Intervention de Mathias Chauchat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2022 à 11h00

Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie :

Constatant que, lors de la deuxième consultation, les forces étaient équilibrées de part et d'autre, l'État aurait pu ouvrir un peu la porte en apportant des garanties en cas de victoire du « oui ». Au contraire, il s'est engagé dans la campagne du troisième référendum en réduisant le choix entre une indépendance de rupture à l'algérienne et la participation à la République, ce qui a conduit au boycott par les indépendantistes. À ce blocage, je vois quatre sorties possibles.

La première est le statu quo : on ne touche à rien et on applique le principe d'irréversibilité constitutionnelle. Ne rien faire, en Nouvelle-Calédonie, c'est souvent mieux qu'aller chercher les ennuis...

Deuxième sortie : le partenariat. Les consultations ne lient pas l'État français, qui pourrait construire un statut d'État associé comme cela existe partout dans le Pacifique, pour garantir une relation apaisée, durable avec la France. Des troubles en Nouvelle-Calédonie affecteraient en effet durablement nos relations avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres États insulaires du Pacifique.

Troisième sortie : une modification unilatérale de la Constitution et un référendum imposé - perspective qui est déjà qualifiée de « référendum Pons » par les indépendantistes. Ce n'est sans doute pas la voie à emprunter.

Quatrième sortie : on discute jusqu'à ce que les partenaires trouvent une solution politique.

Il n'y a pas d'autres sorties. Le problème, c'est que trois de ces voies nécessitent une modification de la Constitution.

L'accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé, dit bien à son point 5 que la sortie de l'accord nécessite une solution politique et insiste sur l'irréversibilité constitutionnelle : « Tant que les consultations n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d'évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette «irréversibilité» étant constitutionnellement garantie. »

Cela ne peut s'interpréter que de cette façon : pour en sortir, il faudra modifier la Constitution pour déplacer la Nouvelle-Calédonie du titre XIII vers le titre XII, comme la Polynésie française. C'est un énorme caillou dans la chaussure.

Sur quoi porte l'irréversibilité de « l'organisation politique » de la Nouvelle-Calédonie ? Sur un corps électoral, un mode de scrutin, un nombre de sièges, le gouvernement collégial, la provincialisation, le rééquilibrage, l'autodétermination. Tous ces points sont expressément mentionnés à l'article 77 de la Constitution. Certes, on a vu le Conseil constitutionnel ne pas se montrer très respectueux des compétences de la Nouvelle-Calédonie... mais le risque juridique est bel et bien réel.

Localement, cette irréversibilité est interprétée par les indépendantistes comme le respect de la parole donnée, ce qui est essentiel dans la civilisation océanienne.

Lorsque Georges Lemoine avait conduit les discussions à Nainville-les-Roches, en 1983, bien avant les événements, l'idée générale avait été de reconnaître aux Kanaks leur droit à l'autodétermination, en contrepartie de quoi les autres se voyaient reconnu leur droit à rester. À Matignon en 1988, c'était la même chose, mais après les événements.

Les Kanaks ont toujours reconnu que la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination était la condition du droit des autres - ici on dit « les Blancs » - à rester.

L'accord de Nouméa a permis la cohabitation du peuple kanak et des autres dans l'égalité de la citoyenneté, et c'est cela qui fonde le « destin commun », cette périphrase du peuple calédonien qui associe les deux peuples pour en faire un seul - ce qui n'exclut pas l'association avec la France.

Les métropolitains ont tendance à parler d'un « corps électoral restreint ». S'il est vécu comme tel par les métropolitains, les Kanaks y voient au contraire une ouverture généreuse ; ils considèrent en effet qu'ils sont le peuple colonisé et que l'utilisation par les autres de leur droit de vote pour empêcher l'autodétermination est une rupture du contrat social. Si l'on touche au corps électoral, on risque d'annuler toute la séquence. Ce qui meurt dans l'ouverture du corps électoral, c'est le peuple calédonien, qui disparaît pour ne laisser qu'une rupture entre les Kanaks et les Français.

Beaucoup de concessions ont été faites par les indépendantistes, notamment aux comités extraordinaires des signataires de 2015 et de 2016, à propos de la citoyenneté des natifs sans parent citoyen - ils ont le droit de vote. Les Kanaks - enfin, les indépendantistes kanaks, mais c'est la même chose à 97 % - ont convenu qu'il était absurde qu'ils ne soient pas citoyens et ont accepté que le haut-commissariat, en violation parfaite de la loi organique, les inscrive sur le corps électoral citoyen. En fait, on ne vérifie pas si la condition de l'existence d'un parent citoyen est remplie et les indépendantistes ne font pas de recours.

Sont donc citoyens les personnes nées dans le pays et qui y résident à 18 ans et ceux qui résident ailleurs, mais ont des parents citoyens. Les seuls exclus sont donc les métropolitains, les immigrants.

Difficulté supplémentaire : la France ne peut pas à la fois ouvrir le corps électoral et respecter le droit de la décolonisation. Une résolution des Nations Unies dispose ainsi qu'aucun pays ne doit favoriser l'immigration dans le but de modifier le résultat d'une autodétermination. Il faudra donc choisir : soit on ne respecte pas le droit international de la décolonisation, comme en Polynésie française, soit on n'ouvre pas le corps électoral, sauf sur la question des natifs - pour lesquels nous n'avons pas besoin de modifier la Constitution. Cette concession des indépendantistes a été considérée par les loyalistes comme très insuffisante, mais personne n'en a rien dit - bel exemple qui prouve que la Nouvelle-Calédonie est effectivement « le pays du non-dit »...

J'ai entendu tout ce qu'a dit Étienne Cornut sur la coutume. Je ne suis pas personnellement opposé à ce qu'on élargisse les droits coutumiers en matière de police administrative par exemple. Mais il faut se garder de ne pas l'élargir à tout : elle doit rester un statut civil. Attention à ne pas céder à l'idée de « développement séparé des races » ; même s'ils ne l'appellent pas comme cela, certains en Nouvelle-Calédonie ont un projet de société suivant le principe « chacun reste dans sa zone » : les Kanaks tiennent le monde rural, les Européens tiennent Nouméa et quelques communes du Sud. On serait loin alors du « destin commun dans un pays commun ». Il ne faut pas non plus céder à la tentation de jouer les coutumiers contre les indépendantistes, de diviser les Kanaks entre ceux qui veulent la coutume sans l'indépendance et ceux qui veulent l'indépendance sans la coutume.

Les discussions seront très difficiles. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dit qu'il n'engagerait des discussions qu'avec l'État français, considérant que ce dernier a fait campagne pour le « non » et que les autres ont répondu trois fois « non » à la question : voulez-vous être calédoniens et vivre dans un pays commun ? Il a tendance à vouloir leur dire : si votre pays c'est la France, que faites-vous ici ?

La modification de la Constitution est inévitable. Son absence serait vécue comme une rupture de parole par le FLNKS.

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