'Omicron est un dixième de celle de Delta, à des vagues annuelles d'admissions hospitalières de faible amplitude. Si en revanche la létalité d'Omicron est divisée seulement par cinq par rapport à Delta, alors ces vagues seraient de plus grande amplitude, bien qu'inférieures au maximum déjà atteint.