Intervention de Jean-Luc Gleyze

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 mai 2022 à 16h20
Bilan annuel de l'application des lois — Communication

Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de la Gironde :

Je répondrai à vos questions en m'efforçant de les mettre en perspective.

Les constats sont les suivants : les outils de contrôle sont insuffisants et nous n'avons pas de vision sur la section hébergement des établissements privés à but lucratif.

Les réponses actionnables sont trop binaires. En effet, il n'est pas possible de fermer les Ehpad ni de placer sous administration provisoire les établissements privés à but lucratif.

Je souhaite également insister sur la déconnexion entre les outils conventionnels, notamment les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, les CPOM, que l'on pourrait appeler les CPO, car il s'agit plutôt de contrats pluriannuels d'objectifs et non pas de moyens, et les financements, ce qui prive les autorités de tutelle d'une capacité de négociation, mais aussi de coercition, en cas de non-respect des termes de la convention.

Si les CPOM ont la vertu de créer un lieu d'échange tripartite, ils n'ont pas permis de mettre en place des outils de pilotage de la qualité au regard des financements.

Les dotations financières sont uniquement assises, vous l'avez dit, sur le niveau moyen de dépendance, qui est un élément évidemment important, mais empêche de tenir compte du statut du gestionnaire, du contexte territorial urbain ou rural et de la politique qui peut être menée dans l'établissement, notamment en matière d'innovation. Aujourd'hui, les innovations intéressantes sont uniquement appréhendées sous l'angle des appels à manifestation d'intérêt.

Depuis la loi ASV, la loi d'adaptation de la société au vieillissement, la disparition de la notion de ratios d'encadrement constitue un fait majeur. Pourtant, ce devrait être une condition essentielle de la prise en charge qualitative, qui est liée à la question des moyens.

Il manque aussi une politique d'évaluation de la qualité. Celle-ci repose aujourd'hui sur des outils perfectibles. Des évaluations externes relèvent d'un nouveau référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), mais l'obligation faite aux établissements de mener les enquêtes de satisfaction en interne les laisse tout de même relativement libres des modalités de mise en oeuvre, ce qui peut créer un doute sur la neutralité du recueil de la parole des usagers.

Les outils de détection des maltraitances sont trop éclatés, avec trois canaux : l'ARS, le département et le 3977. Ainsi les saisines sont-elles assez rares, même si elles sont aujourd'hui en augmentation. Nous observons une grande difficulté à recouper les informations pour analyser correctement les signaux faibles.

Pour ce qui concerne la gouvernance et les contrôles, les vécus sont différents selon les départements. Or ces derniers devraient enrichir l'animation de la politique publique, notamment en s'appuyant sur leur connaissance des territoires et des parcours des personnes.

En se fondant sur ces constats, pourquoi ne pas imaginer un traitement différencié des Ehpad, selon le type de gestionnaire et le contexte dans lequel ils s'inscrivent ? Dans une telle perspective, il faudrait rendre possible une modulation des financements fondamentaux, au-delà de la seule question du niveau de dépendance moyen, pour créer des incitations à l'innovation, au partenariat avec les acteurs locaux, à l'Ehpad hors les murs, à la porosité entre l'Ehpad et le monde extérieur et à la mise en place de politiques de prévention, par exemple un système de bonus-malus. Surtout, il faudrait que les CPOM deviennent de véritables cadres de négociation, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

J'en viens au GIR. Certes, on peut toujours définir un certain nombre d'indicateurs constituant un cadre d'évaluation. Je pense notamment au rapport soignants-résidents, à la présence d'infirmiers de nuit et d'un médecin coordinateur. En revanche, ces indicateurs ne font pas référence à la place donnée aux aînés, au projet d'établissement, aux relations avec la famille et l'environnement immédiat, ni aux ressources en santé du territoire, autrement dit aux leviers susceptibles de garantir une prise en charge plus qualitative.

Pilotage des ressources ne signifie pas qualité et respect du projet d'accompagnement. Il faut un pilotage de l'humain par l'humain. Permettez-moi de vous donner un exemple extrêmement concret. La grille GIR, c'est le constat de l'accompagnement à la perte d'autonomie, donc de la dépendance. On pourrait inverser cette grille et l'énoncer en termes de garantie, le plus longtemps possible, du maintien de l'autonomie.

La méthode dite SMAF, ou système de mesure de l'autonomie fonctionnelle, a été mise en oeuvre au Canada et en Dordogne. C'est un instrument d'évaluation de l'autonomie, qui prévoit 29 fonctions recouvrant les activités quotidiennes. Il permet d'estimer le temps de soins requis par un groupe d'individus hébergés.

J'ai eu l'occasion d'aller en Dordogne pour m'instruire sur le sujet. La grille est utilisable par l'ensemble des personnes présentes dans l'Ehpad, y compris par l'agent d'entretien, qui peut en faire un outil d'approche, d'évaluation et de compréhension de l'évolution de l'état de la personne âgée. C'est un outil précieux pour un gestionnaire parce qu'il permet d'adapter les besoins en personnels, en fonction des besoins réels et évolutifs des résidents. Il permet de créer 14 profils iso-SMAF, pour harmoniser les pratiques sur des groupes identifiés. L'un des avantages se situe au niveau du financement des structures, la méthode permettant de concilier efficacement les besoins des acteurs du système et d'allouer judicieusement les ressources humaines. Elle redonne du sens, en permettant de travailler sur l'autonomie et non plus sur la dépendance.

Pour ce qui concerne les outils de contrôle, il faut rendre possible, dans la mesure où la fermeture d'établissement constitue une vraie difficulté, l'équivalent de l'administration provisoire dans le secteur lucratif, en installant une autorité de contrôle nationale, qui soit capable de contrôler les sièges des établissements et de consolider les informations financières. Il convient ainsi de faciliter le recours au contrôle des établissements par les chambres régionales des comptes. Nous devons rester fidèles au principe de confiance aux partenaires, consubstantiel à la loi ASV, tout en musclant les leviers financiers et coercitifs.

Je propose aussi de mettre en place des modalités d'évaluation de la qualité reposant sur le recueil de la parole des usagers, en favorisant la liberté de parole, éventuellement par le biais d'un organe national indépendant. La parole doit être recueillie après la prise en charge de la personne. En effet, les familles ont parfois des difficultés à exprimer la réalité de ce qu'elles constatent, parce qu'elles ne veulent pas se trouver en difficulté et devoir placer ailleurs leur aîné.

Nous devons également mettre en place un outil de recueil intégré des informations de maltraitance et de négligence. Nous avons, en Gironde, un outil qui s'appelle la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), pour la protection de l'enfance.

S'agissant de nos relations avec les ARS, nous pouvons sans doute imaginer certaines évolutions. Ainsi, il convient de créer un comité de coordination des acteurs oeuvrant au recueil des signalements. Nous devons consolider une porte d'entrée unique en la matière, en nous appuyant sur une plateforme numérique de signalement gérée par l'ensemble des acteurs. À cet égard, nous faisons appel à l'aide de l'État, pour expérimenter une telle plateforme.

Nous imaginons aussi une commission conjointe des plaintes et des signalements. Nous sommes d'accord avec l'ARS pour faire évoluer le champ stratégique, en privilégiant les situations les plus graves et sensibles, pour construire un plan de contrôle.

Peut-être cette commission répond-elle à la question de la gouvernance. Plus qu'une gouvernance unique, c'est la manière dont nous pratiquons la collaboration et le partenariat entre l'ARS et le département qui nous permet de garantir, de façon intégrée, la gouvernance la plus efficiente possible, notamment pour ce qui concerne les contrôles. L'appui de l'État central serait le bienvenu dans ce cadre.

Nous avons amorcé avec l'ARS un plan de contrôle partagé, afin de recueillir les signaux faibles et plus forts et d'intervenir plus rapidement, notamment en mettant en place une administration provisoire, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas possible.

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