Si le déploiement de la mission Aigle s'inscrit dans le contexte général de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il est utile de souligner les raisons plus précises de notre projection en Roumanie.
La base MK se situe à l'est de ce pays, au bord de la mer Noire : concrètement, à quelques minutes de vol de la Moldavie et de l'Ukraine. Odessa est à la même distance de la frontière roumaine que Bucarest - environ deux heures de voiture.
Il faut bien se représenter que la désormais célèbre Île des serpents, prise par les Russes aux premiers jours de leur offensive, ne se situe qu'à 45 km des côtes roumaines. Les Ukrainiens frappent régulièrement ce point stratégique, car les Russes tentent d'y installer des systèmes antiaériens et des batteries de missiles anti-navires qui leur permettraient d'interdire l'accès des navires à Odessa. Ils entendent ainsi asphyxier l'Ukraine en l'empêchant d'exporter ses céréales comme de recevoir du matériel par bateau.
La Moldavie est dans toutes les têtes, avec sa région sécessionniste prorusse de Transnistrie. La plupart des analystes pensent que, si les Russes avaient réussi à attaquer Odessa, ils auraient pu occuper la totalité de la bande côtière ukrainienne et établir une continuité territoriale de la Russie à la Transnistrie en passant par le Donbass et le district de Kherson : on aurait sans doute assisté au dépeçage de la Moldavie ou à l'installation en Moldavie d'un gouvernement fantoche prorusse.
Ce risque, qui n'est pas écarté à moyen terme, est l'une des raisons du renforcement de la présence de l'Otan en Roumanie. Ce pays pourrait rapidement rejoindre la Pologne et les États baltes en première ligne.
Rappelons que la Transnistrie abrite déjà, en plus des milices séparatistes, des troupes régulières russes - moins de 2 000 hommes, mais l'armée moldave est elle-même très peu nombreuse.
La guerre en Ukraine porte donc en germe une possibilité d'extension à la Moldavie, ce qui doit inviter à la plus grande vigilance.
C'est aussi pourquoi le contingent de la mission Aigle est conçu comme une préfiguration d'une implantation plus durable d'un élément pérenne du dispositif de réassurance. Pour la première fois, la France sera la nation-cadre de ce déploiement.
Notons que les Belges pourraient, à terme, alterner avec des troupes néerlandaises, dans le cadre des coopérations internes au Benelux. C'est donc une nouvelle brique de défense européenne que nous voyons se dessiner dans ce contexte difficile.