Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 mai 2022 à 16h20
Bilan annuel de l'application des lois — Communication

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

Mes chers collègues, il me revient de vous présenter le bilan annuel de l'application des lois relevant de notre commission.

Je salue ceux d'entre nous qui participent à cette réunion par visioconférence : voilà un moment que nous ne nous étions pas retrouvés dans cette configuration...

Très attaché à cette dimension de notre mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement, le Sénat a mis en place, dès les années 1970, des procédures de suivi de l'application des lois, régulièrement adaptées par la suite.

En 2019, il a modifié son règlement pour confier ce suivi aux rapporteurs des projets et propositions de loi. Plus récemment, il a préconisé, sur l'initiative du groupe de travail animé par notre collègue Pascale Gruny, de renforcer encore cette mission par un contrôle approfondi de l'application des lois emblématiques.

L'article 19 bis A de notre règlement confie aux commissions permanentes le suivi de l'application des lois. Il appartient à leur président de procéder chaque année à un bilan de l'application des textes relevant des compétences de sa commission au 31 mars, soit six mois après la fin de la session précédente.

Ces informations donnent lieu à un rapport de synthèse, présenté en conférence des présidents puis en séance publique.

Chaque commission assure donc un suivi permanent des textes réglementaires relevant de sa compétence. Principalement statistique, ce travail comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des mesures d'application à l'intention du législateur et les raisons des éventuels retards constatés.

Le bilan que je vous présente cet après-midi porte sur les lois promulguées entre le 1er octobre 2020 et le 30 septembre 2021 et prend en compte les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars dernier. Ce décalage de six mois correspond à l'objectif fixé par une circulaire du 29 février 2008 en matière de délai d'édiction des mesures réglementaires d'application : il s'agit donc d'une contrainte que le Gouvernement s'est lui-même donnée.

Cet exercice est parfois teinté d'une certaine étrangeté, dans la mesure où il consiste à demander des comptes au Gouvernement sur l'application de mesures que le Sénat n'a pas votées ou à déplorer des retards dans la transmission de rapports qu'il n'a pas demandés... Je vous invite donc à relativiser sa seule dimension statistique.

Par ailleurs, vous recevrez un bilan texte par texte, destiné au rapport d'ensemble qui sera publié en juin.

Pour l'heure, je me bornerai à vous livrer quelques chiffres et les principaux constats, en vous priant d'excuser la forme de catalogue que cet exercice peut parfois revêtir.

Durant l'année parlementaire 2020-2021, le Parlement a adopté définitivement sept lois relevant de notre commission, auxquelles s'ajoute un texte que nous avons examiné pour avis avec délégation au fond. Ce chiffre est identique à celui de l'année précédente.

Cinq de ces textes sont issus d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale, un procède d'une initiative gouvernementale - la loi de finances pour 2021 - et un d'une proposition de loi du Sénat - la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote.

Seule la loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs était d'application directe. Les six autres textes appelaient un total de 196 mesures règlementaires d'application, dont 112 pour la seule loi de financement de la sécurité sociale.

Au 31 mars, 134 mesures avaient été prises, soit un taux d'application de 68 % : meilleur que les 48 % constatés l'année dernière, ce taux renoue avec ceux constatés les années précédentes.

Le taux d'application de la loi de financement de la sécurité sociale reste insuffisant, même s'il s'est redressé de 46 à 79 %. De fait, pour une telle loi, un taux normal dépasse les 90 % : son champ très encadré et sa procédure spécifique impliquent une mise en oeuvre rapide. Au-delà de l'explication un peu facile de la crise sanitaire, nous aurons à demander des comptes au Gouvernement sur la mise en application de ce texte, où les réformes inabouties n'ont, en principe, pas leur place.

Comme l'an dernier, il apparaît que Gouvernement a du mal à gérer le temps, en particulier le temps parlementaire, ressource particulièrement précieuse en période de crise sanitaire.

Je pense en particulier à la loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, que nous avons examinée en première lecture en février 2017 dans des circonstances qu'il n'est pas nécessaire de rappeler, puis en deuxième lecture en juin 2020, soit trois ans après. Le Sénat a alors été sommé d'adopter ce texte conforme, pour permettre une application anticipée en 2021. Le décret d'application a bien été pris pour une application anticipée... en novembre 2021!

De même, la loi visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, issue des travaux de nos collègues Alain Milon et Philippe Mouiller, dont les textes d'application étaient attendus pour décembre 2020, a finalement été rendue applicable par un décret du 25 avril 2022, plus de deux ans après sa promulgation...

Deux ans, c'est aussi le temps qu'il aura fallu pour que soient prises les sept ordonnances résiduelles issues des habilitations, plusieurs fois reportées, de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, alors que leur degré de technicité ne justifiait pas toujours un tel délai. Sans compter que les mesures règlementaires nécessaires à l'application de ces ordonnances sont, pour la plupart, encore à prendre.

En ce qui concerne les études de santé, les textes ont pour l'essentiel été publiés, à l'exception notable du décret relatif au déroulement d'une partie de la dernière année de médecine en zone sous-dense. Sur ce point, le Gouvernement a successivement affirmé, par la voix du ministre de la santé, que ce décret n'était pas nécessaire, puis, par celle d'Adrien Taquet, qu'il serait publié au printemps 2022... Résultat : cette disposition, issue d'une initiative transpartisane au Sénat et sur laquelle la commission mixte paritaire s'est accordée, n'est toujours pas applicable.

De manière plus anecdotique, le Gouvernement, après nous avoir fait adopter dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale le principe d'une campagne d'information sur les compétences des sages-femmes, qu'il pouvait très bien organiser sans cette disposition, a mis de longs mois pour autoriser par décret ces professionnelles à vacciner les enfants.

En matière de données de santé, la plupart des textes ont été pris. Je souligne que la Commission européenne vient de prendre sur ce sujet une initiative qui pourrait changer la donne.

S'agissant de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, l'ensemble des mesures d'urgence qu'elle comporte, ainsi que ses mesures les plus emblématiques, sont entrées en vigueur avec leurs modalités d'application.

Mais tel n'est pas le cas de mesures à caractère plus technique ou présentant, certes, un degré d'urgence moindre, à l'exemple de certaines dispositions relatives à la lutte contre la fraude sociale. Cette situation est difficilement acceptable, compte tenu des engagements pris par le Gouvernement lors de l'examen des articles concernés et de la sensibilité du sujet. Je ne doute pas que notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, à l'origine de ces dispositions, restera attentif à leur application.

En dépit de la longueur de la navette, les textes nécessaires à l'application de la loi tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote n'ont pas été publiés, faute de notification à la Commission européenne - aux dires du ministre, celle-ci est intervenue en février dernier.

Quant à la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, elle est globalement mal appliquée - à 41 % -, alors que de nombreuses dispositions sont d'application directe et que certaines sont très attendues par l'hôpital. Je ne rappellerai que la suspension, en l'absence de toute intervention du législateur, des dispositions relatives à l'intérim médical : si l'on peut souscrire à cette décision sur le fond, la méthode est regrettable et aurait pu être régularisée entre temps.

Pour conclure ce bilan sur une note positive, soulignons que la loi relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée », dont notre collègue Frédérique Puissat a été rapporteure, présente un taux d'application de 95 %. Ce résultat s'explique probablement par la place de l'insertion par l'activité économique au coeur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, ainsi que dans le plan France Relance.

J'ajoute que l'application de la loi pour renforcer la prévention en santé au travail est plutôt bien engagée : de 38 % à la fin de mars, le taux d'application a progressé à 51 % à la fin d'avril, suivant ainsi une dynamique tout à fait positive pour un texte récent.

Enfin, si l'examen de la loi relative à la bioéthique a été confié à une commission spéciale, son application nous intéresse fortement. À la demande de notre collègue Laurence Cohen, notre commission procédera d'ailleurs à plusieurs auditions sur les plans greffes, au début de juin.

Si les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation sont applicables, un bilan de leur mise en oeuvre concrète serait intéressant, au regard tant de la crise sanitaire que du stock de gamètes.

Les dispositions relatives à l'accès aux origines, qui doivent entrer en vigueur en septembre prochain, n'ont pas encore fait l'objet de mesures d'application, ce qui fait peser une incertitude sur leur date effective d'entrée en vigueur.

De même, faute de décret, les dispositions relatives aux examens génétiques sur personnes décédées - une question qui intéresse particulièrement notre collègue Alain Milon - ne sont pas encore applicables.

Enfin, le Gouvernement a demandé au Sénat d'adopter en urgence un amendement destiné à répondre au scandale du traitement des corps à Paris-Descartes, mais il a publié le décret nécessaire voilà quelques jours seulement.

Au total, ce texte n'était applicable qu'à 42 % à la fin du mois de mars. D'autre part, aucun des six rapports demandés n'a été remis.

De manière générale, s'agissant des demandes de rapport pour les textes relevant de notre commission, la situation est tout à fait comparable aux années précédentes.

Un rapport sur les dix-sept demandés a été remis, relatif à l'attribution de l'aide versée aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour le financement de la prime exceptionnelle pour les personnels des services d'aide et d'accompagnement à domicile.

Je n'adresserai pas de reproche au Gouvernement s'agissant de demandes que, par principe, notre commission n'a pas approuvées. Ce constat me paraît conforter notre position à l'égard des rapports. Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine s'il répond à un besoin politique impérieux et si elle dispose de la volonté, du temps et des ressources pour le réaliser elle-même.

Au-delà de ce bilan, il convient de suivre la manière dont les réformes sont mises en oeuvre sur le terrain. Tel est le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.

En particulier, nous avons chargé nos collègues Frédérique Puissat, Corinne Féret et Martin Lévrier d'une mission d'information sur l'opérateur France Compétences. Conformément aux orientations fixées par le groupe de travail dont notre collègue Pascale Gruny était rapporteur, cette mission réalisera un bilan exhaustif de l'application de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

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