Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 9 juin 2022 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 10 h 00.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale. – Monsieur le préfet, le président Lafon et moi-même avons souhaité vous entendre sur les événements qui ont eu lieu, il y a quelques jours, au Stade de France, à l’occasion de la finale de la Ligue des champions. Cette audition est retransmise en direct par la chaîne Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Nous avons entendu, la semaine dernière, le ministre de l’intérieur ainsi que la ministre des sports au sujet de ces mêmes événements. Vous étiez, ès qualités de préfet de police, en charge de la surveillance et de l’organisation de cet événement. Je tiens à vous dire, de la manière la plus directe possible, que l’objectif de nos deux commissions est de comprendre ce qui s’est réellement passé afin de pouvoir ensuite apporter les réponses qui conviennent. Ceux qui sont présents dans cette salle ne sont en quête de rien d’autre que de la vérité.

En ce qui concerne, tout d’abord, les conditions d’accès au stade et les raisons qui ont conduit au blocage et à la dispersion de la foule par l’usage des gaz lacrymogènes, le ministre a insisté, la semaine dernière, sur l’ampleur d’une fraude aux billets, qui selon lui n’était pas prévisible, et sur le nombre inattendu, semble-t-il, de supporters de l’équipe de Liverpool présents. Plusieurs questions demeurent quant à cette imprévisibilité alléguée et aux chiffres, qui devront incontestablement être mieux établis.

À cet égard, les remontées d’informations dont vous disposiez, non seulement sur la grève des transports, mais aussi grâce à la note des services de renseignement du 25 mai dernier sur la présence de supporters ainsi que sur les billets d’accès sous forme papier vous ont conduit, légitimement, à mobiliser des forces de police en quantité importante pour organiser cet événement. Il reste à savoir quelle doctrine d’emploi et quelle organisation avaient été définies pour que ces forces de police puissent répondre à la situation telle qu’on pouvait probablement, en partie, la prévoir.

Une autre question porte sur la situation quelque peu surprenante dans laquelle s’est retrouvé un public somme toute passif, ou du moins calme et plutôt familial, contre lequel on a fait usage de bombes lacrymogènes, comme l’ont montré des images qui ont circulé à la télévision. Comment comprendre, en effet, que des gens qui attendaient patiemment aient pu recevoir un jet de gaz lacrymogène ? Il faut nous expliquer ce qui s’est vraiment passé.

Ensuite, nous souhaitons revenir sur la séquence qui relève non pas du maintien de l’ordre mais de la sécurité publique. De nombreuses agressions ont eu lieu autour du stade : on entend dire que 400 ou 500 personnes auraient agressé des supporters ou, du moins, des gens qui se rendaient au stade, en leur faisant les poches ou en les attaquant physiquement, comportements qui relèvent de la délinquance pour nommer les choses par leur nom.

Or nous n’avons que peu d’éléments sur la gestion de ces incidents, sur les suites qui leur ont été données, voire sur les possibilités de leur anticipation. Nous ne comprenons donc pas bien ce qui s’est passé. On ne peut réduire la situation, nous semble-t-il, aux difficultés que des supporters auraient rencontrées pour accéder au stade ; nous devons la clarifier parfaitement en établissant les faits d’agression commis par des délinquants contre les supporters.

La dernière question qui en découle porte sur la nature du dispositif de sécurité publique prévu à l’issue du match. Estimez-vous que ce dispositif a fonctionné ? Quelles améliorations possibles avez-vous envisagées pour d’autres événements de cette ampleur, comme la Coupe du monde de rugby qui doit avoir lieu l’année prochaine, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et d’autres manifestations qui pourront se tenir au Stade de France ?

Monsieur le préfet, nous ne sommes pas contre la police, loin de là. Nous comprenons ses difficultés et nous la soutenons. Cependant, au sujet de ces événements, nous cherchons à savoir pourquoi 400 millions de téléspectateurs ont vu, ce soir-là, une telle situation au Stade de France, à l’occasion d’un événement sportif majeur. Cela relève pour nous de l’incompréhensible et c’est la raison pour laquelle nous voulons que vous nous éclairiez.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. – Comme l’a dit le président Buffet, dans le cadre de notre exercice de contrôle, notre rôle est de comprendre ce qui s’est réellement passé. Nous le devons à ceux qui ont été victimes de ces incidents. En outre, il nous faut tirer tous les enseignements de cette finale de la Ligue des champions, en vue de la préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Monsieur le préfet, tel est l’état d’esprit dans lequel s’inscrit cet échange avec vous, qui nous permettra d’obtenir des réponses à un certain nombre de questions qui se posent encore.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Je vous remercie pour votre invitation qui permettra, je l’espère, de clarifier les points qui doivent l’être.

Avant toute chose, je voudrais vous dire qu’en tant que préfet de police, je suis le seul responsable opérationnel de l’ordre et de la sécurité publics dans l’agglomération parisienne, c’est-à-dire à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Je ne suis d’ailleurs pas le préfet de police « de Paris », mais le préfet de police tout court. Par conséquent, puisque le sujet concerne la Seine-Saint-Denis – je veux être très clair sur ce point –, les préfets des départements de la petite couronne n’ont aucune compétence en matière d’ordre et de sécurité publics. Les fonctionnaires de police et les militaires de gendarmerie interviennent sous mon autorité directe ou sous celle que je donne par délégation à des hauts fonctionnaires, qu’ils soient du corps préfectoral ou de la police.

J’assume donc en totalité la responsabilité de la gestion policière de la journée du samedi 28 mai et – je le répète encore une fois – j’en suis non seulement devant vous, mais également devant le pays, le seul comptable opérationnel.

Ceux qui ont agi l’ont fait sous mon commandement et je veux d’abord les saluer. Policiers ou gendarmes, ils ont fait preuve d’une énergie et d’une volonté, ce soir-là comme à l’accoutumée, que je voudrais ici souligner. Sans eux, un drame aurait pu se produire. Je leur fais donc part publiquement, comme je l’ai fait plus indirectement, de ma reconnaissance pour leur action et de ma fierté de les avoir sous mes ordres. Ils ne sont pas pour moi des « troupiers » – expression d’un siècle passé, que l’on associe plutôt au mot « comique », même si elle ne me fait pas rire –, mais des collègues ou des camarades d’une grande valeur professionnelle et morale.

N’éludant pas mes responsabilités, je regarde, ou du moins j’essaye de regarder avec la plus grande lucidité possible ce qui s’est passé autour du Stade de France ce soir-là. C’est à l’évidence un échec, car des personnes ont été bousculées ou agressées alors que nous leur devions la sécurité. C’est un échec aussi, car l’image du pays – vous l’avez souligné, monsieur le président – a été ébranlée. Mais je dois insister, au delà de cet échec, sur le fait que, face à une crise d’ampleur, dans un contexte dégradé et difficile, nous avons fait en sorte que le match se tienne et surtout qu’il n’y ait aucun blessé grave ni aucun mort. Qui plus est, dans Paris intra muros, tant dans les zones de circulation des supporters que dans la fan zone, ou bien hors de Paris, dans les aéroports de Roissy et d’Orly, il n’y a eu aucun incident significatif.

Je vous disais avoir conscience que l’image de la France a été atteinte : c’est une blessure pour moi, car l’amour de la patrie et l’honneur du drapeau comptent plus que tout.

À nos hôtes étrangers, qu’ils soient espagnols ou anglais, qui ce soir-là n’ont pas tous trouvé les conditions sûres d’un accueil, ainsi qu’à l’ensemble de nos concitoyens français, je veux dire également mes regrets sincères.

Comme le ministre de l’intérieur l’a demandé, des pré-plaintes sont disponibles en ligne et des fonctionnaires de la préfecture de police sont présents à Liverpool et à Madrid pour aider, si besoin est, ceux qui le souhaitent à les remplir. J’encourage donc non seulement l’ensemble de nos concitoyens, mais également les ressortissants anglais et espagnols à porter plainte – c’est extrêmement important – pour que nous puissions retrouver et poursuivre leurs agresseurs. Je les encourage également à porter plainte si jamais ils ont acheté des faux billets, car il est essentiel que nous ayons une vision claire de la situation en la matière. Je leur promets donc à tous que nous ferons tout pour retrouver les coupables et les présenter à la justice.

Je ne reviendrai pas longuement sur les causes de ce qui s’est passé ce soir-là, les ministres ayant dans leurs auditions déjà largement détaillé l’analyse que l’on peut en faire. Je veux toutefois insister sur deux décisions que j’ai eu à prendre et sur les conséquences qu’elles ont eues.

D’abord, la levée du barrage de pré-filtrage dit « de l’avenue Wilson », vers 19 heures 45. Notre rôle, sur les barrages, est d’assurer une protection antiterroriste grâce à des véhicules faisant fonction d’« anti-béliers », pour reprendre notre terminologie, et grâce à la présence d’effectifs munis de ce que l’on appelle des « armes longues », destinées à parer une attaque terroriste. Vous vous souvenez tous que le Stade de France a été l’objet d’une attaque terroriste ; on peut donc considérer que cette protection relève non pas de la gesticulation, mais d’une absolue nécessité face à une menace qui est toujours existante.

Les « forces de sécurité intérieure » – sous ce vocable je vise, bien évidemment, tant les policiers que les gendarmes que j’avais sous mon autorité – n’étaient pas chargées de la vérification des billets, pas plus que la préfecture de police n’était l’organisateur de l’événement. La prérogative de vérification des billets était de la responsabilité de l’organisateur. D’ailleurs, si notre dispositif lors des événements sportifs a toujours prévu des pré-filtrages, c’est-à-dire des contrôles de personnes, cela n’était que la deuxième fois depuis 2016 que des contrôles de billets étaient réalisés à ce niveau.

Il se trouve qu’en raison de l’arrivée tardive et plutôt massive des supporters, peut-être due aux difficultés de transport, ce contrôle s’est embolisé. En effet, les personnes rejetées pour absence de validité de leur titre essayaient de passer à tout prix ou bien ne pouvaient plus reculer, en raison du nombre toujours plus grand de personnes se trouvant derrière elles.

Nous avons aidé les personnes chargées du contrôle à maintenir ce barrage mais, à un moment, toutes les indications qui remontaient jusqu’à moi m’ont fait craindre un drame par écrasement, c’est-à-dire une bousculade de plusieurs milliers de gens. Nous constations en effet, au-delà de la file d’attente au barrage de pré-filtrage, la présence de plus en plus importante de personnes dont le plus grand nombre semblaient être des supporters. Il est à noter que si la préfecture de police disposait d’informations précises sur le nombre et les trajets des supporters venant d’Espagne, transmises par l’Union des associations européennes de football (UEFA), cela n’était pas le cas concernant les supporters de Liverpool, incités par leur club à se rendre massivement à Paris, même dépourvus de ticket, sans que nous ayons d’indications précises sur une organisation de ce déplacement au niveau du club. Il y a donc eu une série de déplacements individuels, voire collectifs, non organisés, à l’inverse de ce qu’étaient les déplacements des supporters de Madrid.

Les premiers éléments venant des opérateurs de transport confirmaient ces arrivées et ont été à l’origine du chiffre de 30 000 à 40 000 personnes évoluant aux alentours du stade. C’est moi qui ai donné ce chiffre au ministre et je l’assume totalement. On peut discuter l’exactitude du chiffre qui figure dans les tableaux présentés par le ministre, car lorsque je parle de « 30 000 à 40 000 personnes », il s’agit en réalité de 34 000 individus, sur la base des indications qui nous ont été données ce soir-là par les opérateurs de transport et du constat que nous pouvions faire. J’observe que les enquêtes de presse qui ont été menées aboutissent à un chiffre légèrement inférieur, d’à peu près 24 000 personnes.

Cependant, sur le plan opérationnel, au-delà de plusieurs milliers de personnes évoluant en périphérie des barrages, l’ampleur exacte du chiffre n’était pas essentielle et ne l’est toujours pas. Le risque qu’une masse supplémentaire de personnes s’ajoute aux 10 000 à 15 000 individus déjà présents dans cette « queue Wilson » – si vous me permettez de la dénommer ainsi – était en soi une menace extrême qui, en se superposant à la difficulté d’une situation déjà grave, accroissait en quelque sorte le risque de perte de vies et de blessures graves.

Je veux vraiment souligner cet élément, car il a été le fil rouge de notre attitude tout au long de la soirée : sauver des vies et sauver des personnes.

Oui, j’ai donné l’ordre de lâcher le barrage et de laisser passer la foule sans s’y opposer par des manœuvres de police. Une nouvelle fois, publiquement devant vous, j’assume cet ordre. Ce faisant, je laissais l’accès libre à l’espace autour du stade, alors qu’au moment de toutes les compétitions précédentes, il était filtré et donc inaccessible à des personnes aux intentions douteuses. C’est, à mon avis, ce qui a permis à 300 ou 400 individus – peut-être légèrement plus – de se livrer à des vols et à des dégradations, pendant que d’autres se tenaient en périphérie des gares, le dispositif ne présentant plus l’étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols.

En levant ce barrage, nous avons aussi levé progressivement les autres, puisque le public arrivait dans le dos des barrages nord et est, en venant du sud, et pouvait accéder au parvis du stade que l’on désigne aussi comme un mail. La foule pouvait y pénétrer largement, indépendamment de tout contrôle. Il fallait donc forcément lever les barrages qui ne servaient plus à rien.

Bien évidemment, les supporters anglais et d’autres se sont concentrés autour des portes d’accès au stade, par lesquelles ils devaient passer. Des incidents ont donc eu lieu aux portes Y, Z et A, qui ont été largement documentés. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets, du moins selon la vision qui est la nôtre, à savoir celle de la police, car je ne sais pas exactement ce qui s’est passé en ce qui concerne les contrôles de billets. Ces portes ont menacé de lâcher et ont même parfois été franchies par des gens qui n’ont pas hésité à sauter par-dessus les portillons, voire par-dessus les grillages.

J’ai donc pris une seconde décision, celle de replier une grande partie du dispositif à l’intérieur du stade pour éviter son envahissement par des milliers de personnes, dont je ne savais pas si elles étaient autorisées ou non à y entrer. Si ces milliers de personnes étaient entrées dans le stade sans avoir le billet nécessaire, il n’y aurait tout simplement pas eu de match. Ce que nous avons fait, c’est permettre le match.

Ce qui m’intéressait, dans une vision policière, c’est bien évidemment que le match se tienne au niveau sportif, mais surtout que l’on ne se retrouve pas avec 70 000 personnes extrêmement mécontentes, qui auraient pu elles-mêmes provoquer, à ce moment-là, des mouvements de foule. Il est absolument nécessaire, quand un stade est plein, que le match se joue, pour éviter des évacuations et de nouvelles bousculades, c’est-à-dire pour éviter d’ajouter du désordre au désordre.

Afin de diminuer la pression de la foule sur les grilles et les tourniquets, il fallait faire reculer les gens. En effet, le sujet était encore et toujours le même : la pression, la pression, la pression ! Nous avons donc demandé aux gens de reculer, et force est de constater qu’il ne s’est rien passé. Alors, nous avons utilisé – vous l’avez mentionné, messieurs les présidents, et je l’assume aussi complètement – du gaz lacrymogène, seul moyen, à notre connaissance policière, pour faire reculer une foule, sauf à la charger. J’insiste sur ce point et je considère que cela aurait été une erreur grave de charger les gens.

L’utilisation du gaz lacrymogène a fonctionné. J’ai bien conscience que, ce faisant, ont été gazées des personnes de bonne foi – car il y avait des personnes de bonne foi prises dans cette foule – et parfois même des familles. J’en suis totalement désolé au nom de la préfecture de police, mais, je le redis, il n’y avait malheureusement pas d’autres moyens.

Cette action de police impérative n’interroge en rien la doctrine de maintien de l’ordre. Il me semble en effet, dans ce que j’ai vu des commentaires de presse, qu’il peut y avoir une confusion en la matière. Le débat sur la doctrine porte sur le fait de savoir si, dans une manifestation à risque, les forces de sécurité intérieure doivent se tenir à distance ou bien être au contact. Tout le débat sur le schéma national du maintien de l’ordre tournait autour de cet élément-là.

Depuis que je suis en poste – ma position est parfaitement claire sur le sujet et je l’ai exprimée publiquement –, je préconise, dans le cas où le risque de trouble à l’ordre public est fort, d’être au contact. Je me souviens des images du 1er mai 2018 sur lesquelles on voit que lorsqu’un espace est laissé aux casseurs, ceux-ci n’hésitent pas à l’occuper, à l’utiliser et à provoquer des destructions. Je défends donc effectivement cette nécessité d’être au contact et je l’ai recommandée dans le schéma national du maintien de l’ordre qui a été ainsi arrêté par le ministre.

En l’espèce, tel n’était pas le problème puisque nous étions d’ores et déjà au contact ; c’était même là toute la difficulté : être beaucoup trop au contact d’une foule qui nous pressait. Il ne s’agissait donc pas d’un débat de doctrine sur le maintien de l’ordre, mais tout simplement d’un problème de manœuvre dans le maintien de l’ordre. Par conséquent, le sujet de la doctrine ne me paraît pas avoir de rapport avec les interrogations qui se posaient à nous, le seul mot d’ordre, qui prévalait absolument, étant de sauver des vies.

Une fois le match commencé, nous avons évacué ce que j’appelle le « parvis », c’est-à-dire les alentours du stade qui étaient protégés par notre système de barrages, en chassant les gens qui s’y trouvaient, notamment les 300 à 400 indésirables que j’évoquais précédemment. Nous avons effectivement utilisé pour cela des moyens intermédiaires de diverses natures, en particulier des grenades lacrymogènes. Toutefois, n’étaient pas concernés par cette évacuation les spectateurs qui entre-temps avaient pu entrer dans le stade, puisque celle-ci est intervenue une fois le match commencé.

À l’évidence – c’est du moins le sentiment que j’ai –, le groupe de ces « indésirables » – je les qualifie comme tels, mais l’on peut trouver d’autres noms, si vous le souhaitez – ne s’est pas dispersé et est resté aux alentours, dans la périphérie du stade.

Je vous confirme donc que la cause de la situation décrite tient au nombre très élevé de billets rejetés par les contrôles et vraisemblablement faux pour la plupart, sauf bien sûr si les organisateurs nous indiquaient une défaillance de leur système de contrôle, dont je n’ai pas connaissance, qu’elle porte sur les stylos chimiques utilisés aux barrages ou sur les dispositifs de tourniquet à l’entrée du stade. Je reconnais donc que, dès lors que nous avons levé le périmètre sécurisé, des troubles et des délits ont pu avoir cours aux abords du stade, puisque le dispositif qui avait été opérant à l’occasion de tous les matchs précédents ne l’était plus, pour la raison indiquée. Je revendique – et je me permets d’insister peut-être un peu lourdement sur ce point – le fait que les décisions prises étaient les seules qui pouvaient garantir l’intégrité physique des personnes et la tenue du match.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Je voudrais revenir un peu en amont sur la préparation de l’événement. Les deux ministres que nous avons reçus la semaine dernière ont fait état d’un certain nombre de réunions préparatoires, ce qui n’a rien de surprenant. Certaines de ces réunions ont été placées sous l’autorité du délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et d’autres sous votre « présidence » – je crois que c’est le terme utilisé par le ministre de l’intérieur et vous pourrez nous le confirmer. Je souhaiterais savoir comment ont été anticipés les risques, notamment lors des dernières réunions du 25 et du 27 mai, juste avant la finale, alors même que deux éléments nouveaux étaient portés à connaissance : d’une part, la grève du RER B et ses conséquences sur les flux de voyageurs à la sortie des deux gares et sur l’organisation des points de filtrage ; d’autre part, la note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui faisait clairement état d’une présence massive de supporters de Liverpool, en plus de ceux qui avaient des billets. Quelles ont été les décisions prises et quelle a été l’évaluation de ces deux risques lors des réunions préparatoires, en particulier les deux dernières, celles du 25 et du 27 mai ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Vous avez raison de le rappeler, monsieur le président, la coordination de la préparation a relevé, comme pour tous les grands événements sportifs, de la responsabilité du délégué interministériel et la préfecture de police a participé à l’ensemble des réunions préparatoires dans lesquelles ont été évoqués tous ces sujets, notamment les risques de grève. Nous avons eu par ailleurs un certain nombre de réunions dans d’autres formats, en présence de différents acteurs, sur des points beaucoup plus précis.

Les éléments portant sur le nombre de supporters susceptibles de venir sont précisés dans la note de la DNLH, qui indique d’ailleurs un chiffre de 50 000 supporters, donc assez important. Par conséquent, la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) avait prévu, avec mon complet accord, un dispositif de fan zone, dimensionné pour 44 000 personnes sur le cours de Vincennes, grâce à l’aide de la mairie de Paris que je tiens à remercier, et pour 6 000 personnes au niveau du parc de la Légion d’honneur, grâce à l’aide de la ville de Saint-Denis que je tiens également à remercier. Nous savions que notre dispositif de fan zone n’intégrerait pas la totalité des personnes sans billet puisque je vous parle, d’un côté, de 50 000 supporters et, de l’autre, de 44 000 personnes, la différence étant de 6 000 individus dont nous avons considéré qu’ils se rendraient dans différents cafés et endroits où l’on pouvait voir le match.

Les premières observations de la journée nous ont d’ailleurs donné raison, puisque des supporters de Liverpool étaient répartis un peu partout dans Paris et que leur attitude très pacifique a permis qu’il n’y ait que très peu d’incidents, même si un certain nombre d’entre eux étaient assez alcoolisés.

Pour répondre précisément à votre question sur l’anticipation de la grève, les expériences que nous avions eues précédemment nous montraient que, même en cas d’arrivée massive de supporters, le dispositif « d’accès D » – si vous me permettez de désigner ainsi les supporters sortant du RER D et allant vers cette fameuse rampe Wilson –, aussi étroit soit-il, permettait d’assurer la fluidité de la circulation – il est vrai qu’il n’y avait pas de contrôle de billets lors des événements passés que je prends ici en exemple.

Je suis donc parti du principe que nous ne mettrions en place des barrages pour faire dévier les gens sortant du RER D vers l’accès des supporters sortant du RER B, qui permettait d’accéder au stade par une avenue plus large, que si nous étions dans la situation d’une embolie du dispositif. Il est vrai que nous avons attendu jusqu’à 19 heures 15 pour mettre en place cette déviation des personnes sortant du RER D afin de les envoyer sur la voie d’accès du RER B – j’utilise cette terminologie pour essayer de me faire comprendre. Sans doute était-ce trop tardif. Nous aurions dû le faire un petit peu avant, car nous avons constaté que le nombre de personnes qui s’aggloméraient sur la rampe Wilson était beaucoup trop important. Nous aurions pu, sans doute, gagner un quart d’heure dans la manœuvre pour alléger la pression causée par cette arrivée de supporters.

Toutefois, ce n’est pas tellement ce qui m’importait, car même si nous avions dévié le flux, entre 10 000 et 15 000 personnes étaient entassées sur cette rampe. Vous connaissez les lieux, la rampe passe sous l’A86, mais il fallait surtout tenir compte du tunnel qui passe sous l’A1, qui est un tout petit tunnel à gros facteur de risques. Ainsi est le Stade de France, ainsi a-t-il été conçu et ainsi les accès ont-il été constitués. La police peut beaucoup de choses dans ce pays, mais elle ne peut pas pousser les murs.

Je n’avais pas de raison de penser qu’un afflux de personnes, même dans cette configuration et même en cas de grève, aboutirait à cette situation. De notre côté, nous n’avions pas envisagé qu’à la présence de supporters sans billet s’ajouterait celle de personnes munies de faux billets.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Oui, ce point est important, car nous avons besoin de comprendre comment s’opère la coordination entre les différents acteurs – l’UEFA, la Fédération française de football et la préfecture de police, sous votre autorité –, notamment sur le plan de la gestion des flux. Qui décide de quoi et à quel moment ? Il est vrai qu’il est toujours plus facile d’analyser la situation à froid, mais il y avait trois points de filtrage à la sortie du RER D – vous me corrigerez si je me trompe – et huit ou neuf – je cite ces chiffres de mémoire – à la sortie du RER B, alors même que les flux de voyageurs allaient être inversés par la grève du RER B. L’organisation des points de filtrage a-t-elle été revue à l’occasion de l’annonce de cette grève ? Je me permets d’insister sur la question. Vous nous dites que cela n’a pas fait l’objet d’une nouvelle interrogation, en tout cas au moment où il y a eu cette annonce de grève ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Je vais revenir sur l’architecture de l’organisation du dispositif. Nous n’avions pas la charge des points de filtrage, donc je ne peux pas vous répondre sur cette question. Encore une fois, nous étions dans un dispositif antiterroriste en amont des points de filtrage et en renfort des personnels du stade au moment des bousculades. C’est-à-dire que nous arrivons en arrière du dispositif pour seconder les personnels lorsque cela commence à bousculer. Mais pendant tout le début de l’opération, nous sommes devant parce que notre problème, c’est un acte terroriste qui viendrait de l’extérieur, en amont du point de filtrage.

Je ne peux donc pas vous dire si, du point de vue de l’organisation du dispositif de contrôle des billets, des éléments ont été ou non pris en compte par les organisateurs. Vous allez les auditionner cet après-midi, ils sauront certainement vous répondre mieux que moi.

Notre organisation par rapport à cet événement était extrêmement classique. Nous ne gérions pas uniquement l’événement au Stade de France. Je pilotais dans la salle opérationnelle de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police l’ensemble du dispositif, qui centralisait et synthétisait les informations venant des fans zones, car il fallait aussi gérer en même temps ces espaces. Au Stade de France, il y a un PC sécurité dans lequel il y a la police, les forces de gendarmerie qui sont mises à ma disposition et, bien sûr, les organisateurs du stade. J’avais confié ce poste de commandement à mon directeur de cabinet, secondé par l’inspecteur général Marsan, ici présent. C’est donc ainsi que m’étaient remontées les informations que je vous ai signalées à l’instant. Le contact avec les organisateurs se faisait au travers de ce PC dans lequel se trouvaient les responsables du Stade de France. Il y a donc eu des échanges, qui ensuite me remontaient. Mais au niveau de mon propre poste de commandement, de mon propre PC, je n’avais pas de contact avec les organisateurs.

Je note d’ailleurs, pour être parfaitement précis et parce que c’est important, que l’horaire que j’ai cité précédemment n’est pas 19 heures 15, mais exactement 19 heures 18.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – J’ai une question sur le chiffre, que vous avez cité dans votre propos liminaire, de 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires qui n’avaient pas de billet ou qui avaient un faux billet. Ce chiffre, que vous êtes le premier à avoir avancé – il figure dans la note transmise par le ministre de l’intérieur que vous avez rédigée en date du 29 mai – fait débat et pose question. Certes, vous êtes prudent et vous précisez qu’il s’agit « sans doute » de 30 000 ou 40 000 personnes au-delà des 80 000 enregistrées dans le stade. D’où vient ce chiffre au moment où vous le transmettez au ministre ? Quelles sont les informations à votre disposition pour avancer un chiffre dont on sait qu’il va faire débat ? Quelles sont vos sources ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– J’ai bien compris que ce chiffre faisait débat, c’est pourquoi j’ai pris la précaution de vous dire que j’en suis le seul responsable. Je vous donne les chiffres dont nous disposions au moment des événements. Ils remontaient, bien évidemment, du constat des opérateurs de transport : ce n’est pas moi qui compte le nombre de personnes dans les wagons.

Ils remontent également du dispositif que nous avions mis en place puisque je suis responsable de la police des transports. Nous avions donc des équipes déployées dans l’ensemble du dispositif de transport conduisant au Stade de France, tant sur le RER B que sur le RER D ou sur les lignes de métro. Ce sont des effectifs de la police des transports, qui dépendent de la direction de la sécurité publique de la préfecture de police.

J’avais donc à ma disposition des chiffres émanant des opérateurs, mais également des fonctionnaires de terrain, qui nous ont permis de faire le constat d’éléments de volume. C’est une procédure classique : on évalue par rapport à ce que l’on connaît.

Encore une fois, ce chiffre n’avait pas une vertu scientifique. Il s’agissait simplement de la remontée d’une information, laquelle était absolument capitale, à savoir que le nombre de personnes excédait largement la contenance du stade. Par conséquent, si ces personnes avaient toutes fait pression sur les barrages, puis ensuite sur les portes, nous aurions eu d’extrêmes difficultés…

Peut-être me suis-je trompé en transmettant au ministre le chiffre de 30 000 à 40 000 personnes. D’ailleurs, nous avons essayé de le reconstituer : le ministre vous a fourni dans un PowerPoint des éléments de calcul reconstitués avec les opérateurs. Jamais je n’ai prétendu que ce chiffre était parfaitement juste, mais il me paraît totalement refléter l’état de la situation.

Encore une fois, jamais il n’a été affirmé que 30 000 à 40 000 personnes se trouvaient strictement aux abords du stade. Je crois même avoir dit le contraire. J’ai lu dans les journaux que, aux dires de gens de bonne foi, personne n’avait compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade. Mais nous non plus n’avons jamais compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade ! On subodorait leur nombre uniquement sur la périphérie de nos barrages, c’est-à-dire aux arrivées, au regard des éléments fournis par les opérateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Pouvons-nous, quinze jours quasiment après l’événement, avoir aujourd’hui des chiffres plus précis sur le nombre de personnes aux abords des points de filtration ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Je vous ai donné tous les chiffres à notre disposition dans le PowerPoint présenté par M. le ministre. Les opérateurs pourront certainement, mieux que moi, vous fournir des éléments plus précis. Mais nous les avons interrogés. Encore une fois, contrairement à ce que j’ai pu entendre dire, ces chiffres ne sortent pas de nulle part et ne sont pas nés de mon imagination. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’un sujet politique, même si, pour ma part, je l’appréhende d’une façon opérationnelle. Or, d’un point de vue opérationnel, qu’il y ait eu autour du stade 40 000, ou 30 000, ou 20 000 personnes, cela ne changeait rien au fait que des dizaines de milliers de personnes étaient susceptibles de rentrer dans le dispositif. C’était cela, l’information absolument essentielle. Effectuer un décompte à 5 000 personnes près n’avait, en termes opérationnels, pas grande importance.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Je rebondis sur ce que vous venez de dire. D’abord, nous sommes étonnés que les chiffres annoncés ne soient pas aujourd’hui corroborés par les images de vidéo-surveillance. Or le stade est parfaitement équipé de ce genre de dispositif... Ma question porte sur la note de la DNLH du 25 mai 2022. Dans un premier temps, en début d’audition, le ministre nous a dit ne l’avoir jamais vue. Puis, en cours d’audition, il a reconnu en avoir eu connaissance. Où est la vérité ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– La vérité est très simple. D’abord, le ministre ne vous a jamais dit qu’il ne l’avait jamais vue ; il vous a dit que le préfet de police ne l’avait jamais eue, sur la base de ce que je lui avais indiqué. Or je l’avais eue, même si, à titre personnel, je ne l’avais jamais vue. Le ministre vous a simplement répété ce que je lui avais dit.

Je lui ai ensuite fait savoir en cours d’audition que la préfecture de police avait bien reçu cette note. Très franchement, je ne l’avais pas lue, pour une raison qui tient à nos procédures : nous avons une direction du renseignement qui reprend l’ensemble des éléments qui lui sont fournis et qu’elle synthétise dans des notes propres à ladite direction. Les éléments de la note de la DLNH étaient parfaitement connus de nous, mais quant à la note elle-même, portant le timbre DLNH – j’ai dit la vérité, monsieur le président, car je la dis toujours –, je ne l’avais jamais vue.

En tout état de cause, le ministre n’a jamais dit qu’il n’avait pas vu cette note. J’ai écouté son audition : il vous a dit que le préfet de police ne l’avait pas vue. Je lui ai ensuite envoyé un SMS, considérant que je m’étais mal exprimé, pour l’informer que la note avait bien été reçue, mais qu’elle n’avait pas été lue par moi. Tout cela n’a pas grande importance, l’essentiel étant que l’information soit fournie par les services de renseignement ; et ces éléments étaient bien dans les notes de la direction du renseignement de la préfecture de police. On peut épiloguer pour savoir si c’est sous le bon timbre ou pas, mais peu importe : j’avais ce niveau d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – On relira la déclaration du ministre. Il s’était positionné en disant qu’il n’avait pas eu connaissance de cette note. Qu’il s’agisse ensuite de lui ou de vous, peu importe : il n’avait pas cette information. Puis il a corrigé ses déclarations… Je ne partage pas tout à fait votre point de vue : cette note est malgré tout assez intéressante en termes de chiffres, de quantum et de risques annoncés. Je trouve – c’est un avis strictement personnel – qu’elle conditionne tout de même les circonstances de cet événement. Elle pouvait aussi permettre d’envisager la situation sous un angle un peu différent.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Soyons clairs, j’avais ces éléments. Vous me parlez de la forme, moi je vous parle du fond : ces éléments, sur le fond, ont été portés à ma connaissance par la direction du renseignement de la préfecture de police, laquelle puise ses informations auprès de toute une série de sources, dont celles de la DLNH. Donc, je le redis, je disposais de ces éléments.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Ces éléments ont-ils fait l’objet de discussions avec les organisateurs au moment des réunions préparatoires des 25 et 27 mai ? C’est tout de même un point important, dont on a vu les conséquences le jour du match.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Pas à ma connaissance. Pour ce qui est des informations sur le nombre de personnes susceptibles de venir, oui. Sur la note en elle-même, je ne crois pas.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Une question presque naïve : la garde montée était-elle présente ce soir-là au Stade de France ? On sait en effet qu’elle est régulièrement présente lors des matchs, et nous connaissons les effets sécurisants de sa présence.

Par ailleurs, on a évoqué précédemment le nombre de 400 ou 500 personnes que je qualifierais volontiers de délinquants ou de personnes susceptibles de commettre des infractions. Quelle a été la réponse pénale ? Quid du nombre d’arrestations et des poursuites engagées ? Quelles ont été les instructions données pour lutter contre ceux qui ont fait les poches des uns et des autres ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Oui, il y avait une dizaine de fonctionnaires à cheval, comme c’est classiquement le cas lors des matchs.

En ce qui concerne la réponse pénale, les magistrats pourront vous répondre mieux que moi.

Nous avons effectué un certain nombre d’interpellations – elles ont été communiquées par le ministre –, tant aux abords du stade qu’à la périphérie. J’ai vu poindre dans le débat public une question : pourquoi n’avons-nous pas interpellé les supporters qui avaient un faux billet ? Effectivement, nous ne l’avons pas fait, car nous nous sommes concentrés sur ce qui semblait essentiel, à savoir les délits que nous constations.

J’ai choisi de ne pas interpeller les individus présentant un faux billet. Très franchement, au moment des faits, nous ne pouvions pas savoir s’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. Je préfère être clair, car c’est une critique que j’ai pu entendre ici ou là : nous n’avons interpellé personne pour ce motif parce qu’aucun élément ne nous permettait de le faire sur le plan pénal.

M. Michel Savin. – Monsieur le préfet, vous avez indiqué que 30 000 à 40 000 personnes avaient un billet falsifié ou n’avaient pas de billet. Je voudrais revenir sur la photo qui a été publiée par TF1 à 20 heures 58.

Ma question est simple : où se trouvaient, à 20 heures 58, c’est-à-dire deux minutes avant le début du match, les 30 000 à 40 000 personnes dont vous faites état ? Ce n’est pas qu’un problème politique, monsieur le préfet !

M. le ministre de l’intérieur nous a dit que la présence de 30 000 à 40 000 spectateurs en dehors du stade à 21 heures était la principale cause du report du match. Or, sur les images, nous ne les voyons pas. Quelle était la réponse à apporter à cette question, sachant qu’à 21 heures, 10 000 supporters anglais n’étaient toujours pas entrés dans le stade ? Ce n’est pas anodin, c’est une vraie question : M. le ministre, qui met en avant la présence de ces personnes pour expliquer le report du match, se trompe-t-il ?

L’UEFA et la Fédération française de foot parlent de 2 800 faux billets scannés aux tourniquets d’entrée du stade. J’ai bien compris que vous ne pouviez pas nous donner de chiffres, mais pouvez-vous confirmer les propos du ministre de l’intérieur selon lesquels entre 57 % et 70 % des tickets présentés aux points de pré-filtrage étaient frauduleux ?

Des débordements ainsi que des actes de délinquance et d’agression se sont déroulés autour du stade. M. le ministre a expliqué ces débordements par la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou avec de faux billets. Partagez-vous cet avis ?

– Monsieur le sénateur, je n’ai pas regardé la photo de TF1, mais je crois avoir donné tout à l’heure des indications assez précises. Les 30 000 à 40 000 personnes dont j’ai fait état n’étaient pas situées aux abords stricts du stade. J’ai expliqué qu’elles se trouvaient au-delà des barrages, lesquels n’étaient pas placés à l’entrée du stade : ils servaient à contrôler l’accès au parvis du stade.

Bien évidemment, il n’y avait pas 30 000 à 40 000 personnes devant les portillons du stade. Jamais personne n’a dit ça ! Je fais simplement état des observations et des comptes rendus que j’ai transmis au ministre. Il me semble, d’ailleurs, que ce dernier a été assez clair sur cette question.

Je ne crois pas que quiconque ait dit qu’il s’agissait de la principale cause du report du match. Selon l’UEFA et la Fédération française de football, le match a été reporté parce que tous les spectateurs n’étaient pas encore entrés dans le stade, notamment les supporters anglais, ce qui se constatait aisément en regardant les gradins du stade. S’ils n’étaient pas tous là, c’est qu’ils étaient à l’extérieur. Où étaient-ils ? En partie devant le stade, mais certains étaient ailleurs. Où exactement, je l’ignore ! Quoi qu’il en soit, leur absence a expliqué la décision du monde sportif de reporter le début du match.

Notre grande crainte était qu’effectivement il arrive d’autres supporters qui fassent encore plus pression sur le dispositif de contrôle, déjà en difficulté aux stricts abords du stade. Car le problème était, à ce moment-là, de savoir combien d’entre eux auraient un billet valide.

Sur les chiffres des pré-barrages et la validité des billets, il faut être précis. Il y a eu deux types de contrôle : le pré-contrôle, effectué avec une sorte de stylo chimique qui confirme la validité du billet – les organisateurs vous l’expliqueront mieux que moi –, puis le contrôle au portillon, comme cela se passe n’importe où.

Ce qui a été dit, et ce dont le ministre a fait état, c’est que le pré-contrôle a fait apparaître jusqu’à 70 % d’erreurs, un niveau si élevé que les organisateurs ont douté de la fiabilité même de ces stylos chimiques ; ils vous l’expliqueront. Personne n’a dit qu’il y avait eu 70 % de faux billets : nous avons simplement fait état de difficultés au moment du pré-filtrage. Il faut être précis, de même qu’il ne faut pas laisser penser que 40 000 personnes se seraient massées devant le stade…

M. Michel Savin. – Voici ce qu’a dit le ministre : « La délinquance a tenu au fait qu’il y avait des milliers et des dizaines de milliers de personnes en plus qui ne rentraient pas dans le stade. »

Vous nous dites qu’à 21 heures, il n’y avait quasiment personne devant le stade. Ce n’est pas la même chose…

M. Jérôme Durain. – Dans cette affaire, on nous dit que la faute incombe à tout le monde : les faux billets, les supporters trop nombreux, la Seine-Saint-Denis, dont un candidat à la présidentielle assène qu’elle est un territoire perdu de la République… Cependant, au sein même du ministère de l’intérieur, des questions visent la doctrine de l’usage de la force publique ; mais vous prétendez qu’elles sont hors sujet.

Un syndicaliste nous a dit que la préfecture de police de Paris voulait garder pour elle seule le cœur du maintien de l’ordre en activant les brigades de répression des actions violentes (BRAV) et les brigades anti-criminalité (BAC), plutôt que d’associer les gendarmes mobiles et les CRS. Ce syndicaliste nous a même dit que Paris était le seul territoire où la gendarmerie et les CRS n’étaient pas invités à la conception des opérations de maintien de l’ordre. Ma première question porte donc sur la doctrine de l’usage des forces.

Ma deuxième question porte sur la préparation elle-même. Nous entendons des choses assez confuses sur le fait que vous ayez, ou pas, tenu compte de telle ou telle note pourtant importante… La ville de Saint-Denis va produire une contribution écrite, qu’elle transmettra au préfet Michel Cadot, sur l’accès au stade, parce qu’il y a eu manifestement des innovations. Vous nous dites que vous ne pouvez pas pousser les murs. Certes, ces murs sont dans l’architecture du site, et il faut donc en tenir compte. Mais avez-vous pris en cours de soirée des initiatives sur le pré-filtrage ayant contribué aux difficultés d’accès au stade ?

Enfin, s’agissant de l’aide apportée aux supporters anglais en matière de dépôt de plainte, si les choses paraissent claires pour ce qui est des actes de délinquance qu’ils peuvent avoir subis, elles paraissent plus compliquées concernant les actes déplacés et les éventuelles erreurs des forces de l’ordre, en particulier lors des sommations. Quels correctifs pensez-vous pouvoir apporter au formulaire de dépôt de plainte ?

– Je pensais avoir été clair, mais je veux bien le répéter : je suis seul responsable de l’ordre public et de la sécurité, j’assume la totalité des décisions prises et des conséquences de la situation. Je ne sais pas comment vous le dire mieux.

Comment se préparent les grands événements sur l’aspect policier ? J’entends qu’il y a des critiques, mais les choses se passent ainsi : quand un événement est prévu, la DOPC de la préfecture de police de Paris le prépare et me présente plusieurs variantes, que j’examine avec mes services. Nous quantifions les effectifs que nous comptons déployer – d’abord nos effectifs propres, car c’est une spécificité de l’agglomération parisienne que d’avoir ses propres systèmes d’ordre public –, puis je demande des renforts au ministère de l’intérieur. Ensuite, je présente ce dispositif à l’ensemble des commandants d’unités engagées. Je le fais personnellement depuis trois ans et demi, et chacun peut faire les remarques qu’il juge nécessaires ; il n’y en a pas eu dans le cas d’espèce.

On peut critiquer le plan que nous avons retenu, mais il faut savoir qu’en matière d’ordre public et d’événement engageant des centaines de personnes chargées de l’ordre public, croyez-moi, les choses ne se passent jamais comme prévu et l’on doit modifier en permanence le plan initial.

Sur les plaintes, je vous ai déjà répondu. Des supporters anglais et espagnols se sont fait avoir en achetant de faux billets. Nous entendons les aider à porter plainte ; cela nous aidera à trouver les responsables de cette fraude massive.

Sur les personnes en attente, je crois aussi avoir été très clair, mais je veux bien préciser mon propos. Les 30 000 à 40 000 personnes dont a parlé le ministre étaient en amont du pré-filtrage, même s’il y avait un nombre important de gens qui attendaient d’entrer dans le stade puisqu’on a compté 15 000 personnes manquantes dans le stade à 21 heures… Vous faites état d’une photographie, mais les choses se sont déroulées en plusieurs temps, entre l’avant-match et la situation une fois le match commencé.

M. David Assouline. – En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que la distribution des places est une opération importante. Tant qu’il y aura 20 000 places pour chacun des clubs, 29 000 places pour les VIP, 6 000 pour les personnes accréditées par l’UEFA et seulement 6 000 places pour le public, avec des places à 800 euros et plus, on dira au peuple qu’il n’est pas le bienvenu dans le stade, ce qui continuera d’avoir pour effet de fabriquer des exclus mécontents, que la police devra contenir et gérer. Tout cela ne va pas sans poser de problème à notre démocratie elle-même…

Vous avez été placé dans cette situation, que vous pouviez anticiper puisqu’une note de vos services vous avait alerté que plusieurs centaines de personnes, à tout le moins, chercheraient à forcer les tourniquets pour entrer dans le stade. Cependant, alors que vous en étiez prévenu, vous prenez la décision de lever les barrages. Pourquoi une telle décision, alors que vous saviez que plusieurs centaines de personnes au moins allaient tenter de forcer les tourniquets ? Vous dites que votre dispositif était tourné contre la menace terroriste, ce qui est surprenant étant donné les circonstances. Il n’en reste pas moins que la question se pose : pourquoi votre décision de lever les barrages ?

Une autre question, ensuite, que j’ai déjà posée au ministre de l’intérieur, sur la doctrine du maintien de l’ordre. Il ne faut pas prendre les parlementaires pour des imbéciles : il y a bien un débat en la matière, le ministre l’a reconnu. Or vous nous dites que vous n’aviez pas d’autre choix que le gaz pour disperser les gens, y compris ceux qui n’étaient pour rien dans la situation. Cela se passe aussi lors des manifestations, où les gens sont « nassés » et où, pour quelques fauteurs de trouble, des personnes venues exercer leur droit de manifester se trouvent à leur tour gazées et prises dans un tourbillon organisé par les forces de l’ordre. On l’a vu encore très récemment à la gare de l’Est…

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président. – Posez votre question, s’il vous plaît.

M. David Assouline. – Le ministre Gérald Darmanin m’a dit qu’il me communiquerait les télégrammes échangés entre la préfecture et les unités sur place au Stade de France, mais je ne les ai toujours pas reçus. Pourquoi ne m’ont-ils pas été communiqués ? Êtes-vous disposé à me les communiquer ?

Mme Esther Benbassa. – Quelles conséquences tirez-vous de ce qui s’est passé lors de ce match, en prévision des événements importants à venir ? C’est important pour redresser l’image de la France, à la veille des jeux Olympiques.

J’ai entendu dire que la présence de policiers pouvait impressionner, voire décourager les plaignants dans nos antennes diplomatiques en Espagne et en Angleterre. Dès lors que cette présence policière peut intimider voire décourager les plaignants, ne pensez-vous pas qu’il faudrait procéder autrement ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Je ne sais pas si vous me visiez, mais je ne prends certainement pas les parlementaires pour des imbéciles. Peut-on vous fournir les télégrammes dont vous parlez ? Sans aucun doute, et je suis navré du délai. Mais je m’inscris en faux contre l’idée que, lors des manifestations, les forces de l’ordre organiseraient un « tourbillon » contre l’exercice du droit de manifestation. Les choses ne se passent pas ainsi dans notre pays et ce ne sont pas les forces de l’ordre qui sont à l’origine des troubles dans les manifestations.

Oui, nous allons tirer les conséquences de ce qui s’est passé. Nous l’avons déjà fait lors du match France-Danemark, pour lequel nous avons adapté notre dispositif. Nous continuerons à le faire et nous travaillons sur les jeux Olympiques, forts de cette expérience.

Vous me demandez de ne pas poster de policiers dans nos antennes diplomatiques à Madrid, Londres et Liverpool pour recevoir les plaintes ? Je ne crois pas que les policiers fassent peur... En tout état de cause, les plaintes peuvent être déposées en ligne et directement auprès du tribunal de Bobigny. Nous encourageons à déposer plainte, pour nous aider dans l’enquête sur la fraude et pour identifier ceux qui ont provoqué ce chaos. J’ai moi-même saisi le procureur de la République pour qu’il ouvre une information judiciaire.

M. Olivier Paccaud. – Nous ne sommes ni juges ni arbitres. Nous ne sommes pas là pour épiloguer, pour reprendre votre mot, monsieur le préfet. Je vous écoute, et certains mots me choquent, par exemple quand vous dites avoir « subodoré » le nombre de personnes autour du stade... Notre but n’est pas de brandir un carton rouge, mais d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Dans votre propos liminaire, vous nous avez surtout parlé de ce qui s’était passé le jour du match, en reconnaissant que la gestion du maintien de l’ordre avait été un échec. Cela, nous le savons, la France et même le monde entier l’ont vu. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que la préparation d’un événement de cette importance commence avant le jour du match ; c’est aussi là que nous avons des questions.

D’abord, sur la notion de « match à risque ». Quand le ministre nous a dit que le match Nantes-Nice était classé comme plus risqué que Madrid-Liverpool, j’avoue que les bras m’en sont tombés. C’est incompréhensible : si tel est le cas, qui donc a pris la décision d’un tel classement ?

Sur le dispositif policier, ensuite, le ministre nous a dit que les effectifs étaient suffisants pour le maintien de l’ordre, mais il a reconnu que ceux de l’anti-criminalité avaient peut-être été insuffisants. Le paradoxe, c’est que ces effectifs étaient deux fois plus nombreux pour le match Nantes-Nice, 326 contre 164, alors que la finale européenne était censée être moins à risque que la finale de la coupe de France : n’est-ce pas le signe que vous vous attendiez à des problèmes ?

Sur les points de pré-filtrage et les barrages, enfin, la ministre des sports a fait un mea culpa en reconnaissant que la signalétique aurait pu être meilleure et que des déviations auraient été utiles. Vous nous dites, quant à vous, que vous n’étiez pas en charge de la sécurité sur ces points de filtrage. Or vous étiez bien responsable de la sécurité de l’ensemble, et vous vous êtes aperçu assez vite qu’il y avait un gros problème sur ces points de filtrage en nombre insuffisant. Pourquoi ne pas avoir réorienté plus tôt les supporters ? Pourquoi avoir attendu 19 heures 15 pour le faire ? Vous dites assumer toute la responsabilité des désordres ; j’attends donc des explications claires sur ces points.

M. Jean-Yves Leconte. – Une remarque, tout d’abord : la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l’espace Schengen, nous aurions dû disposer d’informations plus précises sur les supporters anglais, plutôt que les approximations dont on parle aujourd’hui concernant l’avant-match.

Je suis très surpris, ensuite, que vous écartiez toute remise en cause de votre schéma de maintien de l’ordre, tout en disant que vous n’aviez pas d’autre choix que de gazer des personnes sur place qui n’étaient pour rien dans les troubles. N’y a-t-il pas là une difficulté, surtout quand on voit que des règles d’emploi des gaz n’ont pas été respectées ? Y a-t-il des problèmes de formation des agents du maintien de l’ordre ? Quelles conséquences en tirez-vous ?

Vous encouragez à porter plainte, mais le formulaire de pré-plainte en ligne ne comporte rien sur l’action de la police elle-même, rien sur l’emploi des gaz lacrymogènes, par exemple. Pourriez-vous adapter ce formulaire pour qu’il corresponde davantage à la réalité ?

Enfin, comment expliquez-vous qu’il y ait eu très peu de comparutions immédiates, par rapport au nombre d’interpellations ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Au fil des auditions, nous identifions trois séquences chronologiques, et dans chacune d’elle des problèmes, sur lesquels vos propos sont parfois décalés par rapport à ceux du ministre.

D’abord, s’agissant de l’amont, la préparation d’avant-match, nous constatons des problèmes d’anticipation et de coordination. Nous avons demandé les comptes rendus de toutes les réunions de préparation, et nous ne savons pas encore précisément comment les choses se sont passées, quant à la participation ou non de la gendarmerie à ces réunions, au rôle que vous y avez joué personnellement. Comment la préparation s’est-elle déroulée, précisément ?

Pendant le match, ensuite, il semble qu’il y ait eu confusion entre gestion de foule et maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, suivant manifestement une doctrine qui vous est familière – on l’a vu encore à la gare de l’Est, à Paris –, qui n’est pas celle qu’utilisent d’autres pays, par exemple l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et que les policiers n’acceptent pas tous comme allant de soi. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), a dit qu’il aimerait connaître les ordres qui ont été donnés sur les ondes. L’inspection générale de la Police nationale (IGPN) a été saisie de deux gestes inappropriés et disproportionnés, selon l’expression du ministre de l’intérieur. Il semble bien que les policiers n’aient pas l’intention de porter le chapeau !

Pour ce qui est de l’après-match, enfin, nous constatons une grande confusion dans les explications, de la précipitation, du flou dans les informations qui nous sont communiquées. Depuis le début de nos travaux, je ne sais toujours pas où étaient les 30 000 supporters excédentaires dont on nous a parlé. Je les cherche mais, à vous écouter, je comprends qu’ils n’étaient tout simplement pas là !

Il y a donc eu des fautes avant, des problèmes pendant, et du flou après. Vous constatez vous-même que c’est un échec et vous dites n’éluder aucune de vos responsabilités. Quelles conséquences en tirez-vous donc à titre personnel ?

– Dans mon intervention liminaire, j’ai effectivement parlé des faits qui se sont produits le soir du match, et pas de la préparation dans son détail. Celle-ci a comporté, à ma connaissance, plus d’une douzaine de réunions préparatoires.

Quatre réunions ont été présidées par le délégué interministériel à la sécurité, avec l’ensemble des intervenants, des réunions structurantes dont le cadre est défini. J’ai présidé cinq réunions préparatoires à la préfecture de police. Cinq autres réunions préparatoires ont été présidées par mon directeur de cabinet. À quoi s’ajoutent d’autres réunions préparatoires à la préfecture de Seine-Saint-Denis – au moins une dizaine – ; je n’ai pas la liste exhaustive, elles ont été nombreuses, en plusieurs phases.

Mais votre question porte plutôt sur le fait de savoir si la préparation a été bien faite, ou pas. Quand je parle d’échec, c’est parce que nous avons eu une difficulté face à ces 30 000 à 40 000 personnes qui étaient non pas dans le stade, mais à l’extérieur, avant le pré-filtrage. Les opérateurs nous avaient communiqué ces chiffres. Quand j’emploie le verbe « subodorer », qui est peut-être malheureux, il signifie que nous avions l’idée de plusieurs dizaines de milliers de personnes présentes au-dehors – le chiffre que j’ai communiqué était de 34 000 personnes –, dont le nombre a varié puisque certaines entraient dans le stade. C’est cela qui nous inquiétait sur le moment. Quant aux fan zones, les opérateurs nous disaient qu’il y avait quelque 44 000 personnes sur la fan zone anglaise à Paris…

J’en viens à la doctrine d’emploi. Quand une foule s’agglomère et fait pression, je ne connais pas d’autres moyens pour la faire reculer que les gaz lacrymogènes ou la charge. Les ordres qui ont été donnés, y compris dans le cas que vous avez cité de la gare de l’Est, étaient de ne pas charger, parce que j’ai considéré que cela aurait été dévastateur. Et quand on ne charge pas, il ne reste plus que l’emploi du gaz pour faire reculer une foule qui fait pression.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Le ministre a parlé de gestes inappropriés !

– L’emploi de gaz lacrymogènes était nécessaire, j’assume entièrement cette décision. Ensuite, il y a eu des gestes inappropriés parce qu’il peut toujours y en avoir, malheureusement, dans ce type d’événement, quand des fonctionnaires se laissent aller par l’énervement du moment à des gestes qui manquent de professionnalisme.

On m’a rapporté deux de ces gestes, les enquêtes sont en cours. Il faut être très précis.

Dans l’un des deux cas, sur les images, on voit le fonctionnaire de police gazer une personne qui vient vers lui et qui paraît être un supporter anglais. Mais les séquences qui tournent sur les réseaux sociaux omettent de montrer que cette personne vient juste après d’autres, qui s’introduisaient frauduleusement dans le stade par un escalier. Le fonctionnaire a confondu ce supporter avec les autres et l’a gazé, ce qui manquait de professionnalisme. Dans l’autre cas, le geste a lieu lors d’un barrage. Ces deux gestes font l’objet d’une enquête.

Je crois que dans une opération de cette importance, au vu du nombre de fonctionnaires engagés et de la durée du dispositif, le fait qu’il n’y ait eu finalement que deux gestes apparemment inappropriés est surtout une preuve de la qualité des fonctionnaires, de leur efficacité et de leur déontologie. Je ne laisserai pas des fonctionnaires être mis en cause ; si vous devez vous en prendre à quelqu’un, prenez-vous-en à moi.

Pour ce qui est du classement des matchs, la rencontre Madrid-Liverpool était classée de niveau 3, et celle entre Nantes et Nice de niveau 4.

M. Olivier Paccaud. – C’est incompréhensible, d’autant que la note de la DNLH vous avait alerté sur les risques…

– Cette note a beaucoup de qualités, mais elle ne permet pas de prédire l’avenir. Or il nous manquait cette information décisive : l’utilisation massive de faux billets. Vous pouvez m’en faire reproche, mais si nous nous attendions à ce qu’il y ait des faux billets, nous n’avions pas prévu que la fraude puisse être aussi massive.

Vous vous étonnez que nos forces aient été en formation « antiterroriste ». Mais elles ne sont pas restées passives face aux désordres. Nous sommes venus en appui des stadiers qui avaient la responsabilité des points de pré-filtrage, et nous nous sommes placés derrière eux pour les soutenir. Et lorsqu’ils ont été débordés, si j’ai pris la décision de lever le barrage, c’était pour éviter un drame. Et c’est bien parce que je suis responsable de la gestion de la foule que j’ai pu prendre cette décision – une décision que j’assume complètement.

Le formulaire de dépôt de plainte en ligne est standard : c’est celui que l’administration française utilise en général. Je l’ai fait traduire en anglais et en espagnol, mais je ne l’ai pas fait adapter au cas d’espèce. Il est vrai que ce document est un peu compliqué à remplir, avec beaucoup de cases à cocher, ce qui est bien français... Vous me prenez de court ; je vais regarder si nous gagnerions à l’adapter.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Quelles conséquences tirez-vous de cet échec, à titre personnel ?

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Monsieur le préfet, vous pourrez répondre à Mme de La Gontrie lorsque je vous redonnerai la parole.

Nous avons examiné le formulaire de pré-plainte, il gagnerait effectivement à mentionner le lieu, par exemple, et à être plus précis sur la nature des infractions.

M. Thomas Dossus. – Votre réponse sur l’emploi des gaz lacrymogènes n’est pas satisfaisante. On ne peut vous laisser dire qu’il n’y a pas d’alternative à cet emploi, alors qu’à votre place, la semaine dernière, le ministre de l’intérieur nous disait envisager un changement de doctrine pour l’usage de ces gaz, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques. Il y a donc un désaccord entre vous et le ministre.

Chacun avait compris dans notre pays qu’il devait s’attendre à être gazé lorsqu’il allait manifester. C’est désormais également le cas quand on va au stade, et même quand on attend le bus ! Ne pensez-vous pas qu’il y a des abus, qui retombent finalement aussi sur ces malheureux agents dont les gestes inappropriés sont filmés ?

On ne peut se contenter de vos réponses, il faut parler de doctrine d’emploi de ces gaz. D’autres méthodes sont possibles. Est-ce que les sommations ont été faites en anglais ? Quel a été le dialogue avec les supporters anglais ? Beaucoup de témoins disent qu’il n’y en a pas eu, mais vos agents pouvaient-ils au moins communiquer en anglais ? Quelles conséquences pour la formation des agents, et pour le maintien de l’ordre lors de grands événements internationaux ?

M. Jacques Grosperrin. – Vous dites bien que vous êtes le seul responsable opérationnel. Et, à trop le dire, on sent bien qu’il en va aussi de la responsabilité du président de la République qui a accepté d’organiser ce match en trois mois, alors qu’il aurait fallu, on le sait, dix-huit mois. On sent bien également, en creux, que vous êtes prêt, en tant que haut fonctionnaire, à vous placer sur l’autel pour être sacrifié…

Cependant, lorsque vous dites que le match n’avait pas été classé au plus haut niveau du risque, c’est grave, car les supporters de Liverpool sont connus pour se déplacer en masse et sans billets, et pour essayer régulièrement de s’infiltrer. Votre mission, dites-vous, est de faire reculer la foule qui se presse, mais le problème se pose en amont.

Vous dites que vous ne saviez pas précisément ce qui se passait au niveau du contrôle des billets. Y a-t-il eu un problème de coordination entre la sécurité du stade et les forces de l’ordre ? Certains parlent de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement. Y aurait-il eu – je n’ose le croire – des consignes contradictoires de ne pas intervenir sur les fauteurs de troubles ? Vous encouragez à porter plainte. Mais le faites-vous aussi concernant l’usage des gaz lacrymogènes ?

Si vous ne répondez pas à ces questions, j’entendrai votre gêne à vous exprimer sur ces faits.

M. Guy Benarroche. – Quitte à faire passer les parlementaires pour des gens qui ont besoin de poser plusieurs fois la même question, je veux vous interroger sur votre choix d’utiliser les gaz.

Vous dites qu’une fois votre décision prise de lever le barrage, il n’y avait pas d’autre choix possible, étant donné la répartition de vos forces, que de gazer des personnes qui n’avaient aucune raison d’être traitées ainsi. Et vous ajoutez, ce qui ne laisse pas de me surprendre, que si c’était à refaire, dans six mois ou dans trois ans, vous le referiez ! Je repose la question de mon collègue Thomas Dossus : n’y a-t-il pas, dans la doctrine du maintien de l’ordre, d’alternative à cette façon de gazer des gens qui ne sont pour rien dans les désordres ?

M. Éric Kerrouche. – D’après nos informations, vous disposiez pour cet événement de 33 unités de forces mobiles, ce qui représenterait environ le tiers des effectifs de nos forces nationales, mais vous avez choisi d’en déployer 10 seulement sur le Stade de France. Pourquoi ce choix stratégique, alors que vous saviez manifestement que des personnes extérieures allaient se concentrer sur le stade ? Ensuite, vous avez choisi de déployer la BRAV sur le stade, alors qu’elle n’est manifestement pas la plus adaptée pour ce genre d’événement, moins en tout cas que les CRS. Pourquoi ce choix ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Nous sommes tous conscients de l’enchaînement de dysfonctionnements qui a mené à ce chaos dont la France se serait bien passée, à quelques encablures des jeux Olympiques. Il en va du rayonnement de notre pays, de la crédibilité de nos autorités et de notre capacité à accueillir des événements d’une telle ampleur, ce qui interroge notre doctrine du maintien de l’ordre.

J’ai été, le jour du match, stupéfaite de voir aux abords du stade, entre la sortie du RER et l’entrée du stade, des vendeurs d’alcool à la sauvette et de denrées alimentaires dans des conditions d’hygiène déplorables. Pire encore, je n’ai été ni contrôlée ni fouillée pour accéder au stade. Le ministre de l’intérieur a reconnu qu’à partir d’un certain moment, le public n’a effectivement plus été contrôlé, ce qui est incompréhensible face à la menace terroriste. Le ministre, que j’ai interrogé sur ces points la semaine dernière, m’a répondu que vos décisions avaient sauvé des vies. C’est probable, mais je crois aussi qu’elles auraient pu en supprimer d’autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Monsieur le préfet, nous sommes aussi là pour démentir les nombreuses informations fausses qui ont circulé ces derniers jours. En ce qui concerne la fausse billetterie, nous avions cru comprendre initialement qu’entre 30 000 et 40 000 faux billets avaient circulé ; il apparaît désormais que ce n’était pas le cas et vous avez clairement précisé qu’un certain nombre de personnes s’étaient présentées aux abords du stade sans billet. A-t-on une estimation de ce que représente la fausse billetterie ?

En ce qui concerne les 300 à 400 individus que vous qualifiez d’« indésirables » et qui ont commis des agressions pendant et après le match, vous précisiez dans la note que vous avez transmise au ministre de l’intérieur, au lendemain des événements, qu’il s’agissait de jeunes issus des quartiers sensibles de Seine-Saint-Denis. Est-ce que, quinze jours après les faits, vous avez des précisions à nous apporter sur ces personnes « indésirables » ?

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Je voudrais me faire le porte-parole, si je puis dire, de Mme Boyer qui n’a pas réussi à s’exprimer, pour des raisons techniques. Ses questions sont les suivantes : pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’anticipation sur la gestion de la délinquance autour du stade, alors qu’on la connaît ou qu’on peut l’imaginer ? Pourquoi y avait-il autant de mineurs isolés, comme la presse le rapporte, sachant qu’ils sont a priori connus de vos services ? Pourquoi le questionnaire que vous avez mis en place ne vise-t-il pas les agressions physiques ? Enfin, pourquoi si peu de comparutions immédiates ? Est-ce parce qu’il n’y a pas eu de caméras pour corroborer les témoignages ?

J’ajoute une dernière question : la police a-t-elle continué son action lorsque les gens sont repartis dans les transports en commun ? Des témoignages rapportent, en effet, qu’il y a eu des agressions dans les transports en commun.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Madame de La Gontrie, merci de vous soucier de ma situation personnelle. Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet, mais je vous répondrai en privé, si vous le souhaitez.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Il n’y a donc aucune remise en cause ?

– Quelle importance peut bien avoir ma situation personnelle ! Je suis un haut fonctionnaire, je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C’est quoi, votre problème ?...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – La question méritait d’être posée.

– Vous l’avez posée et vous me donnerez acte d’y avoir répondu.

Pour répondre aux questions sur les gaz lacrymogènes, je redis ce que j’ai dit, je ne connais pas d’autres moyens que les gaz ou la charge. La doctrine peut bien évidemment évoluer, si le souhait que l’on ne gaze pas prévaut, mais alors il faudra charger pour repousser une foule. Je ne suis pas partisan de cette seconde option. Je le dis en tant que technicien du sujet sans avoir de préférence absolue. En l’occurrence, il me semble avoir fait ce qu’il fallait.

Des sommations ont bien sûr été lancées, mais pas en anglais : nos textes ne le prévoient pas, de sorte que faire des sommations en anglais reviendrait à ne pas faire de sommation du tout, puisqu’elles seraient prononcées dans une langue étrangère non prévue par les codes, ce que l’on n’aurait pas manqué de nous reprocher. Nous avons bien évidemment fait des annonces en anglais par le dispositif des haut-parleurs HyperSpike qui ont une très forte puissance en matière de densité de décibels. Nous avons ainsi procédé à toute une série d’annonces pour demander aux gens de s’écarter. Force est de constater qu’elles n’ont pas été suivies d’effet.

Quant aux problèmes de coordination avec les organisateurs, je vous ai expliqué les réunions qui avaient eu lieu et la manière dont les choses s’étaient passées. Bien évidemment, quand une situation tourne mal, chacun est fondé à dire que c’est par un défaut de préparation. Je vous ai dit que c’était un échec et que l’on aurait pu sans doute faire les choses différemment si l’on s’était attendu à une fraude aussi massive que celle qui a eu lieu. Je ne peux pas vous dire le contraire. Toujours est-il que nous n’avions pas envisagé ce niveau de massification de la fraude. On peut toujours faire mieux.

L’instruction a-t-elle été donnée de ne pas intervenir sur les fauteurs de trouble ? Franchement, ce n’est pas le genre d’instruction que l’on donne dans la police ! En revanche, j’ai effectivement donné l’instruction – je suis très clair sur ce point – de ne pas interpeller de supporters munis de « faux billets ». J’ai employé les guillemets parce que rien n’assurait alors qu’il s’agisse de faux billets et que nous pouvions simplement constater que le dispositif technique ne fonctionnait pas. Les autorités sportives en ont déduit que c’était de faux billets, mais sur le moment, je n’avais pas d’élément prouvant qu’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. En tout état de cause, il me semblait qu’en pure opportunité ce n’était pas le sujet du moment que de procéder à ces interpellations, car nous avions mieux à faire. Oui, des instructions ont été données en ce sens, mais elles ne concernaient pas les fauteurs de trouble, c’est-à-dire les délinquants et ceux qui se comportaient de manière à commettre des délits.

Si les supporters anglais et espagnols veulent porter plainte contre la police, ils peuvent tout à fait le faire. Vous me demandez de le prévoir dans le formulaire, si je comprends bien. Je considère quant à moi que les choses sont assez claires et que cela ne pose pas de problème. Puisque vous me donnez l’opportunité de m’exprimer publiquement et de m’adresser, au-delà de nos concitoyens français, aux supporters anglais et espagnols, je leur dis que s’ils considèrent que des actes de police ont été commis de façon irrégulière, il faut bien évidemment qu’ils nous le signalent et nous donnerons les suites nécessaires.

Referais-je la même chose sur les gaz ? Je crois vous avoir répondu : oui, je referais la même chose parce que, encore une fois, je pense que c’était le moyen le plus adapté.

M. David Assouline. – Même à la gare de l’Est ?

– À la gare de l’Est aussi, je pense que c’était approprié de le faire. Encore une fois, monsieur le sénateur, le fil rouge de mon action depuis que je suis préfet de police, c’est d’éviter les morts et les blessés graves. J’ai la chance de les avoir évités, cela aurait pu se passer de manière bien pire et il aurait pu y avoir des morts depuis les trois ans et trois mois que je suis en fonction. En mai 68 il y a eu des morts ; pendant la crise des gilets jaunes, il n’y a pas eu de morts à Paris.

M. David Assouline. – En mai 1968, il s’agissait d’une révolution !

– Je ne dis pas que les choses sont parfaites, mais j’aimerais quand même que de temps en temps on rappelle ce que sont les réalités historiques. Je sais, monsieur le sénateur Assouline, combien vous êtes attaché à l’histoire.

En ce qui concerne les BRAV, j’entends souvent qu’elles ne seraient pas des unités spécialisées à l’égal des CRS et des escadrons de gendarmes mobiles, mais c’est faux. Les BRAV sont des unités spécialisées, peut-être plus entraînées que celles que je viens de citer – je dis « peut-être » parce que je ne veux froisser personne –, mais d’un haut niveau de technicité propre à la préfecture de police. Ce n’est pas une invention de ma part ; j’ai simplement inventé l’acronyme et le modus operandi. Ces effectifs dits « des compagnies d’intervention » existent à la préfecture de police depuis la nuit des temps, sous la forme d’unités de forces mobiles spécialisées de la préfecture de police, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, comme je le rappelais précédemment, et à ce qu’est la région capitale.

Les BRAV sont spécialisées dans l’intervention en matière d’ordre public. Il n’est donc pas surprenant que lorsque nous avons eu besoin de réserves, nous les ayons fait intervenir. C’était parfaitement justifié, car ce sont des unités d’élite. D’ailleurs, je suis à la disposition de vos commissions, messieurs les présidents, si vous voulez assister à un entraînement des compagnies d’intervention.

Plus que d’une méconnaissance du dispositif de police – car ce n’est pas forcément la spécialité absolue des uns et des autres –, la confusion vient de l’appellation. En province – ceux qui sont élus d’une région autre que l’Île-de-France le savent bien –, sont désignées comme « compagnies d’intervention » les unités de sécurité publique qui se forment pour des opérations d’ordre public. Toutefois, cette appellation similaire ne remet pas en cause le fait que la technicité et l’expérience restent très fortes dans les unités constituées.

En ce qui concerne la vente d’alcool à la sauvette, nous avons effectivement recensé beaucoup de cas. Neuf personnes ont été interpellées. Mais il est assez difficile d’interpeller des vendeurs à la sauvette en raison de leur extrême mobilité. D’ailleurs, en ce moment, je suis en train d’expérimenter les interpellations de vendeurs à la sauvette sur le Champ-de-Mars – ventes de boissons, de souvenirs, de maillots de supporters, etc.

Encore une fois, il était absolument nécessaire de les interpeller, mais dans la hiérarchie des incidents, ce qui nous a préoccupés au niveau des interpellations, c’est d’abord les agressions et les violences aux personnes. C’était ça l’absolue priorité.

Quid ensuite des comparutions immédiates ? Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il va falloir voir tout cela avec les parquets concernés. Mais très souvent, ce que l’on observe dans des mouvements de foule de cette nature, c’est que l’on ne peut pas reprocher à la justice de ne pas déférer les personnes en comparution immédiate : le problème que nous avons, c’est la rédaction des procès-verbaux d’interpellation. Quand vous êtes dans un moment de cette nature, c’est-à-dire d’une intensité policière extrêmement forte, il faut rédiger le PV d’interpellation de la personne. En situation d’urgence, tout cela est souvent mal fait. Ce n’est pas un reproche que j’adresse aux hommes et aux femmes sous mon commandement, mais c’est une réalité d’expérience. Très franchement, ils ont vraiment autre chose à faire. Or, quand les PV sont mal rédigés, les magistrats, à juste titre, nous disent que cela ne tient pas debout. C’est un problème que nous rencontrons lors les manifestations depuis 2015, c’est-à-dire depuis que la nature des manifestations a changé – vous voyez, c’était avant mon arrivée, tout n’est pas dû à ma présence à la préfecture de police !

Bref, nous avons du mal à documenter précisément les conditions d’une interpellation et à formuler l’infraction ou le délit commis. Nous avons expérimenté plusieurs méthodes, qui n’ont pas été déployées au Stade de France, notamment en missionnant des agents spécialisés en appui des éléments d’intervention ; il s’agit, en quelque sorte, de greffiers du dispositif. Leur mission est d’aider très rapidement le fonctionnaire à rédiger son PV d’interpellation. Mais pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, ces agents n’ont pas été déployés ce soir-là et, assez vraisemblablement, nos PV n’étaient pas totalement bien rédigés.

Je ne reviendrai pas sur les explications concernant la présence de 30 000 à 40 000 supporters. J’espère néanmoins, même si j’ai bien compris que je n’avais pas convaincu tout le monde, avoir été clair.

M. David Assouline. – Êtes-vous convaincu vous-même ?

– Je suis toujours convaincu, monsieur le sénateur, par nature : je suis un homme de convictions ! Je ne vois pas très bien pourquoi je vous raconterais des choses dont je ne suis pas assuré ! Je vous dis ce que nous avons vu et je vous rapporte les éléments que nous avons constatés. Vous pouvez légitimement les contester, mais ça n’est pas l’objet de mon propos aujourd’hui.

M. le président Buffet m’a posé une dernière question, mais je suis confus, car je l’ai mal notée…

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Quelle a été l’action de la police en ce qui concerne les supposés supporters ayant repris ensuite les transports en commun, sachant que nous disposons d’informations faisant état d’agressions commises à ce moment-là ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Le dispositif était organisé de la façon suivante. Nous avions déployé un dispositif d’ordre public sur le périmètre des pré-barrages et un dispositif de sécurité publique dans les gares et en périphérie des gares, c’est-à-dire dans les parties extérieures. Par exemple, pour les voyageurs de la ligne 13, notre dispositif de sécurité publique était installé au nord de cette ligne, entre la gare et la fan zone espagnole. Nous pensions, en effet, que les actes de délinquance se produiraient à cet endroit.

Quand nous avons levé nos barrages et replié notre dispositif d’ordre public sur le stade, puis à l’intérieur du stade, des délinquants sont descendus de cette zone et sont rentrés sur les cheminements des supporters. Nous avons, à ce moment-là, fait redescendre notre dispositif de sécurité publique, mais il n’était pas appuyé par notre dispositif d’ordre public : la présence sur les pré-barrages était donc à l’évidence moins dissuasive. Voilà ce qui s’est passé.

Certes, si nous avions été trois fois plus nombreux, cela aurait beaucoup mieux fonctionné. C’est une évidence, mais la combinaison pour ce type d’événements était jusqu’à présent celle-ci. Vous parliez tout à l’heure d’un dispositif anti-criminalité, mais il s’agissait d’un dispositif anti-délinquance. Les forces chargées de l’ordre public ne prennent en charge les faits de délinquance que lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une manœuvre d’ordre public : c’est-à-dire quelqu’un qui est violent, qui casse, etc. Là, les équipes d’ordre public interpellent. Ce sont les forces de sécurité publique qui traitent des faits habituels de délinquance. Dans nos dispositifs dits « stade », c’est l’appui des deux dispositifs qui permet l’efficacité.

Effectivement, à partir du moment où notre dispositif d’ordre public était à l’intérieur du stade, même s’il en est sorti sur la fin du match, – mais à ce moment-là, il était englué dans le départ des supporters –, il a été à l’évidence moins efficace. C’est ce qui s’est passé. Nous en avons tiré les conséquences sur ce qu’il conviendra de faire à l’avenir lors d’événements de cette nature, c’est-à-dire qu’il nous faudra avoir des réserves d’intervention de sécurité publique capables de sécuriser les retours. En résumé, notre appui traditionnel ne s’est pas fait. Du coup, le dispositif présentait moins de solidité dans son aspect sécurité publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Monsieur le préfet, je me permets d’insister, car je n’ai pas entendu votre réponse sur les 300 à 400 indésirables. Quelle était l’origine de ces personnes ?

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– Je ne sais pas s’ils étaient ou non de Seine-Saint-Denis. Je dis juste qu’il y avait 300 à 400 personnes qui ne semblaient pas être des supporters. Il faut que je fasse attention à ce que je subodore, si j’ai bien compris ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

président de la commission de la culture. – Cela figure dans votre note.

Debut de section - Permalien
Didier Lallement, préfet de police

– J’ai écrit « de Seine-Saint-Denis » parce qu’ils étaient « en Seine-Saint-Denis ».

Soyons francs, si votre question est : « S’agit-il de gens des cités autour du stade ? », je ne peux pas dire une chose pareille parce que je n’en sais rien ! Oui, il s’agit d’un type de population délinquante que l’on rencontre en Seine-Saint-Denis, mais on en rencontre également dans le nord de Paris. En tout état de cause, il ne nous est pas possible de les tracer. Vous avez raison, dans ma note j’indiquais qu’ils étaient de Seine-Saint-Denis, mais il est très franchement impossible de savoir d’où ils venaient. En revanche, je puis vous dire qu’il y avait des mineurs non accompagnés – c’est un grand classique – dont la gestion relève, en dehors de leurs actes de délinquance, des collectivités locales.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

président de la commission des lois. – Merci, monsieur le préfet, de votre présence ce matin et de vos réponses aux questions qui ont été posées.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 00.