Les images pornographiques auxquelles les jeunes sont exposés aujourd'hui sont d'une telle violence que c'est une forme d'agression. En outre, les jeunes s'imaginent qu'elles représentent la réalité des rapports sexuels et essayent de reproduire les mêmes choses, avec des rapports de domination, en général des garçons sur les filles.
Comment mener des actions de prévention et développer une éducation réelle à la sexualité, au-delà de l'école, dont l'action est aujourd'hui insuffisante et inadaptée ? Comment remettre les choses en ordre pour qu'il y ait un vrai travail d'éducation et, en particulier, comment développer l'esprit critique des jeunes dans un siècle où les images nous assaillissent de toutes parts ?
S'agissant des grandes multinationales, on arrive parfaitement à sécuriser les opérations bancaires et on a les moyens de verrouiller les cartes de paiement. Quel dispositif de sécurité, selon vous, permettrait de protéger les mineurs ?
Ovidie. - Le luxe de la prévention, c'est bien évidemment le temps.
Lors de mes interventions dans des établissements du département de la Charente - qui n'étaient ni des établissements d'élite ni des établissements populaires, j'ai constaté l'hyper lucidité des adolescents. Pour faire avancer les choses, l'important est d'amener les jeunes à produire leur propre discours et à exprimer leurs propres réactions. Mais, pour cela, il faut du temps.
Lorsqu'une intervention est programmée dans un établissement, c'est en général une « intervention pompiers », c'est-à-dire qu'un problème a déjà eu lieu : une vidéo de revenge porn qui circule, une agression sexuelle... L'établissement fait alors appel au Planning familial ou au Centre d'information des droits des femmes. Ce n'est pas dans un tel contexte, qui n'est pas un contexte apaisé, que l'on peut amener les jeunes à réfléchir à la façon dont ils peuvent décrypter les images.
Les jeunes ne sont pas sensibles aux discours de prévention classiques, assez culpabilisants. En outre, c'est compliqué de leur dire « le porno, ce n'est pas du vrai sexe ». À 13-15 ans, ils ne savent pas ce que c'est du « vrai sexe », y compris s'ils ont déjà eu des expériences. Et si, c'est du « vrai sexe » ce qu'ils voient à l'écran. C'est d'autant plus du « vrai sexe » que les pratiques du porno sont devenues des normes, y compris pour des adultes, qui reproduisent eux-mêmes ce qu'ils ont vu à l'écran.
Pour travailler avec les jeunes, il faut du temps et des établissements qui nous fassent confiance. Une principale de collège m'expliquait qu'entre la sécurité routière et les ateliers de recyclage, il devenait déjà compliqué de s'organiser. On en demande beaucoup à l'école.
Un autre sujet est celui de la peur, pas toujours justifiée, de la réaction des parents. Il reste un traumatisme des ABCD de l'égalité et beaucoup de chefs d'établissements craignent une levée de boucliers. Or les parents sont plutôt demandeurs. D'une part, ils se sentent dépassés face aux nouveaux outils numériques et, d'autre part, ils sont ravis de déléguer ce qui touche à l'intime et demeure un tabou familial.
Il faut donc mettre en place toutes les séances d'éducation à la sexualité qui sont obligatoires mais ne sont souvent pas organisées. Et des interventions de deux heures, c'est très court. Il faudrait beaucoup plus de temps. J'ai eu la chance dans un lycée de suivre un groupe tous les mercredis après-midi, pour des ateliers d'écriture scénaristique. Là, on voit des résultats.
Ce qui revient souvent c'est que les jeunes souhaitent un espace de parole, ils ne veulent pas écouter mais s'exprimer dans un cadre sécurisant.
S'agissant des plateformes, je peux vous rapporter des actions qui ont visé les moyens de paiement il y a quelques mois. En décembre 2020, le New York Times a publié un article intitulé Children of Pornhub au sujet de la cinquantaine de plaintes contre Pornhub émises par des jeunes femmes, la plupart mineures au moment des faits, qui se sont retrouvées contre leur gré sur des sites pornographiques. Ces plaintes sont en cours aux États-Unis. À cette occasion, la piètre qualité de la modération sur ces sites a été mise au grand jour, et le scandale a conduit les sociétés Visa et MasterCard à bloquer toutes les transactions avec la multinationale canadienne Mindgeek qui détient notamment Pornhub et Youporn. En tout état de cause, taper là où ça blesse, c'est-à-dire au porte-monnaie, me semble une stratégie intéressante. En effet, les grandes plateformes pornographiques, qui proposent des contenus majoritairement gratuits, et souvent piratés, peuvent renvoyer vers des contenus payants, notamment des espaces de « live cam » ou des sites de performeurs qui mettent en ligne des vidéos payantes qui impliquent d'utiliser une carte bleue.
Pour autant, le modèle économique principal des plateformes consiste à générer des millions de clics et à vendre de l'espace publicitaire. Sur ces sites, les vidéos sont dans des cases et sur le côté il y a des publicités pour des sites de « live cam » ou des produits aphrodisiaques.
Lorsque l'on regarde les montages des multinationales, qui ont de nombreuses annexes à Chypre, au Panama, en Irlande ou au Luxembourg, on comprend qu'il y a une circulation de l'argent qui est trouble et fait aussi partie de leur modèle économique.
Je suis convaincue que les solutions passeront par un accord au niveau européen et non par des actions individuelles des États. Pour faire face aux mastodontes que sont les sites pornographiques, il faut que les pays européens s'unissent sur ces sujets.