Intervention de Claude Raynal

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2022 à 9h30
Bilan annuel de l'application des lois – communication de m. claude raynal président

Photo de Claude RaynalClaude Raynal :

président. – Il me revient de faire le bilan annuel de l’application des lois, pour les lois promulguées lors de la session 2020-2021 et renvoyées au fond à notre commission.

Pour cette période, plus de deux tiers des mesures renvoyant à un texte réglementaire sont concentrés sur la seule loi de finances initiale pour 2021 et moins d’un tiers relèvent de trois autres lois : la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite « Ddadue », la loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement et la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021. Les trois autres lois de la session examinées par notre commission étaient d’application directe.

D’un point de vue statistique, le taux de mise en application est en légère hausse : hors les mesures différées, il s’établit à 86,5 %, contre 83 % pour la session précédente. Il se situe dans la moyenne haute des taux constatés les années précédentes, mais reste inférieur au taux d’application de 93 % qui avait été atteint pour la session 2018-2019.

Comme l’an passé, le taux de mise en application par arrêté est plus faible que celui par décret. On peut regretter, par ailleurs, l’augmentation des délais moyens de publication des mesures réglementaires. Ainsi, près de 55 % des mesures ont été publiées avant le délai de six mois prescrit par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, contre près de 60 % l’an dernier.

S’agissant du détail des mesures réglementaires attendues, la plupart des mesures inscrites dans la loi de finances initiale pour 2021 ont été prises. C’est le cas, notamment, du décret d’application des articles 118 et 145, qui aménagent le crédit d’impôt pour dépenses de production déléguées d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. La parution tardive du décret, le 28 décembre 2021, peut néanmoins susciter une réserve, s’agissant d’un dispositif censé accompagner la relance de la production dans un contexte de sortie de la crise sanitaire.

Les textes réglementaires ont également été pris pour l’application de l’article 160, qui harmonise les procédures de recouvrement forcé des créances publiques, et, dès le 2 avril 2021, pour l’application de l’article 198, qui instaure un nouveau dispositif de garantie de l’État pour les projets immobiliers des établissements français d’enseignement à l’étranger. La garantie de l’État a ainsi été octroyée pour la première fois sous ce format le 18 juin 2021.

L’article 223, qui adaptait le dispositif fiscal des zones de restructuration de la défense, renvoyait à un arrêté de zonage qui a été pris le 20 août 2021. L’article prévoyait également une prorogation de deux ans de nombreux dispositifs zonés de soutien. Une mission relative aux zones de revitalisation rurale (ZRR) a depuis été confiée par le Premier ministre à nos collègues Bernard Delcros et Frédérique Espagnac, ainsi qu’aux députés Anne Blanc et Jean-Noël Barrot. Leurs conclusions ont été rendues en mars 2022 et une réforme des dispositifs de zonage est attendue dans les prochains mois.

L’article 225 sur la révision des tarifs d’achat des contrats photovoltaïques signés entre 2006 et 2011, enfin, a fait l’objet de mesures d’application le 26 octobre 2021. Une mission de contrôle, conduite par notre collègue Christine Lavarde à la suite des vives inquiétudes de la filière, a donné lieu à la publication d’un rapport d’information. Notre commission continuera de suivre cette question.

Parmi les articles de la loi de finances initiale pour 2021 dont les mesures d’application n’ont pas encore été prises au 31 mars 2022, citons, à titre d’exemple, l’article 41, issu d’une initiative de notre collègue Didier Rambaud, qui permet aux fondations reconnues d’utilité publique de bénéficier de la possibilité, déjà ouverte à l’État et à ses établissements publics, de faire don de biens meubles de faible valeur. Le décret n’a pas encore été pris, mais serait néanmoins en cours de signature.

Citons également l’article 62 relatif au tarif réduit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) applicable aux déchets, pour les résidus à haut pouvoir calorifique issus d’une opération de tri performante et livrés à une installation à fort rendement énergétique. L’administration indique qu’elle travaille encore avec les acteurs économiques pour paramétrer les conditions d’application du tarif réduit et définir des modalités applicables sur le terrain par les exploitants d’incinérateurs.

Sur l’application de l’article 127, adopté sur l’initiative de notre collègue Gérard Longuet et qui prévoit la définition par décret en Conseil d’État des conditions fiscales du dédommagement des collectivités territoriales concernées par le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires, nous avons interrogé le Secrétariat général du Gouvernement.

En ce qui concerne l’article 155, qui organise le transfert de la collecte de la taxe d’aménagement à la direction générale des finances publiques (DGFiP), modifie ses modalités de déclaration et sa date d’exigibilité et abroge le versement pour sous-densité, un premier décret est paru le 4 novembre 2021, mais un autre, relatif au transfert du recouvrement à la DGFiP, est en attente. Ce délai peut s’expliquer, d’une part, par la date limite prévue au 1er janvier 2023, d’autre part, par le fait que les dispositions du décret devront tenir compte des modifications apportées par une ordonnance, dont le délai de publication n’est pas encore échu. Le Sénat avait proposé de supprimer cette habilitation.

En application de l’article 231 qui autorise les collectivités territoriales, leurs établissements publics ainsi que les établissements publics sociaux et médico-sociaux à obtenir communication des éléments d’identification de leurs débiteurs afin d’améliorer le recouvrement de leurs créances, un décret devait préciser notamment, à la suite d’un amendement de nos collègues Claude Nougein et Albéric de Montgolfier, les modalités de désignation et d’habilitation des agents. Il n’a pas encore été pris, car l’interface de programmation applicative par laquelle les données devraient être transmises n’est pas encore opérationnelle.

Enfin, l’article 268 vise à reconnaître aux auditeurs des fraudes de Pôle emploi un droit de communication analogue à celui dont bénéficient les organismes de sécurité sociale. Le décret n’a pas été pris, mais un projet a été transmis pour avis à la commission consultative compétente.

D’autres dispositions réglementaires ont été différées pour l’une des trois raisons suivantes : leur mise en œuvre est conditionnée par une décision préalable de la Commission européenne ; la loi prévoit un délai de prise supérieur à six mois ou une entrée en vigueur après le 31 mars 2022 ; bien qu’entrant dans le délai de droit commun de six mois, ces dispositions ont vu leur base législative modifiée avant leur adoption. Le nombre de mesures ainsi différées est en constante augmentation ces trois dernières années.

Les mesures d’application de la loi de finances initiale pour 2021 qui n’ont pas encore été prises pour ces raisons concernent en premier lieu l’article 108, qui prévoit que les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt à raison des investissements productifs neufs qu’elles réalisent dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises. La Commission européenne a approuvé le dispositif le 9 mars 2022 et la consultation des collectivités est en cours. Le décret d’application devrait être publié à la fin du premier semestre 2022.

L’article 162, qui dispose que, dans le cadre du régime de « groupe TVA », l’assujetti unique communique, pour chacun de ses membres, leur déclaration TVA ainsi que des informations sur les opérations réalisées à destination des autres membres, est également concerné. Cet article est entré en vigueur au 1er janvier 2022 afin de permettre aux opérateurs d’opter avant le 31 octobre de cette année. Selon les informations transmises par la direction de la législation fiscale, l’arrêté est en préparation. Les premiers assujettis uniques ne commenceront en effet à déclarer leurs opérations qu’à compter du 1er janvier 2023.

Enfin, la direction générale des entreprises a indiqué que les textes réglementaires à prendre en application de l’article 179, qui instaure de nouvelles conditions pour permettre aux exploitants de centres de stockage de données numériques de bénéficier d’un tarif réduit de contribution au service public de l’électricité (CSPE) pour l’électricité consommée seront publiés en 2022.

S’agissant des autres lois de la session, la loi de finances rectificative de juillet 2021 prévoyait 11 dispositions d’application. Seuls un décret et un arrêté restent en attente d’adoption.

Concernant la loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, toutes les mesures réglementaires ont été prises. Il s’agissait notamment d’encadrer les pratiques de démarchage téléphonique du secteur assurantiel définies par le décret du 17 janvier 2022. Conformément à l’intention du législateur, le décret d’application prévoit que l’enregistrement et la conservation des communications téléphoniques sont effectués dans des conditions garantissant leur intégrité, leur sécurité et leur caractère exploitable. Le décret précise notamment les cas dans lesquels les enregistrements sont détruits ainsi que la durée de conservation des pièces justificatives. Par ailleurs, cette loi visait à créer des associations professionnelles avec une adhésion obligatoire. Un décret du 1er décembre 2021 en a défini les modalités d’application.

La loi du 3 décembre 2020 dite « Ddadue », comptait un nombre particulièrement important d’habilitations à légiférer par ordonnance – 19 sur un total de 21 pour la session. L’intégralité de ces habilitations a été consommée par le Gouvernement.

Le « stock » de mesures non appliquées augmente fortement. Si des mesures attendues ont été publiées ou sont devenues sans objet, davantage de mesures non appliquées viennent, dans le même temps, le renouveler.

L’an passé, certaines dispositions de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 restaient en attente de mise en application. Les mesures réglementaires relatives au soutien en faveur de la presse et de l’audiovisuel ont finalement été prises le 15 juin 2021, soit près de dix mois et demi après l’adoption d’une mesure censée répondre à une situation d’urgence. De même, un arrêté a finalement été pris le 2 novembre 2021 pour ce qui concerne l’engagement climatique des grandes entreprises à capitaux publics en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Comme vous le savez, la suppression du tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) du gazole non routier (GNR) a été repoussée au 1er janvier 2023 par la loi de finances rectificative du 19 juillet 2021. En mars dernier, en raison de la flambée des prix de l’énergie, le ministère de l’économie, des finances et de la relance a annoncé que cette échéance devrait de nouveau être repoussée.

En ce qui concerne la loi de finances initiale pour 2020, l’article 147, qui portait l’essentiel des mesures de transposition du paquet TVA sur le commerce électronique, a été transposé par un décret et un arrêté du 31 mai 2021. Cependant, les dispositions de l’article 78 de cette même loi, qui met en place un dispositif transitoire de ventes hors taxes au bénéfice des croisiéristes, n’ont toujours pas trouvé d’application, alors que ce régime transitoire sera automatiquement abrogé le 1er janvier 2024. La question de la prolongation de l’expérimentation – qui n’a pas pu démarrer – est donc posée.

Enfin, rappelons que l’article 146 prévoit la mise en œuvre d’une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation à horizon 2026. L’article prévoit une première obligation déclarative pour les propriétaires à compter du 1er juillet 2023. Les premières mesures d’application devraient donc être prises courant 2022.

Pour ce qui concerne la loi de finances initiale pour 2019, quatre mesures restent à prendre, dont l’une concerne la création d’un « chèque conversion » prévu par l’article 183. Dans l’attente de sa mise en œuvre, un dispositif d’aide simplifié, entièrement géré par les gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel, a été mis en place entre 2018 et 2020. Dans la mesure où ce dispositif simplifié se révèle efficace, le « chèque conversion » pourrait ne jamais voir le jour. Il y a lieu, dès lors, de s’interroger sur l’opportunité d’abroger ces dispositions.

Je ne reviendrai pas sur les lois antérieures, hormis sur la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, pour rappeler que deux articles demeurent en attente d’application. Ils visent à autoriser, pour les besoins de la recherche ou de la constatation de certaines infractions, certains agents des douanes et de la direction générale des finances publiques (DGFiP) habilités à cet effet, à se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques. Notre mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales devrait permettre de faire le point sur ces questions, ainsi que, de manière plus globale, sur la réalité de la mise en œuvre de la loi.

Pour rappel, certaines dispositions parfois aussi lointaines que celles figurant dans la loi de finances pour 2012 restent inappliquées, malgré des rappels annuels de notre commission dont le Gouvernement ne tient absolument pas compte ! Lorsque des mesures restent trop longtemps sans suite, il y aurait lieu pour nous, parlementaires, de déposer des amendements visant à les abroger, afin de clarifier la loi ou, au moins, de susciter un débat de fond sur les mesures en cause.

Sur la session 2020-2021, deux lois ont habilité le Gouvernement à prendre des mesures par voie d’ordonnance. Au cours de cette session, 21 ordonnances ont été publiées. Parmi les 31 ordonnances faisant l’objet d’un suivi, une seule a cependant été ratifiée.

Lors du débat en séance publique du 1er février dernier sur le suivi des ordonnances, notre commission avait évoqué l’unification du recouvrement des taxes et impositions par la DGFiP et la refonte des impositions et amendes. Le Sénat s’était en effet opposé à une habilitation à légiférer par ordonnance, au champ considéré comme très large et aux objectifs peu clairs. J’observe que plusieurs prolongations de l’habilitation ont été nécessaires et que l’ordonnance n’a été publiée qu’en décembre dernier. Par ailleurs, la codification ne s’est pas faite à droit constant. Il est à noter que la loi de finances pour 2022 contient une nouvelle habilitation, pour un délai rallongé de 24 mois, qui permettra de prendre des mesures complémentaires. Un bilan de cette réforme devra nécessairement être présenté au Parlement, qui ne doit pas en être totalement dessaisi.

Par ailleurs, je rappelle qu’il a été proposé, pour réformer le régime de responsabilité pécuniaire des comptables publics et les juridictions financières, de recourir à une ordonnance dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Or, cette réforme d’ampleur, qui doit trouver son application au 1er janvier 2023, aurait mérité que les parlementaires y soient pleinement associés.

Un projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 a été déposé le 28 avril dernier, mais il reste à l’inscrire à l’ordre du jour.

Enfin, en ce qui concerne les demandes de rapports, le taux de remise, en baisse constante depuis la session 2017-2018, est particulièrement faible cette année. Il s’établit à 33 %, contre 37 % pour la session précédente, alors même que le nombre de dispositions prévoyant la remise d’un rapport a fortement diminué. Il convient de noter que la majorité des demandes de rapport sont issues d’amendements de l’Assemblée nationale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion