– Je suis très honorée de me présenter devant vous pour solliciter un nouveau mandat à la présidence du Haut Conseil du commissariat aux comptes.
Au cours de cette première année à la tête du Haut Conseil, j’ai pu me familiariser avec une profession que je ne connaissais pas, après une carrière de plus de trente-cinq années dans la magistrature. J’ai fait connaissance avec les syndicats, les associations et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Je me suis beaucoup déplacée en région et outre-mer, où des questions très spécifiques se posent.
Un de mes objectifs consistait à rétablir des relations sereines avec la profession, dont vous savez qu’elle a été très fragilisée par le vote de la loi Pacte. Elle s’est d’ailleurs interrogée sur la vision qu’avait d’elle la représentation nationale.
Les commissaires aux comptes sont chargés d’une mission d’intérêt général. Ils ne sont pas au service des entités dont ils certifient les comptes. Il sont très conscients de l’importance de leur mission, dont dépend la confiance que chacun doit avoir dans l’économie de notre pays.
Par ailleurs, les relations avec le régulateur n’étaient pas toujours sereines. Je me suis attachée à ce qu’elles le redeviennent à travers le dialogue. Je suis à ma place, sans complaisance, et je n’ai pas baissé mon exigence vis-à-vis de la qualité de l’audit. Toutefois, de nombreux chantiers ne peuvent être conduits avec pertinence si la profession ne comprend pas ce que fait son régulateur. J’ai pu entretenir, tout au long de cette année, des relations suivies et fructueuses avec M. Ollivier, le président de la Compagnie nationale. Nous avons de nombreux sujets en commun et il est heureux que nous puissions dialoguer de façon pertinente, toujours dans le but d’assurer la qualité de l’audit dans notre pays.
Au cours de cette année, j’ai continué de moderniser les outils du Haut Conseil : les commissaires aux comptes peuvent désormais réaliser l’intégralité des démarches administratives auprès du régulateur via un portail internet. Cette profession est la plus régulée des professions du droit : chaque commissaire doit déclarer le nom de ses clients et leur chiffre d’affaires ; il doit aussi déclarer sa date d’entrée dans la profession, sous quelle forme juridique il exerce et chaque changement dans ses modalités d’exercice professionnel. Les commissaires aux comptes ont un numéro personnel qui permet de retracer leur carrière, comparable à un numéro de sécurité sociale.
Notre principale mission est de procéder au contrôle qualité de l’audit en France. À cette fin, nous sommes en train de construire un outil de planification des contrôles qui nous permettra de moduler notre action en fonction des risques. Comme vous le savez, la loi prévoit qu’un commissaire aux comptes soit contrôlé tous les trois ans pour les mandats entités d’intérêt public (EIP) qu’il détient et tous les six ans pour les mandats non EIP.
Nous ne nous contentons pas de ces délais : lorsque nous avons fait des recommandations à un commissaire aux comptes, nous n’attendons plus trois ou six ans pour voir s’il les a respectées. De même, nous avons décidé de mener des contrôles à intensité variable, des contrôles « spot ». Il nous a semblé nécessaire de faire preuve de plus d’agilité, notamment en cas d’information d’un lanceur d’alerte, par exemple, ou si l’actualité l’exige, comme en ce moment avec les gestionnaires d’Ehpad. Nous pouvons également être sollicités par les autorités sœurs que sont l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) ou l’Autorité des marchés financiers (AMF). Nous sommes désormais en mesure de répondre rapidement à tous ces cas de figure et de déposer un rapport en quelques mois sur la qualité du travail d’un commissaire aux comptes.
Nous devons aussi travailler à la gestion de nos données. Nous effectuons des contrôles qualité depuis de nombreuses années. Nous avons donc accumulé un nombre important de données sur les commissaires aux comptes, sur les mandats qu’ils gèrent et leurs structures d’exercice professionnel. Il nous faut désormais utiliser cette base de données pour fonder notre appréciation des risques.
Les risques peuvent tenir soit aux mandats détenus soit aux structures d’exercice professionnel particulières des commissaires aux comptes. Un mandat de parti politique, par exemple, est un mandat à risque. De même, les structures les plus importantes de la profession figurent en tête de notre échelle des risques.
L’année dernière, j’avais attiré votre attention sur la situation quelque peu inquiétante des finances du Haut Conseil. Comme vous le savez, notre structure est financée par les cotisations des commissaires aux comptes, calculées à partir du chiffre d’affaires sur la totalité des mandats de certification détenus, et par une surcotisation à raison des mandats EIP. Au total, le Haut Conseil perçoit environ 15,4 millions d’euros par an.
Comme je l’avais souligné, après trois exercices difficiles, nos finances étaient en déficit. Lorsque j’ai pris mes fonctions, le budget voté par le collège pour 2021 présentait un déficit de 1,4 million d’euros. À l’issue de l’exercice 2021, les finances du Haut Conseil sont bénéficiaires de 980 000 euros.
Ce résultat tient surtout à des événements non récurrents - issue positive d’un litige avec l’Urssaf, remboursements de la Compagnie nationale, cotisations versées à raison d’exercices antérieurs... Nous avons également réalisé des économies, notamment en réduisant les déplacements de la division internationale et en multipliant les contrôles en téléconférence. Enfin, la masse salariale a été mécaniquement réduite grâce à un turn-over de nos collaborateurs. Hors éléments non récurrents, nos comptes auraient été en déficit de 215 000 euros.
En 2019, la Cour des comptes avait procédé à un contrôle du Haut Conseil. Elle avait conclu que la situation financière en déséquilibre ne lui permettait pas d’accomplir avec suffisamment de profondeur sa mission principale. La Cour des comptes avait également conclu que nous n’avions pas une vision exacte de la qualité de l’audit en France.
Je trouve ce constat un peu sévère. Je le dis d’autant plus facilement que je n’étais pas présidente de cette institution lorsque le rapport a été rédigé. La Cour des comptes ne tient pas compte du fait que nous procédons à ces contrôles depuis 2009 : nous connaissons bien les commissaires aux comptes et leurs mandats. Nous nous rendons chaque année dans les grands cabinets et dans les cabinets les plus significatifs. Nous savons quels sont leurs atouts et leurs compétences.
Cela étant dit, nos ressources ne nous permettent pas d’avoir une vision complète de l’intégralité des mandats. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de multiplier les contrôles, quitte à en diminuer l’intensité. Nos agents ont ainsi effectué deux fois plus de contrôles en 2021 qu’en 2020, notamment sur les plus grands comptes et les plus grands mandats, dont les entreprises du CAC 40.
La Cour des comptes a effectué cette année un contrôle « flash » pour comparer notre situation à celle de 2019. Elle nous demande de recruter davantage d’agents publics pour agir sur notre masse salariale, de modifier le cadre juridique de notre action, ce qui suppose de modifier la loi, et de procéder à un abondement de nos ressources, ce qui relève du pouvoir réglementaire - un arrêté du garde des sceaux fixe la fourchette et le taux de cotisation des commissaires aux comptes.
Comme je l’ai souligné, la loi Pacte avait beaucoup inquiété la profession. Deux ans après l’entrée en vigueur de ce texte, les commissaires aux comptes ont perdu moins de mandats - environ 40 % - qu’ils ne le redoutaient. Malgré le relèvement des seuils, les entreprises ont souhaité conserver leurs commissaires aux comptes auxquels elles font confiance, ce qui est essentiel pour les actionnaires minoritaires et pour les investisseurs.
Par ailleurs, le chiffre d’affaires global est resté stable. Il est même en légère progression, malgré des résultats contrastés. Les structures d’exercice professionnel les plus importantes ont bénéficié de cette augmentation de leurs ressources ; en revanche, certaines structures plus petites ont disparu. Je pense, par exemple, aux experts comptables exerçant le métier de commissaire aux comptes à titre accessoire et qui ont préféré se séparer de cette casquette, devenue moins rentable.
Les missions d’audit légal des petites entreprises (ALPE) n’ont pas rencontré le succès attendu par le législateur. Au regard des tâches à accomplir, la réduction des honoraires d’un commissaire acceptant une mission ALPE n’est pas aussi importante qu’escompté et les entités ont rarement recours à ce mandat.
L’entrée en vigueur des dispositions de la loi Pacte outre-mer a été décalée dans le temps. Ce faisant, lorsque la loi aura produit l’intégralité de ses effets, il n’y aura plus les mêmes exigences de certification des comptes outre-mer. Il s’agit d’un vrai sujet pour le régulateur : ces territoires peuvent être le lieu d’opérations économiques peu souhaitables. Or les commissaires aux comptes sont en première ligne pour les constater, lorsqu’elles sont visibles. En tant que membre de la Cour de cassation, je me demande si la disparition du métier de commissaire aux comptes dans les outre-mer est un choix législatif pertinent.