Intervention de Cyril Pellevat

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mai 2022 : 1ère réunion
Déplacement d'une délégation de la commission des affaires européennes à la frontière ukrainienne du 10 au 13 mai 2022 — Communication

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Claude Kern vous a montré que la Pologne comme la Slovaquie, principaux pays de première entrée des réfugiés ukrainiens, se montrent à la hauteur pour les accueillir. Nos visites aux postes frontières nous ont permis de constater que ces pays avaient aussi su s'organiser pour garder le contrôle de leurs frontières qui sont aussi celles de l'Union européenne.

Certes, nous sommes arrivés après la phase la plus critique de la crise des réfugiés, que l'on peut situer autour de la mi-mars : à cette date, jusqu'à 120.000 réfugiés par jour arrivaient d'Ukraine à la frontière polonaise.

Lors de notre venue, la situation était nettement moins tendue. Côté slovaque, elle était même très calme : autour de 2 400 arrivées par jour depuis l'Ukraine en Slovaquie au poste frontière où nous sommes allés, contre sept fois plus le 27 février. Selon le directeur de la police aux frontières régionale, le centre de crise était organisé pour être en mesure, en quelques heures, de recevoir jusqu'à 25 000 arrivées par jour. Pour le moment, les flux reprennent dans l'autre sens depuis quelques semaines, si bien qu'à ce point de passage de la frontière slovaco-ukrainienne, on compte aujourd'hui dix retours en Ukraine pour sept entrées. Côté polonais, nous avons tout de même vu des files d'attentes de véhicules fuyant l'Ukraine avec de grandes familles à l'intérieur. Dans l'autre sens, on constate un trafic nouveau de camions acheminant des voitures polonaises d'occasion vers l'Ukraine puisqu'elles peuvent désormais s'y vendre sans droits de douane.

Nous avons constaté que les autorités s'étaient organisées pour dimensionner leurs moyens afin de garder la maîtrise de la situation. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel à l'aide de l'agence européenne Frontex pour garder ses frontières, la Slovaquie a sollicité cette aide dès le mois de mars et un accord a été signé entre les parties. Actuellement, 24 agents du corps permanent de l'Agence sont présents en renfort en Slovaquie. En outre, Frontex a déployé douze véhicules de patrouille, ainsi qu'un hélicoptère qui permet de surveiller la frontière verte, c'est-à-dire la forêt qui couvre la plus grande partie de la frontière entre les quelques points de passage piétons ou routiers. Des agents d'Europol effectuent aussi à la frontière des vérifications secondaires, grâce à l'accès dont ils bénéficient aux bases de données Europol. La situation semble sous contrôle. D'ailleurs, le directeur de la police aux frontières régionale rencontré en Slovaquie nous a indiqué que seules deux personnes leur avaient échappé par la frontière verte.

Un échange avec l'officier de liaison français auprès de Frontex nous a confirmé cette impression. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel au renfort de Frontex, l'Agence a néanmoins déployé 19 agents en Pologne, chargés d'appuyer les gardes-frontières polonais : d'après Frontex, ils effectuent leurs missions dans de bonnes conditions et en bonne collaboration avec leurs homologues polonais.

La Pologne a elle aussi géré l'accueil des réfugiés ukrainiens dans de bonnes conditions. Non seulement, les ONG ont pu être assurées d'une présence au niveau des points frontières auxquels arrivent les réfugiés, mais les autorités polonaises ont également déployé de très gros efforts pour accueillir et répartir les réfugiés sur l'ensemble du territoire. Les étudiants étrangers venus d'Ukraine étaient enregistrés à la frontière polonaise puis pris en charge par leur représentation consulaire pour être rapatriés dans leur pays. Les structures des grandes villes sont actuellement saturées et les autorités invitent fortement les nouveaux arrivants à s'orienter vers des villes moyennes où des logements sont disponibles et où le besoin de main-d'oeuvre se fait sentir. À cet effet, un bureau administratif unique a été ouvert pour les Ukrainiens, bureau qui leur permet d'obtenir automatiquement un titre de séjour de trois ans, une aide financière et une inscription à la sécurité sociale polonaise leur assurant les soins gratuits. À Varsovie, ils bénéficient également de la gratuité des transports en commun.

Près de 160 000 enfants ukrainiens ont été intégrés dans le système scolaire polonais. Plusieurs ont rejoint des clubs de sport gratuitement. Des écoles ont également été ouvertes spécifiquement avec des professeurs ukrainiens réfugiés dans le pays.

Nous pouvons donc conclure que la Pologne, même si elle ne voit pas d'un très bon oeil l'intrusion de l'Union européenne dans ses affaires intérieures et au niveau de ses frontières extérieures, respecte largement les droits des réfugiés arrivés sur son territoire. D'ailleurs, le président de la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat polonais, Bogdan Klich, que nous avons rencontré juste avant de décoller de Cracovie, confirme que la Pologne, qui employait déjà un million d'Ukrainiens avant la guerre, voit comme une aubaine ce flux de réfugiés ukrainiens et n'est pas prête de demander leur relocalisation dans d'autres pays de l'Union.

Ce qui nous a toutefois frappés lors de notre déplacement est la faible perception qu'ont les acteurs les plus engagés sur le terrain de la mobilisation de l'Union européenne à leurs côtés. Certes, ils saluent l'aide apportée par les villes européennes qui sont jumelées à celles les plus frappées par l'afflux de réfugiés. Mais l'action menée par l'Union européenne en tant que telle manque de visibilité. Pourtant, elle a octroyé 500 millions d'euros d'aide humanitaire et déployé des hubs logistiques : deux en Pologne, un en Roumanie et un en Slovaquie, que nous avons visité et qui permet le stockage de l'aide humanitaire et son transbordement des trains européens vers les trains russes, qui circulent sur des rails à l'écartement un peu plus large. Ce hub reste à ce jour sous-utilisé et offre donc un potentiel précieux pour intensifier l'aide humanitaire au profit de l'Ukraine et l'acheminer par fret ferroviaire en Ukraine où les autorités aiguillent l'aide en fonction des besoins. L'Union européenne a aussi mobilisé les fonds Asile, migration, intégration (FAMI) et Sécurité intérieure pour soutenir l'adaptation des procédures d'accueil aux frontières et adopté un programme d'action de cohésion pour les réfugiés en Europe (dit CARE) qui a vocation à fournir une flexibilité dans le recours aux fonds de cohésion afin de faciliter le financement des infrastructures et équipements à déployer pour assurer l'accueil des réfugiés ; grâce à l'activation du mécanisme européen de protection civile, l'Union européenne a également fourni 22 500 tonnes de matériel, des équipements hospitaliers, mais aussi des experts et des évacuations sanitaires, mais les municipalités polonaises semblent l'ignorer, attribuant par exemple à l'Agence nationale de réserve stratégique le matériel qu'elles reçoivent ; l'Union européenne a enfin prévu d'attribuer aux Ukrainiens un statut de protection temporaire permettant d'accéder à l'emploi, aux soins et à la scolarisation. Sur les 400 000 réfugiés slovaques, seuls 80 000 l'ont demandé, sans doute car la Slovaquie offrait les mêmes facilités par le biais d'un visa tourisme valable trois mois, période proche d'expirer.

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