Intervention de Géraldine Giraudeau

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2022 à 11h00

Géraldine Giraudeau, professeure des universités en droit public international à l'université de Perpignan :

C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission sur un sujet difficile et dont dépendent la paix et l'avenir des Calédoniens. J'espère pouvoir vous donner l'éclairage de mes spécialités, le droit international public et le droit comparé, sur trois aspects : le cadre juridique international applicable, les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie et ses compétences sur les espaces maritimes.

Quel est le cadre juridique international applicable ? L'accord de Nouméa prévoit explicitement que c'est le droit de la décolonisation. Sa pierre angulaire est le droit à l'autodétermination, consacré par la Charte des Nations Unies et par les résolutions 1514, 1541 et 2625 de l'Assemblée générale des Nations Unies. C'est un droit incontournable, essentiel, inaliénable dans le droit international, et il est consacré par notre Constitution.

En quelle mesure ce droit pourrait-il être explicité dans un nouveau statut ? Il reste applicable juridiquement même s'il n'est pas mentionné explicitement, mais on peut s'interroger sur la nécessité de le mentionner explicitement et de prévoir ses modalités d'exercice, notamment l'initiative de nouvelles consultations. Ce qui est certain, c'est que ce droit ne s'est pas éteint après la troisième consultation.

Il peut être intéressant d'aller voir ce qui se passe ailleurs. Le Pacifique est une région où la diversité des statuts territoriaux est de nature à montrer que beaucoup de variantes sont possibles entre l'autonomie et l'association d'États. On peut aussi s'intéresser aux cas des îles Féroé, du Groenland, des anciennes Antilles néerlandaises - à la suite de leur dissolution en 2010, Aruba, Curaçao et Sint Maarteen sont en effet des États associés aux Pays-Bas, mais avec le statut de pays constitutifs et non d'États souverains. Aruba s'était prononcée en faveur de l'indépendance, mais les autorités locales étaient revenues sur cette décision et la Constitution de l'île repousse désormais sine die la réalisation de cette indépendance. Le statut du Groenland, à son article 21, affirme son droit à l'autodétermination.

Les compétences internationales de la Nouvelle-Calédonie, quant à elles, sont explicitement consacrées par l'accord de Nouméa et la loi organique qui le retranscrit. Elles s'inscrivent dans une dynamique générale de décentralisation des compétences en relations internationales, que les États peuvent déléguer à des entités infra-étatiques. Ces compétences sont importantes pour que la Nouvelle-Calédonie puisse s'épanouir dans son environnement régional.

Aujourd'hui, les autorités de la République peuvent confier au président du gouvernement calédonien des pouvoirs pour signer des accords internationaux. Le congrès calédonien peut également autoriser le président du gouvernement à négocier un accord, à charge ensuite aux autorités de la République de lui donner les pouvoirs pour le signer.

La Nouvelle-Calédonie est membre d'organisations internationales comme le Forum des îles du Pacifique dont la Polynésie française est aussi membre à part entière depuis 2016 ; elle est, en même temps que la France, membre de la Communauté du Pacifique, organisation de coopération scientifique et technique, dont le siège est à Nouméa ; elle est enfin membre du Programme régional océanien de l'environnement.

La Nouvelle-Calédonie peut être représentée par des délégués, comme c'est le cas aujourd'hui au sein des ambassades de France en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu et aux îles Fidji.

Les modalités d'exercice de ces compétences pourraient être éclaircies et précisées à la faveur de l'élaboration d'un nouveau statut. Il serait bon de préciser les distinctions entre droit d'initiative, droit à l'information, droit à la participation ainsi que la compétence pour conclure des traités - ce qu'on appelle le treaty-making power - qui pourrait être étendue par une délégation générale.

Même si c'est plus anecdotique, une perspective à ouvrir est la coopération entre différentes entités, comme celle qui existe entre le Groenland et les îles Féroé concernant la pêche.

L'exercice de la compétence sur les espaces maritimes, définie comme relevant de l'État par la convention de Montego Bay, présente des difficultés dans les territoires à statut particulier. La convention souffre de manques liés à sa date de signature et aux ambiguïtés sur la zone économique exclusive (ZEE) et sur le plateau continental, exacerbées dans le cas des territoires à statut particulier, d'autant plus que l'autonomie est forte.

Si l'article 22 de la loi organique attribue à la Nouvelle-Calédonie la compétence sur la ZEE, son article 21 est plus sibyllin sur le plateau continental. Celui-ci a bien été étendu à l'ouest de la Nouvelle-Calédonie, mais la demande d'extension à l'est de l'archipel est en attente, en raison du différend avec le Vanuatu relatif à la souveraineté sur les îles Matthew-et-Hunter.

La compétence de l'État sur le plateau continental en deçà des 200 milles marins a été interprétée en faveur de la Nouvelle-Calédonie. La montée des eaux peut avoir un impact sur les limites maritimes, par le recul de la laisse de basse mer et des points servant au tracé des lignes de base. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été actives sur cette question, puisqu'elles sont signataires de plusieurs déclarations très importantes, comme celle du 6 août 2021 du Forum des îles du Pacifique, alors que la position de la France est plus discrète...

Dernière question en suspens : la protection des câbles sous-marins. L'ordonnance de 2016, qui clarifie certains aspects à ce propos, n'est en effet pas applicable à la Nouvelle-Calédonie.

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