Avant de commencer mon propos liminaire, je voulais vous remercier de vous être constitués en commission d'enquête, à la suite à la parution du livre Les Fossoyeurs. Je salue la qualité des travaux de la représentation nationale et sa capacité à aller, sans polémique ou outrance, au fond de ce sujet grave et essentiel pour les familles, les résidents ou les proches de résidents, lesquels, je le sais, nourrissent une angoisse légitime. Car les accusations portées contre le groupe Orpea les ont choqués, comme nous toutes et tous ici.
C'est bien un ensemble de faits graves que je dénonce, organisés au niveau du groupe Orpea, dans le seul objectif de la recherche du profit.
Ces faits graves, tels que décrits par les inspections, ont conduit au reniement de l'accompagnement des personnes âgées, notamment en matière alimentaire. Ils soulèvent également des questions de sécurité, avec de probables sous-déclarations d'événements indésirables graves. Ce système présente également des pratiques financières présumées irrégulières, en particulier de surfacturation d'achats de produits de santé et de surcapacité des Ehpad.
Ces faits présumés sont retranscrits dans le rapport d'inspection de I'IGAS et de I'IGF. Nous avons demandé aux inspections de vous le transmettre dans les meilleurs délais, en respectant les règles de sécurité et de secret des affaires qui régissent en droit ces travaux. Le Gouvernement a signalé au Procureur de la République ces faits, pour qu'il puisse procéder à leur instruction et les qualifier.
Le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la publication du rapport d'inspection. Seul le groupe Orpea peut l'empêcher, notamment au titre du secret des affaires. J'ai lu ce dimanche dans un quotidien que le président du groupe Orpea regrettait la non-publication du rapport.
Si les regrets exprimés par M. Charrier se confirment, alors je lui demande, comme je l'ai fait hier à deux reprises par courriel, de lever le secret des affaires sur tout le rapport. Pour l'instant, le directeur général France d'Orpea m'a répondu qu'il ne voulait pas lever ce qui est couvert par le secret des affaires. Je regrette ce recul par rapport aux propos tenus ce dimanche. Vous lui poserez sans doute cette question demain.
Dans ces conditions, n'ayant aucune intention de laisser s'installer une ambiguïté qui viendrait alimenter les mauvais procès politiques, j'ai décidé, avec Olivier Véran, de publier le rapport d'ici à quelques jours, en veillant à occulter les parties qui doivent l'être, si Orpea confirme ne pas vouloir lever totalement le secret des affaires.
La saisine du Procureur ne sera pas la seule action du Gouvernement pour ce qui concerne ce que l'on appelle désormais l'« affaire Orpea ».
L'État demandera le remboursement des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés, en enclenchant, pour la première fois après un rapport de l'inspection des finances, une procédure de demande de remboursement de fonds publics.
Par ailleurs, j'ai demandé un vaste programme de contrôles et d'enquêtes flash par les agences régionales de santé (ARS) sur l'ensemble des Ehpad qui avaient connu des signalements, et en particulier sur les Ehpad gérés par des groupes privés lucratifs.
Entre février et mars, outre les contrôles habituels inopinés sur signalement, plus de 230 établissements particulièrement signalés, appartenant principalement au groupe Orpea, ont été contrôlés de manière inopinée par les ARS, avec, le plus souvent, le concours des conseils départementaux.
Grâce à ces contrôles, plusieurs dysfonctionnements majeurs ont été identifiés, conduisant, pour 70 d'entre eux, à des injonctions ou des sanctions. Dans certains cas, nous avons été jusqu'à la mise sous administration provisoire et même la fermeture.
Une telle décision était nécessaire, car il fallait rétablir la confiance de nos concitoyens dans des établissements qui fournissent un service essentiel à notre nation.
Je ne peux que regretter l'opprobre qui s'est abattu sur tout un secteur, en faisant payer les agissements inacceptables d'un groupe à tous les professionnels, à tous les directeurs, à toutes les structures.
Je veux ici rendre hommage aux professionnels de l'immense majorité des établissements, qui s'investissent au quotidien dans la bientraitance. Nous leur devons beaucoup.
La confiance, cela ne se décrète pas. Pour la rétablir, il nous fallait des actes forts à destination de ces établissements, pour ne plus jamais vivre de telles dérives systémiques de quelques acteurs d'un secteur accompagnant les plus vulnérables d'entre nous.
Il nous fallait un « choc de transparence », au service d'un meilleur accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie.
C'est pourquoi nous avons annoncé le 8 mars dernier, avec Olivier Véran, le déploiement de mesures nouvelles, pour prévenir et lutter contre la maltraitance et les abus décrits dans le rapport des inspections.
Tout d'abord, nous avons décidé d'augmenter et de renforcer les contrôles dans les établissements, pour lutter contre la maltraitance. Tous les Ehpad seront soumis à un contrôle systématique dans les deux prochaines années. Nous investissons dans les moyens humains des ARS, avec 150 embauches supplémentaires, pour qu'elles soient, dans la durée, capables d'assumer cette tâche essentielle.
Aussi, nous renforcerons les possibilités de signalement et leur suivi par l'ensemble des services de l'État et des départements compétents au niveau territorial, de façon à bien cibler notre politique de contrôle et à garantir un suivi adapté à ces opérations.
Je crois également que nous devons rendre aux résidents et aux familles le pouvoir d'agir sur leur choix d'établissement. Il faut les aider à sortir d'un choix par défaut, en mettant en place une véritable cure de transparence. Nous avons ainsi décidé de publier chaque année dix indicateurs clés permettant d'évaluer et de comparer les établissements, pour éclairer le choix.
Seront concernés les taux d'encadrement, de rotation des professionnels, d'absentéisme, le profil des chambres et du plateau technique de l'établissement ou encore le budget quotidien pour les repas par personne. Un décret sera pris à cet effet avant le 1er mai ; il a déjà été concerté avec l'ensemble du secteur.
Renforcer les contrôles et la transparence, c'est bien sûr oeuvrer à améliorer l'accompagnement en établissement. Mais il nous fallait entamer une démarche plus structurelle, embarquant les collectifs de travail, pour renforcer la qualité de l'accompagnement.
C'est pourquoi il était nécessaire de refondre le système d'évaluation externe des établissements, pour le rendre totalement indépendant, plus régulier, avec une évaluation tous les cinq ans, contre sept ans à l'heure actuelle. Un nouveau référentiel publié par la Haute Autorité de santé (HAS) le 10 mars dernier, donne toute sa place à la parole des personnes et des familles. Bien évidemment, nous n'avons pas attendu l'affaire Orpea pour y travailler. Les travaux étaient engagés depuis de longs mois, mais la crise du covid avait conduit à du retard.
Nous sommes désormais prêts, et je me réjouis de cette refondation de l'ambition de qualité pour tous les établissements médico-sociaux, qu'il faudra naturellement accompagner dans cette démarche nouvelle, exigeante et motivante pour les équipes.
Les évaluations seront rendues publiques sur la fiche internet de I'Ehpad et une mesure de la satisfaction sera affichée dans tous les établissements.
Pour faire vivre ces démarches, j'ai en outre la conviction que la libération de la parole des résidents, des familles et des personnels est un puissant moteur, et un gage in fine de qualité pour nos concitoyens.
Je souhaite que nous soutenions la libération de cette parole, en renforçant la démocratie au sein même des établissements et en agissant pour plus de médiation, à l'instar du secteur sanitaire. C'est notamment le sens de la réforme des conseils de la vie sociale (CVS). Nous en simplifions les procédures et les ouvrons à un plus grand nombre d'acteurs. Je pense aux élus locaux, mais aussi aux bénévoles, aux personnels soignants de l'établissement et aux résidents et à leurs familles.
Les CVS doivent être des lieux de dialogue, de démocratie, mais aussi, parfois, des lieux de contre-pouvoir contre les pratiques de certains groupes commerciaux. Là encore, un décret sera pris avant le 1er mai, après concertation avec l'ensemble du secteur.
Car c'est bien cette question qui est la plus importante dans le scandale qui nous a toutes et tous marqués. Que des groupes commerciaux sacrifient l'accompagnement de personnes vulnérables à la rentabilité de leurs entreprises et aux dividendes versés à leurs actionnaires ne peut plus être acceptable et ne sera plus accepté.
Concrètement, nous mettrons en place une réponse globale avec des outils juridiques et comptables pour mieux contrôler et réguler les pratiques tarifaires de ces groupes.
D'abord, le droit de la consommation doit protéger particulièrement les personnes vulnérables. Ensuite, nous oeuvrons en faveur d'une plus grande transparence visant à garantir le bon usage des fonds publics dont ces groupes bénéficient.
Nous proposerons donc d'élargir par la loi les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes non plus aux seules dotations publiques, mais bien aux sommes qui sont payées par les résidents de ces établissements.
Ces mesures essentielles, que nous avons annoncées avec Olivier Véran, prendront effet, pour beaucoup d'entre elles, avant la fin de ce quinquennat.
Il aurait été en effet inacceptable de se limiter à des effets d'annonce avant une élection présidentielle. Toutes les modifications réglementaires seront ainsi prises, grâce à la mobilisation sans faille des services du ministère des solidarités et de la santé.
Pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Bernard Bonne - vous êtes l'auteur d'un rapport qui a beaucoup inspiré mon action et qui fera date -, je souhaite partager avec vous un voeu.
L'action publique et les enjeux qui nous rassemblent aujourd'hui, ceux du grand âge, de la perte d'autonomie et de la transition démographique, ne sauraient se limiter à la réponse à un scandale, à des propos de tribunes, caricaturaux et convenus, à un intérêt trop passager. La réforme de l'accompagnement de la perte d'autonomie dans notre pays nécessite bien plus que cela. D'autres pays, en particulier le Danemark, nous ont ouvert la voie.
Les changements qu'implique la transition démographique appellent à une action invariable, centrée sur le soutien à domicile de nos concitoyens âgés.
C'est cette priorité qui m'a fait mener des combats pour revaloriser les salaires des aides à domicile, pour débloquer des financements historiques pour ces services, pour lancer des transformations structurelles de ce secteur, en vue d'une meilleure qualité pour les personnes et les professionnels.
C'est cette priorité qui nous a conduits à investir dans une plus grande médicalisation de nos établissements, en rénovant nos établissements publics, en revalorisant les salaires de ces professionnels, en augmentant le temps de médecin dans tous les établissements et en les ouvrant sur leurs bassins de vie et sur la vie sociale de leur commune.
Cette réforme pour l'autonomie de nos concitoyens âgés ne s'arrêtera pas quand l'attention médiatique pour ce secteur s'estompera. Elle continuera grâce à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, grâce à l'affectation de moyens nouveaux, et grâce à la mobilisation des conseils départementaux, acteurs essentiels du virage domiciliaire.
Dans ce combat, vous pourrez toujours compter sur mon engagement. C'est dans cet état d'esprit que je me soumets bien volontiers à vos questions.