– Monsieur Jomier, nous sommes globalement tous très satisfaits de ce plan, financé pour la première fois, même s’il pourrait être amélioré sur certains points. Il convient de renforcer les équipes de prélèvement en infirmières, en médecins, etc. C’est un élément-clé de la réussite espagnole et anglaise.
En ce qui concerne la démocratie sanitaire, il a été un peu compliqué pour les associations de travailler avec l’ABM sur cette question. Nous avons fait part de nos contributions, mais, par la suite, nous avons eu du mal à interagir avec l’agence. Lorsque nous lui avons présenté nos propositions en novembre dernier, elle nous a renvoyés vers le ministère de la santé, au motif que le plan était finalisé. Ce n’est donc qu’après que nous avons pu influer sur son contenu. Toujours est-il que l’agence a à cœur de développer cette démocratie sanitaire.
Si elle est chargée du pilotage stratégique de ce plan, elle nous dit qu’elle ne dispose pas de moyens d’action, qu’elle n’a pas de moyens de contrainte sur les hôpitaux. En 2018, une forte épidémie de grippe a fait chuter l’activité de prélèvement et de greffe. Tel n’est pas le cas en Espagne. La raison, c’est que, en de pareilles circonstances, les infirmières chargées de la coordination hospitalière sont réaffectées dans d’autres services, aux urgences ou en réanimation. Et à cela, l’Agence de la biomédecine ne peut rien faire, alors qu’elle finance ces postes d’infirmière. Parfois même, elle finance les postes sans que les recrutements suivent. C’est pourquoi nous souhaitons un pilotage plus fort de l’ABM.
La crise que vivent actuellement les hôpitaux est au cœur de nos préoccupations. Le succès ou non du plan repose sur les moyens humains. L’exemple de l’Espagne montre que l’opposition des familles diminue fortement lorsqu’un médecin participe à l’entretien et quand les professionnels de santé sont formés. Au final, le taux d’opposition au prélèvement d’organe y est de 15 % contre plus de 30 % en France.
De même, l’inscription des patients insuffisants rénaux dialysés ou insuffisants hépatiques est un gros travail. Il faut les process de greffe par des donneurs vivants, et les infirmières de coordination ont en la matière un rôle crucial : sans elles, les équipes ne pourraient pas développer le don du vivant. Cette situation est fréquente : cela a été dit, 20 % des équipes réalisent 80 % de l’activité de greffe rénale par donneur vivant en France.
La marge de progression est considérable, mais il faut des moyens et du personnel valorisé – le turnover est très élevé.
Sur la question de la communication, nous avons une vision particulière. Plusieurs études ont montré qu’aucune grande campagne de communication sur le don d’organe ne s’est révélée efficace, car cela touche un sujet intime, celui de la mort, et un sujet par lequel personne ne se sent concerné à moins d’être soi-même en attente de greffe ou greffé.
Si les grandes campagnes ont peu d’effet, nous sommes en revanche convaincus de l’utilité des campagnes menées dans les établissements scolaires auprès des jeunes, qui ont un rôle prescripteur auprès de leur famille.
L’Angleterre, de son côté, a mené avec succès des campagnes destinées à certaines communautés, notamment religieuses.
Les prélèvements de type Maastricht III reposent sur des autorisations données à chaque établissement préleveur, au nombre de vingt-six actuellement en France – une dizaine de plus à terme. En Espagne, tous les établissements sont autorisés à faire du Maastricht III. Certes, cela nécessite des moyens humains et matériels, mais c’est un levier essentiel pour développer le don d’organe.
Monsieur Milon, vous évoquez la situation à La Réunion. Des plaintes pour escroquerie ont été déposées par l’assurance maladie. Le président de l’association de dialysés mise en cause a démissionné avec fracas en dénonçant sa directrice, laquelle est restée en place. Au final, la situation reste assez dramatique.
Nous sommes favorables à la participation des patients au comité de suivi. Ces patients experts pourront ainsi nous représenter et nous impliquer dans la mise en œuvre de ce plan. Au niveau des établissements, lorsque les équipes sont d’accord, ces patients peuvent jouer un rôle majeur d’information entre pairs, pour faire remonter l’information auprès des équipes. Nos associations ont montré leur efficacité, en cas de difficultés, pour agir auprès des ARS ou du ministère. De plus en plus de professionnels sont convaincus de l’intérêt de travailler en lien avec les associations et de l’importance des patients experts.
Madame Cohen, c’est vrai, seulement 45 % des patients sont greffés, 55 % étant dialysés. Dans d’autres pays, la proportion est inverse, ce qui est bénéfique pour la qualité de vie de ces personnes et permet de réaliser de considérables économies. Même si la dialyse et la greffe sont des traitements complémentaires, on voit bien qu’il existe une forme de concurrence entre ces deux traitements, des freins dans l’accès à la greffe, à l’inscription sur les listes d’attente. Certains patients, récusés dans une région, passent dans la région voisine où ils ne le sont plus. Cela pose question, en effet. Il faut réfléchir à un meilleur équilibrage entre les deux traitements.