Intervention de Étienne Cornut

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2022 à 11h00

Étienne Cornut, professeur des universités en droit privé et directeur du Centre de recherches critiques sur le droit à l'université de Saint-Étienne :

Je suis du même avis que Mathias Chauchat et Jean Courtial sur la question de la citoyenneté : il est tout à fait possible d'organiser les élections provinciales de 2024, voire les suivantes, sur la base du corps électoral actuel. Cela a été dit, ce sont des dispositions transitoires, pas provisoires. On pourrait donc ne rien faire !

On peut cependant craindre que la Cour européenne des droits de l'homme ne maintienne pas son arrêt de 2005, si la situation devait durer trop longtemps, car elle évoquait dans ses motivations l'existence d'une période à peu près définie.

C'est un peu la même question pour les natifs : les natifs de Nouvelle-Calédonie qui n'ont aucun parent citoyen calédonien peuvent être inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales et au congrès. Certes, la Cour de cassation a admis en 2011 cette situation, mais elle n'en reste pas moins fragile. Une inscription dans la loi serait sans doute utile.

Nous devons distinguer clairement les deux notions : la citoyenneté calédonienne, qui permet de voter aux élections provinciales et au congrès, et la citoyenneté référendaire.

À mon avis, on ne peut pas revenir sur le caractère restreint de ces corps électoraux et ouvrir totalement le corps électoral à tout citoyen français posant le pied en Nouvelle-Calédonie. Ce serait un retour en arrière. On doit maintenir des restrictions, même s'il doit être possible de procéder à des ouvertures sous certaines conditions, en particulier de résidence. Il en est d'ailleurs ainsi dans le droit de la nationalité, qui mixe différentes conditions : droit du sol, droit du sang, naturalisation, mariage, etc. Ces voies doivent être explorées, mais nous devons garder à l'esprit la dimension profondément politique du sujet.

Je crois qu'il faut laisser comme horizon au peuple kanak le droit à l'autodétermination dans des conditions qui permettent effectivement à une telle décision d'être prise. Le droit à l'autodétermination doit s'appréhender du point de vue du peuple qui a été colonisé.

En ce qui concerne le droit coutumier, je crois qu'il faut élargir la prise en compte de la coutume kanak et redéfinir le rôle des autorités et institutions coutumières - les clans, les chefferies, le Sénat coutumier... Cela ne doit pas aller jusqu'à créer deux ordres séparés, si nous voulons avancer dans l'idée d'un « destin commun ». À une époque, le Sénat coutumier avait avancé l'idée de deux ordres séparés ; je ne crois pas que cette voie doive être suivie.

Pour autant, dans certains domaines, le droit coutumier devrait être mieux pris en compte - c'est déjà le cas en matière de droit de l'environnement. Il faudra cependant respecter les limites du champ républicain : par exemple, il ne s'agit pas, dans mon esprit, de donner aux autorités coutumières un pouvoir de sanction pénale. Je prends un exemple simple de cette prise en compte de la dimension coutumière : brûler une case kanak a un autre sens que brûler une maison en métropole, car cela porte atteinte à un symbole coutumier fort ; on pourrait donc envisager une circonstance aggravante dans le quantum des peines.

Enfin, il faut associer davantage les autorités coutumières aux processus de médiation et de conciliation.

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