Intervention de Didier Lallement

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 juin 2022 à 10h00
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de M. Didier Lallement préfet de police

Didier Lallement, préfet de police :

– Je ne sais pas si vous me visiez, mais je ne prends certainement pas les parlementaires pour des imbéciles. Peut-on vous fournir les télégrammes dont vous parlez ? Sans aucun doute, et je suis navré du délai. Mais je m’inscris en faux contre l’idée que, lors des manifestations, les forces de l’ordre organiseraient un « tourbillon » contre l’exercice du droit de manifestation. Les choses ne se passent pas ainsi dans notre pays et ce ne sont pas les forces de l’ordre qui sont à l’origine des troubles dans les manifestations.

Oui, nous allons tirer les conséquences de ce qui s’est passé. Nous l’avons déjà fait lors du match France-Danemark, pour lequel nous avons adapté notre dispositif. Nous continuerons à le faire et nous travaillons sur les jeux Olympiques, forts de cette expérience.

Vous me demandez de ne pas poster de policiers dans nos antennes diplomatiques à Madrid, Londres et Liverpool pour recevoir les plaintes ? Je ne crois pas que les policiers fassent peur... En tout état de cause, les plaintes peuvent être déposées en ligne et directement auprès du tribunal de Bobigny. Nous encourageons à déposer plainte, pour nous aider dans l’enquête sur la fraude et pour identifier ceux qui ont provoqué ce chaos. J’ai moi-même saisi le procureur de la République pour qu’il ouvre une information judiciaire.

M. Olivier Paccaud. – Nous ne sommes ni juges ni arbitres. Nous ne sommes pas là pour épiloguer, pour reprendre votre mot, monsieur le préfet. Je vous écoute, et certains mots me choquent, par exemple quand vous dites avoir « subodoré » le nombre de personnes autour du stade... Notre but n’est pas de brandir un carton rouge, mais d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Dans votre propos liminaire, vous nous avez surtout parlé de ce qui s’était passé le jour du match, en reconnaissant que la gestion du maintien de l’ordre avait été un échec. Cela, nous le savons, la France et même le monde entier l’ont vu. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que la préparation d’un événement de cette importance commence avant le jour du match ; c’est aussi là que nous avons des questions.

D’abord, sur la notion de « match à risque ». Quand le ministre nous a dit que le match Nantes-Nice était classé comme plus risqué que Madrid-Liverpool, j’avoue que les bras m’en sont tombés. C’est incompréhensible : si tel est le cas, qui donc a pris la décision d’un tel classement ?

Sur le dispositif policier, ensuite, le ministre nous a dit que les effectifs étaient suffisants pour le maintien de l’ordre, mais il a reconnu que ceux de l’anti-criminalité avaient peut-être été insuffisants. Le paradoxe, c’est que ces effectifs étaient deux fois plus nombreux pour le match Nantes-Nice, 326 contre 164, alors que la finale européenne était censée être moins à risque que la finale de la coupe de France : n’est-ce pas le signe que vous vous attendiez à des problèmes ?

Sur les points de pré-filtrage et les barrages, enfin, la ministre des sports a fait un mea culpa en reconnaissant que la signalétique aurait pu être meilleure et que des déviations auraient été utiles. Vous nous dites, quant à vous, que vous n’étiez pas en charge de la sécurité sur ces points de filtrage. Or vous étiez bien responsable de la sécurité de l’ensemble, et vous vous êtes aperçu assez vite qu’il y avait un gros problème sur ces points de filtrage en nombre insuffisant. Pourquoi ne pas avoir réorienté plus tôt les supporters ? Pourquoi avoir attendu 19 heures 15 pour le faire ? Vous dites assumer toute la responsabilité des désordres ; j’attends donc des explications claires sur ces points.

M. Jean-Yves Leconte. – Une remarque, tout d’abord : la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l’espace Schengen, nous aurions dû disposer d’informations plus précises sur les supporters anglais, plutôt que les approximations dont on parle aujourd’hui concernant l’avant-match.

Je suis très surpris, ensuite, que vous écartiez toute remise en cause de votre schéma de maintien de l’ordre, tout en disant que vous n’aviez pas d’autre choix que de gazer des personnes sur place qui n’étaient pour rien dans les troubles. N’y a-t-il pas là une difficulté, surtout quand on voit que des règles d’emploi des gaz n’ont pas été respectées ? Y a-t-il des problèmes de formation des agents du maintien de l’ordre ? Quelles conséquences en tirez-vous ?

Vous encouragez à porter plainte, mais le formulaire de pré-plainte en ligne ne comporte rien sur l’action de la police elle-même, rien sur l’emploi des gaz lacrymogènes, par exemple. Pourriez-vous adapter ce formulaire pour qu’il corresponde davantage à la réalité ?

Enfin, comment expliquez-vous qu’il y ait eu très peu de comparutions immédiates, par rapport au nombre d’interpellations ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Au fil des auditions, nous identifions trois séquences chronologiques, et dans chacune d’elle des problèmes, sur lesquels vos propos sont parfois décalés par rapport à ceux du ministre.

D’abord, s’agissant de l’amont, la préparation d’avant-match, nous constatons des problèmes d’anticipation et de coordination. Nous avons demandé les comptes rendus de toutes les réunions de préparation, et nous ne savons pas encore précisément comment les choses se sont passées, quant à la participation ou non de la gendarmerie à ces réunions, au rôle que vous y avez joué personnellement. Comment la préparation s’est-elle déroulée, précisément ?

Pendant le match, ensuite, il semble qu’il y ait eu confusion entre gestion de foule et maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, suivant manifestement une doctrine qui vous est familière – on l’a vu encore à la gare de l’Est, à Paris –, qui n’est pas celle qu’utilisent d’autres pays, par exemple l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et que les policiers n’acceptent pas tous comme allant de soi. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), a dit qu’il aimerait connaître les ordres qui ont été donnés sur les ondes. L’inspection générale de la Police nationale (IGPN) a été saisie de deux gestes inappropriés et disproportionnés, selon l’expression du ministre de l’intérieur. Il semble bien que les policiers n’aient pas l’intention de porter le chapeau !

Pour ce qui est de l’après-match, enfin, nous constatons une grande confusion dans les explications, de la précipitation, du flou dans les informations qui nous sont communiquées. Depuis le début de nos travaux, je ne sais toujours pas où étaient les 30 000 supporters excédentaires dont on nous a parlé. Je les cherche mais, à vous écouter, je comprends qu’ils n’étaient tout simplement pas là !

Il y a donc eu des fautes avant, des problèmes pendant, et du flou après. Vous constatez vous-même que c’est un échec et vous dites n’éluder aucune de vos responsabilités. Quelles conséquences en tirez-vous donc à titre personnel ?

– Dans mon intervention liminaire, j’ai effectivement parlé des faits qui se sont produits le soir du match, et pas de la préparation dans son détail. Celle-ci a comporté, à ma connaissance, plus d’une douzaine de réunions préparatoires.

Quatre réunions ont été présidées par le délégué interministériel à la sécurité, avec l’ensemble des intervenants, des réunions structurantes dont le cadre est défini. J’ai présidé cinq réunions préparatoires à la préfecture de police. Cinq autres réunions préparatoires ont été présidées par mon directeur de cabinet. À quoi s’ajoutent d’autres réunions préparatoires à la préfecture de Seine-Saint-Denis – au moins une dizaine – ; je n’ai pas la liste exhaustive, elles ont été nombreuses, en plusieurs phases.

Mais votre question porte plutôt sur le fait de savoir si la préparation a été bien faite, ou pas. Quand je parle d’échec, c’est parce que nous avons eu une difficulté face à ces 30 000 à 40 000 personnes qui étaient non pas dans le stade, mais à l’extérieur, avant le pré-filtrage. Les opérateurs nous avaient communiqué ces chiffres. Quand j’emploie le verbe « subodorer », qui est peut-être malheureux, il signifie que nous avions l’idée de plusieurs dizaines de milliers de personnes présentes au-dehors – le chiffre que j’ai communiqué était de 34 000 personnes –, dont le nombre a varié puisque certaines entraient dans le stade. C’est cela qui nous inquiétait sur le moment. Quant aux fan zones, les opérateurs nous disaient qu’il y avait quelque 44 000 personnes sur la fan zone anglaise à Paris…

J’en viens à la doctrine d’emploi. Quand une foule s’agglomère et fait pression, je ne connais pas d’autres moyens pour la faire reculer que les gaz lacrymogènes ou la charge. Les ordres qui ont été donnés, y compris dans le cas que vous avez cité de la gare de l’Est, étaient de ne pas charger, parce que j’ai considéré que cela aurait été dévastateur. Et quand on ne charge pas, il ne reste plus que l’emploi du gaz pour faire reculer une foule qui fait pression.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Le ministre a parlé de gestes inappropriés !

– L’emploi de gaz lacrymogènes était nécessaire, j’assume entièrement cette décision. Ensuite, il y a eu des gestes inappropriés parce qu’il peut toujours y en avoir, malheureusement, dans ce type d’événement, quand des fonctionnaires se laissent aller par l’énervement du moment à des gestes qui manquent de professionnalisme.

On m’a rapporté deux de ces gestes, les enquêtes sont en cours. Il faut être très précis.

Dans l’un des deux cas, sur les images, on voit le fonctionnaire de police gazer une personne qui vient vers lui et qui paraît être un supporter anglais. Mais les séquences qui tournent sur les réseaux sociaux omettent de montrer que cette personne vient juste après d’autres, qui s’introduisaient frauduleusement dans le stade par un escalier. Le fonctionnaire a confondu ce supporter avec les autres et l’a gazé, ce qui manquait de professionnalisme. Dans l’autre cas, le geste a lieu lors d’un barrage. Ces deux gestes font l’objet d’une enquête.

Je crois que dans une opération de cette importance, au vu du nombre de fonctionnaires engagés et de la durée du dispositif, le fait qu’il n’y ait eu finalement que deux gestes apparemment inappropriés est surtout une preuve de la qualité des fonctionnaires, de leur efficacité et de leur déontologie. Je ne laisserai pas des fonctionnaires être mis en cause ; si vous devez vous en prendre à quelqu’un, prenez-vous-en à moi.

Pour ce qui est du classement des matchs, la rencontre Madrid-Liverpool était classée de niveau 3, et celle entre Nantes et Nice de niveau 4.

M. Olivier Paccaud. – C’est incompréhensible, d’autant que la note de la DNLH vous avait alerté sur les risques…

– Cette note a beaucoup de qualités, mais elle ne permet pas de prédire l’avenir. Or il nous manquait cette information décisive : l’utilisation massive de faux billets. Vous pouvez m’en faire reproche, mais si nous nous attendions à ce qu’il y ait des faux billets, nous n’avions pas prévu que la fraude puisse être aussi massive.

Vous vous étonnez que nos forces aient été en formation « antiterroriste ». Mais elles ne sont pas restées passives face aux désordres. Nous sommes venus en appui des stadiers qui avaient la responsabilité des points de pré-filtrage, et nous nous sommes placés derrière eux pour les soutenir. Et lorsqu’ils ont été débordés, si j’ai pris la décision de lever le barrage, c’était pour éviter un drame. Et c’est bien parce que je suis responsable de la gestion de la foule que j’ai pu prendre cette décision – une décision que j’assume complètement.

Le formulaire de dépôt de plainte en ligne est standard : c’est celui que l’administration française utilise en général. Je l’ai fait traduire en anglais et en espagnol, mais je ne l’ai pas fait adapter au cas d’espèce. Il est vrai que ce document est un peu compliqué à remplir, avec beaucoup de cases à cocher, ce qui est bien français... Vous me prenez de court ; je vais regarder si nous gagnerions à l’adapter.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Quelles conséquences tirez-vous de cet échec, à titre personnel ?

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