Intervention de Emmanuelle Cortot-Boucher

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juin 2022 à 9h00
Bilan et perspectives des plans greffes – Audition commune de l'agence de la biomédecine et de la direction générale de la santé

Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l’Agence de la biomédecine :

– C’est un très grand honneur pour moi de me trouver devant vous ce matin, pour présenter, avec Mme Monasse, qui représente le ministère de la santé, le nouveau plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus.

La transplantation d’organes occupe une place particulière dans notre système de santé. D’abord, elle relève de ce qu’on appelle la biomédecine, cette médecine exercée à partir d’éléments ou de produits du corps humain fournis par un donneur vivant ou décédé. Dans ce domaine, l’approche médicale s’exerce de manière particulière, car elle exige non seulement de tenir compte du patient, ce qui est habituel, mais aussi de se préoccuper d’un donneur, qui a également droit à une forme de respect et à une protection. C’est donc une approche plus complexe, moins univoque, qui suppose de trouver un équilibre entre l’intérêt du patient et le respect dû aux donneurs. C’est tout l’enjeu des lois de bioéthique que de définir cet équilibre, et c’est dans ce but qu’ont été progressivement dégagés les principes de consentement préalable, d’anonymat et de gratuité du don.

La transplantation d’organes occupe également une place particulière parce que ce n’est pas seulement une activité de soins, mais aussi une activité de santé publique. La prise en charge du receveur s’inscrit bien sûr dans le cadre d’une relation clinique, d’une relation de soins entre un patient et son médecin mais, pour ce qui concerne le prélèvement, on est clairement dans le domaine de la santé publique. Les prélèvements ne sont possibles, en effet, que grâce à une action concertée, pour préparer les esprits de personnes qui sont en pleine santé et ensuite intervenir sur un donneur qui n’est pas un patient.

En raison de ces particularités, le Parlement a reconnu au prélèvement et à la greffe d’organes le caractère d’une priorité nationale, comme indiqué à l’article L. 1231-1 A du code de la santé publique, lui-même issu d’une loi de bioéthique du 6 août 2004. Le Parlement a également créé, par cette même loi, un organe de régulation de l’activité de prélèvement et de greffe d’organes et tissus, l’Agence de la biomédecine, qui est un établissement public administratif relevant du ministère chargé de la santé.

Dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes et de tissus – qui n’est pas le seul dans lequel elle intervient – l’Agence de la biomédecine assume des missions classiquement dévolues à une agence de sécurité sanitaire : elle suit l’activité des équipes de prélèvement et de greffe, elle évalue leurs résultats et elle contribue à encadrer leurs pratiques. Les missions exercées dans ce domaine particulier présentent toutefois deux originalités.

D’abord, l’agence exerce des fonctions opérationnelles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, puisqu’elle procède à la répartition des greffons qui ont été prélevés sur des donneurs, qu’elle assure aussi la gestion de la liste nationale d’attente, qui doit être constamment accessible, et qu’elle tient le registre national des refus, qui doit pouvoir lui aussi être modifié à tout moment. L’agence intervient aussi pour aider les équipes de coordination des prélèvements dans la qualification des greffons, c’est-à-dire pour déterminer si les greffons sont propres ou non à la transplantation. Deuxième originalité : l’agence a une mission légale de promotion des dons – et pas seulement d’organes et de tissus, d’ailleurs. C’est la seule agence à qui la loi confère la mission d’assurer cette activité d’information et de communication.

Pour ses missions en matière de prélèvements et de greffe, l’agence s’appuie sur les services de son siège, à Saint-Denis, ainsi que sur des services régionaux, qui viennent en appui des équipes de prélèvement et de greffe dans les territoires.

Je souhaite vous donner quelques éléments sur le contexte dans lequel a été élaboré le nouveau plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus, et quelques précisions sur la méthode qui a présidé à son adoption. Ma collègue du ministère de la santé et de la prévention se chargera de vous présenter le contenu précis de ce plan.

Depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics se sont dotés de plans ministériels pour assurer la mobilisation efficace de tous les acteurs impliqués dans les activités de prélèvement et de greffe d’organes et de tissus. Ces plans sont apparus essentiels pour deux raisons.

D’abord, parce que la transplantation est une activité qui met en jeu des coopérations professionnelles hautement complexes. Dans le cas d’un donneur décédé, par exemple, il faut mobiliser une équipe de coordination, qui va recueillir le témoignage des proches du défunt, des réanimateurs qui s’occupent de la personne en état de mort cérébrale, l’Agence de la biomédecine elle-même, qui est sollicitée pour procéder à l’application des règles de répartition, et les chirurgiens préleveurs, qui doivent se déplacer sur le lieu où le défunt se trouve pour procéder aux prélèvements, chacun pour un organe ; enfin, chaque organe doit être emporté par un transporteur. Bref, pour les établissements qui sont autorisés à pratiquer ce type d’activité, c’est un défi d’organisation, qui se renouvelle chaque jour et qui n’est jamais totalement gagné à l’avance.

De surcroît, la greffe reste aujourd’hui une thérapeutique sans équivalent pour les patients qui en ont besoin. Elle suscite donc des attentes considérables, et qui ne cessent de croître, notamment parce que les maladies chroniques se diffusent dans notre société : aujourd’hui, un Français sur dix est concerné par une maladie rénale chronique, par exemple. En 2019, nous comptions 10 350 patients inscrits sur la liste active d’attente pour la greffe, contre 8 500 en 2016 : la progression est importante.

C’est pourquoi des plans ministériels pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus se sont succédé depuis le début des années 2000. Le premier plan a couvert la période allant de 2000 à 2003 ; le second courait de 2012 à 2016 et le troisième de 2017 à 2021. Ce troisième plan greffe a permis d’enregistrer des résultats positifs, notamment pour ce qui concerne la montée en puissance du protocole dit Maastricht III, qui permet de procéder à des prélèvements sur des personnes décédées d’un arrêt circulatoire et non en état de mort encéphalique. Il a fixé un objectif de 400 greffes réalisées grâce aux greffons prélevés dans le cadre de ce protocole. Le chiffre qui a été effectivement atteint est de 552 greffes en 2021, ce qui est très supérieur à l’objectif.

Ce plan a également permis un développement important du recensement des donneurs, grâce au déploiement de l’application Cristal Action dans les services qui accueillent des patients cérébro-lésés, et notamment dans les services de réanimation. Il a permis aussi la réduction de la durée d’ischémie froide à une heure et 30 minutes, ce qui est important pour la qualité des greffes et la survie du greffon après la greffe. Surtout, il a permis la mise en place d’outils d’évaluation des équipes de greffes, avec la généralisation de la méthode des sommes cumulées, dites Cusum, ou du diagramme de l’entonnoir, dit funnel plot. De ce fait, nous sommes désormais capables de détecter presque en temps réel toute déviation significative par rapport aux normes de qualité et de sécurité des greffes. Ces outils sont très largement déployés. Ils font désormais partie du quotidien des équipes de l’Agence de la biomédecine et ils nous permettent de conforter la qualité et la sécurité des greffes, qui est un point fort du système de transplantation à la française.

Pour autant, ce troisième plan greffe n’a pas empêché la diminution du nombre de greffes, une première fois en 2018, puis en 2020, sous l’effet de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19. Cette crise a provoqué une diminution de 25 % du nombre des transplantations en 2020 par rapport à 2019, tous organes confondus, malgré la mobilisation remarquable des professionnels et la vigilance des représentants des patients. En 2020, 4 417 transplantations ont été réalisées, ce qui nous ramène au niveau de 2006 : un recul de quatorze années ! La baisse a connu des intensités différentes selon les organes. Elle a été particulièrement marquée pour le pancréas, avec une diminution de 59 %, et pour le rein, avec une diminution de 29 %, car ces deux organes peuvent donner lieu à des traitements de suppléance. Elle a été moins marquée pour le cœur, avec une diminution de 13 %, et pour le foie, dont les greffes ont diminué de 16 %. Pour les greffes à partir de donneurs vivants, la diminution enregistrée a été de 24 %.

Trois explications permettent de comprendre pourquoi la crise a eu cet effet sur l’activité de prélèvement et de greffe. D’abord, la crise a engendré des tensions sur les services de réanimation, qui ont été mobilisés pour accueillir les patients affectés par le virus du covid-19. Ces services de réanimation ont mobilisé, pour certains, des ressources qui étaient normalement dévolues aux coordinations hospitalières de prélèvement, et leur mise en tension a limité l’activité de prélèvement et de greffe, parce que l’accès aux blocs opératoires a été rendu plus difficile en l’absence de personnel disponible. L’activité a été également ralentie par les risques que le virus a fait courir aux receveurs de greffons puisque, juste après la greffe, les patients prennent un traitement immunosuppresseur extrêmement fort, ce qui leur faisait courir des risques importants en cas de contamination par le virus. Un certain nombre de patients, en accord avec leur médecin, ont souhaité différer des projets de greffe au moment où la circulation du virus a été la plus forte. Cela a notamment été le cas, lors du premier confinement, pour la greffe rénale et pour la greffe hépatique. Enfin, un certain nombre de donneurs, qui normalement auraient pu être qualifiés pour le prélèvement, ont été écartés du don en raison de leur contamination par le virus du covid-19.

Dans ce contexte, la préoccupation de l’Agence de la biomédecine a été double. D’abord, poursuivre l’activité de greffe urgente, c’est-à-dire l’activité de greffe concernant les organes pour lesquels il n’existe pas de traitement de suppléance, soit le cœur, le foie et le poumon. Cela a été constamment réalisé, y compris pendant le premier confinement : l’activité de greffe pour ces organes ne s’est jamais arrêtée sur le territoire national. L’agence a eu aussi à cœur d’assurer la sécurité des patients en soutenant dans les établissements de santé la mise en place de filières covid négatives, ce qu’elle a encouragé en diffusant très largement des recommandations à plusieurs reprises pendant la crise sanitaire.

En 2021, nous avons observé une amélioration nette de l’activité de prélèvement et de greffe, alors même que la circulation du virus est restée élevée, au moins à certaines périodes de l’année, notamment au printemps 2021, alors que les taux d’occupation des services de réanimation par les patients atteints du covid-19 dépassaient les 100 %.

Nous avons enregistré en 2021 une augmentation de l’activité de greffe de 19,3 % par rapport à 2020, avec 5 273 transplantations réalisées. Nous ne sommes donc pas encore revenus au niveau de 2019, puisque nous restons à un niveau inférieur de 10 %, mais nous nous en sommes rapprochés. Pour ce qui concerne la greffe à partir de donneurs vivants, nous sommes en revanche revenus au niveau d’avant-crise.

Nous avons donc renoué avec une dynamique haussière, ce qui est très positif. Mais il est certain que l’organisation de la filière du prélèvement et de la greffe reste fragilisée.

Dans ce contexte, le quatrième plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus, qui couvre la période de 2022 à 2026, s’est donné pour objet de dessiner un chemin qui permettra de renouer avec une dynamique de progrès en transplantation, en suscitant, et c’est fondamental, l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes.

La méthode qui a conduit à l’élaboration de ce plan a été délibérément choisie pour faire converger toutes les énergies disponibles, celle des professionnels de santé, celle des associations qui représentent les patients et aussi celle des pouvoirs publics. La force de ce plan est qu’il est issu d’un travail éminemment collectif, réalisé dans le cadre d’une concertation conduite par l’Agence de la biomédecine le 2 juillet 2021, à la demande du ministère des solidarités et de la santé, à l’occasion de laquelle toutes les parties prenantes ont pu s’exprimer : les représentants des professionnels de santé, les associations de patients et les partenaires institutionnels, notamment les agences régionales de santé (ARS) et les centres hospitaliers de prélèvements ou les centres hospitaliers universitaires qui exercent l’activité de greffe.

Chacun a pu apporter sa contribution au cours des mois qui ont suivi. Certains l’ont fait en formulant des propositions écrites. Ce fut le cas, notamment, d’un collectif d’associations, Greffes +, qui a produit un manifeste pour le prélèvement et la greffe, ou d’un collectif constitué de sociétés savantes et d’associations, qui a rédigé un Livre blanc pour la transplantation rénale. D’autres acteurs ont agi en réalisant un travail de sensibilisation, notamment auprès des autorités politiques. Tout ce travail collectif a permis de créer de la convergence et de la légitimité autour de quelques propositions, qui ont été transmises au ministère et qui ont été discutées pendant plusieurs mois. Par ailleurs, l’agence de la biomédecine a pu bénéficier des conclusions d’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a été chargée de réaliser un bilan du plan 2017-2021 et qui a formulé des propositions.

En définitive, le nouveau plan ministériel dessine un cadre nouveau et donne une impulsion inédite, qui doit permettre de développer l’activité tout en maintenant la qualité des greffes, dans l’intérêt des patients.

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