Je comprends votre découragement parce que cela fait des années que nous évoquons ces questions et qu'aucune solution efficace n'a été mise en oeuvre.
Le travail que vous avez mené en Charente a les limites de ses qualités : il exige beaucoup de temps et des intervenants formés sur ce sujet précis. Ce n'est pas parce que l'on sait évoquer la contraception avec les jeunes que l'on saura parler efficacement du thème de la pornographie. Je suis d'autant plus perplexe sur notre capacité collective à déployer ce type de formation que j'ai la conviction, - c'est un peu comme pour les affaires de cyber harcèlement, toutes choses égales par ailleurs -, que ces sujets requièrent une mobilisation au long cours de toute l'équipe éducative. Un one shot ou une « intervention pompier », comme vous dites, ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Je m'interroge également sur le fait que nous soyons obligés de déployer des moyens publics pour que ces industries très lucratives puissent continuer à « faire leur business » dans les mêmes conditions, et que ce soit nous qui devions nous protéger, sans pouvoir, à aucun moment, limiter non pas uniquement l'impact mais l'existence en elle-même et la diffusion de ces sites.
Au-delà du consensus sur les mineurs, la dangerosité de l'exposition à des images pornographiques représentant toute la gamme des infractions pénales - à commencer par le racisme et le sexisme - ne s'étend-elle pas aux adultes ?
Nous avons entendu il y a quelques semaines d'anciennes actrices devenues réalisatrices qui demandent une organisation de leur profession. Jusqu'à quel point est-ce à notre société de s'adapter à une industrie de plus en plus violente dans ses pratiques et dans les images qu'elle montre ?
Ovidie. - Je comprends votre préoccupation : est-ce à l'argent public de réparer les dégâts causés par l'industrie pornographique ? Mais nous ne nous demandons pas s'il faut financer les actions de prévention contre la drogue.
Le trafic de drogue est illégal, la création et la diffusion d'images pornographiques ne le sont pas.
Ovidie. - L'accessibilité des contenus pornographiques auprès des mineurs est également illégale. Au-delà d'un modèle économique obscur, ces sites ne jouent pas le jeu de la légalité et sont responsables de la consommation de pornographie par les mineurs.
Un grand nombre de professionnels ou anciens professionnels du milieu pornographiques sont en guerre contre les plateformes, et pas uniquement parce qu'elles mettent à mal leur activité. Ces plateformes ne sont d'ailleurs pas détenues par des professionnels de l'industrie pornographique mais par des spécialistes de la circulation de l'argent. Des acteurs et anciens acteurs s'opposent à ce que les images pornographiques soient accessibles sans aucune régulation auprès d'un public mineur.
Pour ma part, je suis règlementariste et je ne crois pas à l'interdiction pure et dure, notamment car j'ai vu l'industrie évoluer ces vingt-cinq dernières années. Le fait de ne plus avoir de garde-fous a été la porte ouverte à la violence.
Dans les années 1990, deux millions de personnes étaient derrière leur petit écran le samedi soir pour regarder le film porno sur Canal+. Il y avait alors des règles : système de double cryptage, diffusion après minuit, préservatif obligatoire, interdiction de la violence, des gifles et des claques, pas de mise en scène de rapports tarifés ou de viols, etc. Ces films n'étaient sans doute pas très glorieux mais il y avait en tout cas des règles.
Tout est parti à vau-l'eau à partir du moment où les producteurs de contenu n'ont plus eu l'obligation de se plier à toutes ces règles.
Un exemple : pendant très longtemps, les Français ont été les seuls à avoir l'obligation de tourner avec des préservatifs. Les Allemands, les Italiens, les Américains, les Hongrois tournaient et tournent toujours sans préservatif. Les Français n'étaient pas plus conscientisés que les autres sur les questions d'IST. Mais Canal+ imposait le port du préservatif pour sa diffusion et Canal+ étant l'un des principaux diffuseurs à l'époque, tout le monde se pliait à cette règle.
Les nouveaux modes de diffusion, sans règles, conduisent les producteurs à constamment repousser toutes les limites : gifle, viol, strangulation, tout est désormais possible.
C'est pour cela que je suis pour une forme de réglementation. Ce sera toujours mieux que d'interdire une activité qui va de toute façon continuer à exister, en particulier dans les pays comme la Hongrie ou la République tchèque. Si un État interdit les tournages, ceux-ci se déplaceront, comme cela s'est passé aux États-Unis. Nous continuerons à avoir accès à des contenus peu ou pas tolérables, que nous n'arriverons pas à bloquer car les fournisseurs d'accès en France ne voudront pas le faire et les contenus seront référencés par Google. Il y a effectivement un souci non seulement avec les fournisseurs d'accès mais aussi avec le référencement Google.
En effet, nous ne sommes pas si loin d'une époque où la diffusion des films pornographiques se faisait par deux types de moyens, les salles de cinéma porno ou le film porno du samedi soir sur Canal+, avec les règles que vous venez d'indiquer, qui effectivement limitaient les excès et les dérives du porno. Ce n'est pas que les règles ont été abandonnées, d'ailleurs, c'est juste qu'on ne sait pas comment les appliquer avec des modes de diffusion qui nous échappent. Existe-t-il encore un espace pour faire appliquer ces règles ?
Ovidie. - En réalité, ces sites respectent certaines règles : ce sont celles de la loi américaine, notamment la loi dite DMCA (Digital Millennium Copyright Act) de 1998, promulguée sous l'administration du Président Clinton. D'ailleurs, ils ne se privent pas de le rappeler lorsque l'on essaye de les mettre en difficulté. La multiplicité de réglementation et de lois en Europe nous affaiblit considérablement et il est fondamental d'accorder nos violons à cette échelle.
Je ne pense pas qu'il faille taper sur les petits. Interdire les tournages en France serait un non-sens et ouvrirait la porte à la clandestinité et au pire. À la rigueur il vaut mieux qu'ils aient lieu en France, sous contrôle.