Intervention de Étienne Cornut

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2022 à 11h00

Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé et directeur du Centre de recherches critiques sur le droit à l'université de Saint-Étienne :

C'est un honneur autant qu'un plaisir pour moi de vous parler d'un territoire où j'ai vécu treize années de ma vie, au cours desquelles j'ai été amené à travailler sur des questions de transferts de compétences en droit privé - ma spécialité -, sur la question de la citoyenneté, qui aurait pu devenir une nationalité en cas d'indépendance, et sur la place de la coutume kanak au sein de l'ensemble calédonien.

Aujourd'hui, la Nouvelle-Calédonie exerce l'intégralité de la compétence normative sur le droit privé, à quelques exceptions près. Faut-il aller plus loin en l'étendant par exemple au droit pénal ? Signalons que l'article 27 de la loi organique prévoit des transferts facultatifs que le congrès doit demander, comme sur l'université, par exemple. La bonne question à se poser est : pour quoi faire ? En quoi serait-ce une plus-value pour le bien être des Calédoniens et la construction de ce que l'accord de Nouméa appelle le « destin commun ».

Autre question : celle de la répartition des compétences entre le congrès et les provinces calédoniennes. La Nouvelle-Calédonie connaît aujourd'hui trois codes de l'environnement, car ce sont les provinces qui sont compétentes en la matière. Cela me semble être d'une complexité extrême, alors que le changement climatique dépasse largement les enjeux territoriaux.

Les transferts de compétences impliquent de savoir à qui ce droit s'applique. C'est là que nous touchons à une problématique de ma spécialité, le droit international privé.

Depuis juillet 2013, la Nouvelle-Calédonie est compétente sur le droit civil, mais aujourd'hui, nous ne savons pas à qui ce droit s'applique : aux Calédoniens, aux résidents après une certaine période de présence sur l'île, aux métropolitains de passage ? Ces questions ne sont pas réglées. Si, en 2013, lorsque j'ai commencé à alerter sur ce problème, la question était théorique, car le droit calédonien et le droit métropolitain étaient identiques, on constate aujourd'hui des différences très profondes en raison de l'évolution importante du droit français.

Deuxième question, des plus brûlantes : que va devenir la citoyenneté calédonienne, qui est restreinte dans ses bénéficiaires comme dans les droits qu'elle confère ? Rappelons que son accès est gelé : moi, qui ai vécu treize ans sur l'île, je n'ai pas pu voter aux élections provinciales et encore moins aux référendums. Cette citoyenneté implique un droit de voter et d'être élu, et un seul droit social : la préférence pour l'emploi local. Cette notion doit être repensée. La mission de 2015 a recueilli l'avis de chacune des parties calédoniennes sur le sujet : toutes étaient d'accord pour la conserver, mais pour la refonder. Reste à savoir comment faire, notamment comment ouvrir le corps électoral.

La question du contenu de la citoyenneté se pose aussi. Il faudrait redéfinir non seulement qui en bénéficie, mais aussi ce que cela apporte, notamment en termes de droit civil. Cela pourrait devenir un critère pour appliquer le droit civil calédonien dont je parlais à l'instant. Il faudrait aussi définir les obligations qui s'y rapportent. Pour l'instant, il n'y en a pas. Ces obligations pourraient être d'ordre fiscal ou autres, comme des jours de citoyenneté par exemple.

Autre sujet : la place de la coutume kanak. Celle-ci est aujourd'hui reconnue notamment à travers des institutions, comme le Sénat coutumier - il donne un avis sur toutes les lois du pays touchant au domaine coutumier -, les conseils d'aire des huit aires coutumières, les clans et les chefferies. La justice la prend en compte en matière civile pour les 100 000 personnes de statut coutumier kanak, à qui on n'applique ni le droit métropolitain ni le droit calédonien.

Faut-il aller plus loin dans la reconnaissance de la place normative de la coutume ? La professeure Giraudeau a parlé du droit maritime. Les terres coutumières prises en compte juridiquement ne sont que des terres émergées, mais les Kanaks considèrent que leur statut ne s'arrête pas au rivage, qu'il concerne aussi des terres immergées. On pourrait aussi renforcer les institutions : aujourd'hui, le Sénat coutumier n'a aucun levier pour empêcher l'adoption d'une loi du pays qui porterait sur l'identité kanak. On pourrait imaginer, sinon un droit de veto, du moins un avis qui ne soit pas que consultatif dans tous les domaines de l'identité kanak, et pas seulement ceux définis comme tels par le congrès.

Le rôle des clans dans la justice pourrait aussi être renforcé. Aujourd'hui, les travaux d'intérêt général peuvent y être accomplis. Ne pourrait-on pas aller plus loin ? Les autorités coutumières jouent traditionnellement un rôle très fort de médiation. On pourrait leur donner plus officiellement des rôles de conciliation, de recours préalable - toutes ces procédures que la loi pour une justice du XXIe siècle de 2019 a placées à l'honneur.

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