Intervention de Claude Raynal

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2022 à 9h30
Déplacement d'une délégation du bureau aux états-unis — Communication

Photo de Claude RaynalClaude Raynal :

président. – Passons maintenant aux indicateurs macro-économiques, à la situation des marchés financiers aux États-Unis et aux risques d’instabilité.

La croissance aux États-Unis s’est établie à 5,7 % en 2021, après une récession de moins 3,2 % en 2020, donc bien plus faible qu’en Europe. Aujourd’hui, le chômage s’élève à 3,5 % de la population active et, même si la mesure n’est pas comparable à la France, il se situe en dessous de son point d’équilibre, autour de 4 %.

Malgré ce tableau positif, des fragilités importantes apparaissent. L’inflation est très élevée ; lorsque nous étions sur place, elle atteignait 7,9 %, mais les derniers chiffres pour mars indiquent 8,5 %. Elle ne trouve pas son origine principalement dans les prix de l’énergie, mais concerne l’ensemble des biens de consommation, l’alimentation, et particulièrement l’immobilier. La banque centrale américaine, la Fed, a donc décidé de relever ses taux directeurs par augmentations successives : sept augmentations sont prévues sur l’année. De nombreux interlocuteurs pensent qu’elle a tardé à réagir et il y a donc un consensus autour d’une remontée progressive des taux. Sur le point de savoir si l’inflation est liée directement ou non aux plans de soutien, à des politiques publiques surcalibrées, nous avons entendu des appréciations variées, certains économistes estimant que d’autres éléments difficiles à modéliser entraient en jeu, comme les effets de rareté à travers les chaînes de valeur. Par ailleurs, les difficultés liées à la résurgence du Covid en Chine et les conséquences de la guerre en Ukraine pourraient accentuer une situation inflationniste déjà délicate. Quoiqu’il en soit, une politique restrictive de la Fed est certaine - elle a d’ailleurs commencé à relevé ses taux directeurs - et ne sera pas sans conséquence sur le taux de croissance du pays, même si l’ampleur du ralentissement est encore difficile à évaluer. Concernant l’impact de ces évolutions sur l’endettement public et la soutenabilité de celui-ci, les taux d’intérêt de la dette restent très faibles et nous n’avons pas ressenti d’inquiétude particulière de nos interlocuteurs à ce sujet.

Sur les marchés financiers, nous avons interrogé des économistes et le FMI sur les risques d’instabilité financière liés aux suites de la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, mais les réponses ont été plutôt rassurantes à ce stade, le système bancaire apparaissant beaucoup mieux capitalisé que lors de la précédente crise financière, notamment grâce aux accords de Bâle III, qui ont apporté des coussins de sécurité supplémentaires. Les cours de bourse ne se sont pas effondrés, même si certains secteurs, notamment ceux des nouvelles technologies, ont connu de fortes réductions de leurs actifs. Mais cela va très vite : moins 25 % pour le Nasdaq depuis le début d’année – on peut parler à ce niveau d’une bulle qui explose. Il reste des facteurs importants de volatilité des marchés et, bien évidemment, on se gardera de prédire l’avenir.

Nous avons rencontré le vice-président du NYSE, des opérateurs dans le capital-investissement et la gestion d’actifs, qui sont tous apparus relativement optimistes, notamment sur le positionnement de la place financière des États-Unis au regard des autres places financières mondiales. Pour eux, New York reste le plus grand marché de liquidités au monde, nombre d’investisseurs institutionnels comme les fonds de pension préférant investir aux États-Unis à cause de la profondeur du marché. Les introductions en bourse sont en revanche en forte baisse : moins 37 % au premier trimestre 2022, en raison des incertitudes politiques et économiques, qui incitent des entreprises à différer leurs projets. Dans le même temps, le capital-investissement se porte bien, car les investisseurs sont à la recherche de rendement. Nous avons rencontré Ardian, entreprise française qui dispose de bureaux aux États-Unis et gère 140 milliards de dollars d’actifs, dont 25 % américains, et qui nous a fait part du dynamisme de ce secteur.

Nous avons aussi interrogé nos interlocuteurs sur les conséquences de la crise actuelle et de la montée en puissance de la Chine sur l’architecture monétaire internationale. En effet, la Chine développe un projet d’e-yuan – un yuan électronique – et la crise ukrainienne et le gel des réserves de la banque centrale russe conduisent à s’interroger sur des stratégies de contournement du dollar de certains acteurs internationaux. Quelques jours avant notre déplacement, le président Biden a signé un décret demandant aux agences fédérales de réfléchir à la création d’une monnaie numérique de banque centrale. Pour le moment, la crise ukrainienne montre surtout que tous les pays qui ont une monnaie de réserve convertible – dollar, mais aussi euro et yen – ont sanctionné la banque centrale russe : le contournement du dollar n’est donc pas forcément la réponse à des sanctions internationales. Des économistes pensent aussi que la Chine voulant continuer à contrôler son système financier, elle n’est pas encore prête à ce que le yuan devienne convertible, ce qui limite les perspectives de changement ; mais ce sujet reste un point de vigilance.

Nous nous sommes aussi intéressés au développement des cryptoactifs et à leur régulation aux États-Unis. Celle-ci est curieusement partagée entre la Securities and Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). Les échanges que nous avons eus avec ces deux organismes ont surtout montré un problème de délimitation de leurs compétences et l’absence de cadre général de régulation. Même si le président de la SEC, M. Gary Gensler, a comparé l’environnement des cryptoactifs au Far West, la plupart de nos interlocuteurs américains ont tenu un discours relativement positif sur les cryptoactifs – qui ont pourtant subi une chute proche de 50 % sur les six derniers mois – qu’ils considèrent d’abord sous l’angle de l’innovation, arguant même de la sécurité offerte par la technologie blockchain face aux risques de blanchiment d’argent. Nous avons écouté sans commenter…

Le développement des cryptoactifs bénéficie en effet d’un important soutien politique, certains États américains, notamment le Texas, s’étant particulièrement investis dans le minage de bitcoins, et notamment depuis les interdictions en Chine en 2021. Les régulateurs considèrent quant à eux qu’il faudrait un cadre réglementaire pour les échanges en cryptomonnaies, mais ils insistent moins sur les dangers qu’ils représentent que sur la notion « d’innovation responsable » et de protection des investisseurs : l’idée est de traiter les cryptoactifs de la même manière que les autres titres pour permettre leur développement que beaucoup considèrent comme inéluctable.

D’autres risques existent sur les marchés, notamment les SPAC (Special Purpose Acquisition Companies) – sociétés sous forme de coquille vide, dont le but est d’entrer en bourse afin d’acheter une autre société et de fusionner avec elle. Elles constituent un problème récurrent pour l’économie américaine, et sont vues comme un moyen de fraude et de manipulation. D’après nos interlocuteurs, ce sujet est surveillé de près et leur utilisation tend à baisser.

La cybersécurité est enfin un enjeu, avec des impacts potentiels considérables sur l’économie en cas de défaillance. La SEC fait appel à des lanceurs d’alerte qu’elle rémunère : quelques jours avant notre arrivée, la SEC annonçait en avoir indemnisé un à hauteur de 14 millions d’euros.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion