Nous sommes entrés depuis six mois dans une période de discussion, prévue pour dix-huit mois à partir de janvier 2022, donc devant se terminer en juin 2023. Certains s'inquiètent de voir le temps s'écouler. Nous sommes en effet à un an de l'échéance fixée par le Gouvernement.
Merci à vous, monsieur le président, et aux membres de votre mission d'information, de vous emparer de ce sujet. Tout laisse à penser qu'à l'Assemblée nationale le temps de réaction sera plus long compte tenu du contexte électoral. Cette initiative du Sénat, qui s'inscrit dans une autre temporalité, est donc à saluer.
J'ai de la période actuelle une vision qui n'est pas très pessimiste. Plusieurs personnes déplorent le temps perdu, regrettant que l'on tourne autour du sujet depuis plusieurs dizaines d'années sans en atteindre le coeur. Pour ma part, cela fait plus de dix ans que je travaille sur ce sujet. Professeur des universités, je n'ai aucun intérêt privé, moral ou financier en Nouvelle-Calédonie. Je suis intervenu à titre d'expert sur la question de son statut institutionnel à plusieurs reprises, la première fois à la demande de François Fillon, alors Premier ministre.
Depuis dix ans, un certain nombre de voies ont été fermées, d'autres ont été ouvertes ou esquissées. Il serait faux de dire que les gouvernements successifs n'ont pas travaillé, même s'ils l'ont fait avec plus ou moins d'ardeur selon les cas. Dans la période récente, les choses ont avancé. Les trois référendums ont été organisés dans une période très courte, et leur régularité sur le plan juridique est incontestable. L'État a donc bien fait son travail, cela alors même que certains ne jugeaient pas réellement envisageable la tenue des trois consultations successives prévue par l'accord de Nouméa. La première consultation a eu lieu en 2018, et a été suivie d'une deuxième puis d'une troisième.
Nous nous trouvons actuellement dans une phase très nébuleuse de l'accord. Après trois référendums ayant conclu au « non », l'accord de Nouméa prévoit en effet, par une ellipse formidable, que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».
Une chose est certaine : par trois fois, la population comprise dans la liste électorale spéciale constituée pour cette consultation référendaire - appelée liste électorale spéciale consultation (LESC) - a répondu « non » à la question de savoir si elle voulait que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante. C'est un peu comme le reniement de Pierre. L'un des rédacteurs de l'accord de Nouméa ne nie pas d'ailleurs avoir eu cette image en tête lorsqu'il a prévu les trois consultations possibles.
Nous en sommes donc au moment où les partenaires politiques doivent se réunir pour examiner la situation ainsi créée.
Si la consultation référendaire du 12 décembre 2021 a été marquée par un mot d'ordre de non-participation lancé par les partis indépendantistes et ses résultats contestés sur le plan politique et sur la scène internationale, ces derniers n'en sont pas moins incontestables du point de vue juridique. Il faut désormais passer à la négociation.
Je voudrais aborder cette question sous deux angles. Premièrement, quelle pourrait être la méthode de cette négociation ? Deuxièmement, quel pourrait en être le résultat ?
Plusieurs méthodes ont été éprouvées en application de l'accord de Nouméa, notamment au travers du comité des signataires de l'accord. Toutefois, le statut juridique de l'accord est incertain. Il avait en effet été conclu en 1998 pour une durée de vingt ans. Bien que l'on étire autant que possible sa durée d'application, sa base est devenue fragile et il ne pourra durer indéfiniment.
Au-delà de l'échéance de juin 2023, les élections provinciales de 2024 constitueront à mon sens un moment de vérité.
Cela étant, des dispositions transitoires ont été introduites dans la Constitution par voie législative. La loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prise en application de l'accord de Nouméa n'est en outre pas frappée de caducité. Certains éléments sont donc un peu plus solides que d'autres. Tout cela n'en reste pas moins fragile et repose sur une forme de fiction. Il est vrai néanmoins que le droit se nourrit de fictions. Reste cependant que, sur le plan de la méthode, le comité des signataires ne constitue peut-être pas le bon cénacle pour la réflexion à mener.
Des initiatives comme les vôtres sont très louables et parviendront, je l'espère, à faire avancer le dossier.
Pour ma part, sans être un partisan de la démocratie participative à tout crin, je suis convaincu que cette question devra se régler en Nouvelle-Calédonie, moyennant une plus grande participation de la société civile. Un grand écart sépare en effet souvent les aspirations quotidiennes concrètes de la population des mots d'ordre politiques. L'un des enjeux du moment est de rapprocher la population de ces mots d'ordre, parfois outranciers, qui sont portés tantôt par les indépendantistes tantôt par les non-indépendantistes.
Il ne me revient évidemment pas de dire ce qu'il faudrait faire. Néanmoins, le gouvernement précédent avait déjà eu l'intuition de la nécessité de consulter la société civile, et cela avait produit d'assez bons résultats. Je pense que ce procédé devrait être amplifié.
Tout le monde aspire à sortir de l'indétermination, et des statuts temporaires fixés pour dix, vingt ou trente ans. Or, pour y parvenir, l'adhésion de la population sera capitale, et l'on ne peut imaginer une telle adhésion si elle n'a pas participé à l'élaboration du projet de société choisi.
Mon sentiment est par ailleurs que le problème de la Nouvelle-Calédonie tient moins à ses rapports avec la France qu'à un problème de vivre-ensemble interne. C'est pourquoi il serait bon que par le biais d'une sorte de conférence de citoyens la population s'exprime durant cette période. Le délai imparti étant court et les questions juridiques à traiter nombreuses, il sera toutefois difficile de l'organiser sérieusement. Ce sera néanmoins l'une des clés de résolution du problème.
J'en viens à présent au résultat possible du processus. Dans le rapport que Jean Courtial et moi-même avons rédigé en 2014 à la demande du Gouvernement, nous évoquions quatre voies possibles. Aujourd'hui, deux voies médianes sont encore à l'ordre du jour dans le débat : l'autonomie étendue et la pleine souveraineté avec partenariat. Celle du statu quo et de l'immobilisme n'est en revanche plus envisageable.
La voie de l'autonomie étendue est celle qui ressort le plus nettement des trois référendums négatifs. En effet, si nous prenons leurs résultats à la lettre, la Nouvelle-Calédonie a, par trois fois, déclaré qu'elle voulait rester sous la souveraineté de la République française. La difficulté concrète est de savoir comment lui donner davantage d'autonomie, ou comment lui en accorder une meilleure.
La Nouvelle-Calédonie dispose de toutes les compétences, à l'exception des compétences régaliennes et des trois compétences citées à l'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : l'enseignement supérieur, le statut des communes et la communication audiovisuelle. Nous pourrions imaginer de transférer ces dernières, mais cela ne constituerait pas une grande avancée.
La piste à creuser est sans doute celle d'une meilleure autonomie. Cela passerait par le chantier de la répartition des compétences internes entre l'entité Nouvelle-Calédonie et les provinces, et entre celles-ci et les communes. Les communes calédoniennes, au nombre de trente-trois, pourraient se voir attribuer d'autres compétences, notamment sur les questions coutumières. Il s'agirait donc d'accorder « mieux d'autonomie » plutôt que « plus d'autonomie ». Nous pourrions imaginer à ce titre un projet qui serait proposé au vote.
Il ne faut pas exclure néanmoins l'hypothèse de la pleine souveraineté avec partenariat. La difficulté juridique est qu'elle a été exclue par les trois consultations. Toutefois, cet objet politique demeure dans le débat.
Dans cette hypothèse, à l'image des consultations qui ont eu lieu au Québec, les questions suivantes seraient posées, lors d'une consultation référendaire, aux personnes inscrites : « Voulez-vous accéder à l'indépendance et à la pleine souveraineté et, le cas échéant, acceptez-vous ce projet qui vous lie à telle ou telle puissance - le Canada, dans le cas du Québec ? ». Cela reviendrait à rétrocéder les compétences régaliennes à la puissance en question.
Ces deux projets arrivent exactement au même résultat. Dans les deux cas en effet, la République française conserve les compétences régaliennes, ce qui est important du point de vue géopolitique et en matière d'ordre public sur le territoire. La différence symbolique qui les sépare est cependant non négligeable, la colonisation de ce territoire étant relativement récente et ayant été particulièrement violente. Il est probable néanmoins que la seconde option reviendra sur la table des négociations.
La question de la constitution du corps électoral est par ailleurs essentielle. Ces deux hypothèses peuvent se décliner en une multitude de variantes en fonction de la population qui participerait au référendum de projet prévu en principe en juin 2023.
La question est en outre de savoir sur quel fondement juridique ce référendum pourrait être organisé.
L'application de l'article 72-1 de la Constitution - qui a joué, par exemple, dans le cas de Mayotte - paraît exclue, car cet article renvoie à une consultation sur l'organisation d'une collectivité territoriale. Or l'entité Nouvelle-Calédonie n'est plus elle-même une collectivité territoriale, même si elle en contient en son sein.
Par conséquent, le fondement juridique le plus sûr, bien qu'il ne soit pas le plus solide, serait le préambule de la Constitution, qui a été utilisé pour la Corse.
La question la plus importante reste cependant celle de la définition du corps électoral. À ce sujet, deux thèses s'opposent : celle d'un corps électoral de droit commun et celle d'un corps électoral restreint. Selon la première, l'accord de Nouméa prévoyant trois consultations référendaires, et ces trois consultations ayant eu lieu, le corps électoral spécial constitué pour l'occasion n'a plus de raison d'être. Selon la seconde, on ne peut consulter la population générale de Nouvelle-Calédonie, il faut donc maintenir le corps électoral restreint de la LESC.
Il paraît peu probable que le Gouvernement désigne un corps électoral de droit commun pour voter sur le projet proposé. La question de la définition de ce corps fera sans doute l'objet d'une discussion intense. Toutefois, compte tenu du délai très réduit qui a été fixé, il sera difficile de déterminer un autre corps que celui qui était prévu par l'accord de Nouméa. Il n'est donc pas impossible que ce corps soit réanimé pour une quatrième et dernière apparition, faute de mieux. Ce sera l'objet de négociations. Cependant, s'il devait l'être, cela devrait probablement s'appuyer sur la loi organique et devrait faire préalablement l'objet d'un avis circonstancié du Conseil d'État.