Intervention de Margot Fried-Filliozat

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 1er juin 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur les représentations des femmes et des sexualités véhiculées par la pornographie

Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute :

Madame la Présidente, je vous remercie de vous pencher sur ce sujet qui est encore peu abordé. J'aime cette idée de construire et de ne pas seulement combattre. Il faut certes combattre les violences, mais également accompagner l'épanouissement dans la sexualité.

Dans ma patientèle, je reçois exclusivement des adultes, dont 80 % de femmes. Ma cliente type est une femme qui arrive en me disant : « Je viens pour résoudre mon problème de sexualité, pour que mon mari ne me quitte pas ou ne me trompe pas. » Elle me dit qu'elle n'a pas vraiment de désir et qu'elle pourrait se passer de sexe. Elle n'aime pas cela, et parfois en souffre, mais elle se sent obligée d'accomplir son devoir conjugal. Je parle là de rapports consentis, mais c'est une source d'anxiété pour elle.

Mais qu'est-ce que ce consentement dont on nous parle ? Qu'est-ce que ce « oui » qu'elles se sentent obligées de dire ?

Un des problèmes à mes yeux de la pornographie, outre la violence, c'est surtout que c'est le seul lieu dans lequel nous pouvons être témoins de la vie sexuelle des autres. Comme tout être humain, nous avons besoin de savoir si nous sommes « normaux », en matière de sexualité notamment. Or la pornographie renvoie un exemple totalement dénaturé, notamment aux adolescents, qui tentent de reproduire les pratiques vues dans les films. Il n'y a aucun autre endroit pour qu'ils apprennent la sexualité. Même des adultes avouent s'y référer. Le porno est un lieu d'éducation à la sexualité par défaut.

La majorité des femmes que je vois me disent qu'elles ont un problème, que leur corps ne fonctionne pas. En discutant avec elles, je me rends compte qu'elles sont souvent victimes de pratiques inspirées à leur conjoint par la pornographie. Or celle-ci est totalement basée sur le désir des hommes. On voit peu de préliminaires, peu de tendresse, peu d'amour, peu de communication.

Le porno est aujourd'hui hors de contrôle. Il y a une véritable compétition dans l'outrance pour exister sur la toile. Or, vous le savez, le cerveau humain est irrésistiblement attiré par des images choquantes. On a tous eu cette expérience sur l'autoroute, en voyant un accident de voiture, de ne pas pouvoir s'empêcher de regarder. Dans le porno, les images sont orientées autour non plus du plaisir, mais du choquant.

Dans un film X, vous remarquerez que les femmes sont positionnées en objet et n'expriment jamais de désir ou alors seulement pour exciter l'homme, qu'il s'agisse de l'acteur ou du spectateur. Dans la pornographie, les femmes n'ont pas vraiment le droit d'exister, et cela vient renforcer cette idée de devoir conjugal chez les femmes. Elles n'ont pas l'impression de désirer surtout parce qu'elles n'ont pas le droit de désirer.

J'en reviens à la notion de consentement : quid d'une femme qui se force pour faire plaisir à son mari ? Ce n'est pas un viol, mais quelle souffrance ! Pour les tournantes chez les adolescents, c'est un peu la même problématique.

Pour moi, la question essentielle est : est-ce que je fais cet acte sexuel par désir, parce que j'ai le droit d'exister dans ma sexualité ? Ai-je le droit d'avoir mes propres désirs ? Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'actions de prévention autour du consentement, mais le consentement, ce n'est pas seulement dire non, c'est aussi savoir ce dont on a envie. Cela renvoie à l'intelligence émotionnelle mais aussi sociale et sexuelle. Je connais mon propre corps et comment il fonctionne. Aujourd'hui, quand je vais dans les classes et que je parle aux adolescents, ils ont tous la notion qu'on a le droit de dire non. Mais le droit de dire non est largement insuffisant ; la vraie question, c'est comment on fait pour dire non. Les jeunes ont besoin de plus de ressources pour savoir comment bien exprimer ce qu'ils pensent et ce qu'ils veulent.

Quand on parle des droits des femmes, on a vraiment besoin de parler du droit à l'épanouissement. Une étude a demandé à des hommes et des femmes ce qu'était pour eux un rapport sexuel non satisfaisant. Les hommes ont évoqué l'absence d'orgasme ou d'éjaculation, ou les performances de leur partenaire. Aucun homme n'a utilisé des mots comme ceux qu'ont utilisés les femmes : douleur, dégradation, honte, humiliation, viol, souffrance...

Il faut combattre le porno dans la mesure du possible, mais surtout apprendre aux femmes à rechercher leur propre épanouissement, à savoir reconnaître leurs propres désirs et les exprimer. Ce n'est pas seulement savoir dire oui ou non.

Quand on se construit avec des images, on ne se construit pas en relation avec soi-même et donc on est déconnecté de son corps. Le porno a désappris à beaucoup de femmes la manière de ressentir leur propre corps. C'est en cela aussi que le porno est néfaste.

Il nous faut apprendre à enseigner une sexualité épanouissante dans laquelle la femme est respectée, en sécurité, reconnectée à son propre corps. Il s'agit de sortir des images envahissantes de la pornographie. Les femmes ont le droit d'apprendre que le sexe ne sert pas qu'à garder son mari ou à avoir des enfants. Le sentiment d'obligation place les femmes en position de victime. Le sexe doit être pratiqué par désir et non pas par obligation, mais le fait de savoir exprimer ses désirs et ses émotions, quels qu'ils soient, vient aussi de notre éducation, dès l'enfance.

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