Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 31 mars 2022 à 9h35
Projet de décret d'avance — Communication et adoption de l'avis de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

rapporteur général. – L’audition qui s’est tenue hier de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, est la première sur ce projet.

Sous ce quinquennat, les gouvernements ont présenté peu de décrets d’avance : un premier en juillet 2017, un second en mai 2021 et – il faut croire que ce sera le dernier – le projet que nous examinons ce matin. Auparavant, il était habituel que nous examinions chaque année un ou plusieurs décrets d’avance.

Certes, cela peut paraître plus respectueux de la LOLF qui fait en principe du décret d’avance une procédure d’exception. Pour autant, il convient de noter que les montants des annulations et ouvertures de crédits qui sont proposés sont, eux, assez exceptionnels et résultent des circonstances : avec un montant de 5,9 milliards d’euros, le décret que nous examinons est en effet le second plus important jamais présenté depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, après celui de mai 2021 qui accompagnait la crise sanitaire.

Au total, les gouvernements successifs de ce quinquennat auront pris les trois plus gros décrets d’avance depuis 2006, pour 16,7 milliards d’euros au total.

En l’occurrence, les ouvertures de crédits portent pour moitié sur un dispositif général de réduction du prix des carburants, accessible à tous les consommateurs, et pour moitié sur des dispositifs sectoriels. Une action rapide est, sans nul doute, nécessaire : la hausse des prix de l’énergie, et tout particulièrement du prix des carburants à la pompe, a commencé depuis plusieurs mois, mais elle s’est nettement accentuée depuis le début de la guerre en Ukraine.

Pour autant, je constate qu’il s’agit encore une fois, comme lors de la création de l’indemnité inflation à l’automne dernier, d’une mesure non ciblée, qui ne prend pas en compte la situation différenciée des personnes concernées, mais qui présente le mérite pour le Gouvernement, à la veille de l’élection présidentielle, de toucher tout le monde. Il s’agit également d’une énième mesure prise pour contrer la hausse des prix de l’énergie depuis octobre, sans qu’aucune cohérence puisse être trouvée entre le bouclier tarifaire et fiscal, l’indemnité inflation et maintenant cette remise. Au-delà de ce constat, il convient également de noter que la mesure est prévue pour s’appliquer pendant quatre mois seulement et que des solutions plus pérennes concernant les énergies devront être trouvées.

En outre, autre caractéristique particulière du décret d’avance, contrairement à ceux qui ont été plus classiquement présentés au cours des précédents exercices budgétaires, celui-ci ouvre plusieurs milliards d’euros sur des mesures nouvelles et non sur des dispositifs existants qu’il conviendrait de « recharger ». Et ces mesures nouvelles interviennent alors que la crise actuelle n’est pas si éloignée, dans ses fondements, de la hausse des coûts de l’énergie déjà constatée à l’automne dernier.

Au-delà de la remise de 15 centimes du coût des carburants, les secteurs d’activité bénéficiant d’une mesure ciblée sont nombreux – nous l’avons bien entendu lors de l’audition du ministre – : éleveurs atteints par l’augmentation du coût des aliments, pêcheurs pour ce qui concerne le carburant, transporteurs routiers de marchandises, secteur des travaux publics, entreprises fortement consommatrices en énergie. Il faut y ajouter l’accueil des populations réfugiées d’Ukraine consécutif à la guerre dans ce pays.

Toutefois, on peine à connaître les modalités concrètes de plusieurs de ces mesures au moment où nous devons nous prononcer. Le ministre lui-même a confirmé hier ne pas être en mesure de nous en dire beaucoup plus, sur l’aide aux éleveurs, par exemple.

En outre, je m’interroge sur certains angles morts du plan de résilience. Qu’en est-il de l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie et des approvisionnements sur les budgets des collectivités locales – question également abordée par notre collègue Isabelle Briquet lors de l’audition du ministre ? Nous avons de nombreux retours des élus locaux, des études d’impact sont en cours par certaines structures ou associations, et il faudra certainement aborder la question dans une prochaine loi de finances rectificative (LFR) en fonction du constat qui sera établi. Les propos du ministre sur les finances des collectivités, censées être confortables, ne m’ont guère rassuré à ce sujet. Or si l’on appliquait certains programmes électoraux, une économie de 10 milliards d’euros devrait être réalisée sur les collectivités territoriales.

Toutefois, ces ouvertures de crédits proposées par le projet de décret sont compensées, comme il se doit dans le cadre d’un décret d’avance, par des annulations de même niveau. Celles-ci seront réalisées à la fois sur des crédits reportés de 2021, qui relèvent de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » et du programme 823 « Avances à des organismes distincts de l’État et gérant des services publics » de la mission « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics », et sur des crédits d’autres ministères, qui avaient fait l’objet d’une réserve de précaution.

Je ferai un point sur la régularité du décret d’avance.

Tout d’abord, le décret d’avance doit revêtir un caractère d’urgence. Cette première condition me paraît remplie, compte tenu de la hausse exceptionnelle des prix de l’énergie, mais aussi d’autres matières premières ou encore des intrants, notamment agricoles, et de leurs conséquences sur les coûts supportés par les ménages et les entreprises. L’ouverture de nouveaux crédits à brève échéance peut à mon sens être considérée comme nécessaire et urgente.

Ensuite, un décret d’avance doit annuler un montant de crédits au moins égal à celui des crédits ouverts. Comme indiqué précédemment, c’est effectivement le cas, puisque les ouvertures et annulations prévues s’élèvent à 5,9 milliards d’euros, même si cette annulation résulte d’artifices budgétaires, comme je l’expliquerai dans un instant.

Enfin, les ouvertures de crédit doivent être inférieures à 1 % des crédits ouverts dans la loi de finances de l’année, et les annulations ne doivent pas dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours. Sur ce point, cela ne pose pas de difficulté non plus, puisque les crédits ouverts ou annulés représentent 0,63 % des autorisations d’engagement et 0,80 % des crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale (LFI).

Les conditions de régularité du décret me paraissent donc réunies. Cette régularité est toutefois purement formelle pour ce qui concerne l’équilibre budgétaire du décret d’avance.

Tout d’abord, les deux tiers des annulations de crédits, soit 4 milliards d’euros, portent sur des reports de crédit réalisés sur quatre programmes de la mission « Plan d’urgence », ainsi que sur le programme 823 qui assure des avances à des organismes publics.

Si l’on examine les quatre programmes concernés de la mission « Plan d’urgence », leur point commun est qu’ils n’avaient aucun crédit en loi de finances initiale pour 2022. Le fonds de solidarité a été alimenté par des reports de crédits dès le mois de janvier, mais ils ont été largement consommés. Ainsi, à la date où le projet de décret nous a été transmis, vendredi dernier, les crédits disponibles sur la mission « Plan d’urgence » étaient de 155 millions d’euros seulement, alors que le décret en annulait 3,5 milliards d’euros, soit vingt fois plus !

Depuis la fin de la semaine dernière, le Gouvernement a donc publié à un rythme accéléré des arrêtés de report de crédits d’un montant très élevé – plus de 5 milliards d’euros au seul Journal officiel du 30 mars –, juste avant l’expiration du délai limite fixé au 31 mars par la LOLF. Tout cela n’a été en réalité effectué qu’afin d’annuler ces mêmes crédits pour équilibrer le décret d’avance, sans doute dès la semaine prochaine…

Autrement dit : le décret stricto sensu est équilibré, mais sa mise en application implique des reports de crédits de près de 4 milliards d’euros qui, eux, ont un effet direct sur l’équilibre budgétaire.

Par ailleurs, deux milliards d’euros sont annulés sur les crédits des ministères. On aurait pu penser que ces annulations correspondaient, elles, à de véritables économies, puisqu’elles portent sur de « vrais » crédits ouverts en loi de finances pour 2022. De telles économies sont souhaitables, mais beaucoup se sont étonnés, à juste titre, que les efforts les plus importants soient finalement demandés à la mission « Défense » pour 300 millions d’euros, alors que la situation actuelle et les engagements du Président de la République lui-même mettent l’accent sur la nécessité de préserver et même de développer les moyens de notre défense nationale.

Le Gouvernement essaie de nous rassurer en expliquant que ces annulations ne sont pas de véritables économies. Le ministre nous l’a confirmé hier après-midi : ces annulations correspondent à un simple « artifice » budgétaire. Comme il est encore tôt dans l’année, ces crédits peuvent être annulés « temporairement » sans trop menacer – du moins on l’espère – la trésorerie des ministères : comme l’a dit le ministre, ils espèrent qu’une loi de finances rectificative vienne rouvrir ces crédits au mois de juillet. Cela s’apparente quelque peu à du bricolage pour échapper à un projet de loi de finances rectificative, lors de l’examen duquel un débat différent aurait eu lieu.

J’en tire deux conclusions. D’une part, que même pour les annulations de crédits portant sur les ministères, l’équilibre du décret d’avance est illusoire. D’autre part, que le Gouvernement dessine les grands traits d’un collectif budgétaire qu’il ne présentera pourtant pas lui-même en raison des élections.

Je constate donc que ce décret est, sur beaucoup de points, éloigné des règles de bonne gestion. Il faut toutefois rappeler qu’il s’agit d’un décret et non d’une loi de finances sur laquelle nous pourrions proposer des amendements. En outre, les ouvertures de crédit visent à répondre à une réalité pressante que j’ai rappelée au début de mon propos, à savoir les difficultés de beaucoup de ménages et de professionnels face à la hausse des prix, en particulier de l’énergie. Par ailleurs, formellement, ce décret est conforme à la LOLF.

En conséquence, je vous propose de conclure sur un avis favorable, tout en reprenant dans celui-ci les principales critiques et observations que nous pouvons émettre concernant les méthodes employées par le Gouvernement.

M. Albéric de Montgolfier. – Merci de ce rapport dont je partage les conclusions. Ma question est liée non pas directement au décret d’avance, mais à l’ouverture de crédits à hauteur de 3 milliards d’euros pour la mesure de réduction du prix des carburants. Quel est le montant des hausses de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) intervenues depuis le début du quinquennat ? Quelle est la hausse du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui résulte de l’augmentation du prix du baril de pétrole ?

M. Jean-Claude Requier. – Je souhaiterais avoir une précision sur le périmètre de l’article 13 de la LOLF. Si le montant maximum du décret d’avance est de 1 % du budget général de l’État, il s’élèverait plutôt à 3 milliards d’euros, au lieu de 5,9 milliards cette année, et de 7 milliards l’année dernière. Cette proportion concerne-t-elle le budget total ou les dépenses de fonctionnement ?

M. Marc Laménie. – Merci, monsieur le rapporteur général, pour cette synthèse, également exposée hier lors de l’audition de M. le ministre délégué chargé des comptes publics. Pourquoi retenir la procédure du décret d’avance plutôt qu’une loi de finances rectificative, sachant que la guerre en Ukraine aura des conséquences dramatiques, notamment sur les prix des carburants ?

De plus, je suis sceptique sur les annulations de crédits opérées depuis la LFI. Plusieurs ministères, comme celui des armées, en seront largement affectés. Et toutes les missions sont visées, dont certaines de façon importante – je pense à la mission « plan d’urgence face à la crise sanitaire » –, de même que les entreprises, les particuliers et le monde agricole.

M. Vincent Delahaye. – Pourquoi un décret d’avance ? Pour éviter un débat dans l’hémicycle sur une loi de finances rectificative. Or celle-ci aurait été la bienvenue, compte tenu des mesures contenues dans ce décret. Je partage cette critique avec le rapporteur général, et c’est pourquoi je ne m’attendais pas forcément à un avis favorable. J’avais d’ailleurs déjà émis des réserves sur le chèque inflation à l’automne. D’une part, une telle distribution d’argent en faveur de 38 millions de Français à quelques mois des échéances électorales n’avait jamais été proposée auparavant. D’autre part, cette promesse devrait-elle se renouveler en cas d’inflation comme aujourd’hui ? Ce n’est pas une bonne politique.

Par ailleurs, à l’instar de mon collègue Albéric de Montgolfier, je m’interroge sur les recettes supplémentaires consécutives à la hausse du prix des carburants. En dépend l’ampleur du geste à faire. Mais qu’en sera-t-il dans les prochains mois si la situation perdure ? Fera-t-on un deuxième geste, et ainsi de suite ? Ce n’est, là encore, pas une bonne façon de gérer les finances publiques et l’aide apportée à nos concitoyens. De surcroît, les annulations de crédit, qui portent sur des crédits de 2021 non consommés et reportés, auront une incidence sur le solde. Ce projet de décret d’avance me gêne profondément.

Mme Christine Lavarde. – Je proposerai d’amender l’alinéa 4 du projet d’avis présenté par le rapporteur général en indiquant que c’est pour les ménages les plus précaires et les entreprises les plus exposées, et non forcément pour l’ensemble des ménages et des entreprises, qu’il est nécessaire d’ouvrir des crédits afin de rendre supportable l’augmentation des prix de l’énergie. Comme vient de le dire Vincent Delahaye, cette large distribution d’argent n’est pas un bon signal pour la soutenabilité de nos finances publiques. Elle se traduira ultérieurement par des hausses d’impôts. Pourquoi l’épargne des ménages qui se sont enrichis pendant les confinements ne servirait-elle pas aux plus précaires ? Cette proposition n’engage que moi, mais elle présenterait l’intérêt de cibler les aides. Soyons responsables dans nos actions !

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