Intervention de Didier Lallement

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 juin 2022 à 10h00
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de M. Didier Lallement préfet de police

Didier Lallement, préfet de police :

– Oui, il y avait une dizaine de fonctionnaires à cheval, comme c’est classiquement le cas lors des matchs.

En ce qui concerne la réponse pénale, les magistrats pourront vous répondre mieux que moi.

Nous avons effectué un certain nombre d’interpellations – elles ont été communiquées par le ministre –, tant aux abords du stade qu’à la périphérie. J’ai vu poindre dans le débat public une question : pourquoi n’avons-nous pas interpellé les supporters qui avaient un faux billet ? Effectivement, nous ne l’avons pas fait, car nous nous sommes concentrés sur ce qui semblait essentiel, à savoir les délits que nous constations.

J’ai choisi de ne pas interpeller les individus présentant un faux billet. Très franchement, au moment des faits, nous ne pouvions pas savoir s’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. Je préfère être clair, car c’est une critique que j’ai pu entendre ici ou là : nous n’avons interpellé personne pour ce motif parce qu’aucun élément ne nous permettait de le faire sur le plan pénal.

M. Michel Savin. – Monsieur le préfet, vous avez indiqué que 30 000 à 40 000 personnes avaient un billet falsifié ou n’avaient pas de billet. Je voudrais revenir sur la photo qui a été publiée par TF1 à 20 heures 58.

Ma question est simple : où se trouvaient, à 20 heures 58, c’est-à-dire deux minutes avant le début du match, les 30 000 à 40 000 personnes dont vous faites état ? Ce n’est pas qu’un problème politique, monsieur le préfet !

M. le ministre de l’intérieur nous a dit que la présence de 30 000 à 40 000 spectateurs en dehors du stade à 21 heures était la principale cause du report du match. Or, sur les images, nous ne les voyons pas. Quelle était la réponse à apporter à cette question, sachant qu’à 21 heures, 10 000 supporters anglais n’étaient toujours pas entrés dans le stade ? Ce n’est pas anodin, c’est une vraie question : M. le ministre, qui met en avant la présence de ces personnes pour expliquer le report du match, se trompe-t-il ?

L’UEFA et la Fédération française de foot parlent de 2 800 faux billets scannés aux tourniquets d’entrée du stade. J’ai bien compris que vous ne pouviez pas nous donner de chiffres, mais pouvez-vous confirmer les propos du ministre de l’intérieur selon lesquels entre 57 % et 70 % des tickets présentés aux points de pré-filtrage étaient frauduleux ?

Des débordements ainsi que des actes de délinquance et d’agression se sont déroulés autour du stade. M. le ministre a expliqué ces débordements par la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou avec de faux billets. Partagez-vous cet avis ?

– Monsieur le sénateur, je n’ai pas regardé la photo de TF1, mais je crois avoir donné tout à l’heure des indications assez précises. Les 30 000 à 40 000 personnes dont j’ai fait état n’étaient pas situées aux abords stricts du stade. J’ai expliqué qu’elles se trouvaient au-delà des barrages, lesquels n’étaient pas placés à l’entrée du stade : ils servaient à contrôler l’accès au parvis du stade.

Bien évidemment, il n’y avait pas 30 000 à 40 000 personnes devant les portillons du stade. Jamais personne n’a dit ça ! Je fais simplement état des observations et des comptes rendus que j’ai transmis au ministre. Il me semble, d’ailleurs, que ce dernier a été assez clair sur cette question.

Je ne crois pas que quiconque ait dit qu’il s’agissait de la principale cause du report du match. Selon l’UEFA et la Fédération française de football, le match a été reporté parce que tous les spectateurs n’étaient pas encore entrés dans le stade, notamment les supporters anglais, ce qui se constatait aisément en regardant les gradins du stade. S’ils n’étaient pas tous là, c’est qu’ils étaient à l’extérieur. Où étaient-ils ? En partie devant le stade, mais certains étaient ailleurs. Où exactement, je l’ignore ! Quoi qu’il en soit, leur absence a expliqué la décision du monde sportif de reporter le début du match.

Notre grande crainte était qu’effectivement il arrive d’autres supporters qui fassent encore plus pression sur le dispositif de contrôle, déjà en difficulté aux stricts abords du stade. Car le problème était, à ce moment-là, de savoir combien d’entre eux auraient un billet valide.

Sur les chiffres des pré-barrages et la validité des billets, il faut être précis. Il y a eu deux types de contrôle : le pré-contrôle, effectué avec une sorte de stylo chimique qui confirme la validité du billet – les organisateurs vous l’expliqueront mieux que moi –, puis le contrôle au portillon, comme cela se passe n’importe où.

Ce qui a été dit, et ce dont le ministre a fait état, c’est que le pré-contrôle a fait apparaître jusqu’à 70 % d’erreurs, un niveau si élevé que les organisateurs ont douté de la fiabilité même de ces stylos chimiques ; ils vous l’expliqueront. Personne n’a dit qu’il y avait eu 70 % de faux billets : nous avons simplement fait état de difficultés au moment du pré-filtrage. Il faut être précis, de même qu’il ne faut pas laisser penser que 40 000 personnes se seraient massées devant le stade…

M. Michel Savin. – Voici ce qu’a dit le ministre : « La délinquance a tenu au fait qu’il y avait des milliers et des dizaines de milliers de personnes en plus qui ne rentraient pas dans le stade. »

Vous nous dites qu’à 21 heures, il n’y avait quasiment personne devant le stade. Ce n’est pas la même chose…

M. Jérôme Durain. – Dans cette affaire, on nous dit que la faute incombe à tout le monde : les faux billets, les supporters trop nombreux, la Seine-Saint-Denis, dont un candidat à la présidentielle assène qu’elle est un territoire perdu de la République… Cependant, au sein même du ministère de l’intérieur, des questions visent la doctrine de l’usage de la force publique ; mais vous prétendez qu’elles sont hors sujet.

Un syndicaliste nous a dit que la préfecture de police de Paris voulait garder pour elle seule le cœur du maintien de l’ordre en activant les brigades de répression des actions violentes (BRAV) et les brigades anti-criminalité (BAC), plutôt que d’associer les gendarmes mobiles et les CRS. Ce syndicaliste nous a même dit que Paris était le seul territoire où la gendarmerie et les CRS n’étaient pas invités à la conception des opérations de maintien de l’ordre. Ma première question porte donc sur la doctrine de l’usage des forces.

Ma deuxième question porte sur la préparation elle-même. Nous entendons des choses assez confuses sur le fait que vous ayez, ou pas, tenu compte de telle ou telle note pourtant importante… La ville de Saint-Denis va produire une contribution écrite, qu’elle transmettra au préfet Michel Cadot, sur l’accès au stade, parce qu’il y a eu manifestement des innovations. Vous nous dites que vous ne pouvez pas pousser les murs. Certes, ces murs sont dans l’architecture du site, et il faut donc en tenir compte. Mais avez-vous pris en cours de soirée des initiatives sur le pré-filtrage ayant contribué aux difficultés d’accès au stade ?

Enfin, s’agissant de l’aide apportée aux supporters anglais en matière de dépôt de plainte, si les choses paraissent claires pour ce qui est des actes de délinquance qu’ils peuvent avoir subis, elles paraissent plus compliquées concernant les actes déplacés et les éventuelles erreurs des forces de l’ordre, en particulier lors des sommations. Quels correctifs pensez-vous pouvoir apporter au formulaire de dépôt de plainte ?

– Je pensais avoir été clair, mais je veux bien le répéter : je suis seul responsable de l’ordre public et de la sécurité, j’assume la totalité des décisions prises et des conséquences de la situation. Je ne sais pas comment vous le dire mieux.

Comment se préparent les grands événements sur l’aspect policier ? J’entends qu’il y a des critiques, mais les choses se passent ainsi : quand un événement est prévu, la DOPC de la préfecture de police de Paris le prépare et me présente plusieurs variantes, que j’examine avec mes services. Nous quantifions les effectifs que nous comptons déployer – d’abord nos effectifs propres, car c’est une spécificité de l’agglomération parisienne que d’avoir ses propres systèmes d’ordre public –, puis je demande des renforts au ministère de l’intérieur. Ensuite, je présente ce dispositif à l’ensemble des commandants d’unités engagées. Je le fais personnellement depuis trois ans et demi, et chacun peut faire les remarques qu’il juge nécessaires ; il n’y en a pas eu dans le cas d’espèce.

On peut critiquer le plan que nous avons retenu, mais il faut savoir qu’en matière d’ordre public et d’événement engageant des centaines de personnes chargées de l’ordre public, croyez-moi, les choses ne se passent jamais comme prévu et l’on doit modifier en permanence le plan initial.

Sur les plaintes, je vous ai déjà répondu. Des supporters anglais et espagnols se sont fait avoir en achetant de faux billets. Nous entendons les aider à porter plainte ; cela nous aidera à trouver les responsables de cette fraude massive.

Sur les personnes en attente, je crois aussi avoir été très clair, mais je veux bien préciser mon propos. Les 30 000 à 40 000 personnes dont a parlé le ministre étaient en amont du pré-filtrage, même s’il y avait un nombre important de gens qui attendaient d’entrer dans le stade puisqu’on a compté 15 000 personnes manquantes dans le stade à 21 heures… Vous faites état d’une photographie, mais les choses se sont déroulées en plusieurs temps, entre l’avant-match et la situation une fois le match commencé.

M. David Assouline. – En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que la distribution des places est une opération importante. Tant qu’il y aura 20 000 places pour chacun des clubs, 29 000 places pour les VIP, 6 000 pour les personnes accréditées par l’UEFA et seulement 6 000 places pour le public, avec des places à 800 euros et plus, on dira au peuple qu’il n’est pas le bienvenu dans le stade, ce qui continuera d’avoir pour effet de fabriquer des exclus mécontents, que la police devra contenir et gérer. Tout cela ne va pas sans poser de problème à notre démocratie elle-même…

Vous avez été placé dans cette situation, que vous pouviez anticiper puisqu’une note de vos services vous avait alerté que plusieurs centaines de personnes, à tout le moins, chercheraient à forcer les tourniquets pour entrer dans le stade. Cependant, alors que vous en étiez prévenu, vous prenez la décision de lever les barrages. Pourquoi une telle décision, alors que vous saviez que plusieurs centaines de personnes au moins allaient tenter de forcer les tourniquets ? Vous dites que votre dispositif était tourné contre la menace terroriste, ce qui est surprenant étant donné les circonstances. Il n’en reste pas moins que la question se pose : pourquoi votre décision de lever les barrages ?

Une autre question, ensuite, que j’ai déjà posée au ministre de l’intérieur, sur la doctrine du maintien de l’ordre. Il ne faut pas prendre les parlementaires pour des imbéciles : il y a bien un débat en la matière, le ministre l’a reconnu. Or vous nous dites que vous n’aviez pas d’autre choix que le gaz pour disperser les gens, y compris ceux qui n’étaient pour rien dans la situation. Cela se passe aussi lors des manifestations, où les gens sont « nassés » et où, pour quelques fauteurs de trouble, des personnes venues exercer leur droit de manifester se trouvent à leur tour gazées et prises dans un tourbillon organisé par les forces de l’ordre. On l’a vu encore très récemment à la gare de l’Est…

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