La réunion est ouverte à 9 h 00.
présidente. – Nous poursuivons nos travaux sur le bilan des précédents plans greffes, l’impact de la crise sanitaire sur cette activité et les perspectives du plan 2022-2026.
Après l’audition hier de différentes associations, nous entendons ce matin les acteurs institutionnels.
J’ai le plaisir d’accueillir Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, accompagnée du professeur François Kerbaul, directeur du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus, ainsi que Mme Hélène Monasse, sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins à la direction générale de la santé, accompagnée de Mme Lucie Bozec.
Cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Je salue ceux de nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.
– C’est un très grand honneur pour moi de me trouver devant vous ce matin, pour présenter, avec Mme Monasse, qui représente le ministère de la santé, le nouveau plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus.
La transplantation d’organes occupe une place particulière dans notre système de santé. D’abord, elle relève de ce qu’on appelle la biomédecine, cette médecine exercée à partir d’éléments ou de produits du corps humain fournis par un donneur vivant ou décédé. Dans ce domaine, l’approche médicale s’exerce de manière particulière, car elle exige non seulement de tenir compte du patient, ce qui est habituel, mais aussi de se préoccuper d’un donneur, qui a également droit à une forme de respect et à une protection. C’est donc une approche plus complexe, moins univoque, qui suppose de trouver un équilibre entre l’intérêt du patient et le respect dû aux donneurs. C’est tout l’enjeu des lois de bioéthique que de définir cet équilibre, et c’est dans ce but qu’ont été progressivement dégagés les principes de consentement préalable, d’anonymat et de gratuité du don.
La transplantation d’organes occupe également une place particulière parce que ce n’est pas seulement une activité de soins, mais aussi une activité de santé publique. La prise en charge du receveur s’inscrit bien sûr dans le cadre d’une relation clinique, d’une relation de soins entre un patient et son médecin mais, pour ce qui concerne le prélèvement, on est clairement dans le domaine de la santé publique. Les prélèvements ne sont possibles, en effet, que grâce à une action concertée, pour préparer les esprits de personnes qui sont en pleine santé et ensuite intervenir sur un donneur qui n’est pas un patient.
En raison de ces particularités, le Parlement a reconnu au prélèvement et à la greffe d’organes le caractère d’une priorité nationale, comme indiqué à l’article L. 1231-1 A du code de la santé publique, lui-même issu d’une loi de bioéthique du 6 août 2004. Le Parlement a également créé, par cette même loi, un organe de régulation de l’activité de prélèvement et de greffe d’organes et tissus, l’Agence de la biomédecine, qui est un établissement public administratif relevant du ministère chargé de la santé.
Dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes et de tissus – qui n’est pas le seul dans lequel elle intervient – l’Agence de la biomédecine assume des missions classiquement dévolues à une agence de sécurité sanitaire : elle suit l’activité des équipes de prélèvement et de greffe, elle évalue leurs résultats et elle contribue à encadrer leurs pratiques. Les missions exercées dans ce domaine particulier présentent toutefois deux originalités.
D’abord, l’agence exerce des fonctions opérationnelles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, puisqu’elle procède à la répartition des greffons qui ont été prélevés sur des donneurs, qu’elle assure aussi la gestion de la liste nationale d’attente, qui doit être constamment accessible, et qu’elle tient le registre national des refus, qui doit pouvoir lui aussi être modifié à tout moment. L’agence intervient aussi pour aider les équipes de coordination des prélèvements dans la qualification des greffons, c’est-à-dire pour déterminer si les greffons sont propres ou non à la transplantation. Deuxième originalité : l’agence a une mission légale de promotion des dons – et pas seulement d’organes et de tissus, d’ailleurs. C’est la seule agence à qui la loi confère la mission d’assurer cette activité d’information et de communication.
Pour ses missions en matière de prélèvements et de greffe, l’agence s’appuie sur les services de son siège, à Saint-Denis, ainsi que sur des services régionaux, qui viennent en appui des équipes de prélèvement et de greffe dans les territoires.
Je souhaite vous donner quelques éléments sur le contexte dans lequel a été élaboré le nouveau plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus, et quelques précisions sur la méthode qui a présidé à son adoption. Ma collègue du ministère de la santé et de la prévention se chargera de vous présenter le contenu précis de ce plan.
Depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics se sont dotés de plans ministériels pour assurer la mobilisation efficace de tous les acteurs impliqués dans les activités de prélèvement et de greffe d’organes et de tissus. Ces plans sont apparus essentiels pour deux raisons.
D’abord, parce que la transplantation est une activité qui met en jeu des coopérations professionnelles hautement complexes. Dans le cas d’un donneur décédé, par exemple, il faut mobiliser une équipe de coordination, qui va recueillir le témoignage des proches du défunt, des réanimateurs qui s’occupent de la personne en état de mort cérébrale, l’Agence de la biomédecine elle-même, qui est sollicitée pour procéder à l’application des règles de répartition, et les chirurgiens préleveurs, qui doivent se déplacer sur le lieu où le défunt se trouve pour procéder aux prélèvements, chacun pour un organe ; enfin, chaque organe doit être emporté par un transporteur. Bref, pour les établissements qui sont autorisés à pratiquer ce type d’activité, c’est un défi d’organisation, qui se renouvelle chaque jour et qui n’est jamais totalement gagné à l’avance.
De surcroît, la greffe reste aujourd’hui une thérapeutique sans équivalent pour les patients qui en ont besoin. Elle suscite donc des attentes considérables, et qui ne cessent de croître, notamment parce que les maladies chroniques se diffusent dans notre société : aujourd’hui, un Français sur dix est concerné par une maladie rénale chronique, par exemple. En 2019, nous comptions 10 350 patients inscrits sur la liste active d’attente pour la greffe, contre 8 500 en 2016 : la progression est importante.
C’est pourquoi des plans ministériels pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus se sont succédé depuis le début des années 2000. Le premier plan a couvert la période allant de 2000 à 2003 ; le second courait de 2012 à 2016 et le troisième de 2017 à 2021. Ce troisième plan greffe a permis d’enregistrer des résultats positifs, notamment pour ce qui concerne la montée en puissance du protocole dit Maastricht III, qui permet de procéder à des prélèvements sur des personnes décédées d’un arrêt circulatoire et non en état de mort encéphalique. Il a fixé un objectif de 400 greffes réalisées grâce aux greffons prélevés dans le cadre de ce protocole. Le chiffre qui a été effectivement atteint est de 552 greffes en 2021, ce qui est très supérieur à l’objectif.
Ce plan a également permis un développement important du recensement des donneurs, grâce au déploiement de l’application Cristal Action dans les services qui accueillent des patients cérébro-lésés, et notamment dans les services de réanimation. Il a permis aussi la réduction de la durée d’ischémie froide à une heure et 30 minutes, ce qui est important pour la qualité des greffes et la survie du greffon après la greffe. Surtout, il a permis la mise en place d’outils d’évaluation des équipes de greffes, avec la généralisation de la méthode des sommes cumulées, dites Cusum, ou du diagramme de l’entonnoir, dit funnel plot. De ce fait, nous sommes désormais capables de détecter presque en temps réel toute déviation significative par rapport aux normes de qualité et de sécurité des greffes. Ces outils sont très largement déployés. Ils font désormais partie du quotidien des équipes de l’Agence de la biomédecine et ils nous permettent de conforter la qualité et la sécurité des greffes, qui est un point fort du système de transplantation à la française.
Pour autant, ce troisième plan greffe n’a pas empêché la diminution du nombre de greffes, une première fois en 2018, puis en 2020, sous l’effet de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19. Cette crise a provoqué une diminution de 25 % du nombre des transplantations en 2020 par rapport à 2019, tous organes confondus, malgré la mobilisation remarquable des professionnels et la vigilance des représentants des patients. En 2020, 4 417 transplantations ont été réalisées, ce qui nous ramène au niveau de 2006 : un recul de quatorze années ! La baisse a connu des intensités différentes selon les organes. Elle a été particulièrement marquée pour le pancréas, avec une diminution de 59 %, et pour le rein, avec une diminution de 29 %, car ces deux organes peuvent donner lieu à des traitements de suppléance. Elle a été moins marquée pour le cœur, avec une diminution de 13 %, et pour le foie, dont les greffes ont diminué de 16 %. Pour les greffes à partir de donneurs vivants, la diminution enregistrée a été de 24 %.
Trois explications permettent de comprendre pourquoi la crise a eu cet effet sur l’activité de prélèvement et de greffe. D’abord, la crise a engendré des tensions sur les services de réanimation, qui ont été mobilisés pour accueillir les patients affectés par le virus du covid-19. Ces services de réanimation ont mobilisé, pour certains, des ressources qui étaient normalement dévolues aux coordinations hospitalières de prélèvement, et leur mise en tension a limité l’activité de prélèvement et de greffe, parce que l’accès aux blocs opératoires a été rendu plus difficile en l’absence de personnel disponible. L’activité a été également ralentie par les risques que le virus a fait courir aux receveurs de greffons puisque, juste après la greffe, les patients prennent un traitement immunosuppresseur extrêmement fort, ce qui leur faisait courir des risques importants en cas de contamination par le virus. Un certain nombre de patients, en accord avec leur médecin, ont souhaité différer des projets de greffe au moment où la circulation du virus a été la plus forte. Cela a notamment été le cas, lors du premier confinement, pour la greffe rénale et pour la greffe hépatique. Enfin, un certain nombre de donneurs, qui normalement auraient pu être qualifiés pour le prélèvement, ont été écartés du don en raison de leur contamination par le virus du covid-19.
Dans ce contexte, la préoccupation de l’Agence de la biomédecine a été double. D’abord, poursuivre l’activité de greffe urgente, c’est-à-dire l’activité de greffe concernant les organes pour lesquels il n’existe pas de traitement de suppléance, soit le cœur, le foie et le poumon. Cela a été constamment réalisé, y compris pendant le premier confinement : l’activité de greffe pour ces organes ne s’est jamais arrêtée sur le territoire national. L’agence a eu aussi à cœur d’assurer la sécurité des patients en soutenant dans les établissements de santé la mise en place de filières covid négatives, ce qu’elle a encouragé en diffusant très largement des recommandations à plusieurs reprises pendant la crise sanitaire.
En 2021, nous avons observé une amélioration nette de l’activité de prélèvement et de greffe, alors même que la circulation du virus est restée élevée, au moins à certaines périodes de l’année, notamment au printemps 2021, alors que les taux d’occupation des services de réanimation par les patients atteints du covid-19 dépassaient les 100 %.
Nous avons enregistré en 2021 une augmentation de l’activité de greffe de 19,3 % par rapport à 2020, avec 5 273 transplantations réalisées. Nous ne sommes donc pas encore revenus au niveau de 2019, puisque nous restons à un niveau inférieur de 10 %, mais nous nous en sommes rapprochés. Pour ce qui concerne la greffe à partir de donneurs vivants, nous sommes en revanche revenus au niveau d’avant-crise.
Nous avons donc renoué avec une dynamique haussière, ce qui est très positif. Mais il est certain que l’organisation de la filière du prélèvement et de la greffe reste fragilisée.
Dans ce contexte, le quatrième plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus, qui couvre la période de 2022 à 2026, s’est donné pour objet de dessiner un chemin qui permettra de renouer avec une dynamique de progrès en transplantation, en suscitant, et c’est fondamental, l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes.
La méthode qui a conduit à l’élaboration de ce plan a été délibérément choisie pour faire converger toutes les énergies disponibles, celle des professionnels de santé, celle des associations qui représentent les patients et aussi celle des pouvoirs publics. La force de ce plan est qu’il est issu d’un travail éminemment collectif, réalisé dans le cadre d’une concertation conduite par l’Agence de la biomédecine le 2 juillet 2021, à la demande du ministère des solidarités et de la santé, à l’occasion de laquelle toutes les parties prenantes ont pu s’exprimer : les représentants des professionnels de santé, les associations de patients et les partenaires institutionnels, notamment les agences régionales de santé (ARS) et les centres hospitaliers de prélèvements ou les centres hospitaliers universitaires qui exercent l’activité de greffe.
Chacun a pu apporter sa contribution au cours des mois qui ont suivi. Certains l’ont fait en formulant des propositions écrites. Ce fut le cas, notamment, d’un collectif d’associations, Greffes +, qui a produit un manifeste pour le prélèvement et la greffe, ou d’un collectif constitué de sociétés savantes et d’associations, qui a rédigé un Livre blanc pour la transplantation rénale. D’autres acteurs ont agi en réalisant un travail de sensibilisation, notamment auprès des autorités politiques. Tout ce travail collectif a permis de créer de la convergence et de la légitimité autour de quelques propositions, qui ont été transmises au ministère et qui ont été discutées pendant plusieurs mois. Par ailleurs, l’agence de la biomédecine a pu bénéficier des conclusions d’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a été chargée de réaliser un bilan du plan 2017-2021 et qui a formulé des propositions.
En définitive, le nouveau plan ministériel dessine un cadre nouveau et donne une impulsion inédite, qui doit permettre de développer l’activité tout en maintenant la qualité des greffes, dans l’intérêt des patients.
– Ma présentation commence là où s’arrête celle de Mme la directrice générale : je vais expliciter la méthode et les principaux éléments de contenu du plan 2022-2026. Il s’agit du quatrième plan depuis l’an 2000. Il a été révisé parallèlement à deux autres plans ministériels, portant respectivement sur les cellules souches hématopoïétiques et sur le secteur de la procréation – embryologie et génétique. La préparation de ces trois plans a obéi à la même méthode, focalisée sur la concertation, sous le pilotage de l’Agence de la biomédecine et en lien avec les parties prenantes.
Il y avait un enjeu transversal à reprendre certains des constats et des conclusions du rapport de l’IGAS, qui a trait aux contrats d’objectifs et de performance de l’Agence de la biomédecine, mais dont les préconisations sont plus larges, et portent notamment sur la construction globale des plans.
D’abord, des leviers de progression ont été identifiés, par comparaison avec d’autres pays de l’Union européenne, avec l’idée de faire porter l’effort sur chacun d’entre eux simultanément. Le premier était le taux d’opposition au prélèvement ; le deuxième, la poursuite de la capitalisation sur la dynamique de Maastricht III ; le troisième portait sur l’accompagnement renforcé des donneurs vivants.
Progresser de façon transverse impliquait quatre types d’efforts : sur les éléments d’accompagnement et d’information auprès du grand public, des personnes concernées et des équipes soignantes ; sur le développement et la diffusion de nouvelles technologies permettant d’optimiser les techniques de prélèvement et de greffe ; sur l’amélioration et le renforcement des moyens humains dans les équipes associées aux activités de prélèvement et de greffe et, par conséquent, sur des moyens financiers incitatifs pour les établissements de santé ; et sur les indicateurs et les éléments de pilotage, ce qui nous a beaucoup mobilisés, en lien avec les représentants des équipes soignantes au sein des établissements de santé, ainsi que sur les éléments de gouvernance et de suivi régulier de ces indicateurs – avec pour objectif d’identifier des écarts par rapport aux objectifs fixés par les plans et de comprendre les leviers à mobiliser pour réduire ces écarts.
Le plan prévoit cinq axes.
Le premier porte sur le développement du prélèvement multi-sources et multi- organes. L’objectif est de faire baisser le taux d’opposition, en renforçant l’expertise des équipes qui prennent en charge les donneurs potentiels et leurs familles. Le plan prévoit la poursuite du développement du prélèvement sur donneur dit Maastricht III qui, comme l’a indiqué la directrice générale de l’Agence de la biomédecine, donnait de très bons résultats dans le cadre du précédent plan. Le plan prévoit aussi le développement du recensement et du prélèvement pédiatrique, notamment par le déploiement d’outils informatiques comme Cristal Action dans les services concernés, et par l’élaboration de règles de bonnes pratiques ad hoc. Quatrièmement, il s’agit de promouvoir la réhabilitation et la mise sous machine à perfusion des greffons prélevés, ce qui implique des investissements.
Un enjeu important, transverse à l’ensemble du plan, est le renforcement des fonctions infirmières associées aux activités de prélèvement et de greffe, avec une cible spécifique de mise en place d’infirmiers en pratique avancée pour les activités de prélèvement et de greffe. De fait, au vu des tensions en termes de temps médical, le renforcement de temps infirmier spécifiquement reconnu pourrait aider à faire baisser le taux d’opposition dans certains établissements.
Le deuxième axe du plan porte sur l’amélioration de l’accès à la greffe. Les leviers identifiés pour y parvenir sont l’harmonisation et la réévaluation des critères d’inscription sur la liste d’attente, la réduction des durées d’ischémie froide, le développement de greffes innovantes comme les îlots de Langerhans pour les personnes diabétiques, l’amélioration de la prise en charge médico-psycho-sociale des donneurs vivants et de suivi des patients transplantés, et le développement de la greffe de rein, notamment à partir de donneurs vivants.
Les trois autres axes sont transverses et concernent le suivi qui, de l’aveu à la fois des équipes soignantes et des représentants des associations de patients, était important pour emporter une dynamique et éviter que le fait de ne pas atteindre dès la première année des objectifs extrêmement ambitieux ne provoque un décrochage et la démotivation d’un certain nombre d’équipes.
Le troisième axe fixe donc le principe d’une approche régionalisée, pour tenir compte des spécificités des territoires et réduire les disparités entre régions. Nous avons donc lancé des travaux avec les ARS. D’abord, pour désigner un référent dans chaque ARS, qui soit chargé de suivre la mise en place du plan régional et d’être l’interlocuteur à la fois de l’Agence de la biomédecine et des établissements de santé. Puis, pour suivre et décliner une feuille de route, avec quelques indicateurs seulement, au niveau régional, afin d’avoir un focus sur quelques actions phares qui nécessitent une progression dans chaque région. Il est prévu aussi d’associer les représentants des associations de patients et d’usagers, ainsi que ceux des professionnels de santé, aux conférences régionales de la santé et de l’autonomie.
Le quatrième axe porte sur la démarche de qualité, c’est-à-dire l’accompagnement des pratiques et le renforcement des audits et des plans d’accompagnement des équipes. Le rapport de l’IGAS constatait en effet des hétérogénéités sur le territoire, et l’on pouvait relever une corrélation entre celles-ci et la fréquence des audits, le partage des bonnes pratiques et l’intensité des contrôles de l’Agence de la biomédecine. Ainsi, les équipes qui n’atteignent pas les objectifs fixés au niveau national ne seront pas laissées sans éléments d’accompagnement ou de suivi spécifiques. La définition d’indicateurs de qualité, en lien avec la Haute autorité de santé, s’accompagne de la conduite d’actions renforcées sur la gestion des risques, la biovigilance et l’analyse des événements indésirables.
Le dernier axe, qui nous a très largement et fortement mobilisés au sein du ministère, est celui des moyens associés. Nous avons donc travaillé en lien étroit avec la direction générale de l’offre de soins et la direction de la sécurité sociale, pour prévoir un financement ambitieux et à la hauteur des enjeux. Cela concerne tout d’abord les investissements associés aux innovations techniques, mais aussi aux innovations organisationnelles et à ce qu’elles impliquent en termes de recrutement et de formation des personnels, notamment infirmiers, ou de renforcement des astreintes. Il fallait aussi renforcer le caractère incitatif des financements qui existent actuellement, c’est-à-dire les forfaits et tarifs qui sont applicables de droit dans les établissements de santé.
Cela représente un effort financier conséquent, de 210 millions d’euros sur cinq ans, concentré sur les années 2023-2026. Cet effort a été partagé entre les différentes directions du ministère et avec l’Agence de la biomédecine, au vu du bilan du plan précédent, il est vrai entaché par les freins conjoncturels liés à la période de crise pandémique, mais aussi par des freins plus structurels, identifiés notamment dans le cadre des concertations avec les représentants des professionnels de santé.
Ces financements supplémentaires doivent aussi aider à suivre un certain nombre d’indicateurs. Le précédent plan a montré en effet qu’on avait tendance à fixer les indicateurs annuels de manière trop rigide, sans possibilité de report. La méthode sera désormais un peu différente, pour éviter l’effet de décrochage et de démobilisation des équipes. Il y a trois nouveautés. D’abord, les indicateurs auront une cible socle, c’est-à-dire un objectif de progression d’une année sur l’autre, qui est le minimum attendu, et un objectif plus ambitieux, qui est la cible au vu des moyens complémentaires apportés, notamment dans certaines régions qui peuvent se trouver déjà à un niveau élevé. Puis, les indicateurs seront déclinés au niveau de chaque région, avec une révision annuelle, au niveau national comme régional, dans le cadre d’un comité ad hoc, où siègent les représentants des établissements de santé autorisés pour le prélèvement et la greffe et les représentants des sociétés savantes et des associations compétentes. Enfin, au vu du bilan annuel dressé dans le cadre de ce comité, celui-ci sera chargé de proposer des mesures complémentaires de rattrapage pour que, en 2026, le bilan global soit aussi positif que possible.
présidente. – Merci pour cette présentation très complète. Je donne la parole à notre collègue Bernard Jomier, qui était rapporteur des parties de la loi de bioéthique relatives aux greffes et dons.
M. Bernard Jomier. – Ces trois plans nous ont été présentés au mois de mars, dans le cadre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine. Celui dont nous parlons aujourd’hui a été jugé globalement bon, et les associations que nous avons entendues hier nous ont confirmé qu’elles avaient été associées à sa préparation. Beaucoup de questions se posent, toutefois, sur son applicabilité et sur ses conditions d’exécution. Je souhaiterais que vous apportiez quelques précisions sur plusieurs points.
Une interrogation nous a été confirmée hier quant à la capacité de l’agence à en assurer le pilotage stratégique. Estimez-vous que les outils de pilotage dont vous disposez sont adaptés et efficients ? Comment allez-vous éviter que la crise de l’hôpital n’influe sur l’exécution de ce plan ? Vous l’avez dit vous-même : certains postes affectés par l’agence ne sont pas consacrés aux tâches prévues.
Pour la greffe issue de donneurs vivants, vous nous avez indiqué que la situation s’était rétablie en 2021. L’objectif de 20 % en 2026 est-il toujours d’actualité ? Sur le protocole Maastricht III, vous êtes très optimistes. Certes, la progression entre 2020 et 2021 est bonne mais, si l’on compare à d’autres pays européens, on ne peut pas dire que les résultats soient excellents… Quels sont les principaux obstacles à la réalisation des prélèvements dans le cadre de Maastricht III ? Nous en avons beaucoup discuté hier avec les associations. Moyens ? Obstacles culturels ? Communication ? Il est important de procéder à une identification la plus précise possible de ces obstacles pour pouvoir les surmonter.
Au niveau régional, puisque le plan prévoit la création de référents dans les ARS, quelle sera l’articulation avec les services régionaux de l’Agence de la biomédecine ? Nous n’allons pas dupliquer une coordination existante…
Sur les prélèvements, disposez-vous des premières tendances de 2022 ?
Quelque 210 millions d’euros sont prévus pour l’exécution de ce plan. J’imagine que ce chiffrage correspond à l’atteinte de tous les objectifs. L’une de vous me fait « oui » de la tête, et l’autre « non »… Je sais bien que les questions budgétaires ne représentent pas l’essentiel, mais il serait intéressant d’évaluer les économies pour le système de santé qu’entraînerait la réalisation complète de ce plan.
Mme Corinne Imbert. – Étant rapporteure pour la branche maladie des lois de financement de la sécurité sociale, je vais parler chiffres ! L’enveloppe de 210 millions d’euros que vous avez évoquée porte à 2 milliards d’euros nos engagements pour la période 2022-2026. Quelles garanties pouvez-vous nous donner que ces financements supplémentaires seront bien utilisés ? Vous avez indiqué que ces crédits serviront à financer des postes, et notamment des postes d’infirmières en pratique avancée. Pouvez-vous préciser ce qui a conduit le ministère à réserver cette enveloppe de 210 millions d’euros ? Quelle part de cette somme servira vraiment à financer des postes ? Quelle part financera des investissements dans les équipements ?
Vous avez évoqué les constats et les préconisations formulés par l’IGAS en juin 2021. Ceux-ci sont-ils suffisamment pris en compte dans ce nouveau plan ? Quel est d’ailleurs, l’objectif-socle ? Vous avez parlé, enfin, de l’approche régionalisée. Le risque n’est-il pas surtout de voir se creuser des iniquités et des disparités entre régions ? Il peut arriver que, selon la région de résidence, un patient soit retenu, ou non, pour une transplantation…
M. René-Paul Savary. – Nous connaissons les difficultés des hôpitaux, les lits fermés, les problèmes de personnel. Comme lors de la crise du covid-19, les services de greffes seront-ils les premiers ciblés ? Les associations nous ont dit que c’était dans leur personnel qu’on avait puisé en premier. Cela risquerait d’engendrer un retard…
Cette présentation à deux voix du plan me surprend. Quelles sont les responsabilités de chacun ? Quand tout se passe bien, à qui le doit-on ? Et, quand cela se passe mal, qui est responsable ?
M. Philippe Mouiller. – Ma première question sera dans la ligne de l’intervention de René-Paul Savary : j’ai été très étonné des réactions exprimées hier par les associations, qui sont très favorables au plan, mais qui s’étonnent et s’inquiètent du problème du pilotage national. Pourquoi cette question se pose-t-elle ? Quel est le référent, le responsable ? L’un des enjeux est la répartition territoriale, notamment des lieux de prélèvement. Pourriez-vous, d’ailleurs, augmenter le nombre total de lieux de prélèvement ?
– Vous nous interrogez sur l’impact possible de la situation dans les hôpitaux sur l’activité de prélèvement et de greffe d’organes. Certes, les activités de prélèvement et de greffe d’organes et de tissus sont exercées dans les hôpitaux. Elles ne sont pas hors-sol. Elles sont donc susceptibles d’être pénalisées par les difficultés que rencontre l’hôpital. Pour autant, ces activités ont un atout : elles sont prioritaires en vertu de la loi. Les organisateurs des activités de soin ont donc l’obligation de les préserver, de les sanctuariser au maximum, contrairement à d’autres activités qui peuvent être décalées sans dommage pour les patients.
Nous sommes vigilants, bien sûr, sur l’évolution de la situation. Nous sommes d’ailleurs intervenus pendant la crise sanitaire au moyen de recommandations – puisque l’agence a, en vertu de la loi, un pouvoir de recommandation. Nous avons écrit aux directeurs généraux des centres hospitaliers de prélèvement, des centres hospitaliers universitaires et des ARS, pour leur rappeler ce caractère prioritaire des activités de prélèvement et de greffe.
Nous maintenons actuellement ce degré particulier de vigilance, compte tenu de la situation. Les tensions sur les ressources humaines peuvent en effet avoir un effet sur les activités de prélèvement et de greffe. Et nous observons une désorganisation des filières liée à la crise. Notamment, les donneurs ne sont plus uniquement dans les services où nous avions l’habitude de les recenser, mais dans d’autres services. Il nous faut donc élargir le champ de vigilance pour les repérer et permettre, le cas échéant, d’engager un processus de prélèvement.
Pour l’instant, en 2022, alors que les difficultés des hôpitaux sont déjà connues, nous ne constatons pas d’impact défavorable sur l’activité de prélèvement et de greffe : sur les quatre premiers mois de l’année, l’activité n’a pas été inférieure à celle de 2021 et, sur le mois de mai 2022, elle est même nettement supérieure.
Professeur François Kerbaul, directeur du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus. – En effet, l’activité sur les cinq premiers mois de l’année 2022 se caractérise par une faible hausse par rapport à 2021. En dépit de la persistance de la crise sanitaire, nous avons observé une augmentation de l’activité de greffe depuis des donneurs vivants de 12 % par rapport à l’année dernière, et une augmentation de l’activité de greffe totale de 4 % à 6 %. Entre le 1er janvier et le 30 mai 2022, quelque 2 205 greffes ont été réalisées, contre 2 109 l’année dernière. Quant aux prélèvements, notamment les prélèvements Maastricht III, leur nombre continue d’augmenter, avec une hausse de 12,7 % pour ces derniers – les prélèvements Maastricht III représentent désormais 10,4 % du total des greffes en France. L’activité semble nettement repartie si l’on regarde les chiffres du mois de mai : 495 greffes ont été réalisées, contre 400 l’an dernier et 287 en 2020, et contre 535 en 2019.
– Plusieurs questions portent sur le pilotage, au niveau tant régional que national. Qui est responsable ? Comment éviter la création de doublons ? Le plan a été élaboré sur proposition de l’Agence de la biomédecine et sur la base d’un certain nombre d’éléments scientifiques et techniques, au vu aussi des concertations organisées avec les représentants des professionnels de santé, des sociétés savantes et des associations de patients, bref avec l’ensemble des parties prenantes. C’est un plan ministériel, pour la bonne et simple raison qu’un certain nombre des leviers, et notamment le tableau de financement qui lui est annexé, ne relèvent pas de la responsabilité de l’agence de la biomédecine.
Qui est responsable ? Tout simplement le ministre qui a la tutelle sur l’agence, même si c’est cette dernière qui assure le suivi stratégique et opérationnel du plan, et notamment la déclinaison de la feuille de route au niveau régional, en lien avec les services de la direction générale de la santé et de la direction générale de l’offre de soins, sans oublier le suivi annuel des indicateurs au niveau national. Le responsable est donc le ministre. Parmi les objectifs impartis à l’agence figurent l’animation opérationnelle et le pilotage au niveau national du plan ministériel.
Au niveau régional, le référent en ARS n’a pas vocation à doublonner les référents régionaux de l’agence.
M. Bernard Jomier. – Heureusement !
– Comme au niveau national, le dialogue de gestion avec les établissements de santé doit permettre de s’assurer que la mise en œuvre des actions du plan ministériel est bien priorisée, et que l’ensemble des moyens sont mobilisés. Cela relève des missions des ARS, et non de celles de l’agence. L’une des missions confiées au référent en ARS est d’avoir ce dialogue de gestion constructif avec les établissements de santé.
À quoi correspondent les 210 millions d’euros ? Vous avez relevé que nous avons réagi différemment à cette question. Tout dépend du point de vue, puisqu’il y a un objectif socle et un objectif maximal. Ce montant correspond à un niveau moyen d’activité fixé dans le plan. Si l’activité dépasse ce niveau, ce sera une bonne nouvelle, et les financements complémentaires nécessaires seront assumés.
Vous nous interrogez également sur la répartition des financements entre investissement et renforcement des équipes. Sur ce point, je vous renvoie au tableau de financement qui constitue l’annexe 1 du plan. Sur les 210 millions d’euros, 126 millions d’euros sont consacrés au renforcement des forfaits annuels de l’augmentation d’activité : si l’activité progresse à hauteur du scénario moyen que l’on a identifié, cela implique un investissement complémentaire de ce montant. Le reste, c’est-à-dire 60 % de l’investissement sur cinq ans, constitue une revalorisation. Un montant de 37 millions d’euros est prévu pour la revalorisation des forfaits : forfait annuels greffe, forfait de coordination des prélèvements d’organes, forfait de prélèvements d’organes, tarif pour le prélèvement sur donneur vivant, forfait pour le prélèvement de tissus et tarifs d’hospitalisation pour la greffe. Cette somme doit produire un rattrapage, notamment sur les éléments associés aux moyens humains mobilisés, de façon générale et non fléchée. Quelque 6 millions d’euros sont spécifiquement ciblés sur la formation des équipes, la communication et le financement de projets de recherche spécifiques, et 40,7 millions d’euros ont vocation à financer les innovations organisationnelles et techniques, avec des investissements en équipements spécifiques ou le renforcement d’équipes : par exemple, pour les astreintes d’anatomopathologie des chirurgiens préleveurs ou le renforcement d’équipes de coordination de prélèvement et de suivi post-greffe.
Difficile, donc, de donner une répartition en pourcentage entre équipements et personnel. La logique est plutôt de financer les innovations, à hauteur de 40 millions d’euros, de renforcer les incitations, avec un effet de rattrapage sur les forfaits de financement à hauteur de 37 millions d’euros, et d’accompagner l’augmentation d’activité dans le temps, ce qui représente 126 millions d’euros.
Vous nous interrogez aussi sur les gains associés à ce plan pour la collectivité. Certaines associations ont présenté des éléments d’analyse médico-économique de comparaison entre dialyse et greffe. Ces résultats mériteraient de faire l’objet de travaux de recherche ou d’une analyse par l’assurance maladie.
M. Bernard Jomier. – L’assurance maladie ne fait-elle pas déjà ce travail ?
– Certains éléments ont été analysés, en effet, sur les aspects de santé publique, de qualité de vie pour les patients, mais aussi de rationalité médico-économique. Toutefois, le renforcement de l’accès à la greffe, notamment pour les greffes de rein, nécessite de réduire certains freins, comme le taux de refus, et de développer le prélèvement sur donneur vivant.
– Vous nous interrogez sur les outils de pilotage dont dispose l’agence. Celle-ci a-t-elle les moyens d’effectuer le pilotage qui lui est confié par le plan ? Le plan étant ministériel, la responsabilité première en revient au ministre, qui est le seul en capacité de coordonner l’action de tous les acteurs qui sont appelés à intervenir dans l’activité de prélèvement et de transplantation, puisque celle-ci se déroule au premier chef dans les établissements de santé. C’est donc une responsabilité de nature politique, et les résultats sont évalués par les citoyens.
Pour ce qui concerne l’agence, les leviers dont elle dispose en propre ne sont pas coercitifs en tant que tels, mais ils sont très efficaces. Nous disposons en effet d’un matériel de pilotage très important, grâce aux données auxquelles nous avons accès en matière de greffes avec la base Cristal, qui collige toutes les informations sur les donneurs et sur les receveurs. Cela nous donne une vision unique, qui nous permet d’agir là où les difficultés se présentent. D’autres outils, dont j’ai déjà parlé, nous permettent de suivre en temps réel la qualité de l’activité dans tous les services du territoire, avec la méthode des sommes cumulées et de l’entonnoir. Nous disposons aussi d’un pouvoir de recommandation et de proposition vis-à-vis des autorités parlementaires et exécutives, qui fait de nous une force d’initiative et nous permet de faire passer un certain nombre de messages à la fois aux acteurs de terrain et aux autorités qui sont en capacité de faire changer le cadre juridique.
Vous nous demandez si l’objectif de 20 % de greffes à partir de donneurs vivants était réaliste. Notre activité en la matière a bien progressé jusqu’en 2018, et s’est enrayée ensuite. Mais nous partions de loin puisque, en 2010, ces greffes ne représentaient que 10 % du total. En 2020, elles en constituaient 16 %. L’objectif du plan est de développer absolument ce type de greffes. C’est nécessaire, parce que le nombre de sujets en état de mort encéphalique va en diminuant, avec la baisse de la mortalité routière et la meilleure prise en charge des accidents vasculaires cérébraux. Il faut donc trouver d’autres sources de greffons pour répondre à la demande des patients qui en ont besoin.
La greffe à partir de donneurs vivants a des atouts considérables. C’est aujourd’hui la greffe qui donne les meilleurs résultats. Dans les trois quarts des cas, lors d’une greffe à partir de donneurs vivants, le greffon est encore vivant dix ans après la greffe. Pour une greffe à partir de donneurs décédés, cette proportion n’est que de deux tiers. Il s’agit donc d’une greffe excellente et qui doit être encouragée. Nous pouvons, et nous devons faire mieux, notamment en mobilisant les professionnels de santé, qui sont déterminants dans le fait de recommander ou non cette greffe.
Pour cela, les différents leviers du plan sont tous pertinents. La mobilisation d’infirmiers en pratique avancée pour assurer le suivi des donneurs vivants et la coordination de la greffe elle-même sera un plus important pour atteindre l’objectif. En effet, ce type de greffe est un défi en termes d’organisation, puisqu’il faut mobiliser en même temps deux blocs opératoires. Le plan prévoit aussi la revalorisation des forfaits dans un sens plus incitatif, notamment pour ce qui concerne l’occupation des blocs dans le cas où il est procédé à un prélèvement sur donneur vivant et à une greffe consécutive. Il prévoit le renforcement de la communication en matière de prélèvement sur donneur vivant, avec un supplément de 600 000 euros par an pour cette communication, pour laquelle l’Agence de la biomédecine dispose actuellement de moins de moyens que pour celle sur la greffe à partir de donneurs décédés. L’agence entend aussi exploiter la possibilité nouvelle, ouverte par la loi de bioéthique, de réaliser des dons croisés, pour dénouer des situations dans lesquelles un receveur hyper immunisé ne trouve pas de donneur compatible. Tous ces leviers doivent nous permettre de développer cette greffe, qui doit progresser significativement dans notre pays.
Vous nous interrogez également sur le protocole Maastricht III, et vous dites que nous ne sommes pas aussi avancés dans la mise en œuvre de ce protocole que certains de nos voisins. Il est vrai que les Britanniques effectuent beaucoup plus de greffes dans le cadre de ce protocole. Toutefois, les résultats observés suscitent des réserves de deux ordres. Au Royaume-Uni, un certain nombre de prélèvements réalisés dans le cadre du protocole Maastricht III l’étaient auparavant sur les donneurs en état de mort encéphalique. Il y a donc une sorte d’effet d’éviction du prélèvement sur donneur en état de mort encéphalique par le recours à ce protocole, ce qui n’est pas le cas dans notre pays. De plus, nous enregistrons d’excellents résultats, parmi les meilleurs d’Europe, en termes de qualité des greffes réalisées à partir du protocole de Maastricht III. Les reprises de fonction du greffon après la greffe sont remarquables. Certes, il reste des difficultés à surmonter liées à ce protocole, qui suppose pour les établissements de santé qui le pratiquent une organisation qui est d’un raffinement extrême, avec des gestes d’une grande technicité, notamment pour la mise en place de la circulation extracorporelle, sur laquelle un certain nombre d’équipes achoppent. L’agence est mobilisée sur ces sujets : nous avons justement mis en place un groupe de travail sur ce thème pour accompagner les équipes et les aider à surmonter les difficultés techniques.
Les freins à la réalisation de ce protocole sont légèrement supérieurs à ce que nous observons en cas de prélèvement sur un donneur en état de mort encéphalique, mais les leviers d’action sur lesquels nous devons agir sont vraisemblablement les mêmes : travailler avec les proches en professionnalisant les coordinations de prélèvement et, sur un plan plus général, sur le regard que chacun, dans notre société, porte sur le don d’organes, sur le don d’éléments et de produits du corps humain. C’est un travail de longue haleine, que l’Agence s’efforce de conduire, d’abord en imposant ces thématiques dans le débat public, mais aussi en essayant de modifier le regard que chacun porte sur le don, notamment en promouvant l’idée qu’il doit y avoir une réciprocité dans la générosité : à partir du moment où quelqu’un n’exclut pas d’avoir un jour recours à une greffe pour lui-même, ou s’il pense que ce serait possible pour l’un de ses proches, il est naturel qu’il se positionne lui aussi, et que ses proches se positionnent également, comme donneurs d’organes. C’est une question de civisme en santé, que souligne notre slogan : «Tous receveurs, tous donneurs ! »
Professeur François Kerbaul. – Les objectifs de greffes avec donneur vivant sont-ils réalistes ? Oui. Le plan quinquennal prévoit que 20 % des greffes rénales soient issues de donneurs vivants en 2026. Nous sommes aujourd’hui à 16 %, et 502 greffes rénales ont été effectuées en 2021 à partir de donneurs vivants. L’objectif qui nous est fixé correspond à un nombre de 650 à 850 greffes issues de donneurs vivants en 2026, sachant que nous en avons effectué 611 en 2016.
Cet objectif est donc tout à fait réaliste, si la situation dans les établissements de santé ne se dégrade pas. Il existe deux obstacles au développement des greffes issues de donneurs vivants : la coordination des équipes hospitalières, qui doivent être renforcées par des infirmières de pratique avancée, et l’accès aux blocs opératoires, puisque ce sont des greffes qui sont réalisées dans le cadre de programmes réglés et qui nécessitent deux blocs opératoires contigus, un pour le prélèvement et un pour la transplantation. Ces greffes donnent d’excellents résultats, puisque la durée d’ischémie froide, qui est l’intervalle de temps entre le moment où on prélève l’organe et le moment où on le greffe, est très courte.
C’est pourquoi il faut développer ce type de greffes. Après dix ans, le greffon est fonctionnel dans 75 % des cas, contre 55 % avec un donneur décédé ou en mort encéphalique. Pour renforcer ces greffes, nous devons nous inspirer de ce qui est fait dans les pays du nord de l’Europe, comme les Pays-Bas : nous avons mis en place une enquête internationale, dont les résultats devraient nous être transmis prochainement. On parle beaucoup de l’Espagne sur ce sujet, mais la France réalise aujourd’hui plus de greffes avec donneur vivant par million d’habitants que l’Espagne ou le Royaume-Uni. Quand on regarde la totalité des résultats, on voit que la greffe en France ne se porte pas si mal, et qu’elle a plutôt bien résisté à la crise sanitaire, en tout cas pas plus mal que dans les autres pays européens, ou du reste du monde.
L’activité Maastricht III a démarré en France en 2015, contre 2011 en Espagne. Actuellement, 45 établissements de santé ont conventionné pour réaliser cette activité, contre 87 en Espagne. Nous sommes donc en retard, puisque nous sommes au niveau où était l’Espagne cinq ans après le démarrage de cette activité. Il y a deux difficultés à surmonter. Le taux d’opposition, d’abord, atteint 37 %. Un groupe de travail a été mis place pour préconiser des mesures correctrices et faire baisser ce taux, qui s’est encore accru pendant la crise sanitaire, notamment dans les grandes métropoles. La deuxième difficulté est la mise en place de la circulation régionale normothermique, qui est la circulation extracorporelle utilisée notamment dans la chirurgie à cœur ouvert, mais également dans le cadre des insuffisances cardiaques aiguës, et qui nécessite une technicité très pointue. Actuellement, 12 % des causes de non-prélèvement sont liées à des difficultés de canulation et de mise en route de la maintenance par circulation régionale normothermique. Là aussi, un groupe de travail national a été mis en place avec les professionnels de santé et les associations pour trouver des remèdes et obtenir plus d’efficience dans la mise en route de cette circulation régionale normothermique, dont on sait qu’elle est garante d’une meilleure qualité des organes lorsqu’ils sont greffés secondairement : les dysfonctions d’organes consécutives aux prélèvements Maastricht III sont bien moins importantes qu’elles ne le sont avec un donneur en mort encéphalique.
présidente. – Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les disparités régionales ?
– Il existe effectivement des disparités régionales dans l’accès à la greffe. Celles-ci sont pour partie expliquées par les différences qui existent dans le profil des patients qui se présentent dans les différentes régions.
Certaines différences, en revanche, ne sont pas expliquées par ce facteur. Il faut donc agir pour essayer de les réduire.
C’est justement l’orientation du nouveau plan, construit autour de l’idée d’une territorialisation du pilotage de l’activité de prélèvement et de greffe. Les orientations nationales ne peuvent pas être déclinées de manière uniforme dans tous les territoires, il faut une action adaptée aux spécificités de chaque contexte local.
À cet égard, l’agence s’appuie depuis longtemps sur quatre services régionaux, et le territoire national est divisé en quatre zones couvertes par des équipes médicales ou paramédicales nomades de l’agence. Ces équipes se rendent dans les établissements pour accompagner les équipes de coordination de prélèvement et les équipes de greffes.
Le nouveau plan prévoit d’aller beaucoup plus loin dans la régionalisation du pilotage, avec la définition de plans d’action qui identifieront les quatre ou cinq axes sur lesquels les différentes régions doivent progresser pour réduire les disparités que nous observons. Le référent qui sera désigné au sein des ARS a vocation à analyser avec l’Agence de la biomédecine les résultats du suivi que fait celle-ci et, ensuite, à mobiliser les leviers particuliers dont dispose l’ARS.
Les ARS disposent en effet de leviers différents de ceux de l’Agence de la biomédecine. Par exemple, elles peuvent donner des indications au moment du dialogue de gestion avec les établissements de santé sur le fléchage des financements et s’assurer que celui-ci est bien réalisé, ou intervenir sur la définition des projets médicaux de certains groupements hospitaliers de territoire. Elles peuvent encore intervenir dans le dialogue avec les directeurs d’établissements de santé pour fixer à ceux-ci des objectifs sur lesquels ils seront évalués. L’idée de ce plan est de s’appuyer aussi sur ces leviers pour développer l’activité dans chaque région et résorber ainsi les écarts observés.
Le plan prévoit aussi la déclinaison d’objectifs régionaux, sous la forme de couloirs de croissance, ce qui est une première. Le but est d’aboutir à une réduction des disparités entre les régions. Chaque région aura un couloir de croissance et les résultats obtenus seront appréciés au regard des bornes définies par ce couloir de croissance.
Vous demandez enfin si l’on pourrait augmenter le nombre de lieux de prélèvement. Le plan prévoit expressément d’interroger la configuration des réseaux de prélèvement. Dans certains territoires, il manque une coordination pour identifier des donneurs potentiels. C’est le diagnostic que nous avons fait en Île-de-France, notamment, où les centres de prélèvement restent concentrés sur Paris et la petite couronne et où, à l’inverse, des zones de la grande couronne ne sont pas dotées de coordination. C’est pourquoi, en lien avec l’ARS d’Île-de-France, et en avance par rapport aux orientations du plan, nous avons décidé d’ouvrir une nouvelle coordination de prélèvement au centre hospitalier de Melun. Le plan peut donc prévoir de créer de nouvelles coordinations.
Mais il y a aussi des situations pour lesquelles il faudra s’interroger sur l’opportunité de mutualiser certaines équipes et de regrouper des forces dédiées à la coordination des prélèvements au sein d’un seul centre hospitalier. Il y a un effet de seuil important, notamment lorsqu’il s’agit de pratiquer des prélèvements comme celui du protocole Maastricht III, qui sont techniquement difficiles.
présidente. – Sur l’évaluation des bénéfices de la greffe par rapport aux dialyses, d’un point de vue économique, vous nous dites que les associations ont produit des tableaux comparatifs. Je suis surprise que ce travail leur ait incombé ! C’est tout de même le rôle de l’État… Notre travail nous montre que l’État a bien du mal à suivre les indicateurs et à évaluer les choses. Ainsi, le ministère de la santé s’est avéré incapable de nous donner les chiffres des déprogrammations ou la situation exacte des absences et des lits fermés. C’est surprenant ! Je souhaite donc que nous fassions le point avec l’assurance maladie.
– Pour construire le plan ministériel, nous avons travaillé aussi en lien avec l’assurance maladie, qui développe parallèlement un certain nombre d’actions pour l’accompagnement et l’information des personnes atteintes d’une maladie rénale chronique terminale. Il serait très intéressant, en effet, que vous ayez un échange avec des représentants de l’assurance maladie qui puissent vous exposer les actions engagées de façon coordonnée avec le ministère sur ce plan.
présidente. – C’est ce que nous allons faire d’ici la fin de la session. Beaucoup de questions se posent sur l’assurance maladie, qui ne sont souvent pas traitées.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
présidente. – Nous poursuivons nos travaux sur le bilan des précédents plans greffes, l’impact de la crise sanitaire sur cette activité et les perspectives du plan 2022-2026.
Après l’audition hier de différentes associations puis, ce matin, des acteurs institutionnels, nous entendons à présent les représentants des sociétés savantes.
J’ai le plaisir d’accueillir le professeur Lionel Badet, vice-président de la société francophone de transplantation, le professeur Luc Frimat, président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation, et le professeur Xavier Gamé, secrétaire général de l’association française d’urologie.
J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.
Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.
Professeur Lionel Badet, vice-président de la société francophone de transplantation. – Je suis le chef du service d’urologie à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, et j’ai eu un tropisme particulier, dans ma formation et dans mon exercice, sur l’activité de transplantation, qui couvre le rein, le pancréas, les greffes composites et d’autres organes encore. Je suis vice-président de la société francophone de transplantation, et j’en serai président à partir du mois de novembre prochain.
Le plan greffe est un élément très important pour nous, puisqu’il est déterminant dans les objectifs que nous fixons à nos équipes et pour satisfaire les attentes des patients. Nous n’avons jamais eu autant de patients sur les listes d’attente en France. Il faut donc essayer de créer une dynamique qui nous permette d’atteindre nos objectifs. Pour cela, il faut que cette dynamique soit corrélée à la mise à disposition de moyens.
La qualité du plan 2022-2026 est qu’il a été, pour une fois, l’occasion de mettre autour de la table les associations de patients, les professionnels de santé et les institutionnels, pour dessiner des contours et des objectifs qui, sans être numériquement fixés, établissent une borne basse et une borne haute.
Comme vous le savez, sur les questions de santé publique et sur la santé en général, la situation est extrêmement critique. Au-delà des espérances et de la volonté, nous pouvons prévoir des difficultés, inquiétantes, à trouver les ressources humaines nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. À cet égard, le plan n’est peut-être pas suffisant. En ce qui me concerne, je vois bien que la question des ressources chirurgicales est déterminante. Si l’on ne renforce pas les équipes, nous serons en difficulté. Or les capacités actuelles de recrutement au niveau hospitalier ne sont pas suffisantes pour atteindre cet objectif. Cela nous renvoie à la question de la réforme du système de santé et de l’attractivité des carrières.
présidente. – C’est tout à fait vrai. Les inquiétudes portent surtout sur l’applicabilité du plan au regard des ressources humaines et de la situation de l’hôpital – nous sortons d’une commission d’enquête sur la question. Pour appliquer un plan, il faut en avoir les moyens !
Professeur Xavier Gamé, secrétaire général de l’association française d’urologie. – Urologue à Toulouse, j’ai énormément œuvré pendant des années pour la transplantation depuis des donneurs vivants. En parallèle, je travaille beaucoup sur les handicaps neuro-urologiques. Je suis le secrétaire général de l’association française d’urologie.
Ce plan, comme les précédents, est plein de bonne volonté et comporte nombre de bons éléments. Quand je le lis, je bois du petit lait ! Tout y semble parfait, dans le meilleur des mondes. On rêve qu’un tel plan soit appliqué et applicable… Mais le problème, justement, c’est l’applicabilité, surtout dans la situation critique pour l’hôpital que nous connaissons, en particulier dans les blocs opératoires.
Actuellement, on en est presque à nous demander de choisir quels patients opérer, par exemple entre un patient atteint d’un cancer, un autre chez qui il faut améliorer l’autonomie sur le plan du handicap, et un patient nécessitant une greffe issue d’un donneur vivant.
L’hôpital public est devenu un centre de recours : les patients qui nous sont adressés, que ce soit pour la transplantation ou pour autre chose, ne peuvent pas être pris en charge ailleurs. Le problème est que nous n’avons plus les moyens, et qu’il faut faire des choix.
Comment faisons-nous pour choisir ? Nous essayons d’en faire un peu pour tout le monde. J’entendais encore récemment l’un de mes collègues, chirurgien digestif, dire qu’on fait des chimiothérapies d’attente, car les patients doivent attendre pour être traités de leur cancer par chirurgie. C’est tout de même hallucinant… Le plan greffe tombe dans cette situation, alors que 25 % des blocs sont fermés.
Il y a probablement des solutions, et c’est à nous de les trouver, avec vous, et avec les agences gouvernementales qui travaillent sur ce sujet. Peut-être faut-il passer par les heures supplémentaires, par les réorganisations, pour répondre aux besoins. Sur les listes d’attente de patients, nous avons des patients qui sont prêts, des couples qui sont prêts, mais nous ne sommes pas capables de répondre à leur demande dans les mois qui viennent. Pour certains patients que nous avons vus en consultation en début d’année, la greffe issue de donneurs vivants ne pourra se faire que l’année prochaine, au mieux, voire même en 2024 !
On sait pourtant que des greffes préventives, avant la mise sous dialyse, donnent de meilleurs résultats et moins de complications. C’est donc plus intéressant en termes de santé publique, ne serait-ce que du point de vue économique. Il est dommage de retarder les échéances.
Il est inscrit que la greffe est prioritaire, avec des salles chirurgicales disponibles en permanence. Pourtant, aucun hôpital en France ne comporte une salle consacrée à la transplantation rénale. Souvent, celle-ci passe après d’autres urgences. L’objectif de dix heures d’ischémie froide n’est donc pas atteignable aujourd’hui. Il faudrait plus de moyens, en personnel notamment. Je sais que nous semblons réclamer sans cesse plus de moyens, mais nous ne demandons qu’à bien travailler pour rendre service aux patients !
Professeur Luc Frimat, président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation. – Président de la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), je suis chef de service de néphrologie et chef de pôle au CHU de Nancy. J’ai fait partie de la cellule de crise du CHU de Nancy pendant la crise de la covid-19, qui nous a particulièrement touchés. J’ai demandé à parler après mes deux collègues parce que je suis néphrologue, et non chirurgien : je ne fais pas de gestes opératoires.
La réussite de la transplantation repose sur une organisation transversale très fine entre différents acteurs. Le néphrologue s’occupe du début du processus, jusqu’au jour de la greffe, et suit le patient à partir du lendemain. Le jour du prélèvement et de la greffe est crucial mais il faut aussi prendre en compte ce qui se passe en préparation, en anticipation et dans le suivi.
La néphrologie est extrêmement bien structurée en France, avec des réseaux de collaboration forte entre les structures néphrologiques sans transplantation et les structures qui font de la transplantation. Cette organisation s’inscrit dans la durée : cela fait plusieurs dizaines d’années que les néphrologues ont l’expérience d’organiser cette fameuse liste d’attente. Ils ont suivi les recommandations d’accès à la liste d’attente édictées en 2015 par la Haute autorité de santé, ce qui a conduit à un appel de patients sur la liste d’environ 25 %, ce qui a accru la pression sur la filière de prélèvements et sur la filière chirurgicale.
Après la greffe, le suivi se fait dans la durée : nous avons des patients qui ont été greffés il y a 30 ou 40 ans. C’est la rançon du succès, mais cela exige des moyens sur le long terme. Le nombre de patients transplantés à suivre augmente de 4 % par an.
Comme chef de pôle en urologie, je connais les difficultés qui ont été évoquées, mais n’oublions pas que le verre est à moitié plein. La France est le troisième pays en Europe pour la greffe, ce qui n’est pas si mal ! Seuls les Pays-Bas et l’Espagne font mieux que nous. Nous sommes donc déjà très bien organisés.
Le plan s’est appuyé sur le Livre blanc de la SFNDT, qui en est extrêmement satisfaite : quand nous lisons le plan greffe, nous buvons du petit lait ! Je souligne en particulier que ce plan est financé, et qu’il s’appuie sur des leviers qui devraient être efficaces. Au sein des ARS, un référent supervisera désormais la filière de prélèvement et de suivi. Déjà, l’ARS de ma région a demandé à rencontrer la direction du CHU de Nancy pour parler greffes.
Il faut absolument prendre en compte l’opposition au don. Pourquoi les Français y sont-ils autant opposés ? Ils se lèvent tous pour aider les Ukrainiens mais, quand on leur demande s’ils veulent donner leurs organes, 35 % disent non, alors que cette proportion n’est que de 15 % en Espagne. Il faudrait une mobilisation de l’opinion, une mobilisation de la représentation nationale, pour considérer que le don est un geste de générosité extraordinaire et qu’il n’y a pas de raison de s’y opposer. Tout le monde doit se mobiliser, il faut en faire une grande cause nationale. Il importe enfin de consolider l’ensemble du système existant, en tenant compte de ses dimensions transversales.
M. Alain Milon. – Une question sur le recours à la dialyse à La Réunion, plus important qu’en métropole mais qui paraît également plus fréquent que la greffe : ce niveau d’importance vous paraît-il résulter d’un d’intérêt scientifique, médical, ou bien plutôt économique ?
Vous évoquez les moyens et nous savons que la France dépense 250 milliards d’euros par an pour soigner sa population, c’est très important. Les difficultés que nous rencontrons ne sont-elles donc pas à rechercher plutôt du côté de notre organisation ? Et si c’est le cas, quelles solutions pensez-vous accessibles ?
Professeur Luc Frimat. – La société savante que je représente n’étant pas un syndicat, je suis peu à même d’apprécier l’adéquation des moyens à l’échelle de notre pays. Je note, cependant, que peu de pays disposent d’un registre de dons du rein, que nous avons créé il y a vingt ans, et que les nouvelles recommandations d’accès à sa liste d’attente ont conduit à ce que cette liste gagne 20 % de patients, c’est dire que les néphrologues se sont mobilisés pour faire connaître le dispositif.
Ensuite, la situation outremer est particulière non seulement parce que l’activité de prélèvement y est moins développée que dans l’Hexagone, ce qui veut dire qu’il y a peu de greffons disponibles et qu’on en fait aussi venir de l’Hexagone, mais aussi parce que la distribution des pathologies a ses caractéristiques propres : la prévalence du diabète et des maladies cardiovasculaires fait que la proportion de patients relevant de la dialyse, est trois fois plus importante que dans l’Hexagone. Ce sont ces raisons qui peuvent expliquer les écarts avec l’Hexagone, plutôt que des raisons budgétaires : on ne dialyse pas les patients pour faire des économies…
M. Alain Milon. – Ce n’est pas ce que dit la chambre régionale des comptes...
Professeur Lionel Badet. – Je partage l’analyse de Luc Frimat sur ces écarts, il faut également composer avec des difficultés logistiques et l’effet du retard accumulé du fait de la pandémie de covid-19. C’est pourquoi, du reste, nous avons tous des patients ultramarins inscrits sur nos listes dans l’Hexagone, parce qu’ils savent que l’attente serait plus longue outremer.
Professeur Luc Frimat. – La SFNDT va publier un guide pratique qui présentera clairement toutes les solutions thérapeutiques et médicamenteuses qui ne passent pas par la dialyse et qui sont regroupées dans ce qu’on appelle le traitement conservateur – et nous insistons pour que le néphrologue présente au patient toutes les solutions thérapeutiques afin que la dialyse, quand elle est décidée, le soit de manière réfléchie et équilibrée.
Professeur Xavier Gamé. – Les aspects financiers sont très importants, la France consacre 11 % de son PIB à la santé, c’est une chance qu’il faut pérenniser. Peut-on faire mieux avec ces moyens ? Certainement, nous avons des marges de progrès. Nous pourrions, par exemple, mieux suivre les dépenses qui sont faites dans le cadre du forfait greffe, car nous savons qu’une partie des moyens ne va pas à l’activité de la greffe. Nous gagnerions à faire un suivi plus précis et détaillé.
Professeur Lionel Badet. – Nous nous sommes opposés à la tarification à l’activité (T2A) pour cette raison même, qu’une partie des crédits fléchés finit immanquablement dans la fongibilité des enveloppes hospitalières – alors que, précisément, nous avons besoin qu’ils abondent directement les plateaux techniques et les équipes. Ensuite, il y a la question décisive du contrôle : il a été confié aux ARS, je crois que cela ajoute inutilement un échelon et je suis pessimiste sur la capacité des ARS à effectuer un tel contrôle et une régulation. On a vu pendant la crise sanitaire l’importance du lien direct avec la Direction générale de la santé, l’ajout d’un échelon risque de compliquer les choses et si nous ne réglons pas les problèmes d’organisation, nous risquons de compromettre le plan greffe lui-même…
Mme Laurence Cohen. – Vous soulignez les problèmes de moyens et les difficultés à doter les blocs opératoires de personnels en nombre suffisant. Vous souhaitez un fléchage plus strict, pour mieux servir ces plateaux techniques, mais nous savons bien que le problème est plus large et que le manque de personnel hospitalier tient aux conditions de travail à l’hôpital, qui sont si difficiles que bien des personnels quittent le navire. Quelles sont vos propositions pour améliorer les choses ? Il y a les salaires, mais il faut aller au-delà, en particulier vers ce qui peut valoriser le sens du travail à l’hôpital, je pense en particulier aux infirmières et aux infirmiers de bloc opératoire. Le besoin de formation est criant, alors qu’on ferme des écoles d’infirmières, c’est le cas en particulier dans mon département. Que pensez-vous utile de faire sur ces questions ?
Professeur Xavier Gamé. – Il y a plusieurs niveaux de réponse. Dans mon établissement, nous avons certes des difficultés de recrutement dans les blocs, mais il y a aussi une forte cohésion dans les équipes, qui fait que les infirmières ne quittent pas le navire. Je crois que la clé est moins du côté du salaire que de la considération et de la valorisation du travail. Il faut valoriser le travail de bloc opératoire et de transplantation, les infirmières y seront très sensibles. Aujourd’hui, on les place à l’étage subalterne, c’est dommage. Nous venons de lancer un appel aux infirmières pour travailler sur la transplantation, je suis convaincu que nous allons être rejoints parce que ce secteur de notre activité est valorisant et nous devrons bien mettre en avant l’engagement des infirmières qui nous rejoignent. Cela dit, il est certain que l’hôpital subit un problème démographique général, y compris pour les médecins – le numerus clausus existe encore, nous sommes cantonnés dans des limites trop étroites et je suis convaincu qu’il faut augmenter le nombre de places en école, sans oublier que la formation de personnels soignants étant longue, la pénurie va continuer encore plusieurs années.
Professeur Lionel Badet. – Ce plan greffe sera difficile à mettre en œuvre du fait des difficultés de santé publique en général, et en particulier de nos difficultés à attirer et à fidéliser les personnels soignants. Nous constatons partout que nombre d’infirmières, après quatre ou cinq années de formation, quittent l’hôpital après seulement deux années d’exercice, pour aller pratiquer ailleurs ou changer de métier. Le problème est très large, il tient à ce que les façons dont nous travaillons dans le secteur médical contredisent les aspirations dans une société de loisirs où chacun revendique une certaine qualité de vie privée. Et si le secteur médical ne prend pas en compte ces aspirations, s’il ne prend pas soin des équipes médicales elles-mêmes sur ce plan, il ne s’en sortira pas. Après deux années de pandémie, le plan greffe ne peut pas arriver à pire moment de ce point de vue, et nous pouvons déjà dire que nous allons rencontrer des difficultés majeures de mise en œuvre à l’hôpital. Quelles sont les solutions ? Je crois qu’elles sont à rechercher dans les modalités de travail. Des propositions ont été faites aux infirmières, en particulier d’ordre pécuniaire et elles ont très clairement dit que ce n’était pas leur première revendication – car elles demandaient d’abord que l’organisation de leur travail soit modifiée, en particulier pour une conciliation avec leur vie de famille. Et il est certain que nous ne pouvons pas régler cette question à l’échelle de nos établissements.
présidente. – Nous sommes d’accord, d’autant que quand le ministre nous parle argent, quand il avance les chiffres du Ségur, il omet de dire que ces moyens ont surtout consisté en un rattrapage et qu’on a, malencontreusement, créé les « oubliés du Ségur », des personnels qui sont aujourd’hui frustrés de n’avoir pas été augmentés. En réalité, ces augmentations n’ont pas d’effet sur les départs de l’hôpital et le problème est plus large. Parcoursup n’est pas adapté aux formations d’infirmières, les maquettes de formation sont peu lisibles, l’arrivée dans le métier se fait souvent sur les postes les plus difficiles, tout un ensemble de facteurs joue contre la profession. La transplantation, cependant, est probablement un secteur à part, il est à la pointe et il y a de la fierté à y contribuer.
La directrice générale de l’Agence de la biomédecine vient de nous dire que les greffes étaient prioritaires, vous nous dites qu’en fait il y a une sorte de saupoudrage et que les moyens pourraient être mieux suivis. Quant au pilotage, je trouve curieux que l’agence ne fasse que des recommandations et qu’il y ait aussi plusieurs strates décisionnaires : qu’en pensez-vous, et quel vous semblerait le meilleur pilote ? Enfin, quid de la recherche sur la greffe dans notre pays, et en particulier sur les organes artificiels ?
Professeur Luc Frimat. – Sur les moyens, il faut accepter l’idée que l’hôpital est en grande souffrance, que la crise sanitaire nous a placés dans une situation de perturbation majeure. Nous ne retournerons pas à la situation antérieure, il faut accepter l’idée qu’on ne va pas revenir au passé, mais qu’il nous faut construire autre chose. Il y a de l’argent, vous le dites tous. Nous avons aussi besoin de faire évoluer l’hôpital, il nous faut du management. Les services d’urgence sont en crise aiguë, mais la situation varie cependant selon les hôpitaux. Les urgences ne sont pas en crise, par exemple, dans mon CHU de Nancy, qui n’est pas spécialement attractif mais où nous avons deux managers qui ont su prendre les bonnes décisions. Nous devons également valoriser les nouveaux métiers, en particulier les infirmiers en pratiques avancées (IPA), dont l’apport est considérable pour les équipes et qui trouvent un intérêt très direct dans cette spécialisation qu’ils acquièrent en deux ans.
Professeur Xavier Gamé. – Les IPA sont effectivement une avancée, mais il faut voir qu’en créant un métier supplémentaire, on enlève des effectifs aux autres métiers, puisque c’est à effectif constant.
Professeur Luc Frimat. – C’est vrai, mais on offre une perspective, on dynamise des engagements à l’hôpital, c’est très important.
Professeur Xavier Gamé. – Nous sommes d’accord et j’ai aussi des exemples, en urologie, d’infirmières qui aimeraient passer en IPA dans le cadre du handicap notamment. Cependant, les effectifs étant ce qu’ils sont, on crée mécaniquement des manques dans d’autres secteurs, il faudrait en réalité augmenter les effectifs d’ensemble.
La recherche en matière de greffe est active en France, en particulier sur la conservation des organes, par exemple sur les liquides de conservation des organes. Je ne connais pas de recherche en matière de reins artificiels, alors qu’il y a incontestablement du travail important à faire en la matière. Les urologues ont compris, d’une manière plus générale, qu’il faut mieux lier l’hôpital et l’université en matière de transplantation, cela se fait au bénéfice de la qualité. J’ajoute qu’il faudrait aussi davantage de coopération entre les centres de recherche, qui sont encore trop dispersés, c’est un problème bien français.
Professeur Lionel Badet. – Nous vous parlons ici de la recherche avec le prisme de l’urologie, où, en France, les avancées portent effectivement sur les liquides de conservation, ceux qui permettront de présenter un organe avec le moins de lésions possibles après sa transplantation. Cependant, d’une manière plus large, nous devons travailler sur la transition technologique qui nous fera passer des plateformes actuelles, à celles qui permettront de tester les organes avant de les présenter à la transplantation, pour évaluer leur chance de se « ressusciter » dans l’organisme receveur. Nous en avions parlé il y a plusieurs années, nous avions alors conclu que la démarche était prématurée ; je crois que nous disposons aujourd’hui de quatre ou cinq centres de recherche qui pourraient esquisser une telle plateforme en regroupant leurs moyens.
Le pilotage, ensuite, me semble relever d’un adage simple : plus il y a de couches, moins on avance. Je ne comprends pas que l’Agence de la biomédecine ne soit pas le pilote du plan greffe : elle ne fait qu’édicter des règles, sans aucun pouvoir de sanction. Ce hiatus est source de bien des problèmes pratiques – je pense au transport, par exemple, qui conditionne bien des opérations. Nous savons, autre exemple, que des centres ne respectent pas toutes les règles sur le prélèvement du pancréas – chacun le sait, mais rien n’est fait, je trouve que ce n’est pas raisonnable. Je crois aussi que l’agence nationale serait bien plus à même que les ARS d’organiser la redistribution mais aussi de contrôler l’usage précis des fonds par les hôpitaux, ce serait plus direct, et plus efficace.
S’agissant des urgences, enfin, nous subissons de plein fouet le fait que, dans certains hôpitaux comme à Lyon, les activités de transplantation se sont recentrées sur le service d’urgence, et qu’il suffit alors qu’un goulet se forme à la suite de la fermeture d’un service, pour que les premières activités suspendues soient précisément les prélèvements et les greffes : ces questions d’organisation sont à prendre en compte.
présidente. – On nous dit que l’Espagne, qui obtient de très bons résultats en matière de dons, ne communique que très peu sur le sujet, ce qui semble aller contre l’idée qu’il faille aller plus loin dans la communication pour encourager les dons d’organe. Qu’en pensez-vous, quel vous semblerait le bon message à délivrer en la matière ?
Professeur Luc Frimat. – C’est une question difficile, qui repose sur le professionnalisme des infirmières en unité de prélèvement d’organe et de tissus, de leurs interactions avec les familles. L’Agence de la biomédecine veut professionnaliser cette question, nous sommes sur la même longueur d’ondes à la SFNDT, nous l’avons mentionné dans notre Livre blanc. Je crois aussi qu’il faut en parler davantage dans l’opinion publique, faire mieux connaitre l’utilité des dons d’organes.
Professeur Xavier Gamé. – Je craignais cette question, elle est très difficile et nous n’avons pas de réponse toute faite. Quand on en parle autour de soi, les gens se disent facilement favorables au don d’organe, mais il y a loin entre le dire et le faire, puisque nous enregistrons 35 % de refus. Je crois que nous pourrions aborder le sujet plus en amont dans le service de réanimation, parce que bien souvent on ne le fait qu’au moment très critique où les proches sont sous le choc de la mort ; si nous en parlions plus en amont, ils auraient le temps de se positionner. Je pense aussi que la carte de donneur, telle qu’elle existait il y a quelques années, faciliterait la tâche et diminuerait la responsabilité du parent qui prend la décision, car il y a là un frein, des proches peuvent se sentir illégitimes pour décider à la place du défunt, surtout dans ce moment critique : s’il y avait une trace de décision prise par le défunt, ce serait peut-être plus facile.
présidente. – Une telle information pourrait même figurer sur la carte Vitale…
Professeur Lionel Badet. – La question est particulièrement complexe, elle revient régulièrement à l’Agence de la biomédecine – où j’ai déjà entendu dire que 70 % d’acceptation, c’était déjà un très bon résultat… En fait, c’est souvent la famille qui est en position d’exprimer le consentement, c’est son avis qui prévaut sur celui du patient. Nous avons aussi une incertitude sur l’efficacité d’une demande précoce de consentement, certains font valoir qu’elle pourrait être contre-productive – nous avons vu aussi des familles s’opposer au prélèvement même quand le consentement a été prononcé, au motif que le patient aurait changé d’avis depuis… Il n’en reste pas moins que l’information de l’opinion publique en général est déterminante.
présidente. – La question est très délicate en effet, surtout quand il faut aller vite et que le contexte est particulièrement douloureux.
Professeur Luc Frimat. – Nous ne l’avons pas mentionné ce matin, mais il faut parler aussi de la prévention. Nous avons besoin de prévention de la maladie rénale chronique, c’est un moyen de vivre plus longtemps avec un greffon implanté, il faut anticiper davantage.
présidente. – Vous avez raison, la prévention est décisive. La ministre de la santé a vu la prévention entrer dans son portefeuille, nous examinerons ce qu’il en advient.
Professeur Lionel Badet. – Je souhaite ajouter trois points à mon propos. D’abord, quand j’entends énoncer l’objectif d’harmonisation des pratiques européennes en matière de prélèvement et de greffes, j’alerte sur les dangers de courir deux lièvres à la fois : nous avons déjà bien à faire avec l’objectif de surmonter nos difficultés d’organisation, qui sont d’abord nationales. A tout vouloir faire à la fois, on risque de perdre du temps et nous ferions bien de commencer par régler nos problèmes avant de penser harmonisation européenne.
Nous avons obtenu l’autorisation de greffer des îlots de Langerhans dans le pancréas, nous enclenchons une dynamique mais elle s’essoufflera très vite si elle doit se contenter des ressources actuelles, c’est-à-dire reposer sur les quelques équipes qui prélèvent le pancréas, sans en passer par une forme de contrainte, énoncée par l’Agence de la biomédecine, de prélever plus systématiquement le pancréas pour utiliser les îlots.
Enfin, je crois que dans le pilotage du plan greffe, il faut que la décision de l’ARS soit obligatoire pour l’hôpital, et non pas facultative et appliquée « le cas échéant », comme je l’ai lu.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.