Monsieur le délégué général, merci de vous être rendu disponible pour cette audition, qui vise plus particulièrement à faire le point sur le domaine capacitaire. Depuis votre dernière audition ici, le 27 octobre dernier, le contexte sécuritaire européen a basculé du fait de la guerre lancée par la Russie en Ukraine le 24 février. Cette guerre s'inscrit maintenant dans la durée. L'assistance militaire occidentale à l'Ukraine s'accroît, tandis que les buts de guerre russes demeurent assez flous.
Face à ces événements, de nombreuses questions nous interpellent. Tout d'abord, alors que les États-Unis ont promis 20 milliards de dollars supplémentaires d'aide militaire à l'Ukraine, l'assistance française monte, elle aussi, en puissance. Selon les nouvelles qui nous ont été transmises, la France fournit notamment à l'Ukraine des missiles d'infanterie légers antichars (Milan), des missiles transportables antiaériens légers (Mistral) et des camions équipés d'un système d'artillerie (Caesar), ce dont le Président de la République a fait état. Il a par ailleurs indiqué que cet appui serait appelé à se renforcer.
Il vous sera sans doute difficile de nous dire dans quelle direction cela se fera, mais peut-être pourrez-vous néanmoins nous apporter des précisions sur les amputations générées par ces livraisons dans les dotations de nos armées. Nous ne pouvons en effet donner que des armes dont nous disposons dans nos stocks, et il est important de voir comment les lacunes ainsi engendrées seront comblées, sachant que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a régulièrement mis en avant les difficultés qui se présentaient dans ce domaine, difficultés bien antérieures au début de la guerre en Ukraine. Quel impact ces livraisons d'armes importantes risquent-elles donc d'avoir sur nos propres capacités et nos propres réserves ?
Cette guerre entraîne par ailleurs des augmentations conséquentes des prix et des délais d'approvisionnement pour certaines ressources. Quelle est exactement la situation et quels en sont les impacts sur les programmes d'armement ? Faut-il s'attendre à des augmentations de coût ou à des retards significatifs dans tel ou tel programme et, le cas échéant, quels seraient les programmes concernés ? Quelles sont les actions menées par la Direction générale de l'armement (DGA) pour aider les entreprises les plus affectées par cette situation ? Plusieurs entreprises, notamment petites et moyennes, font en effet état de difficultés en la matière dans nos territoires.
Au-delà de ces perspectives inquiétantes de court terme, la guerre en Ukraine constitue une rupture dans le monde post-guerre froide. Dans ce contexte, « l'ambition 2030 », définie par la loi de programmation militaire (LPM) en cours, s'avérera-t-elle suffisante ? Le risque de conflit de haute intensité, désormais bien réel, n'aura-t-il pas des conséquences que nous devons d'ores et déjà mettre en perspective ?
Ce risque était anticipé depuis déjà quelques années, mais certainement pas à un horizon aussi proche. Il nous apparaît, de manière assez consensuelle, que la remontée en puissance de nos armées doit, dès lors, s'accélérer. Quelles actions préconisez-vous, en particulier s'agissant des stocks de munitions, qui sont un enjeu de première importance ?
Enfin, des questions se posent également concernant les coopérations européennes. Plusieurs pays européens ont annoncé des augmentations de leurs budgets de défense, à commencer par l'Allemagne qui mobilise la coquette somme de 100 milliards d'euros pour moderniser ses armées. Toutefois, cet effort ne semble pas entraîner mécaniquement une relance des programmes que nous menons en coopération. C'est même le contraire qui pourrait se produire, du fait de la relance de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et du resserrement des liens avec les États-Unis.
Pourriez-vous faire un point sur les programmes de coopération, en particulier sur le système de combat aérien du futur (SCAF), qui nous inquiète toujours ? D'après les informations que nous avons recueillies, le blocage demeure entre la France et l'Allemagne. Airbus ne lâche rien sur les commandes de vol qu'il veut codévelopper avec Dassault Aviation, en contradiction avec les équilibres initiaux. Je rappelle qu'Airbus, c'est-à-dire l'Allemagne, a le leadership sur cinq des sept piliers du programme. L'Allemagne apparaît aussi comme leader sur l'Eurodrone et le Main Ground Combat System (MGCS) ou « char du futur ». Ceci nécessite de notre part - particulièrement de la part du Président de la République qui se rendra sans doute à Berlin après sa prise de fonctions - un langage de clarté. La question est de savoir si les choix qui ont été posés pourront être mis en application. Ce sujet, occulté par la guerre en Ukraine et la campagne présidentielle, suscite donc incertitude et inquiétude.