Commission des affaires européennes

Réunion du 24 mai 2022 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accueil
  • frontière
  • pologne
  • réfugié
  • slovaquie
  • ukraine
  • ukrainien

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

L'agression russe contre l'Ukraine le 24 février dernier marque un tournant dans l'histoire de l'Europe et ramène la guerre à nos portes, puisque l'Ukraine partage une frontière avec quatre États membres de l'Union européenne. Aucun bilan officiel n'est établi mais les victimes de ce conflit se comptent sans doute en dizaines de milliers de morts. Un tiers des Ukrainiens sont déplacés ou réfugiés : à ce jour, 6,5 millions d'entre eux ont fui à l'étranger, dont plus de la moitié - 3,5 millions - en Pologne. C'est pourquoi j'ai souhaité me rendre à la frontière ukrainienne avec plusieurs membres de notre commission pour mesurer l'impact de cette guerre sur les frontières orientales de l'Union européenne, constater comment les États limitrophes gèrent la situation et manifester notre solidarité à l'égard de ces pays, particulièrement la Pologne et la Slovaquie. En effet, ces deux pays ont, en trois mois, vécu un choc d'ampleur comparable, avec l'arrivée brutale sur leur territoire d'un flux de réfugiés qui avoisine aujourd'hui 9 % de la population totale en Pologne et 8 % en Slovaquie, pays qui compte 5 millions et demi d'habitants - contre 44 millions pour l'Ukraine. Je remercie Cyril Pellevat et Claude Kern qui m'ont accompagné dans ce déplacement, du 10 au 13 mai dernier.

Nous en sommes revenus frappés : frappés d'abord par la grande détresse dans laquelle se trouvent les réfugiés ukrainiens, mais aussi frappés par l'immense solidarité qui permet d'organiser leur accueil ; frappés également par la mobilisation des autorités locales, slovaques comme polonaises, mais aussi frappés par leur faible perception du soutien que leur apporte l'Union européenne.

Nous nous sommes d'abord rendus en Slovaquie, dans la ville de Kosice, la deuxième du pays, qui est à cent kilomètres de la frontière ukrainienne et où se trouve le « hub » mis en place par l'Union européenne pour acheminer l'aide humanitaire vers l'Ukraine ; puis nous sommes allés au poste frontière de Vysne Nemecke, avant de rouler vers le Nord pour rejoindre la Pologne. Là-bas, nous sommes passés à Rzeszow, grande ville du Sud-Est de la Pologne où nous avons été accueillis à la préfecture et à la mairie, avant de nous rendre à Przemysl, ville proche de la frontière qui héberge le centre d'accueil des réfugiés passés par le poste frontière de Medyka - principal point de passage - tout proche, où nous avons conclu notre mission.

J'espérais que nous pourrions pousser jusqu'en Ukraine mais le Quai d'Orsay nous l'a formellement déconseillé. Ce n'est que partie remise. Notre déplacement a toutefois été très riche et je laisserai les deux collègues qui m'ont accompagné vous en rendre compte de manière plus détaillée. Je vous propose auparavant de visionner le petit film que nous a transmis la maire-adjointe de Rzeszow en Pologne au début de notre rencontre, car il vous permettra d'emblée de toucher du doigt la réalité de ce qui se vit là-bas.

Un court film est projeté devant les membres de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Vous avez entendu au début du film le hurlement des sirènes ; c'était un entraînement. Or on voit les Ukrainiens, croyant à une alerte, courir pour se mettre à l'abri. La Pologne et la Slovaquie ont depuis décidé de ne plus faire d'essais de sirènes pour ne plus effrayer les Ukrainiens....

Le Président le disait : nous avons été frappés par la détresse des réfugiés mais aussi par la solidarité qui se manifeste autour d'eux. Nous avons pu visiter plusieurs lieux d'accueil des réfugiés : d'abord, tout près de la gare de Kosice, par laquelle sont arrivés de nombreux Ukrainiens, surtout durant les premières semaines du conflit. C'est d'ailleurs une jeune étudiante ukrainienne, qui fait ses études de médecine en Slovaquie, qui a bien voulu nous présenter ce point d'accueil, activé dès le cinquième jour de la guerre pour proposer les premiers soins aux réfugiés ainsi qu'un hébergement d'urgence, dans l'attente d'un transfert vers d'autres villes ou pays. Actuellement, le lieu n'est pas pris d'assaut comme au plus fort de la crise, mais 200 repas y sont toutefois servis chaque jour gratuitement pour les Ukrainiens alentour, puisque 3 à 4 000 d'entre eux seraient restés vivre dans la ville de Kosice. A proximité, plusieurs blocs containers sont alignés, contenant jusqu'à cinq lits chacun, afin d'augmenter la capacité du point d'accueil en dur, où des sanitaires sont accessibles puisqu'il s'agit d'une piscine municipale. Nous avons pu dialoguer avec un couple d'Ukrainiens venant de Kharkiv, installé dans un de ces blocs avec ses trois enfants en bas âge. Leur situation était évidemment précaire, dans ce logement si exigu, mais ils étaient heureux car le jeune père venait de décrocher un travail correspondant à sa qualification de fabricant de meubles.

Nous avons ensuite visité le centre d'accueil de réfugiés de Sobrance près de la frontière ukrainienne. Il était vide en grande partie, hébergeant au jour de notre visite 300 personnes contre 3 000 au moment le plus critique, mais nous avons pu constater sa bonne organisation, avec des tentes consacrées à l'enregistrement pour l'obtention de la protection temporaire, à l'hébergement, aux jeux des enfants, à l'alimentation, au culte religieux, aux soins médicaux et psychologiques, mais aussi aux soins vétérinaires pour les animaux de compagnie que leurs maîtres ont tenu à emporter dans leur exil. Nous avons retrouvé la même organisation, mais à une échelle bien plus grande, dans le centre d'accueil de Przemysl que nous avons visité le lendemain en Pologne avec le maire de la ville. Il s'agit d'un ancien centre commercial Tesco désaffecté : cet immense local, lui, n'était pas vide mais au contraire très animé par la présence poignante de nombreux réfugiés et volontaires en soutien. Des personnes âgées s'y reposaient dans la pénombre sur des lits de camp alignés à perte de vue, tandis que les nombreux enfants s'affairaient autour de la poupée géante Amal, emblème pour tous les enfants réfugiés de par le monde, qui se déplaçait entourée de musiciens et animait joyeusement les lieux au moment de notre passage.

Nous avons ressenti l'élan de solidarité qui entourait toutes ces personnes contraintes de fuir la guerre : d'une part, au plan humain, la présence de nombreux volontaires locaux mais aussi venus de tous les pays - nous avons d'ailleurs rencontré des pompiers solidaires venus de France -, d'ONG, d'organisations caritatives ou onusiennes ; d'autre part, au plan matériel, les amoncellements de palettes d'aide humanitaire, contenant aliments, produits d'hygiène, vêtements, literie, matériel de puériculture, que des volontaires réceptionnent, déballent, trient, organisent... sans compter l'aide des entreprises et des habitants locaux. Les maires que nous avons rencontrés à Kosice en Slovaquie, mais aussi en Pologne, à Rzeszow ou Przemysl, comme la voïvode des Basses Carpates - l'équivalent du préfet - nous ont tous fait valoir la mobilisation précieuse des populations dans ces deux pays : selon le maire de Przemysl, 95 % des réfugiés sont logés chez l'habitant... Ce chiffre nous a impressionnés, même si, depuis un mois et demi, les particuliers reçoivent une aide mensuelle de l'État de 1 200 euros pour l'accueil d'un réfugié. Cela témoigne de l'immense élan d'accueil qui s'est spontanément levé chez nos concitoyens d'Europe de l'Est, chez qui la mémoire de l'expansionnisme russe reste vive. Seuls de rares cas d'abus par rapport à l'aide humanitaire reçue nous ont été rapportés.

Parmi les soutiens précieux sur lesquels peuvent compter les autorités publiques polonaises, il faut citer l'organisation Caritas : notre entretien avec le prêtre qui dirige le centre situé à Rzeszow nous a permis de mesurer la force de ce réseau caritatif qui organise des convois depuis ses centres en Pologne vers ses centres en Ukraine, ce qui permet d'avoir la certitude qu'ils arrivent à bon port.

Parmi les organisations présentes, j'évoquerai aussi rapidement l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dont le représentant français nous a fait mesurer l'état sanitaire très dégradé dans lequel se trouvait l'Ukraine, avant même le début du conflit : nombreux cas de VIH, de tuberculose, de rougeole, épidémie de choléra à Marioupol en 2012, taux de vaccination très bas inférieur à 30 %, ce qui explique l'épidémie de poliomyélite de septembre dernier, abus de l'usage des antibiotiques... La guerre a interrompu les efforts engagés par l'OMS pour améliorer cette situation et les réfugiés ukrainiens nécessitent donc souvent des soins nombreux. À cet égard, la continuité du traitement des pathologies graves est un enjeu redoutable, par exemple pour les enfants cancéreux. L'OMS nous a aussi alertés sur les besoins en cytokines, ces protéines susceptibles de prévenir l'apparition de cancers en cas d'irradiation radioactive, qui pourrait survenir à la suite d'une attaque nucléaire russe à laquelle tous préfèrent se préparer au cas où. Les surstocks stratégiques dont disposent les États européens pourraient utilement être envoyés en Ukraine. En plus de financement et de matériel médical, l'OMS fait aussi valoir des besoins d'équipements de protection individuels en cas d'attaque chimique, et enfin de véhicules blindés - notamment des ambulances.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Claude Kern vous a montré que la Pologne comme la Slovaquie, principaux pays de première entrée des réfugiés ukrainiens, se montrent à la hauteur pour les accueillir. Nos visites aux postes frontières nous ont permis de constater que ces pays avaient aussi su s'organiser pour garder le contrôle de leurs frontières qui sont aussi celles de l'Union européenne.

Certes, nous sommes arrivés après la phase la plus critique de la crise des réfugiés, que l'on peut situer autour de la mi-mars : à cette date, jusqu'à 120.000 réfugiés par jour arrivaient d'Ukraine à la frontière polonaise.

Lors de notre venue, la situation était nettement moins tendue. Côté slovaque, elle était même très calme : autour de 2 400 arrivées par jour depuis l'Ukraine en Slovaquie au poste frontière où nous sommes allés, contre sept fois plus le 27 février. Selon le directeur de la police aux frontières régionale, le centre de crise était organisé pour être en mesure, en quelques heures, de recevoir jusqu'à 25 000 arrivées par jour. Pour le moment, les flux reprennent dans l'autre sens depuis quelques semaines, si bien qu'à ce point de passage de la frontière slovaco-ukrainienne, on compte aujourd'hui dix retours en Ukraine pour sept entrées. Côté polonais, nous avons tout de même vu des files d'attentes de véhicules fuyant l'Ukraine avec de grandes familles à l'intérieur. Dans l'autre sens, on constate un trafic nouveau de camions acheminant des voitures polonaises d'occasion vers l'Ukraine puisqu'elles peuvent désormais s'y vendre sans droits de douane.

Nous avons constaté que les autorités s'étaient organisées pour dimensionner leurs moyens afin de garder la maîtrise de la situation. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel à l'aide de l'agence européenne Frontex pour garder ses frontières, la Slovaquie a sollicité cette aide dès le mois de mars et un accord a été signé entre les parties. Actuellement, 24 agents du corps permanent de l'Agence sont présents en renfort en Slovaquie. En outre, Frontex a déployé douze véhicules de patrouille, ainsi qu'un hélicoptère qui permet de surveiller la frontière verte, c'est-à-dire la forêt qui couvre la plus grande partie de la frontière entre les quelques points de passage piétons ou routiers. Des agents d'Europol effectuent aussi à la frontière des vérifications secondaires, grâce à l'accès dont ils bénéficient aux bases de données Europol. La situation semble sous contrôle. D'ailleurs, le directeur de la police aux frontières régionale rencontré en Slovaquie nous a indiqué que seules deux personnes leur avaient échappé par la frontière verte.

Un échange avec l'officier de liaison français auprès de Frontex nous a confirmé cette impression. Si la Pologne n'a pas souhaité faire appel au renfort de Frontex, l'Agence a néanmoins déployé 19 agents en Pologne, chargés d'appuyer les gardes-frontières polonais : d'après Frontex, ils effectuent leurs missions dans de bonnes conditions et en bonne collaboration avec leurs homologues polonais.

La Pologne a elle aussi géré l'accueil des réfugiés ukrainiens dans de bonnes conditions. Non seulement, les ONG ont pu être assurées d'une présence au niveau des points frontières auxquels arrivent les réfugiés, mais les autorités polonaises ont également déployé de très gros efforts pour accueillir et répartir les réfugiés sur l'ensemble du territoire. Les étudiants étrangers venus d'Ukraine étaient enregistrés à la frontière polonaise puis pris en charge par leur représentation consulaire pour être rapatriés dans leur pays. Les structures des grandes villes sont actuellement saturées et les autorités invitent fortement les nouveaux arrivants à s'orienter vers des villes moyennes où des logements sont disponibles et où le besoin de main-d'oeuvre se fait sentir. À cet effet, un bureau administratif unique a été ouvert pour les Ukrainiens, bureau qui leur permet d'obtenir automatiquement un titre de séjour de trois ans, une aide financière et une inscription à la sécurité sociale polonaise leur assurant les soins gratuits. À Varsovie, ils bénéficient également de la gratuité des transports en commun.

Près de 160 000 enfants ukrainiens ont été intégrés dans le système scolaire polonais. Plusieurs ont rejoint des clubs de sport gratuitement. Des écoles ont également été ouvertes spécifiquement avec des professeurs ukrainiens réfugiés dans le pays.

Nous pouvons donc conclure que la Pologne, même si elle ne voit pas d'un très bon oeil l'intrusion de l'Union européenne dans ses affaires intérieures et au niveau de ses frontières extérieures, respecte largement les droits des réfugiés arrivés sur son territoire. D'ailleurs, le président de la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat polonais, Bogdan Klich, que nous avons rencontré juste avant de décoller de Cracovie, confirme que la Pologne, qui employait déjà un million d'Ukrainiens avant la guerre, voit comme une aubaine ce flux de réfugiés ukrainiens et n'est pas prête de demander leur relocalisation dans d'autres pays de l'Union.

Ce qui nous a toutefois frappés lors de notre déplacement est la faible perception qu'ont les acteurs les plus engagés sur le terrain de la mobilisation de l'Union européenne à leurs côtés. Certes, ils saluent l'aide apportée par les villes européennes qui sont jumelées à celles les plus frappées par l'afflux de réfugiés. Mais l'action menée par l'Union européenne en tant que telle manque de visibilité. Pourtant, elle a octroyé 500 millions d'euros d'aide humanitaire et déployé des hubs logistiques : deux en Pologne, un en Roumanie et un en Slovaquie, que nous avons visité et qui permet le stockage de l'aide humanitaire et son transbordement des trains européens vers les trains russes, qui circulent sur des rails à l'écartement un peu plus large. Ce hub reste à ce jour sous-utilisé et offre donc un potentiel précieux pour intensifier l'aide humanitaire au profit de l'Ukraine et l'acheminer par fret ferroviaire en Ukraine où les autorités aiguillent l'aide en fonction des besoins. L'Union européenne a aussi mobilisé les fonds Asile, migration, intégration (FAMI) et Sécurité intérieure pour soutenir l'adaptation des procédures d'accueil aux frontières et adopté un programme d'action de cohésion pour les réfugiés en Europe (dit CARE) qui a vocation à fournir une flexibilité dans le recours aux fonds de cohésion afin de faciliter le financement des infrastructures et équipements à déployer pour assurer l'accueil des réfugiés ; grâce à l'activation du mécanisme européen de protection civile, l'Union européenne a également fourni 22 500 tonnes de matériel, des équipements hospitaliers, mais aussi des experts et des évacuations sanitaires, mais les municipalités polonaises semblent l'ignorer, attribuant par exemple à l'Agence nationale de réserve stratégique le matériel qu'elles reçoivent ; l'Union européenne a enfin prévu d'attribuer aux Ukrainiens un statut de protection temporaire permettant d'accéder à l'emploi, aux soins et à la scolarisation. Sur les 400 000 réfugiés slovaques, seuls 80 000 l'ont demandé, sans doute car la Slovaquie offrait les mêmes facilités par le biais d'un visa tourisme valable trois mois, période proche d'expirer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je conclurai en insistant sur la nécessité pour nous de ne pas relâcher notre soutien. La guerre en Ukraine est partie pour durer et les besoins d'aide aux réfugiés ne vont donc pas baisser, alors que l'émotion survenue avec le déclenchement des hostilités risque de s'émousser. D'ailleurs, même si la situation que nous avons constatée était moins tendue, nous avons observé que les autorités locales ne réduisent pas la voilure de leurs efforts, se tenant prêtes pour une deuxième vague de réfugiés susceptibles d'arriver à la faveur de l'évolution des combats, de leur intensification ou de leur réorientation. Le nombre d'Ukrainiens qui se sont déplacés vers l'Ouest de leur pays dépasse le nombre de ceux qui l'ont quitté pour trouver refuge dans l'Union européenne. Ainsi, la ville ukrainienne de Oujhorod toute proche de la frontière slovaque est surpeuplée et sa population de réfugiés peut rapidement franchir la frontière si besoin. Maintenir le flux humanitaire vers l'ouest ukrainien permet de retenir cette deuxième vague migratoire autant que possible.

Ce déplacement nous a instruits sur l'état actuel de la situation, globalement stabilisée, avec cependant un risque, à la frontière ukrainienne, de migrations brutales et plus intenses qu'au début de la guerre. La voilure est maintenue à un niveau très élevé.

Tous les acteurs nous ont dit que l'aide humanitaire était en forte baisse. En Slovaquie, nous avons donc visité un entrepôt idéal pour la logistique, qui peut gérer les ruptures de charge dues à la différence d'écartement des rails - d'onze centimètres - entre les voies ukrainiennes, construites par l'URSS, et les voies slovaques, qui respectent l'écartement européen. Ce centre, mis en place par la Commission européenne, permet d'acheminer l'aide humanitaire ; or il est vide ! Il y a sans doute des problèmes logistiques et d'orientation de l'aide humanitaire, mais l'aide elle-même semble s'amenuiser, alors qu'il faudrait que tout soit prêt en cas de besoin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je suis intervenu lors de la conférence interparlementaire sur les migrations qui s'est tenue au Sénat il y a une semaine, dans le cadre de la PFUE. Pour la première fois, avec la protection temporaire, nous avons un dispositif d'accueil des réfugiés ne relevant pas de la procédure « Dublin » et donnant un accès au travail immédiatement. Cela fonde l'efficacité de l'intégration et de l'accueil. Il faudrait être capable de suivre l'activation de la protection temporaire - certains réfugiés choisissent de quitter le pays où ils l'ont demandée. En effet, nous ne sommes pas dans un système de relocalisation : les Ukrainiens ont la liberté de circulation et d'installation dans l'Union européenne.

Plus d'1,1 million d'Ukrainiens ont reçu un numéro de sécurité sociale polonais ; la moitié ont moins de 18 ans ; 7 % ont plus de 60 ans. Peu sont en âge de travailler, mais un tiers d'entre eux a déjà un emploi ; 200 000 emplois ont été ouverts depuis fin février. Quand on donne le droit de travailler rapidement, on améliore la qualité de l'accueil. C'est un point notable, à intégrer à nos réflexions.

Les flux à la frontière varient fortement. Fin mars, lors de mon déplacement, les flux à la frontière étaient équivalents. Fin avril, il y avait 30 kilomètres de queue pour rentrer en Ukraine, tandis que la sortie était immédiate. Tout dépend des moments... Il est vrai qu'il y a plus de réfugiés à l'intérieur de l'Ukraine qu'à l'extérieur. Ils sont proches de la frontière, dans des zones risquées qui peuvent être parfois bombardées. Certains habitants de Lviv peuvent vouloir passer en Europe...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les premiers partis sont souvent ceux qui avaient des contacts en Europe, mais selon la situation, il peut y avoir des arrivées complémentaires

Quand on parle d'accueil des réfugiés, on pense d'abord aux politiques publiques et aux associations ayant une mission de service public. Or la seule politique publique est le droit au travail et à l'assurance maladie. Medyka est une gentille foire où 90 % de l'accueil est d'initiative privée ou bien des collectivités locales. Cela soulève un risque de trafic d'êtres humains et un problème énorme d'accès à l'avortement. Des Ukrainiennes sont violées, il y a un réel besoin auquel la Pologne ne répond pas compte tenu de sa législation.

Le président polonais, lors de son intervention récente devant le parlement ukrainien, a annoncé une extension de la loi de mars 2022 : auparavant, toute personne résidant en Ukraine et venue en Pologne après le 24 février avait droit au travail et à l'assurance maladie, soit un peu plus que la protection temporaire. Désormais, structurellement, tous les Ukrainiens se rendant en Pologne ont un droit de séjour, le droit de travailler, une assurance maladie.... Les Ukrainiens ont annoncé la réciproque pour les Polonais. Comme je le disais il y a deux mois, il faut conférer aux Ukrainiens les principaux attributs de la citoyenneté européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Le pays a besoin de bras mais il y a aussi de vrais enjeux, notamment éducatifs. Un enfant sur quatre scolarisé à Varsovie est ukrainien, arrivé depuis fin février. Ce n'est pas neutre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Il paraît que leur niveau de mathématiques est excellent...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

La Pologne emploie aussi les enseignants ukrainiens, même si de nombreux professeurs ukrainiens continuent de faire des cours en ligne. Vous le voyez dans vos territoires, certains enfants ne veulent pas aller à l'école car ils suivent ces cours à distance.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Merci pour ce partage. Vous avez surtout évoqué le volet solidarité ; n'avez-vous pas eu de rencontre avec les militaires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous avons rencontré la police aux frontières, Frontex et Europol.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Estimez-vous qu'il y a une attente de cessez-le-feu ou de paix ? Je suis très étonnée qu'on parle si peu de la sortie de la guerre...

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Mais on ne s'exprime plus - même nous en tant que parlementaires - sur ce qu'on espère des échanges au plus haut niveau. Je n'entends même pas les réfugiés en parler. C'est la guerre, et le plus fort gagnera, advienne que pourra ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Ceux que j'ai rencontrés à Przemysl me l'ont affirmé : ils vont gagner, et ils iront jusqu'au bout.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les Ukrainiens ont malheureusement l'expérience des accords de Minsk, avec un conflit gelé et non résolu politiquement, qui redémarre. On en voit les conséquences. C'est pire d'avoir attendu sept ans plutôt que d'avoir résolu politiquement le conflit à l'époque. Nous voyons les efforts de Mario Draghi actuellement. Il y a eu 10 000 morts après les accords de Minsk, avant que le conflit ne reparte.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

D'autres conflits sont gelés, et il ne suffit que d'une allumette pour qu'ils redémarrent : en Moldavie avec la Transnistrie, et en Géorgie avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

La semaine dernière, le président Larcher a reçu la présidente de la république moldave, Mme Maia Sandu. L'armée moldave compte 6 000 personnes ; en Transnistrie, il y a 7 000 personnes pilotées par 1 500 soldats russes. Il suffit d'un rien pour que le territoire soit envahi en une demi-journée, mangé par l'ogre russe, sans que cela émeuve qui que ce soit. Les territoires sont très proches : le 24 février, la présidente a entendu, depuis la Moldavie, les premiers coups de canon...

Sur le terrain, tout le monde se prépare à une guerre qui dure. Les dispositifs d'accueils, tantôt de 25 000, tantôt de 80 000 personnes, sont maintenus avec un haut niveau de sécurisation et d'investissements. Les gardes-frontières slovaques, la police aux frontières et Europol sont peu sollicités aujourd'hui mais restent là, car une autre vague peut arriver.

Autre phénomène, on voit arriver des camionnettes avec des familles entières, et des hommes jeunes, qui sont exonérés de prendre les armes s'ils ont des enfants en bas âge. Beaucoup ont traversé l'Ukraine pour ne pas être enrôlés. La situation est dramatique.

Nous avons été heurtés par des gens qui traversaient la frontière à pied, sans aucun bagage, hormis éventuellement un sac à dos ou à main. Ils arrivent, mangent une soupe et sont emmenés en bus à quarante kilomètres de là où commence un parcours du combattant pour être intégrés. Ils ont du courage, ils nous font pitié, nous n'imaginons pas ce qu'ils peuvent ressentir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il y a aussi un lourd processus de contrôle de sécurité des deux côtés de la frontière...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

L'objectif est de s'assurer qu'il n'y a pas de trafic d'armes. Ceux qui rentrent en Ukraine ne sont pas les plus pauvres : nous avons vu passer de nombreux 4x4... Ceux par contre qui restent près de la frontière côté ukrainien sont sans doute plus pauvres, qui n'osent pas passer de l'autre côté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il y a également des difficultés avec le change entre de monnaies...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

et un véritable trafic en ce domaine. Lorsque vous prenez 10 000 euros au distributeur en Pologne, vous gagnez immédiatement 300 euros en les revendant à votre retour en Ukraine...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Pourtant, la monnaie ukrainienne résiste. C'est juste que les banques ne sont pas équipées.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Jeudi, à Bruxelles, j'étais étonnée de voir des Ukrainiens voulant rentrer chez eux qui devaient payer leur voyage de retour, alors qu'ils ont voyagé gratuitement pour fuir leur pays. L'Union européenne pourrait se saisir de cette situation qui est surréaliste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Souvent ils arrivent jusqu'en Pologne, par exemple à Przemysl, puis ils finissent leur voyage vers l'Ukraine à pied.

Debut de section - PermalienPhoto de Amel Gacquerre

Merci de votre retour d'expérience. Je note que, selon vos dires, l'aide alimentaire a bien diminué...

Debut de section - PermalienPhoto de Amel Gacquerre

Nous le sentons dans nos collectivités locales. Que peut-on faire pour transmettre le message ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Dans certains dépôts, il y a de l'aide alimentaire entreposée. Je leur ai demandé de nous fournir une liste de leurs besoins. Nous l'attendons. Il faut de l'aide alimentaire et matérielle, mais par exemple ils n'ont plus besoin de poussettes ni de lits de camp, tandis qu'ils manquent de lait infantile.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Le centre polonais que nous avons visité est très bien fait, avec d'immenses entrepôts où les volontaires reconditionnent en cartons unitaires. Il en est de même pour l'aide hospitalière, avec des packs tout prêts. Mais l'aide commence à manquer. Certes, il y a des camions qui n'arrivent pas à destination. La préfète nous a indiqué qu'elle avait vu des couvertures partant pour l'Ukraine être revendues à Kosice... Il y a du trafic caché.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Pour l'avoir fait moi-même, je peux témoigner que parfois on a des faux douaniers et que la marchandise a du mal à sortir de Pologne...

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Il y a des réseaux bien organisés qu'il faut préférer, notamment ceux de la Commission européenne ou de la sécurité civile, qui envoient de l'aide vers la Pologne, qui est ensuite distribuée vers de nouveaux hubs en Ukraine. Si on ne passe pas par ces réseaux, on prend le risque que certains camions soient détournés, arrêtés par des soi-disant douaniers exigeant des taxes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

L'armée russe a ainsi intercepté des camions d'aide humanitaire, faute d'aide logistique...

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Pourquoi l'aide se réduit-elle ? Est-ce parce que le nombre de réfugiés augmente et donc réduit l'aide disponible pour chacun ?

Debut de section - PermalienPhoto de Amel Gacquerre

Nous entendons tout et son contraire sur ce dont ont besoin les Ukrainiens. Que faut-il donner ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Ils disent ne plus avoir besoin de vêtements. Il faut de la nourriture, des produits d'hygiène et hospitaliers.

Debut de section - PermalienPhoto de François Calvet

Avez-vous vu été témoins de fournitures d'armes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Non, et nous n'avons pas cherché à en voir. Cela se fait discrètement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les ports ukrainiens sont bloqués. À Lviv, le système logistique fonctionne pour approvisionner les magasins mais les chauffeurs de camion ne peuvent pas passer à partir du sud. Les chemins de fer, surchargés, sont aussi plus risqués.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Au sujet de l'armement, la difficulté tiens surtout à la formation à la manipulation de cet armement. L'armée ukrainienne a l'habitude d'utiliser du matériel soviétique... Les canons embarqués français César tirent à 40 kilomètres mais il faut savoir s'en servir, et donc former les Ukrainiens. C'est un vrai sujet qui explique que les députés ukrainiens que nous avons reçus veulent avoir des armes de type soviétique... Il faut du temps pour être formé à d'autres armes antichar.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les Ukrainiens ne pouvant pas sortir, il faut donc aller les former là-bas...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous voulions aller à Lviv, mais le Quai d'Orsay nous l'a formellement déconseillé...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Une vache se trait matin et soir, or 40 % du lait ukrainien serait jeté faute d'outils de transformation. De même, 23 millions de tonnes de céréales seraient en train de se perdre là-bas... Avez-vous pu constater cette situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Il faudrait réussir à exporter ce lait, jeté à l'égout, car ce n'est pas tenable. C'est un problème logistique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les prix augmentent en raison des problèmes de transport. La production agricole ukrainienne n'atteindrait cette année que 40 % de la production de l'année dernière...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Il faudrait vraiment pouvoir se rendre en Ukraine. Nous verrons s'il y a un deuxième épisode migratoire. Mais lorsque nous nous déplaçons en tant que parlementaires, nous engageons le Sénat et devons respecter les consignes du Quai d'Orsay.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Lequel est obligé de vous refuser l'accès...

La réunion est close à 17 h 20.