Commission des affaires sociales

Réunion du 29 mars 2022 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

PermalienPhoto de Catherine Deroche

Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons cet après-midi Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs le 26 janvier dernier.

Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes mais sur les établissements, et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi notre commission a choisi de s'intéresser à la question du contrôle.

Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, dont une mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF). Le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle et du renforcement des moyens juridiques des contrôleurs.

Nous avons souhaité que cette audition intervienne à quelque distance de la parution du livre, une fois l'émotion légitime un peu retombée, afin de disposer non seulement d'une enquête journalistique, fût-elle de qualité, mais aussi du rapport des inspections.

Depuis lors, les événements se sont succédé : le Gouvernement a annoncé la saisine de la justice et le groupe Orpea a présenté des excuses.

Madame la ministre, nous souhaiterions cet après-midi que vous nous présentiez les principaux éléments de ce rapport, afin de comprendre comment les services contrôleurs, qu'il s'agisse de l'État, de la sécurité sociale ou des départements, ont pu passer à côté de tels dysfonctionnements.

J'aurai, pour ma part, trois questions.

Le Gouvernement indique que le rapport des inspections relève du secret des affaires, ce qui explique notamment qu'il ne m'ait été communiqué que tardivement. Pouvez-vous nous indiquer ce qui a motivé ce « classement » ? Puisque ce secret protège les entreprises, pouvez-vous nous confirmer que le groupe Orpea pourrait demander sa levée, ce qu'il semble par ailleurs souhaiter ?

Pouvez-vous nous indiquer sur quel fondement le Gouvernement envisage de saisir la justice ?

Dernière question, en forme de remarque : pensez-vous que la puissance publique soit aujourd'hui correctement équipée pour gérer et contrôler, au service de l'intérêt général, une relation contractuelle de cette nature avec un groupe privé de dimension internationale ? N'y a-t-il pas matière à rassembler les forces et à renforcer, par exemple, l'intervention de la Cour des comptes ?

Je demanderai à chacun d'être concis aussi bien pour les questions que les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander, madame la ministre, de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Brigitte Bourguignon prête serment.

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie

Avant de commencer mon propos liminaire, je voulais vous remercier de vous être constitués en commission d'enquête, à la suite à la parution du livre Les Fossoyeurs. Je salue la qualité des travaux de la représentation nationale et sa capacité à aller, sans polémique ou outrance, au fond de ce sujet grave et essentiel pour les familles, les résidents ou les proches de résidents, lesquels, je le sais, nourrissent une angoisse légitime. Car les accusations portées contre le groupe Orpea les ont choqués, comme nous toutes et tous ici.

C'est bien un ensemble de faits graves que je dénonce, organisés au niveau du groupe Orpea, dans le seul objectif de la recherche du profit.

Ces faits graves, tels que décrits par les inspections, ont conduit au reniement de l'accompagnement des personnes âgées, notamment en matière alimentaire. Ils soulèvent également des questions de sécurité, avec de probables sous-déclarations d'événements indésirables graves. Ce système présente également des pratiques financières présumées irrégulières, en particulier de surfacturation d'achats de produits de santé et de surcapacité des Ehpad.

Ces faits présumés sont retranscrits dans le rapport d'inspection de I'IGAS et de I'IGF. Nous avons demandé aux inspections de vous le transmettre dans les meilleurs délais, en respectant les règles de sécurité et de secret des affaires qui régissent en droit ces travaux. Le Gouvernement a signalé au Procureur de la République ces faits, pour qu'il puisse procéder à leur instruction et les qualifier.

Le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la publication du rapport d'inspection. Seul le groupe Orpea peut l'empêcher, notamment au titre du secret des affaires. J'ai lu ce dimanche dans un quotidien que le président du groupe Orpea regrettait la non-publication du rapport.

Si les regrets exprimés par M. Charrier se confirment, alors je lui demande, comme je l'ai fait hier à deux reprises par courriel, de lever le secret des affaires sur tout le rapport. Pour l'instant, le directeur général France d'Orpea m'a répondu qu'il ne voulait pas lever ce qui est couvert par le secret des affaires. Je regrette ce recul par rapport aux propos tenus ce dimanche. Vous lui poserez sans doute cette question demain.

Dans ces conditions, n'ayant aucune intention de laisser s'installer une ambiguïté qui viendrait alimenter les mauvais procès politiques, j'ai décidé, avec Olivier Véran, de publier le rapport d'ici à quelques jours, en veillant à occulter les parties qui doivent l'être, si Orpea confirme ne pas vouloir lever totalement le secret des affaires.

La saisine du Procureur ne sera pas la seule action du Gouvernement pour ce qui concerne ce que l'on appelle désormais l'« affaire Orpea ».

L'État demandera le remboursement des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés, en enclenchant, pour la première fois après un rapport de l'inspection des finances, une procédure de demande de remboursement de fonds publics.

Par ailleurs, j'ai demandé un vaste programme de contrôles et d'enquêtes flash par les agences régionales de santé (ARS) sur l'ensemble des Ehpad qui avaient connu des signalements, et en particulier sur les Ehpad gérés par des groupes privés lucratifs.

Entre février et mars, outre les contrôles habituels inopinés sur signalement, plus de 230 établissements particulièrement signalés, appartenant principalement au groupe Orpea, ont été contrôlés de manière inopinée par les ARS, avec, le plus souvent, le concours des conseils départementaux.

Grâce à ces contrôles, plusieurs dysfonctionnements majeurs ont été identifiés, conduisant, pour 70 d'entre eux, à des injonctions ou des sanctions. Dans certains cas, nous avons été jusqu'à la mise sous administration provisoire et même la fermeture.

Une telle décision était nécessaire, car il fallait rétablir la confiance de nos concitoyens dans des établissements qui fournissent un service essentiel à notre nation.

Je ne peux que regretter l'opprobre qui s'est abattu sur tout un secteur, en faisant payer les agissements inacceptables d'un groupe à tous les professionnels, à tous les directeurs, à toutes les structures.

Je veux ici rendre hommage aux professionnels de l'immense majorité des établissements, qui s'investissent au quotidien dans la bientraitance. Nous leur devons beaucoup.

La confiance, cela ne se décrète pas. Pour la rétablir, il nous fallait des actes forts à destination de ces établissements, pour ne plus jamais vivre de telles dérives systémiques de quelques acteurs d'un secteur accompagnant les plus vulnérables d'entre nous.

Il nous fallait un « choc de transparence », au service d'un meilleur accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie.

C'est pourquoi nous avons annoncé le 8 mars dernier, avec Olivier Véran, le déploiement de mesures nouvelles, pour prévenir et lutter contre la maltraitance et les abus décrits dans le rapport des inspections.

Tout d'abord, nous avons décidé d'augmenter et de renforcer les contrôles dans les établissements, pour lutter contre la maltraitance. Tous les Ehpad seront soumis à un contrôle systématique dans les deux prochaines années. Nous investissons dans les moyens humains des ARS, avec 150 embauches supplémentaires, pour qu'elles soient, dans la durée, capables d'assumer cette tâche essentielle.

Aussi, nous renforcerons les possibilités de signalement et leur suivi par l'ensemble des services de l'État et des départements compétents au niveau territorial, de façon à bien cibler notre politique de contrôle et à garantir un suivi adapté à ces opérations.

Je crois également que nous devons rendre aux résidents et aux familles le pouvoir d'agir sur leur choix d'établissement. Il faut les aider à sortir d'un choix par défaut, en mettant en place une véritable cure de transparence. Nous avons ainsi décidé de publier chaque année dix indicateurs clés permettant d'évaluer et de comparer les établissements, pour éclairer le choix.

Seront concernés les taux d'encadrement, de rotation des professionnels, d'absentéisme, le profil des chambres et du plateau technique de l'établissement ou encore le budget quotidien pour les repas par personne. Un décret sera pris à cet effet avant le 1er mai ; il a déjà été concerté avec l'ensemble du secteur.

Renforcer les contrôles et la transparence, c'est bien sûr oeuvrer à améliorer l'accompagnement en établissement. Mais il nous fallait entamer une démarche plus structurelle, embarquant les collectifs de travail, pour renforcer la qualité de l'accompagnement.

C'est pourquoi il était nécessaire de refondre le système d'évaluation externe des établissements, pour le rendre totalement indépendant, plus régulier, avec une évaluation tous les cinq ans, contre sept ans à l'heure actuelle. Un nouveau référentiel publié par la Haute Autorité de santé (HAS) le 10 mars dernier, donne toute sa place à la parole des personnes et des familles. Bien évidemment, nous n'avons pas attendu l'affaire Orpea pour y travailler. Les travaux étaient engagés depuis de longs mois, mais la crise du covid avait conduit à du retard.

Nous sommes désormais prêts, et je me réjouis de cette refondation de l'ambition de qualité pour tous les établissements médico-sociaux, qu'il faudra naturellement accompagner dans cette démarche nouvelle, exigeante et motivante pour les équipes.

Les évaluations seront rendues publiques sur la fiche internet de I'Ehpad et une mesure de la satisfaction sera affichée dans tous les établissements.

Pour faire vivre ces démarches, j'ai en outre la conviction que la libération de la parole des résidents, des familles et des personnels est un puissant moteur, et un gage in fine de qualité pour nos concitoyens.

Je souhaite que nous soutenions la libération de cette parole, en renforçant la démocratie au sein même des établissements et en agissant pour plus de médiation, à l'instar du secteur sanitaire. C'est notamment le sens de la réforme des conseils de la vie sociale (CVS). Nous en simplifions les procédures et les ouvrons à un plus grand nombre d'acteurs. Je pense aux élus locaux, mais aussi aux bénévoles, aux personnels soignants de l'établissement et aux résidents et à leurs familles.

Les CVS doivent être des lieux de dialogue, de démocratie, mais aussi, parfois, des lieux de contre-pouvoir contre les pratiques de certains groupes commerciaux. Là encore, un décret sera pris avant le 1er mai, après concertation avec l'ensemble du secteur.

Car c'est bien cette question qui est la plus importante dans le scandale qui nous a toutes et tous marqués. Que des groupes commerciaux sacrifient l'accompagnement de personnes vulnérables à la rentabilité de leurs entreprises et aux dividendes versés à leurs actionnaires ne peut plus être acceptable et ne sera plus accepté.

Concrètement, nous mettrons en place une réponse globale avec des outils juridiques et comptables pour mieux contrôler et réguler les pratiques tarifaires de ces groupes.

D'abord, le droit de la consommation doit protéger particulièrement les personnes vulnérables. Ensuite, nous oeuvrons en faveur d'une plus grande transparence visant à garantir le bon usage des fonds publics dont ces groupes bénéficient.

Nous proposerons donc d'élargir par la loi les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes non plus aux seules dotations publiques, mais bien aux sommes qui sont payées par les résidents de ces établissements.

Ces mesures essentielles, que nous avons annoncées avec Olivier Véran, prendront effet, pour beaucoup d'entre elles, avant la fin de ce quinquennat.

Il aurait été en effet inacceptable de se limiter à des effets d'annonce avant une élection présidentielle. Toutes les modifications réglementaires seront ainsi prises, grâce à la mobilisation sans faille des services du ministère des solidarités et de la santé.

Pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Bernard Bonne - vous êtes l'auteur d'un rapport qui a beaucoup inspiré mon action et qui fera date -, je souhaite partager avec vous un voeu.

L'action publique et les enjeux qui nous rassemblent aujourd'hui, ceux du grand âge, de la perte d'autonomie et de la transition démographique, ne sauraient se limiter à la réponse à un scandale, à des propos de tribunes, caricaturaux et convenus, à un intérêt trop passager. La réforme de l'accompagnement de la perte d'autonomie dans notre pays nécessite bien plus que cela. D'autres pays, en particulier le Danemark, nous ont ouvert la voie.

Les changements qu'implique la transition démographique appellent à une action invariable, centrée sur le soutien à domicile de nos concitoyens âgés.

C'est cette priorité qui m'a fait mener des combats pour revaloriser les salaires des aides à domicile, pour débloquer des financements historiques pour ces services, pour lancer des transformations structurelles de ce secteur, en vue d'une meilleure qualité pour les personnes et les professionnels.

C'est cette priorité qui nous a conduits à investir dans une plus grande médicalisation de nos établissements, en rénovant nos établissements publics, en revalorisant les salaires de ces professionnels, en augmentant le temps de médecin dans tous les établissements et en les ouvrant sur leurs bassins de vie et sur la vie sociale de leur commune.

Cette réforme pour l'autonomie de nos concitoyens âgés ne s'arrêtera pas quand l'attention médiatique pour ce secteur s'estompera. Elle continuera grâce à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, grâce à l'affectation de moyens nouveaux, et grâce à la mobilisation des conseils départementaux, acteurs essentiels du virage domiciliaire.

Dans ce combat, vous pourrez toujours compter sur mon engagement. C'est dans cet état d'esprit que je me soumets bien volontiers à vos questions.

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Madame la ministre, Michelle Meunier et moi-même vous poserons nos questions une par une. En effet, lors des auditions menées par l'Assemblée nationale, j'ai constaté qu'un trop grand nombre de questions posées en même temps n'amenait aucune réponse.

Nous avons mis en place une mission de contrôle du contrôle. Il ne s'agit absolument pas de jeter l'opprobre sur les personnels des établissements qui s'occupent de nos aînés.

Le livre Les Fossoyeurs a permis de faire bouger des choses complètement anormales. Il a mis en relief, tout d'abord, le manque de moyens de la plupart des établissements, que tout le monde reconnaît depuis longtemps. Nous attendons la loi sur le grand âge, qui devrait permettre, avec des moyens supplémentaires, de doter les établissements en personnels. Surtout, il a fait ressortir l'opacité, et toutes les déviances qu'on peut imaginer, des structures privées à but lucratif et, peut-être, d'autres structures.

Cette opacité a permis à ces groupes d'échapper au contrôle des départements et de l'État. Permettez-moi de revenir sur la notion de secret des affaires, qui me surprend quelque peu. En effet, dans la mesure où le président d'Orpea s'est étonné que le rapport n'ait pas été rendu public, nous devrons faire la clarté sur ce sujet.

Il faut le dire, le journaliste des Fossoyeurs a souvent rencontré des difficultés pour obtenir des renseignements de la part des ARS, qui lui opposaient le secret des affaires. Fort heureusement, les départements ont bien voulu ouvrir leurs documents, ce qui a permis de dévoiler certains faits. Le refus des ARS de transmettre ces éléments devra être clarifié.

Vous dites qu'il sera enjoint au groupe Orpea de restituer des financements publics irrégulièrement employés. Cela signifie-t-il que ce sujet ne relèvera pas d'un contentieux ? Une telle mesure ne concernera-t-elle qu'Orpea ou bien tous les établissements à but lucratif, y compris les petits groupes, sur lesquels il faudra aussi faire des contrôles.

Il est de votre devoir et de notre devoir de faire toute la clarté sur ces sujets, en rendant public, le plus vite possible, ce rapport.

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Je le répète, le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la transmission et à la publication de ce rapport. Toutefois, le secret des affaires étant invoqué par le groupe, nous nous devons de le respecter. Nous rendrons donc ce rapport public, avec la précaution d'usage.

Le plus important, à mes yeux, c'est que tous ceux qui ont eu à souffrir de cette situation soient entendus. Rien ne doit venir empêcher l'équilibre et la justice. Par conséquent, si on m'affirme qu'un élément pourrait venir perturber le déroulement d'une procédure judiciaire, je m'en tiens à la prudence la plus élémentaire.

Je tiens à votre disposition les mails échangés avec le groupe Orpea sur ce sujet.

S'agissant des contrôles, nous n'avons pas visé un groupe en particulier, même si cette affaire nous a précipités vers une inspection rapide. À partir du moment où un scandale était révélé, nous devions bien évidemment agir.

À l'heure actuelle, nous menons un travail en profondeur de réforme des inspections et des contrôles, dont nous avons constaté l'insuffisance, dès lors qu'il s'agit d'un système aboutissant à des formes de maltraitance des personnels et des résidents. Cela n'est pas aussi simple qu'un contrôle sur la base d'un signalement de maltraitance !

Nous devons accentuer nos efforts s'agissant des groupes privés commerciaux en matière de transparence. Nous suivrons à cet égard la recommandation de la Cour des comptes, en permettant que la « boîte noire » liée à la section hébergement ne fasse plus l'objet d'un système de vases communicants. Il convient donc de sacraliser la section « soins », de manière qu'il n'y ait plus d'interactions entre les sections.

Nous commençons avec Orpea, puisque nous disposons d'un travail assez poussé sur trois ans. Nous avons voulu renforcer le contrôle des ARS, grâce aux autorités indépendantes que sont l'IGAS et l'IGF. Ce travail, mené tambour battant par douze inspecteurs, nous permet de saisir aujourd'hui la justice.

PermalienPhoto de Bernard Bonne

L'IGAS et l'IGF ont réalisé un travail remarquable, que nous n'avons pas encore eu le temps de lire entièrement. Il est d'ailleurs étonnant qu'une synthèse n'ait pas été faite.

Pourquoi le contrôle des Ehpad et des groupes n'a-t-il été mis en place que récemment ? Les ARS auront-elles désormais les moyens de mener ces contrôles ? En effet, les syndicats des médecins, des pharmaciens et des inspecteurs nous ont dit clairement que, d'une part, le nombre des fonctionnaires affectés au contrôle avait diminué depuis un certain nombre d'années et, d'autre part, qu'il n'existait pas d'affichage réel d'une volonté de contrôler.

En 2014, Claude Évin, en tant que directeur de l'ARS de l'Île-de-France, avait signalé un problème de marges arrières concernant les établissements Korian. Or rien n'a été fait. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de réaction de la part des ARS ? Certes, le livre permet de bousculer le fonctionnement des contrôles. Toutefois, on ne peut que regretter que rien ne se soit passé auparavant. Nous devons pouvoir dire aux résidents et à leurs familles : « nous avons failli ; nous allons y remédier rapidement, et nous nous excusons profondément. »

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Chaque année, 10 % des établissements sont contrôlés. Plus précisément, 634 contrôles ont été menés en 2014 ; 708 en 2015 ; 649 en 2016 ; 668 en 2018 et 671 en 2019.

Nous voulons renforcer ces contrôles grâce à un renforcement des moyens humains : 150 équivalents temps plein (ETP) seront affectés aux ARS. Surtout, les départements seront systématiquement associés à ces contrôles.

À l'heure actuelle, 62 ETP sont dédiés aux contrôles, contre 61 en 2015. En ajoutant les effectifs dévolus au traitement des signaux, événements ou alertes, 150 ETP étaient consacrés au contrôle des Ehpad en 2018. Nous allons doubler ces effectifs, en embauchant 150 ETP supplémentaires.

Entre 2003 et 2015, l'offre de places en Ehpad a augmenté d'un tiers, tandis que l'offre des seuls Ehpad commerciaux a augmenté de plus de 50 %.

En 2010, avant l'entrée en vigueur de la loi Bachelot, le développement des Ehpad commerciaux connaissait son âge d'or. Cette loi a introduit le mécanisme d'appel à projets obligatoire, pour réguler l'attribution des autorisations.

Par ailleurs, pour mettre en perspective l'historique de cette évolution, je souligne que l'article 63 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a libéralisé les tarifs d'hébergement, en supprimant l'obligation de retracer les charges et les produits dans des comptes distincts, ce que la Cour des comptes a récemment critiqué.

En 2014, M. Evin, alors directeur de l'ARS d'Île-de-France, avait alerté la ministre de l'époque sur les rétrocommissions financières opaques mises en place par le groupe Korian. Rien n'a été fait alors, et l'ARS a dû se débrouiller seule pour trouver un accord financier avec Korian, consistant en des dotations moindres.

Il faut noter qu'en 2015 a été votée la loi ASV (loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement), qui n'interdisait pas ces pratiques. Pire, elle ouvrait deux possibilités, que je tiens à dénoncer aujourd'hui, favorisant encore plus les groupes privés. Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité de ne pas reverser des excédents financiers tous les ans, ce qui a conduit Orpea aux manoeuvres aujourd'hui critiquées. Il s'agit, ensuite, de la possibilité pour les groupes d'Ehpad commerciaux de faire des états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) simplifiés. Ainsi, l'ARS n'avait plus connaissance du budget consacré à l'hébergement.

En outre, la loi ASV a entraîné la convergence tarifaire, qui a beaucoup bénéficié aux Ehpad commerciaux, le public donnant au privé ! Cela a entraîné une baisse des financements dépendance des Ehpad publics de 125 millions d'euros. Ainsi, plus de 40 % des Ehpad publics ont vu leur financement baisser.

Alors que j'étais présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, j'avais demandé un rapport immédiat, une mission « éclair », à deux députées, qui ont dressé un état des lieux. À aucun moment, la situation d'Orpea n'y est évoquée.

Vous le savez comme moi, au cours de ces dix dernières années, ces établissements ont changé de nature. En termes de dépendance, les pathologies traitées sont beaucoup plus lourdes. La médicalisation croissante de ces établissements s'est avérée nécessaire. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 puis pour 2021, nous avons prévu le financement de 8 000 puis de 10 000 postes supplémentaires. Entre-temps, ne l'oublions pas, nous avons connu une crise sanitaire majeure.

PermalienPhoto de Catherine Deroche

La semaine dernière, Le Monde faisait état d'une synthèse du rapport avant contradictoire. En avez-vous eu connaissance ?

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Non, je n'ai pas eu ce document.

En revanche, j'ai eu connaissance des suites proposées par les inspecteurs, au vu des dysfonctionnements graves observés. Ils ont confirmé qu'il y avait matière à saisir la justice.

Pour être très précise, vendredi soir dernier, la mission d'inspection nous a informés, premièrement, que nous ne disposerions pas du rapport, du fait de contraintes de cryptage, deuxièmement, qu'il y avait matière à poursuites, troisièmement, que le rapport relève, pour une large part, du secret des affaires.

Dans la même soirée, la mission d'inspection transmettait à Orpea le rapport final.

Lundi matin, le Gouvernement et le Parlement ont reçu le rapport définitif. Je laisse à votre disposition la note de suite rédigée par la mission d'inspection.

PermalienPhoto de Michelle Meunier

Pour ma part, je n'ai eu ce rapport, qui fait plus de 500 pages, qu'hier vers 17 heures. Avouez-le, il n'est pas possible de travailler dans ces conditions, d'autant que vos propos rassurants en termes de transparence paraissent décalés par rapport aux faits.

Le rapport pointe un pouvoir de contrôle amoindri des ARS lié à l'adoption de la loi ASV. Envisagez-vous de remédier à cet état de fait ? De quelle manière ?

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Vous évoquez essentiellement le manque de transparence concernant la section « hébergement ». Du fait du secret commercial, les Ehpad privés bénéficient d'un modèle de document budgétaire simplifié à transmettre aux autorités, ce qui les a privées d'une vision d'ensemble des finances de ces établissements.

Le 8 mars dernier, nous avons annoncé des mesures pour plus de transparence financière. Nous allons renforcer les règles budgétaires et comptables. Certaines mesures, qui concernent notamment le siège des groupes, relèvent de la loi. Toutefois, nous souhaitons agir vite, et nous ferons donc tout ce qu'il nous est permis de faire par la voie réglementaire.

Un décret a déjà été soumis à la concertation des parties prenantes, pour améliorer la transparence financière. Il mettra fin aux EPRD simplifiés et contraindra les Ehpad commerciaux à transmettre les éléments relatifs à la section « hébergement ». Ce sera la fin de cette « boîte noire ». Il imposera également une compatibilité analytique propre à chaque Ehpad, attestée par un commissaire aux comptes.

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie

Absolument !

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Le secret des affaires ne pourra pas empêcher une telle évolution ?

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Non !

Ce décret imposera également qu'une rétrocession ne pourra être conservée au niveau du siège. Elle sera obligatoirement répercutée dans le budget de l'établissement dédié aux seuls soins. Ce terme de « soins » est très large ; il comprend également la dépendance.

Cela renforcera l'obligation de transparence des contrats entre Ehpad et autorités.

PermalienPhoto de Michelle Meunier

S'agissant de la base de données Prisme (Prévention des risques, inspections, signalements des maltraitances en établissement), depuis le 30 décembre 2015, les établissements ont l'obligation légale de signaler « tout dysfonctionnement grave dans leur gestion », ce qui inclut les situations de maltraitance. Quel est le caractère opérationnel de cette plateforme ? À votre connaissance, est-elle utilisée ?

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Les bilans annuels de la mission de veille et d'alerte, que nous menons depuis 2017, font état d'une faible remontée de ces signalements au niveau national. Les pratiques sont très hétérogènes selon les ARS et les conseils départementaux.

D'abord, le circuit de repérage et d'alerte au sein des structures est assez peu visible. Les conseils départementaux ont des systèmes de remontée inégaux.

Bien avant les annonces du 8 mars dernier, un plan d'action a été déployé en 2019 par la DGCS. Il a été structuré en quatre actes visant à améliorer le repérage, le signalement et le traitement d'événements indésirables graves. Il s'agit d'accompagner les établissements concernés dans la généralisation des circuits d'alerte internes, de clarifier et illustrer les motifs et les critères des formulaires de remontée des signalements, de préciser les objectifs et les modalités de remontée au niveau national et d'optimiser les outils et les systèmes d'information, pour faciliter la transmission et le traitement des signalements.

Nous allons également renforcer les moyens de la plateforme du 3977, qui n'était pas suffisamment outillée pour effectuer la remontée des signalements dans les meilleures conditions.

Un nouveau circuit d'alerte sera également établi au sein des établissements, afin d'améliorer le traitement de chaque signalement.

Je me suis aperçue, en auditionnant la Défenseure des droits, qu'elle faisait état de 9 000 signalements, dont il était impossible de connaître la nature. Il était également impossible de savoir si ces signalements avaient été transmis aux ARS. J'ai aussi voulu savoir si ces signalements aboutissaient toujours à des affaires graves. Or tel n'est pas toujours le cas, car la médiation peut s'avérer utile pour renforcer le lien entre familles, soignants et résidents.

Enfin, j'ai voulu préciser la définition de la maltraitance, afin de permettre à des plaintes éventuelles d'être suivies d'effets.

PermalienPhoto de Michelle Meunier

Lors de votre audition par l'Assemblée nationale le 8 mars dernier, vous avez annoncé votre volonté de mettre en oeuvre, dans les Ehpad, « une cure de transparence », en rendant publics et accessibles « dix indicateurs clés permettant d'évaluer les établissements et de les comparer, pour éclairer le choix ». Il s'agit notamment du taux d'encadrement, du taux de rotation des professionnels, de l'absentéisme, du budget quotidien alloué aux repas par personne et de la présence d'un médecin coordonnateur.

Comment comptez-vous vous organiser pour rendre cette « cure » opérationnelle ? Selon quel calendrier ?

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Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Nous avons déjà commencé à travailler sur ces dix indicateurs, dans le cadre d'une concertation de l'ensemble du secteur du grand âge. Ils seront bientôt rendus publics. Nous avons également renforcé et rendu obligatoires les enquêtes de satisfaction des résidents, en fonction de ces indicateurs. Le questionnaire a été élaboré par la Haute Autorité de santé. Ces enquêtes seront affichées dans les Ehpad.

Nous renforcerons également les obligations des établissements pour ce qui concerne la lisibilité des contrats contre les pratiques tarifaires abusives.

Je l'ai dit tout à l'heure, le décret sera publié avant le 1er mai.

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Nous parlons bien des contrats privés qui ne sont pas soumis au secret des affaires ?

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Je parle des contrats de séjour, entre l'établissement et la personne.

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Il n'y aura donc plus de raison d'avoir un secret des affaires !

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Ne mélangeons pas ce qui relève de l'Ehpad et ce qui relève du système d'un groupe privé !

S'agissant de la transparence de ces groupes, nous mènerons des inspections inopinées, y compris de la Cour des comptes. Quant aux contrats de séjour des établissements, ils permettent aux parents et aux résidents d'avoir une parfaite information.

PermalienPhoto de Michelle Meunier

S'agissant des moyens, on le sait, un tiers des Ehpad n'ont pas de médecin coordonnateur et les équipes sont éreintées et, souvent, incomplètes. Par ailleurs, vous annoncez la création de 150 ETP affectés au contrôle.

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Nous donnons des moyens, puisque nous prévoyons 150 ETP supplémentaires pour les ARS, qui seront affectés à une mission de contrôle.

Pour ce qui concerne les établissements, depuis 2018, et malgré la pandémie - je rappelle que les personnes âgées dépendantes ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire -, nous avons financé, par le biais du PLFSS pour 2018, 10 000 postes supplémentaires et, dans le cadre du PLFSS pour 2021, 10 000 nouveaux postes supplémentaires. Par ailleurs, avec le Ségur de la santé, nous avons investi pour rénover le parc public, en raison d'une vétusté des locaux ne favorisant pas la qualité de vie au travail.

L'attractivité de ces métiers passe également par une revalorisation salariale, ce que nous avons fait dans le cadre du Ségur et du PLFSS.

Par ailleurs, nous avons mis en chantier les dossiers de la validation des acquis, de l'apprentissage et de l'alternance. Nous devons continuer de travailler ensemble sur l'attractivité de ces métiers. Notre projection, c'est 50 000 postes supplémentaires dans les années qui viennent, dans le cadre de la trajectoire que vous avez définie dans vos rapports. En effet, nous devons construire le schéma de l'approche domiciliaire. Car les Ehpad ne sont plus les maisons de retraite que nous connaissions ; ils ont besoin d'être davantage médicalisés.

Quand j'évoque des moyens supplémentaires, je parle bien de soignants. Il est difficile de définir un ratio minimum d'encadrement. Celui-ci ne peut être fixé que par le besoin d'accompagnement des résidents. Certes, on peut toujours annoncer la création de postes. Mais si l'on ne crée pas les conditions de l'attractivité, à savoir une meilleure qualité du travail, des conditions matérielles plus favorables et des salaires plus décents, nous n'y arriverons pas.

PermalienPhoto de Michelle Meunier

S'agissant du transfert d'exploitation des Ehpad, les élus du département n'ont souvent pas leur mot à dire et sont placés devant le fait accompli. Comment comptez-vous réguler en la matière ?

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Les établissements privés associatifs, mais aussi les établissements publics, rencontrent des difficultés financières, qui les font se tourner vers les établissements privés à but lucratif et leurs millions d'euros. C'est la raison pour laquelle, si on a assisté à une augmentation de 17 % du nombre de places en Ehpad, le nombre des établissements privés à but lucratif a, quant à lui, doublé. Ils ont en effet racheté des établissements déjà existants.

Pourrons-nous empêcher une telle évolution ?

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

C'est bien le but que nous poursuivons ! Quand nous investissons 2 milliards d'euros dans la rénovation du parc public, c'est bien pour contrecarrer une telle évolution.

Permettez-moi de rappeler les termes de l'article D. 313-10-8 du code de l'action sociale et des familles, introduit par le décret du 13 mars 2020, qui prévoit les modalités de cession et d'autorisation des établissements, ainsi que les conditions d'examen de la demande.

En résumé, la demande de cession doit être déposée par le cessionnaire et non par le cédant aux autorités compétentes, qui ont toute latitude pour demander tout document permettant de s'assurer des capacités de gestion du cessionnaire, au regard des établissements qu'il gère, si c'est le cas. Le dossier est réputé complet, si, un mois après l'avoir reçu, l'autorité compétente n'a pas fait connaître au demandeur la liste des pièces manquantes. Dans le cas d'un rejet, l'ARS doit rédiger un avis motivé, qui repose sur l'incapacité du nouveau gestionnaire à remplir les conditions de gestion de l'Ehpad.

J'ai demandé, le 2 février, une vigilance accrue à tous les directeurs généraux des ARS en la matière.

PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Bien évidemment, nos questions ne constituent pas une remise en cause des personnels des Ehpad, lesquels, nous le savons tous, sont dévoués.

J'ai lu plusieurs rapports syndicaux faisant état, entre 2014 et 2020, d'une diminution de 117 médecins inspecteurs, de 11 pharmaciens inspecteurs et de 256 inspecteurs de l'action sanitaire et sociale.

Pensez-vous que les 150 ETP que vous annoncez aujourd'hui seront suffisants face à l'ampleur du travail à accomplir ? En effet, dans les deux ans à venir, 7 500 maisons de retraite, regroupant 600 000 résidents, devraient être contrôlées.

Si nous sommes favorables à ces contrôles, n'oublions pas que les structures du groupe Orpea ont déjà été contrôlées par le passé, sans que des mesures d'avertissement ou de sanction soient prises. Faire du chiffre pour ce qui concerne le contrôle n'aurait pas de sens si cela ne débouchait sur rien.

Les organisations syndicales des inspecteurs ont appelé de leurs voeux le recrutement d'experts médicaux, pour les accompagner lors des contrôles et vérifier les prescriptions, qui doivent être en adéquation avec les besoins.

Enfin, vous avez évoqué les élus locaux, les résidents et les familles. Mais à aucun moment je ne vous ai entendu parler des organisations syndicales. Nous avons reçu la CGT, qui a dénoncé, au sein du groupe Orpea, l'organisation d'un dialogue social fondé sur « un trucage des élections professionnelles, la mise en avant d'un syndicat maison, la discrimination syndicale, la répression sociale, le travail dissimulé et l'escroquerie caractérisée par le fait d'avoir obtenu des fonds publics ».

Allez-vous soutenir les organisations syndicales ? Prendrez-vous des mesures préventives pour assurer l'exercice du droit syndical, qui est un droit constitutionnel ?

PermalienPhoto de Laurent Burgoa

Je vous remercie de vos informations concernant le nombre de contrôles. Vous avez également annoncé un recrutement de 150 personnes.

Les Ehpad, à ce jour, sont contrôlés par les ARS et les conseils départementaux. Peut-on envisager de les contrôler par un organe indépendant ?

En outre, le Gouvernement envisage le remboursement des fonds publics octroyés à des Ehpad commerciaux qui n'auraient pas utilisé à bon escient ces financements. Dès lors, ces derniers pourront se retrouver dans des situations financières compliquées conduisant à la fermeture de chambres. Quelle serait alors la solution pour les résidents ?

PermalienPhoto de Pascale Gruny

Venant du milieu de l'audit, je reviendrai sur la question du contrôle.

Vous avez dû recevoir des écrits sur ces problèmes. Comment avez-vous réagi ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la publication d'un livre pour faire bouger les choses ?

Le contrôle n'est pas la délation, il est important de le préciser. Quand j'ai signalé certains problèmes à l'ARS et au conseil départemental, j'ai vu la difficulté de ces organismes à aller sur le terrain pour effectuer un contrôle, car ils n'ont pas la culture du contrôle.

Par ailleurs, s'agissant de la formation, les personnels des Ehpad doivent avoir une certaine empathie.

Je veux également le souligner, si les familles sont présentes, il n'y a pas de problème ! Dans le cas contraire, les personnes vulnérables peuvent être menacées.

Une personne de ma famille est hébergée dans un établissement Orpea, dans la ruralité. Or le personnel de l'établissement habite dans le canton, voire dans la commune, ce qui crée une proximité avec les résidents. Les problèmes sont donc surtout liés aux milieux urbains.

Je le souligne également, les personnes souhaitent rester à domicile le plus longtemps possible. Par conséquent, celles qui arrivent dans les Ehpad sont déjà bien malades.

PermalienPhoto de Olivier Henno

Ma question concerne les rétrocessions, également appelées marges arrières. Je l'avoue, lors de l'audition de l'auteur du livre Les Fossoyeurs, j'ai découvert l'importance de ces pratiques, que je connaissais dans la grande distribution, et non dans le domaine médico-social.

Si j'ai bien compris, vous voulez, dans un souci de transparence, faire apparaître ces marges arrière dans la comptabilité de chaque établissement, et non plus au niveau du siège, ce qui crée bien évidemment une forme d'opacité. N'y aurait-il pas d'autres solutions en la matière, par exemple l'interdiction pure et simple des marges arrières dans le domaine médico-social ? Je crains en effet la créativité des groupes à cet égard !

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Jusqu'où remontrez-vous pour obtenir le remboursement des sommes indûment perçues ?

Estimez-vous normal que des personnels de l'ARS puissent ensuite être embauchés par des structures privées ? Un meilleur contrôle ne serait-il pas nécessaire ?

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Madame Apourceau-Poly, les syndicats ont été auditionnés, notamment pour préparer nos annonces sur le renforcement des contrôles. De fait, nous avons aussi mobilisé les inspections du travail pour les faits que vous avez évoqués.

S'agissant des effectifs supplémentaires dédiés aux ARS, ils seront suffisants dans la mesure où ils se consacreront exclusivement aux Ehpad, ce qui n'est pas le cas des ETP actuels. Nous souhaitons également faciliter les liens avec les départements et lever les obstacles qui auraient pu être soulevés.

Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) que j'ai signés en 2019 avec les 18 ARS, appartiennent à la troisième génération. Leur philosophie est fondée sur des indicateurs de résultats et non pas de moyens. Il s'agit de renforcer la garantie de la qualité et de la sécurité de la prise en charge au sein des objectifs prioritaires de chaque ARS. Ces objectifs sont matérialisés par cinq indicateurs, en lien avec les signalements d'événements indésirables. Un indicateur concerne le traitement des réclamations des usagers, tandis que les autres indicateurs sont liés au contrôle, avec une insistance sur la qualité du suivi de ces contrôles.

Monsieur Burgoa, la récupération des financements publics concernera les groupes privés et ne mettra pas en danger les Ehpad.

S'agissant d'un organisme indépendant que vous avez évoqué, je recherche toujours la bonne solution, à savoir la plus opérante et la plus efficace. Les ARS ont la compétence. Elles ont par ailleurs prouvé qu'elles pouvaient s'adapter, dans un contexte difficile de crise.

Nous élargissons les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État pour ce qui concerne non pas les seules dotations publiques, mais aussi les tarifs payés par les résidents. J'ai mentionné la Cour des comptes, qui apporte une garantie d'indépendance.

Madame Gruny, le ministère a reçu un grand nombre de courriers, auxquels nous avons répondu. Lorsque j'ai été nommée, j'ai demandé à ce que le confinement soit levé, afin que les personnes puissent retrouver une certaine liberté en matière de visites. Il s'agissait de protéger sans isoler, pour revenir aux droits des résidents et à leurs familles. J'ai mis en place un groupe de travail « éthique », afin de trouver le bon équilibre entre la protection sanitaire et le droit des résidents et des familles.

Nous avons rappelé à l'ordre certains directeurs d'Ehpad ; nous avons également écrit à des ARS en diligentant des enquêtes supplémentaires. Nous n'avons pas attendu la parution du livre pour agir. Rien ne serait pire que de laisser penser qu'il n'y avait pas de contrôle ! Nous sommes dans un climat de défiance envers les soignants et les gestionnaires de ces établissements, et ce n'est pas simple à gérer au quotidien !

S'agissant de la formation du personnel, je suis entièrement d'accord avec vous, ce ne sont pas des métiers comme les autres. On ne le dit pas assez, les personnels adorent leurs métiers et en parlent très bien. Selon moi, leur formation doit inclure des modules de bientraitance. Nous avons déjà des modules, pour les hôpitaux, qui concernent la dignité des personnes. Il convient de les renforcer. Nous avons ainsi demandé aux organismes de formation de revoir leurs logiciels de référents de compétences et de qualité, en incluant la bientraitance.

Monsieur Henno, pour lutter contre les rétrocessions, nous demanderons aux Ehpad et aux groupes de transmettre leurs comptes sous forme de comptabilité analytique, afin d'avoir une vision claire et sincère de l'affectation des recettes et des dépenses, établissement par établissement, pour ce qui concerne tant les personnels que les consommables.

Permettez-moi de vous donner lecture du décret : « Les rabais, remises et ristournes obtenues sont imputés sur les budgets sur lesquels ils ont été obtenus. Lorsqu'ils portent sur plusieurs budgets, ils sont répartis proportionnellement au montant des charges correspondantes. »

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Monsieur Bonne, j'en viens à la collusion que vous avez évoquée. Si les faits étaient avérés, ce serait grave et inacceptable. Bien sûr, cela sera vérifié.

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Nous demanderons aux opérateurs de nous fournir nominativement et de façon exhaustive toutes les personnes qui sont passées d'une structure à une autre.

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Dans le livre, il s'agit d'une seule personne !

PermalienPhoto de Bernard Bonne

Il paraît qu'il y en a beaucoup plus !

Par ailleurs, pourquoi ne remontez-vous qu'à 2017 en matière de remboursement des financements ?

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Avant 2017, il y a prescription.

Permalien
Brigitte Bourguignon, ministre déléguée

Oui ! Je dénonce comme vous cette collusion. Les règles de déontologie de la fonction publique permettront sans doute d'éviter désormais ce genre de travers.

PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 50.