Intervention de Mathias Chauchat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2022 à 11h00

Mathias Chauchat, professeur des universités en droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie :

En ce qui concerne le corps électoral, question posée par Philippe Bas, il existe souvent une confusion, parfois entretenue d'ailleurs, entre les termes provisoire et transitoire. Je rappelle que la Constitution parle de « dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » et que, dans la dernière phrase de l'accord de Nouméa, l'État français reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de la période, d'une pleine émancipation. Il s'agit donc bien d'une transition vers l'émancipation du pays. Les Kanaks considèrent que cette promesse leur a été faite par l'État français. Ils n'ont jamais considéré que le référendum conditionnait l'indépendance. Cette approche s'est un peu étiolée depuis la signature de l'accord. La France, qui n'a pas de culture de la décolonisation, a cru qu'elle pourrait faire comme dans les DOM-TOM et que cette idée serait oubliée, ce qui n'a évidemment pas été le cas.

En outre, il existe un principe général de permanence des textes : tant que la Constitution ou la loi organique n'est pas modifiée, ces textes continuent de s'appliquer. Les élections provinciales peuvent donc se tenir sans difficulté en 2024 avec le corps électoral actuel.

Pourquoi les loyalistes sont-ils si pressés ? C'est parce qu'à chaque élection ils reculent, que ce soit en raison de la démographie ou de leurs divisions, et que la majorité au congrès bascule doucement - je ne dis pas cela en tant que militant, c'est simplement la réalité. Les loyalistes ont déjà bénéficié d'un sursis grâce aux inscriptions frauduleuses sur les listes électorales. Tout le monde reconnaît ce phénomène, y compris au sein du comité des signataires. Je rappelle que c'est l'État qui procède à l'établissement des listes, mais que l'État de droit outre-mer est largement considéré comme étant de « très basse intensité »... En Nouvelle-Calédonie, les choses sont assez simples : quand on connaît l'ethnie des gens, on connaît leur vote ! Par conséquent, quand on inscrit quelqu'un, on sait que cela correspond à une voix indépendantiste ou à une voix loyaliste. Or on a constaté une bascule d'environ 7 000 personnes dans la citoyenneté, ce qui permet aux loyalistes de bénéficier de deux sièges supplémentaires au congrès. Sans cette bascule, la majorité aurait déjà été différente à l'avant-dernier mandat.

On le voit, l'urgence est politique, pas juridique, mais je veux vous dire que l'ouverture du corps électoral n'est pas compatible avec la paix civile. Si Eloi Machoro, militant de l'Union Calédonienne, a brisé une urne à Canala en 1984, c'est parce qu'il considérait que l'ouverture du corps électoral constituait une violation des droits fondamentaux. Je suis profondément convaincu que, si le Parlement décide de toucher au corps électoral, il ravivera les troubles en Nouvelle-Calédonie - ce n'est évidemment pas une menace, mais simplement ma conviction. Les Kanaks considèrent ce corps électoral comme le périmètre du peuple calédonien. Ouvrir le corps électoral revient à reconnaître que la France recolonise la Nouvelle-Calédonie, qu'elle fait venir des immigrants français pour rendre minoritaire le peuple kanak, alors même que nous sommes au bord de la bascule.

Comment voulez-vous que cela soit accepté ? Ce n'est pas possible ! Et il ne sert à rien de chercher tel ou tel argument dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, car nous nous situons dans le droit de la décolonisation et la résolution des Nations Unies demande aux États de mettre fin à l'immigration dans les pays en voie de décolonisation. Dans l'accord de Nouméa, le compromis s'est noué sur cette notion de citoyenneté : on n'arrête pas la libre circulation avec la métropole, on permet à des gens de venir en Nouvelle-Calédonie, mais en contrepartie ils ne votent pas. Mettre fin à cet équilibre reviendrait à casser le contrat social.

En ce qui concerne la question de Stéphane Artano, il me semble que la suggestion de Jean Courtial est la bonne. L'État se sent un peu isolé en Nouvelle-Calédonie, si bien qu'il cherche toujours à faire intervenir la soi-disant société civile, avec laquelle ses représentants forment une sorte de communauté intellectuelle, mais il s'agit principalement de métropolitains, de chefs d'entreprise, de bénéficiaires de la défiscalisation, etc. La consultation de la société civile est donc une mauvaise méthode ; elle est même prise comme une agression par les indépendantistes. Ce sont le congrès et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui devraient s'impliquer directement et institutionnellement dans les discussions.

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