Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 16 février 2010 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Article 1er

Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre de manière détaillée aux questions qui m’ont été posées, concernant notamment la rédaction actuelle de la directive AIFM et les suites que nous en attendons, permettez-moi de revenir quelques instants sur les conditions dans lesquelles l’article 1er de ce projet de loi de finances rectificative a été élaboré.

Cet article dispose qu’est soumise à une taxation de 50 % la part variable des rémunérations octroyées aux opérateurs de marché. M. le rapporteur général défendra tout à l'heure, au nom de la commission des finances, un amendement qui tend à élargir quelque peu le champ des personnes dont les rémunérations feront l’objet de cette taxation, amendement qui, je le dis d’emblée, m’inspire une certaine sympathie…

Cette disposition revêt un caractère exceptionnel, car elle s’inscrit dans une période exceptionnelle, durant laquelle l’État a apporté un concours exceptionnel à l’ensemble des établissements visés par l’article 1er, tout simplement pour permettre le financement de l’économie à un moment où l’ensemble des circuits de financement étaient totalement asséchés par la crise financière, largement importée des États-Unis.

J’indique à M. Foucaud qu’il faut clairement distinguer, d’une part, la taxation annoncée par le président des États-Unis et, d’autre part, le projet franco-britannique présenté tout à la fois par le Premier ministre britannique, M. Gordon Brown, et par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, concernant la taxation exceptionnelle des rémunérations variables des opérateurs de marché.

La taxation annoncée, puis commentée par le président des États-Unis, et dont les modalités évoluent d’ailleurs au fil des déclarations, n’a rien à voir avec le dispositif que nous mettons en place. Aux États-Unis, la taxation, qui porte d’ailleurs sur des montants bien plus importants, est destinée à compenser, sur une période de dix, voire douze ans, la perte nette subie par les contribuables américains à la suite du programme TARP mis en place, sous la présidence Bush, par le prédécesseur de M. Timothy Geithner. Il s’est agi d’un plan massif de soutien à un système bancaire en très mauvaise situation, avec un coût net pour le contribuable américain. Le programme TARP comportait d’ailleurs un dispositif permettant le remboursement par les banques, sur une période donnée, des aides financières ainsi consenties.

Autrement dit, la taxation « à l’américaine » est de nature à compenser des pertes sèches, tandis que la taxation que nous prévoyons est exceptionnelle parce qu’elle est liée à des circonstances exceptionnelles.

Il faut bien comprendre que nous souhaitons très vivement coller le plus possible au mécanisme mis en œuvre par les Britanniques, ou plutôt, devrais-je dire, au mécanisme actuellement en cours de discussion – car nous sommes un peu plus avancés qu’eux sur le sujet – afin d’éviter, comme vous l’avez précisé, monsieur le rapporteur général, tout déséquilibre compétitif dont les opérateurs tireraient très rapidement parti.

Le Président de la République avait clairement annoncé, lors de la conférence de presse qu’il a tenue le 25 août dernier à l’issue de la réunion qu’il avait organisée avec l’ensemble des dirigeants de banque, que cette taxation exceptionnelle devait être affectée à la garantie du système. C’est dans ces conditions que nous avons élaboré ce dispositif, que Mme Bricq a qualifié, si je me souviens bien, de « subtile architecture », en prévoyant que les fonds ainsi collectés viendraient renforcer le Fonds de garantie des dépôts, en vue précisément de garantir les avoirs de nos déposants.

À l'Assemblée nationale, à l’issue d’un débat nourri et fructueux avec la majorité et avec les membres de la commission des finances, nous avons modifié, par amendement gouvernemental, l’affectation de ces fonds puisque le produit de cette taxe est désormais destiné à OSEO pour financer les petites et moyennes entreprises.

Madame Bricq, la transposition de la directive se fera par voie réglementaire, au plus tard le 31 décembre 2010, de manière qu’elle soit effective au 1er janvier 2011. Ensuite, il faudra bien entendu appeler les fonds nécessaires pour renforcer le montant de la garantie, qui passera de 70 000 euros à 100 000 euros.

Monsieur le rapporteur général, je vous répondrai très précisément sur la question des fonds alternatifs, également évoquée par M. Marc.

Il s’agit d’un phénomène important puisque les fonds alternatifs concourent manifestement, par leur volatilité, à des mouvements parfois extrêmement brutaux sur un certain nombre de marchés. Leurs déplacements d’un marché à l’autre peuvent évidemment donner lieu à des déséquilibres.

Le G20 avait décidé qu’aucun acteur, aucun produit, aucun marché n’échapperait à la régulation. Établie conformément à ces conditions, la directive européenne sur les fonds alternatifs est actuellement soumise à l’examen à la fois du Parlement européen – je salue au passage le travail exceptionnel, très technique et très précis, de son rapporteur, Jean-Paul Gauzès, qui œuvre pour faire avancer ce texte le plus rapidement possible – et du Conseil, puisqu’il s’agit d’une codécision.

Une bonne nouvelle : tant le commissaire au marché intérieur et aux services financiers, Michel Barnier, que j’ai rencontré ce matin à l’occasion de la réunion du conseil Ecofin, que la présidence espagnole souhaitent faire aboutir ce texte avant la fin du mois de juin 2010. La commission économique et financière du Parlement européen, le conseil Ecofin et la Commission européenne travaillent de concert, avec le même souci d’une adoption rapide de ce texte. Mais il est clair que, s’agissant d’une codécision, le texte final devra être le fruit d’un consensus.

Monsieur le rapporteur général, trois maîtres mots caractérisent, me semble-t-il, la question des fonds alternatifs : régulation, transparence et intégration.

Concernant la régulation, la directive prévoit un enregistrement des gestionnaires des fonds alternatifs et introduit des règles quant aux fonds propres, des règles de gestion des conflits d’intérêts, des principes de gouvernance et de gestion des risques.

Concernant la transparence, nous menons aujourd'hui un travail parallèle, mais indispensable, pour que cette directive prospère. On le constate bien souvent, les fonds alternatifs opèrent sur le marché OTC, sur lequel les informations sont très limitées.

Corrélativement au chantier de la directive, nous devons faire avancer celui qui est relatif aux plateformes de compensation, au niveau français certes, mais bien plus encore au niveau des zones monétaires, notamment la zone euro, sur lesquelles nous manquons aujourd'hui d’éclairage. Il faut que nous puissions vraiment connaître les mouvements des fonds.

La directive met donc fin à une sorte d’obscurité dans laquelle prospèrent les fonds alternatifs en prévoyant la communication d’informations aux autorités de supervision.

Concernant l’intégration, la directive vise à bâtir un marché européen sûr et intégré pour la gestion d’actifs garantissant un niveau élevé de protection des investisseurs. L’objectif est de faire de ce cadre de régulation un standard international de référence pour la régulation de tels fonds.

Une question a donné lieu à de sérieuses difficultés entre différents États membres ; je veux parler du passeport.

Dans sa rédaction initiale, la directive telle qu’elle avait été élaborée par le prédécesseur de Michel Barnier à la Commission, Charlie McCreevy, notamment, prévoyait un mécanisme de passeport qui autorisait que des fonds off shore, et non pas on shore, soient parfaitement habilités à intervenir sur le marché européen. Ce dispositif a été écarté, grâce à l’action déterminée de la France.

La France souhaite par ailleurs que l’autorité européenne qui rassemblera les superviseurs de marché, l’ESMA, soit dotée d’un pouvoir de plafonnement de l’effet de levier en cas de circonstances exceptionnelles. Ce débat est indispensable, mais il sera, je ne vous le cache pas, très difficile, car cette mesure n’est guère souhaitée par un certain nombre d’autres États membres.

À propos de la rémunération, la France a demandé l’application de toutes les règles du G20 aux rémunérations des gérants de fonds. Ce dossier avance, mais, là aussi, nous ne sommes certainement pas encore au bout du chemin !

Enfin, je souhaite que, sur le territoire français, l’Autorité des marchés financiers ait la capacité d’enregistrer et de contrôler l’activité des fonds alternatifs.

Pour conclure, je tiens à vous remercier, monsieur le rapporteur général, de l’action que vous menez au sein du Haut Comité de place. Si nous avons notamment amélioré le dispositif OPCVM et si nous pouvons soutenir que la place de Paris est propice à la gestion d’actifs dans des conditions de transparence et de régulation convenables, c’est notamment grâce à votre action au sein de ce comité.

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