– Mesdames, messieurs, je souhaite appuyer les propos de notre vice-président Philippe Diallo. Au nom de la Fédération française de football, nous regrettons sincèrement les graves incidents qui ont eu lieu au Stade de France le 28 mai dernier. Nous ressentons un sentiment mêlé de tristesse, de colère et d’indignation. Tout le monde attendait cette finale. Elle aurait dû être la fête du football européen, mais elle a été gâchée. Nous devons tous ensemble tirer des enseignements de ce qui s’est passé pour que cela ne se reproduise plus.
Pour organiser les finales de coupe d’Europe, l’UEFA demande toujours de l’aide aux pays et fédérations hôtes, qui agissent sous le contrôle et la validation de cette dernière.
En l’occurrence, en quoi consistaient les missions des différents acteurs ?
Le Stade de France était chargé de mettre à disposition le stade et d’assurer la sécurité incendie de l’événement, l’accompagnement dans l’élaboration et la validation des dossiers de sécurité ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs de contrôle d’accès et la restauration grand public.
La première mission de l’UEFA est de commercialiser la billetterie et les prestations d’hospitalité. Elle livre également la rencontre sportive, les contreparties des partenaires télé et marketing, les animations sur le parvis et dans l’arène, la signalétique directionnelle à l’intérieur et aux abords du stade et l’habillage de l’enceinte.
Quant à la FFF, sa première mission est d’assurer la sécurité privée, c’est-à-dire la mise en place du dispositif de stadiers et d’agents d’accueil aux points de préfiltrage, aux portes du stade et à l’intérieur du stade, de concevoir le plan d’acheminement des spectateurs, le recrutement et la gestion des volontaires, et d’assurer les relations avec les villes hôtes, le Gouvernement et la sécurité publique. Les villes hôtes se chargent pour leur part d’organiser l’animation dans leurs communes.
La FFF a analysé quatre types de difficultés, situées essentiellement à l’extérieur du stade, qui ont conduit aux incidents constatés lors de la soirée du 28 mai, ces derniers ayant été aggravés par une succession de dysfonctionnements.
La première difficulté tient à l’arrivée aux abords du stade d’un nombre de spectateurs nettement supérieur à la capacité de l’enceinte et à la présence de faux billets : 110 000 personnes ont ainsi été acheminées au Stade de France, pour une capacité de 75 000 places. Selon les données fournies par la RATP, 6 200 personnes sont arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Selon les données de la FFF, 450 cars ont acheminé 20 905 personnes aux abords du stade. Enfin, selon les données de la préfecture de police, 6 680 personnes sont venues en taxi et 4 111 en véhicules légers. Cet afflux massif a créé une situation inédite d’engorgement des dispositifs de contrôle en préfiltrage et aux portes du stade.
Initialement, l’UEFA devait exclusivement commercialiser sa billetterie sous forme électronique, avec un système de blockchain non falsifiable. Cependant, à la demande des clubs, elle a accepté que Liverpool obtienne 20 000 tickets au format papier – c’est-à-dire la totalité de ses billets –, le Real de Madrid 6 000, la ville de Saint-Denis 600 et celle de Paris 280. Or ces titres papier ont permis la fabrication de faux billets. Nous savons que 2 471 billets ont été scannés aux tripodes du stade avec un résultat inconnu, ce qui est la marque d’un code-barre frauduleux.
À titre d’exemple, pour de grands événements comme des concerts internationaux, il est arrivé que l’on identifie jusqu’à 300 faux billets. Le 28 mai, leur nombre était beaucoup plus élevé. Entre 18 heures et 21 h 35, 57 faux billets ont été scannés toutes les cinq minutes, et 66 % d’entre eux l’ont été sur les trois portes X, Y et Z, situées dans le secteur sud dédié aux supporteurs de Liverpool. Par ailleurs, sur ces fameuses trois portes, qui permettaient de faire entrer 15 000 personnes dans le stade, un billet sur dix était faux, avec pour conséquence un engorgement des portes.
Il est toutefois très difficile aujourd’hui d’évaluer avec précision le nombre de faux billets qui ont circulé. Il convient en effet d’ajouter aux faux billets scannés aux tripodes ceux qui ont été identifiés au niveau du préfiltrage et dans les « fan zones ». Une enquête de police est en cours. L’on sait déjà qu’une personne a été prise avec un sac de 50 faux billets à la « fan zone » du cours de Vincennes et que l’on a identifié environ 250 faux billets lors du préfiltrage. Par ailleurs, certaines personnes ont pu entrer dans le stade sans billet à la faveur des incidents.
La deuxième difficulté tient à la gestion des flux de spectateurs en provenance des transports en commun. Le mouvement de grève de la RATP sur le RER B a conduit à reporter une très grande partie des spectateurs sur le RER D, occasionnant des congestions très significatives entre la sortie de celui-ci et la zone de préfiltrage, qui ne compte à cet endroit que 10 couloirs de palpation, contre 20 à la sortie du RER B. Ces congestions ont bien entendu été aggravées par l’afflux de personnes dépourvues de billet ou munies d’un faux billet. Le RER D a ainsi vu transiter 36 000 personnes, au lieu de 10 000 à 15 000 d’ordinaire pour une manifestation de ce type, alors que la ligne B n’a été utilisée que par 6 000 personnes, contre 30 000 habituellement. Ce déport massif a été aggravé, dès la fin de l’après-midi du 28 mai, par des messages en gare qui indiquaient de ne pas utiliser la ligne B, mais plutôt la ligne D pour se rendre au stade, alors même que 4 trains sur 5 fonctionnaient sur la première. Cette situation a essentiellement concerné les supporteurs de Liverpool. À 21 h 00, heure du coup d’envoi théorique, seuls 63 % d’entre eux étaient assis en tribune. En revanche, 99 % des supporteurs de Madrid, qui étaient majoritairement venus par la ligne 13, étaient installés à leur siège.
Nous avons rencontré une troisième difficulté, touchant, d’une part, à la vérification des billets aux points de préfiltrage par les agents de sécurité et, d’autre part, au positionnement, en soutien, des forces de l’ordre. La FFF, le soir de la finale de la Ligue des champions, a proposé un dispositif de 1 680 agents de sécurité privée. Cela représentait 17 % de personnes en plus par rapport au 8 mai dernier, où 1 400 agents étaient déployés pour la finale de la Coupe de France, match classé au niveau de risque 4 sur une échelle de 5. Comme pour chaque match, ce dispositif est validé par la préfecture de police. Parmi ces 1 680 agents, 258 étaient répartis aux points de préfiltrage, avec deux missions distinctes. La première était la palpation, conformément au plan Vigipirate, la seconde la vérification de la validité des titres d’accès, effectuée soit via un stylo chimique, pour les billets papier, soit via une carte électronique, pour ceux qui souhaitaient activer le QR code sur leur téléphone. Nous n’avons connu aucun problème de fiabilité quand les stylos étaient passés sur l’étiquette. Cette double tâche demandée aux agents de sécurité, sans mentionner les flux massifs de personnes à certains endroits, les a mis en difficulté, à tel point que le préfiltrage au niveau du RER D a été « relâché » pendant quinze minutes pour éviter des écrasements de personnes. « Relâché » signifie qu’il n’y avait plus de contrôles et que tout le monde pouvait pénétrer sur le parvis, aux abords du stade. Les agents de sécurité, aussi nombreux et formés soient-ils, ne peuvent pas contenir une telle pression de la foule sans être assistés par les forces de l’ordre ; c’est pourquoi un dispositif complémentaire a été mis en place par la préfecture de police, comme pour la finale de la Coupe de France. Cependant, les forces de l’ordre, placées, en majorité, derrière les stadiers, n’ont pas eu la possibilité d’agir efficacement.
La quatrième difficulté touchait aux agressions et intrusions. De très nombreux délinquants ont profité de cette finale pour se rendre au Stade de France, dans le seul but de pénétrer dans l’enceinte sans billet, de voler et d’agresser les supporteurs des deux clubs présents aux alentours. Nous n’avions jamais vu cela. Nous avons tous vu, à la télévision, sur les réseaux sociaux, des images et des témoignages, comme ceux de salariés de la FFF qui, je les cite, ont eu « la peur de leur vie ». Le centre d’accréditation de l’UEFA placé à proximité immédiate du Stade de France a été envahi par des délinquants, à tel point que nos collègues ont dû s’enfermer dans leur bureau et sont restés bloqués pendant quatre heures. Pourquoi s’en prendre à ce centre ? Tout simplement pour voler des accréditations, afin d’entrer dans l’enceinte... La présence très importante de ces délinquants a obligé les forces de l’ordre à intervenir à de nombreuses reprises, mais cela les a détournées de leur mission de sécurisation des points de préfiltrage et des accès. Ces actes inacceptables ont contribué à créer des engorgements de personnes aux portes du stade et ont semé la peur parmi les spectateurs.