Merci beaucoup pour cette invitation et merci à Samuel Alizon pour son excellente transition avec ma présentation.
Durant la première partie de l'épidémie de Covid, on a pu ignorer l'évolution du virus. Mais dès la fin 2020, elle s'est imposée à nous, avec l'apparition de variants préoccupants qui ont donné lieu à de nouvelles vagues épidémiques.
Alors que la décrue de la vague Omicron semble annoncée, se pose la question de la dynamique évolutive future du virus. Nous ne sommes pas devins. Pour anticiper l'avenir, il faut comprendre l'évolution passée et présente de SARS-CoV-2. Pour ce faire, les entrailles dans lesquelles lisent les chercheurs en biologie évolutive sont les séquences génétiques du virus. Que nous disent-elles ?
Un premier constat s'impose : jusqu'à aujourd'hui, aucun des variants déclarés préoccupants par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), désignés par une lettre de l'alphabet grec, ne descend d'un autre variant préoccupant. Le schéma projeté représente les relations de parenté entre les différents variants, à la façon d'un arbre généalogique. On observe que les variants jugés préoccupants sont des cousins parfois proches, parfois très éloignés comme Delta et Omicron. Une première conséquence importante de ce constat est que certaines des propriétés de ces variants sont largement indépendantes les unes des autres. Si nous avons la chance qu'Omicron soit bien moins virulent que Delta, il n'y a aucune garantie que ce soit le cas pour un prochain variant préoccupant, si ce dernier ne descend pas du variant majoritaire.
À l'automne dernier cependant, beaucoup s'attendaient à ce que le variant préoccupant suivant descende de Delta. On peut aujourd'hui essayer d'expliquer d'où venait cette erreur d'appréciation. La diapositive projetée est un arbre phylogénétique, dont chaque point correspond à un virus séquencé et chaque couleur à un variant différent. Les relations de parenté sont identifiées par des lignes, comme sur un arbre généalogique, et les séquences disposées de gauche à droite sur l'axe horizontal en fonction de la date de collecte des échantillons. On peut estimer, grâce à des méthodes phylogénétiques, les dates de branchement des lignées ayant conduit aux virus séquencés ultérieurement. Nous n'avons pas étudié les ancêtres des virus actuels, mais nous essayons grâce à ces méthodes de comprendre quand les divergences de branche sont apparues. Cette figure montre non seulement que Delta et Omicron sont des cousins éloignés, mais aussi que la divergence entre les deux s'est produite tôt dans l'épidémie.
Ceci signifie qu'une diversité virale, dont on n'avait pas totalement conscience, a été maintenue au cours de l'épidémie. Pourquoi est-ce le cas ? L'une des raisons vient peut-être de ce que l'intérêt du monde scientifique s'est trop souvent tourné vers le monde occidental. Vous voyez ici des cartes extraites du bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'OMS du 23 novembre 2021, date à laquelle Omicron a été identifié. Ces cartes montrent la distribution des différents variants préoccupants dans le monde. Dans certains pays, des variants non Delta circulaient encore largement, mais de nombreux pays, représentés en orange et en blanc, soit avaient trop peu de séquences pour que l'on puisse estimer la proportion des divers variants, soit n'avaient pas rapporté de nouveaux variants récents à l'OMS, soit n'avaient rapporté aucun variant. Ceci signifie qu'il existait donc de nombreuses régions du monde avec peu de surveillance génomique, voire épidémiologique, et qu'il n'était donc pas possible d'avoir une idée de la diversité virale en circulation. Ce manque de données à l'échelle internationale n'a pas permis d'anticiper l'émergence d'Omicron.
Omicron a surpris non seulement parce qu'il ne descendait pas de Delta, mais aussi en raison des mutations qu'il porte. Le schéma projeté représente la protéine spike (spicule en français) d'Omicron, qui correspond à la « décoration » présente sur la couronne des coronavirus : elle interagit avec les cellules humaines, elle permet l'entrée du virus dans ces cellules et elle est la cible des anticorps. Les billes qui apparaissent sur le dessin correspondent aux mutations d'Omicron, colorées en fonction de l'effet anticipé de ces mutations avant l'émergence d'Omicron. Ces effets ont été estimés à partir de mutations observées dans les virus séquencés auparavant. On supposait ainsi que si des mutations étaient observées très rarement, ceci témoignait du fait qu'elles étaient mal-adaptatives, c'est-à-dire néfastes pour le virus. Or de telles mutations, représentées en bleu marine, sont très nombreuses dans la spike d'Omicron. Ainsi, ces mutations sont individuellement mal-adaptatives pour le virus, mais elles peuvent lui conférer un bénéfice lorsqu'elles sont présentes en combinaison. Comme ces combinaisons n'avaient pas encore été observées, il n'était pas possible d'anticiper que ce serait le cas. Ceci témoigne des limites de l'anticipation, basée sur la considération de mutations vues indépendamment les unes des autres ou par paire. Ceci nous indique par ailleurs que la carte restant à explorer pour le coronavirus est encore potentiellement très vaste.