Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 avril 2022 à 16h35
Justice et affaires intérieures — Instrumentalisation des migrants et code frontières schengen conformité des textes com2021 890 final et com2021 891 final au principe de subsidiarité - communication

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, rapporteur :

En tant que rapporteurs sur ce dossier depuis plusieurs années, Jean-Yves Leconte et moi-même avons acquis la conviction que l'espace Schengen est l'un des éléments essentiels de l'Union européenne : il a contribué à rassembler ses peuples et a changé la vie de milliers d'actifs, d'étudiants et de frontaliers.

Nous estimons aussi que l'avenir de l'espace Schengen ne peut être l'affaire de la seule Commission européenne et du législateur européen. Les parlements nationaux doivent y prendre leur part, a fortiori le Sénat. Voilà pourquoi il nous semblait important, à travers ce contrôle de subsidiarité, de faire le point sur les négociations en cours sur ce dossier.

J'en viens à la proposition de règlement révisant le « code frontières Schengen ». Pour l'essentiel, cette révision y apporte quatre modifications importantes.

En premier lieu, la révision prend en considération la nécessité de renforcer la surveillance des frontières en cas de situation constatée d'instrumentalisation de migrants, y compris par l'utilisation de drones, de capteurs de mouvement ainsi que « d'unités mobiles », ce qui peut recouvrir des obstacles mobiles.

Cet article est sensible, car il a mis au jour un débat sur l'opportunité d'édifier des « barrières » aux frontières extérieures de l'Union européenne. La Commission européenne se refuse à financer de tels équipements au nom d'une « Europe ouverte sur le monde », mais de telles installations ont été demandées par douze États membres à l'automne dernier. D'après nos informations, alors que le Conseil a commencé à examiner cette réforme, la discussion n'est pas close sur ce sujet.

En deuxième lieu, le projet prévoit la possibilité de restrictions temporaires des déplacements vers les États membres de l'Union européenne en cas de menace avérée pour la santé publique dans un ou plusieurs pays tiers. Cela ne remet pas en cause le droit des citoyens des États membres qui jouissent de la libre circulation et qui se situent temporairement à l'étranger de retourner dans l'Union européenne.

En troisième lieu, la réforme précise les hypothèses dans lesquelles les contrôles et les vérifications d'identité menées par les autorités nationales compétentes sont compatibles avec l'absence de contrôles aux frontières intérieures. On peut citer la lutte contre la criminalité transfrontalière, la lutte contre la migration irrégulière ou encore la nécessité d'endiguer une maladie infectieuse. Cette disposition apporte selon moi un complément bienvenu, car elle rappelle que les États membres ont la possibilité de contrôler les personnes se trouvant sur leur territoire pour des motifs de sécurité ou de santé publique.

Enfin, la réforme permet des assouplissements pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par les États membres, sous réserve que parmi les événements justifiant ce rétablissement, les événements imprévus soient distingués des événements prévisibles.

Pouvoir réintroduire temporairement les contrôles aux frontières intérieures est à mes yeux une nécessité pour faire face aux crises imprévues ou aux afflux massifs de migrants - l'histoire récente l'a illustré. Bien sûr, de tels rétablissements doivent être considérés comme un dernier recours, mais à moins de vouloir l'effondrement de l'espace Schengen, ces contrôles constituent une forme d'« assurance vie » pour celui-ci.

Précisons aussi que si elle s'en tient à l'heure actuelle à une position de neutralité parce qu'elle assume la présidence du Conseil, la France a travaillé en faveur de cette évolution.

En pratique, dans le droit en vigueur, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est aujourd'hui possible, pour une durée maximale de deux mois en cas d'action immédiate et jusqu'à six mois en cas de circonstances prévisibles. Avec la réforme, en cas d'événements imprévus, les États membres pourraient désormais prendre des mesures de contrôle unilatérales pendant trente jours, cette durée pouvant être prolongée jusqu'à trois mois. En cas d'événements prévisibles, ces contrôles pourraient s'étendre sur une durée maximale de deux ans.

Dans le code actuel, sur recommandation du Conseil, les contrôles peuvent également être réintroduits, en principe pour six mois, en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril l'espace Schengen dans son ensemble. Désormais, en cas « de menace grave pour la sécurité intérieure ou l'ordre public » touchant « une majorité d'États membres, mettant en péril le fonctionnement global » de l'espace Schengen et constatée par la Commission européenne, cette dernière pourrait proposer au Conseil une décision réintroduisant les contrôles aux frontières intérieures pour une durée de six mois. Au-delà, cette réintroduction pourrait être prolongée par périodes de six mois, tant que la menace persiste (article 28 modifié).

En contrepartie, la proposition de règlement renforce l'obligation de notification de l'État membre demandant la réintroduction temporaire des contrôles à ses frontières intérieures, ce dernier devant désormais systématiquement justifier de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure. En outre, au-delà de six mois de rétablissement des contrôles précités, toute notification devrait comprendre une évaluation des risques. Et au-delà de dix-huit mois, la Commission européenne devrait rendre un avis.

Au regard de la subsidiarité, cette proposition de règlement est fondée sur des bases juridiques pertinentes, à savoir l'article 79, paragraphe 2 du TFUE, déjà évoqué par Jean-Yves Leconte, qui permet au Parlement européen et au Conseil d'adopter des mesures relatives à « l'immigration clandestine et [au] séjour irrégulier », mais aussi l'article 77, paragraphe 2 du même traité. Cet article permet de prendre des mesures portant sur « les contrôles auxquels sont soumises les personnes franchissant les frontières extérieures » et sur « l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures ».

Dans son ensemble, la réforme est nécessaire : elle apporte une réelle clarification au cadre juridique existant afin de permettre aux États membres de mieux coopérer dans la surveillance de leurs frontières. Comme le soulignait Mme Monique Pariat, directrice générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne, elle offre même aux États membres une souplesse bienvenue. Elle paraît également proportionnée aux objectifs fixés.

Deux dispositions nous semblaient toutefois justifier un approfondissement de notre contrôle de subsidiarité.

Il s'agit, en premier lieu, du point 7 de l'article 13 modifié du code frontières Schengen, relatif à la surveillance des frontières, qui autoriserait la Commission européenne à adopter, par la voie d'actes délégués, des « mesures supplémentaires régissant la surveillance ». Cette possibilité existe déjà dans le code, mais la délégation serait étendue à « l'élaboration de normes pour la surveillance des frontières ».

Il est vrai que le Conseil européen avait appelé à une harmonisation minimale des règles relatives à la surveillance des frontières - le représentant du ministère de l'intérieur nous l'a rappelé. Mais cette possibilité de laisser la seule Commission européenne élaborer des normes relatives à la surveillance des frontières semble contrevenir à la compétence première des États membres en la matière.

En outre, une telle délégation pourrait excéder la définition des actes délégués prévue à l'article 290 du TFUE, qui précise qu'ils sont « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ». Or les dispositions sur la surveillance des frontières, comme celles sur la libre circulation, ne sont pas secondaires. Elles sont bien au coeur du code frontières Schengen.

Nos préoccupations sont partagées au sein du Conseil. De fait, dans le cadre des négociations en cours sur ce texte, cette délégation de compétences a été supprimée. Dans la dernière version du texte, la Commission européenne n'aurait plus qu'une compétence d'exécution, ce qui lève nos inquiétudes.

Le second point dont la conformité au principe de subsidiarité méritait d'être analysée, a trait à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures lorsque des circonstances exceptionnelles mettent en péril l'espace Schengen. Dans sa rédaction actuelle, l'article 29 du code frontières Schengen prévoit déjà une telle possibilité lorsque cette menace structurelle sur l'espace Schengen résulte de la défaillance d'un ou de plusieurs États membres. Dans cette hypothèse, le Conseil « peut, en dernier recours, recommander à un ou plusieurs États membres de décider de réintroduire le contrôle à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci ».

Comme je l'ai indiqué, le nouveau dispositif, prévu à l'article 28 modifié du code, qui viendrait s'ajouter à celui de l'article 29, viserait le cas d'une menace grave pour la sécurité intérieure ou l'ordre public touchant une majorité d'États membres et mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans frontières intérieures. La Commission européenne aurait alors seule la possibilité de constater cette situation et de présenter au Conseil une proposition en vue de l'adoption d'une décision de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures.

Nous nous sommes interrogés sur cette mesure. Après une analyse approfondie, nous pouvons confirmer que ce dispositif est proportionné aux objectifs poursuivis et que ce rôle dévolu à la Commission européenne est logique, s'agissant de la reconnaissance d'une menace « existentielle » pour l'Union européenne et touchant une majorité d'États membres. De plus, ce dispositif s'ajoute et ne remplace pas la possibilité, pour un État membre, de réintroduire des contrôles à ses frontières intérieures sans en référer à la Commission en cas de menace ciblée sur un ou plusieurs États membres.

Ces dispositions nous semblant conformes au principe de subsidiarité, nous ne vous proposons finalement pas d'avis motivé. Toutefois, comme l'a indiqué Jean-Yves Leconte, nous continuerons de suivre de près l'avancée des négociations européennes sur ce dossier.

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