– L’Espagne obtient de très bons résultats parce que le responsable du programme est nommé directement par le ministre : il dispose de pouvoirs et exerce ses fonctions pour une durée indéterminée. En France, l’actuelle directrice de l’ABM a été nommée pour trois ans, éventuellement renouvelables, ce qui empêche tout suivi de plan sur la durée. En Espagne, le précédent responsable est resté quinze ans en place, à plein temps. En matière de communication, ils dépensent moins d’argent que nous, mais ils disposent d’une équipe répondant sept jours sur sept aux questions. Surtout, ils investissent énormément dans la formation des équipes de terrain.
Sur les 3 500 donneurs potentiels que compte la France, seule une moitié d’entre eux sont prélevés, 20 % ne pouvant pas l’être pour des raisons techniques et 30 % opposant un refus. La formation des équipes est donc très importante, formation qui doit être validée par l’ABM, par respect pour les familles. Or quand un directeur d’établissement refuse de prendre en charge les frais de déplacement des équipes de coordination pour suivre une formation dispensée par l’ABM, celle-ci ne peut rien y faire.
Autre différence : en Espagne, des audits sont menés en permanence et chaque infirmière coordinatrice doit remplir une fiche de fin de mission explicitant, le cas échéant, le refus d’un prélèvement d’organe par la famille.
La loi dispose que nous sommes tous donneurs, sauf opposition – ce n’est pas tout à fait un consentement présumé. La loi de 2016 n’a rien changé, l’expression verbale continuant d’être privilégiée en lieu et place d’un registre du refus. Un proche peut faire valoir le refus éventuellement opposé par le défunt de son vivant s’il en fait un récit écrit et détaillé. C’est pourquoi il faut vraiment communiquer avec ses proches à ce sujet pour les protéger et ne pas ajouter de la douleur à la douleur.
Malheureusement, la loi n’a donc rien changé : auparavant 40 % des refus avaient été formulés par le défunt de son vivant et 60 % l’étaient par ses proches à sa mort ; aujourd’hui, nous sommes à 50/50.
D’après une étude réalisée par l’hôpital Roger-Salengro de Lille, les refus opposés par les familles l’étaient à hauteur de 16 % pour des raisons religieuses, et à hauteur de 45 % parce qu’elles refusaient toute altération du corps du défunt. Citons aussi une méconnaissance du processus de la mort encéphalique.
M. Bernard Jomier. – J’ai siégé au conseil d’orientation de l’ABM, au côté d’autres collègues parlementaires. J’ai le sentiment que ces plans doivent être salués. C’est ce qu’attestent vos propos sur la nécessité de varier les sources de prélèvement, en particulier vers les donneurs vivants, objectif qu’on retrouve dans le dernier plan.
En vous écoutant, j’ai le sentiment que vous doutez en revanche de son applicabilité. Certes, mais ce plan a été conçu en lien avec les différentes parties, le monde associatif et les professionnels. Je salue cet effort.
Vous insistez beaucoup sur le pilotage du plan. Or c’est l’ABM qui est responsable de son pilotage stratégique, même si, en effet, elle n’a pas un pouvoir de sanction. On peut quand même espérer que ce ne sont pas les sanctions qui permettront de progresser ! Cette volonté de pilotage se retrouve au niveau régional avec l’idée que chaque ARS dispose d’un référent greffe. D’où ma question : qu’est-ce qui vous préoccupe particulièrement ? Le pilotage lui-même ou bien la crainte que les objectifs ne soient pas atteints ?
Est-ce une question de moyens – ce plan est doté de 200 millions d’euros –, de culture – c’est ce qui transparaît de vos propos ? Car ce n’est pas la loi qui pourra régler la question de la conflictualité : celle-ci doit être désamorcée par un long travail sociétal en amont ou bien par un travail mené à l’hôpital qui nécessite du personnel et du temps. Et l’on sait ce qu’il en est compte tenu de la situation à l’hôpital : ce travail n’est pas effectué, et là, il y a lieu en effet d’être inquiet.
S’agissant de la communication, je veux citer l’exemple du don de gamètes. Lors de l’examen de la loi de bioéthique, il a beaucoup été question de la pénurie de gamètes ; après une campagne de communication sur ce thème, les dons ont augmenté de 40 %. Quelles sont vos préconisations en la matière ? La communication vers le grand public, c’est une chose, mais la pénurie de prélèvements de type Maastricht III, elle se gère dans les hôpitaux.
M. Alain Milon. – Ma première question s’adresse à Renaloo : où en est la situation à La Réunion ?
Ma seconde question porte sur le comité de suivi. Souhaitez-vous que les patients experts y participent, ce qui me semble une bonne idée ? Et jusqu’à quel niveau ? Jusque dans les services ?
Mme Laurence Cohen. – Après ma rencontre avec Renaloo, j’ai adressé à la fin de décembre 2021 une question écrite au ministre de l’époque, qui n’a pas daigné me répondre... Je lui demandais pour quelles raisons la part de personnes bénéficiant d’une greffe restait aussi peu importante par rapport au nombre de personnes dialysées.
Le plan semble, en effet, aller dans le bon sens, mais je crains qu’il ne reste en apesanteur faute de moyens suffisants, et pas seulement financiers. Ce manque de volonté politique, qu’illustrent a contrario les exemples espagnol et anglais, ne s’explique-t-il pas par le fait que les dialyses restent plus rentables ?
Je m’interroge sur la charge que cela représente pour les hôpitaux, surtout quand on voit leur état. Leurs personnels sont désespérés. Je partage votre volonté d’un plus grand investissement de ces personnels via des formations ou une certification, mais sachant que ces professionnels ne sont pas assez nombreux, je m’inquiète.