Vos témoignages me rappellent les travaux que nous menons avec la région Centre-Val de Loire, la métropole de Rouen Normandie ou encore le territoire de Grand Paris Sud.
Chez WWF, la démarche est peut-être inversée par rapport à ce que vous vivez au quotidien d'une façon très connectée aux territoires. Notre approche se fonde avant tout sur la science. Nous partons de l'enjeu actuel de l'effondrement du vivant et du réchauffement climatique qui en est à l'origine. Nous examinons les solutions mises en avant par les scientifiques - Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ou IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) - pour au moins freiner ces phénomènes et éviter qu'ils ne deviennent insoutenables.
Nous formulons ensuite des propositions, qui sont appelées à être traduites en politiques publiques. Pour leur mise en oeuvre, nous nous frottons aux réalités du terrain en travaillant avec les collectivités locales ou avec des réseaux d'élus comme l'Association des maires de France, Régions de France ou encore France urbaine.
Il est certain que, puisque nous sommes au coeur de la transition écologique, la tension est inévitable entre, d'une part, les actions à mener pour éviter le pire - les travaux le confirment, nous allons dans le mur si nous ne changeons pas de modèle -, d'autre part, la mise en oeuvre de solutions concrètes dans des délais très courts.
Nous l'avons vu : nous visons pour 2027 la date du 25 mai comme jour du dépassement, mais si nous voulons atteindre le 31 décembre, la marche est immense. Nous ne sommes qu'au début d'une transition qui doit s'opérer dans l'ensemble des secteurs et qui nécessite des décisions lourdes de responsabilités, car elles auront des effets directs sur la vie de nos concitoyens.
Au-delà des grands objectifs et des mesures nationales, nos propositions s'appuient sur une méthode territorialisée, au travers de ce qu'on a appelé, sur le modèle de la COP 21, les « conférences des parties locales ». Il s'agit de fixer un objectif partagé, par exemple en termes d'énergies renouvelables, de rénovation ou de commandes publiques dans les cantines, et d'adapter ensuite la mise en oeuvre aux réalités des territoires. Dans certains d'entre eux, nous pourrons avoir effectivement besoin de gravières et d'industries quand, dans d'autres, il sera possible d'ouvrir la voie vers l'agroécologie.
Vous mentionnez l'élevage. En la matière, l'enjeu est de s'assurer que les jeunes générations pourront, demain, exercer un métier qui leur apporte du sens et des revenus, mais aussi qui nourrisse la population sans pour autant détruire la planète et l'avenir même des agriculteurs. Pour y répondre, il faut envisager du sur-mesure, solliciter l'aide financière de l'État, nouer des partenariats avec le monde économique et les pouvoirs publics locaux afin d'accompagner les acteurs en première ligne.
Dans un rapport publié ces jours-ci intitulé L'Europe dévore le monde, nous démontrons combien l'élevage intensif provoque une dépendance à des importations de céréales - soja, maïs, blé - qui sont destinées directement, pour plus de la moitié, à nourrir des bêtes que nous consommerons ensuite, sous forme de viande ou de lait. Il convient donc de rediriger cette consommation vers les Françaises et les Français et, si possible, de relocaliser dans le même temps certaines filières. Cette « autonomie protéique », qui nécessite une approche européenne, est d'autant plus souhaitable dans le contexte actuel de tensions sur le marché alimentaire lié à la guerre en Ukraine. Il en est de même pour les engrais chimiques azotés, qui sont fabriqués à base de gaz importé de Russie. Il faut donc réfléchir à des alternatives.
Derrière ce besoin de souveraineté alimentaire, il est nécessaire de travailler à la transition agroécologique et de la penser à l'échelle de chaque territoire, de chaque filière, avec les acteurs concernés. Compte tenu des terres disponibles, il est évident que si nous nous orientons vers l'élevage extensif, il ne sera pas possible de conserver le même nombre de bêtes. Rendez-vous compte : chaque année dans le monde, c'est près de 70 milliards de bêtes qui sont élevées pour la consommation de lait et de viande !
Plutôt que de manger tous les jours de la viande, il doit être possible de consommer d'autres denrées produites en France par des agriculteurs accompagnés, et de ne plus consommer de viande, par exemple, qu'une fois tous les trois jours. N'oublions pas, en outre, que cette viande n'est pas toujours française. Ce modèle est donc à revoir.
En matière de restauration, la Commission européenne formulera dans un mois des propositions qui pourraient déboucher sur l'objectif de restaurer 15 % des terres et des mers à l'échelle européenne. S'il faut donc privilégier la restauration, l'homme ne pourra toutefois jamais reproduire la complexité et la diversité des écosystèmes en plantant des arbres de façon industrielle. Il faut donc redonner toute sa place au vivant et ne pas perdre de vue la nécessité de réduire notre empreinte sur la biodiversité. Une proportion importante d'espèces sont menacées en France. Or une espèce qui disparaît, c'est aussi des conséquences sur la qualité de l'eau, de l'air et de l'alimentation.
Pour conclure sur le champagne, WWF travaille avec LVMH et Moët & Chandon sur le capital naturel. Notre objectif commun est de mesurer la qualité des sols et de changer l'approche des entreprises pour qu'elles intègrent la nature à leur bilan comptable. Enfin, en tant que Beaunois, j'ai aussi pu constater personnellement que des viticulteurs s'engageaient dans cette transition. Ils le font d'abord pour eux et pour leur santé.