Intervention de Didier Lallement

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 juin 2022 à 10h00
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de M. Didier Lallement préfet de police

Didier Lallement, préfet de police :

– Madame de La Gontrie, merci de vous soucier de ma situation personnelle. Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet, mais je vous répondrai en privé, si vous le souhaitez.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Il n’y a donc aucune remise en cause ?

– Quelle importance peut bien avoir ma situation personnelle ! Je suis un haut fonctionnaire, je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C’est quoi, votre problème ?...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – La question méritait d’être posée.

– Vous l’avez posée et vous me donnerez acte d’y avoir répondu.

Pour répondre aux questions sur les gaz lacrymogènes, je redis ce que j’ai dit, je ne connais pas d’autres moyens que les gaz ou la charge. La doctrine peut bien évidemment évoluer, si le souhait que l’on ne gaze pas prévaut, mais alors il faudra charger pour repousser une foule. Je ne suis pas partisan de cette seconde option. Je le dis en tant que technicien du sujet sans avoir de préférence absolue. En l’occurrence, il me semble avoir fait ce qu’il fallait.

Des sommations ont bien sûr été lancées, mais pas en anglais : nos textes ne le prévoient pas, de sorte que faire des sommations en anglais reviendrait à ne pas faire de sommation du tout, puisqu’elles seraient prononcées dans une langue étrangère non prévue par les codes, ce que l’on n’aurait pas manqué de nous reprocher. Nous avons bien évidemment fait des annonces en anglais par le dispositif des haut-parleurs HyperSpike qui ont une très forte puissance en matière de densité de décibels. Nous avons ainsi procédé à toute une série d’annonces pour demander aux gens de s’écarter. Force est de constater qu’elles n’ont pas été suivies d’effet.

Quant aux problèmes de coordination avec les organisateurs, je vous ai expliqué les réunions qui avaient eu lieu et la manière dont les choses s’étaient passées. Bien évidemment, quand une situation tourne mal, chacun est fondé à dire que c’est par un défaut de préparation. Je vous ai dit que c’était un échec et que l’on aurait pu sans doute faire les choses différemment si l’on s’était attendu à une fraude aussi massive que celle qui a eu lieu. Je ne peux pas vous dire le contraire. Toujours est-il que nous n’avions pas envisagé ce niveau de massification de la fraude. On peut toujours faire mieux.

L’instruction a-t-elle été donnée de ne pas intervenir sur les fauteurs de trouble ? Franchement, ce n’est pas le genre d’instruction que l’on donne dans la police ! En revanche, j’ai effectivement donné l’instruction – je suis très clair sur ce point – de ne pas interpeller de supporters munis de « faux billets ». J’ai employé les guillemets parce que rien n’assurait alors qu’il s’agisse de faux billets et que nous pouvions simplement constater que le dispositif technique ne fonctionnait pas. Les autorités sportives en ont déduit que c’était de faux billets, mais sur le moment, je n’avais pas d’élément prouvant qu’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. En tout état de cause, il me semblait qu’en pure opportunité ce n’était pas le sujet du moment que de procéder à ces interpellations, car nous avions mieux à faire. Oui, des instructions ont été données en ce sens, mais elles ne concernaient pas les fauteurs de trouble, c’est-à-dire les délinquants et ceux qui se comportaient de manière à commettre des délits.

Si les supporters anglais et espagnols veulent porter plainte contre la police, ils peuvent tout à fait le faire. Vous me demandez de le prévoir dans le formulaire, si je comprends bien. Je considère quant à moi que les choses sont assez claires et que cela ne pose pas de problème. Puisque vous me donnez l’opportunité de m’exprimer publiquement et de m’adresser, au-delà de nos concitoyens français, aux supporters anglais et espagnols, je leur dis que s’ils considèrent que des actes de police ont été commis de façon irrégulière, il faut bien évidemment qu’ils nous le signalent et nous donnerons les suites nécessaires.

Referais-je la même chose sur les gaz ? Je crois vous avoir répondu : oui, je referais la même chose parce que, encore une fois, je pense que c’était le moyen le plus adapté.

M. David Assouline. – Même à la gare de l’Est ?

– À la gare de l’Est aussi, je pense que c’était approprié de le faire. Encore une fois, monsieur le sénateur, le fil rouge de mon action depuis que je suis préfet de police, c’est d’éviter les morts et les blessés graves. J’ai la chance de les avoir évités, cela aurait pu se passer de manière bien pire et il aurait pu y avoir des morts depuis les trois ans et trois mois que je suis en fonction. En mai 68 il y a eu des morts ; pendant la crise des gilets jaunes, il n’y a pas eu de morts à Paris.

M. David Assouline. – En mai 1968, il s’agissait d’une révolution !

– Je ne dis pas que les choses sont parfaites, mais j’aimerais quand même que de temps en temps on rappelle ce que sont les réalités historiques. Je sais, monsieur le sénateur Assouline, combien vous êtes attaché à l’histoire.

En ce qui concerne les BRAV, j’entends souvent qu’elles ne seraient pas des unités spécialisées à l’égal des CRS et des escadrons de gendarmes mobiles, mais c’est faux. Les BRAV sont des unités spécialisées, peut-être plus entraînées que celles que je viens de citer – je dis « peut-être » parce que je ne veux froisser personne –, mais d’un haut niveau de technicité propre à la préfecture de police. Ce n’est pas une invention de ma part ; j’ai simplement inventé l’acronyme et le modus operandi. Ces effectifs dits « des compagnies d’intervention » existent à la préfecture de police depuis la nuit des temps, sous la forme d’unités de forces mobiles spécialisées de la préfecture de police, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, comme je le rappelais précédemment, et à ce qu’est la région capitale.

Les BRAV sont spécialisées dans l’intervention en matière d’ordre public. Il n’est donc pas surprenant que lorsque nous avons eu besoin de réserves, nous les ayons fait intervenir. C’était parfaitement justifié, car ce sont des unités d’élite. D’ailleurs, je suis à la disposition de vos commissions, messieurs les présidents, si vous voulez assister à un entraînement des compagnies d’intervention.

Plus que d’une méconnaissance du dispositif de police – car ce n’est pas forcément la spécialité absolue des uns et des autres –, la confusion vient de l’appellation. En province – ceux qui sont élus d’une région autre que l’Île-de-France le savent bien –, sont désignées comme « compagnies d’intervention » les unités de sécurité publique qui se forment pour des opérations d’ordre public. Toutefois, cette appellation similaire ne remet pas en cause le fait que la technicité et l’expérience restent très fortes dans les unités constituées.

En ce qui concerne la vente d’alcool à la sauvette, nous avons effectivement recensé beaucoup de cas. Neuf personnes ont été interpellées. Mais il est assez difficile d’interpeller des vendeurs à la sauvette en raison de leur extrême mobilité. D’ailleurs, en ce moment, je suis en train d’expérimenter les interpellations de vendeurs à la sauvette sur le Champ-de-Mars – ventes de boissons, de souvenirs, de maillots de supporters, etc.

Encore une fois, il était absolument nécessaire de les interpeller, mais dans la hiérarchie des incidents, ce qui nous a préoccupés au niveau des interpellations, c’est d’abord les agressions et les violences aux personnes. C’était ça l’absolue priorité.

Quid ensuite des comparutions immédiates ? Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il va falloir voir tout cela avec les parquets concernés. Mais très souvent, ce que l’on observe dans des mouvements de foule de cette nature, c’est que l’on ne peut pas reprocher à la justice de ne pas déférer les personnes en comparution immédiate : le problème que nous avons, c’est la rédaction des procès-verbaux d’interpellation. Quand vous êtes dans un moment de cette nature, c’est-à-dire d’une intensité policière extrêmement forte, il faut rédiger le PV d’interpellation de la personne. En situation d’urgence, tout cela est souvent mal fait. Ce n’est pas un reproche que j’adresse aux hommes et aux femmes sous mon commandement, mais c’est une réalité d’expérience. Très franchement, ils ont vraiment autre chose à faire. Or, quand les PV sont mal rédigés, les magistrats, à juste titre, nous disent que cela ne tient pas debout. C’est un problème que nous rencontrons lors les manifestations depuis 2015, c’est-à-dire depuis que la nature des manifestations a changé – vous voyez, c’était avant mon arrivée, tout n’est pas dû à ma présence à la préfecture de police !

Bref, nous avons du mal à documenter précisément les conditions d’une interpellation et à formuler l’infraction ou le délit commis. Nous avons expérimenté plusieurs méthodes, qui n’ont pas été déployées au Stade de France, notamment en missionnant des agents spécialisés en appui des éléments d’intervention ; il s’agit, en quelque sorte, de greffiers du dispositif. Leur mission est d’aider très rapidement le fonctionnaire à rédiger son PV d’interpellation. Mais pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, ces agents n’ont pas été déployés ce soir-là et, assez vraisemblablement, nos PV n’étaient pas totalement bien rédigés.

Je ne reviendrai pas sur les explications concernant la présence de 30 000 à 40 000 supporters. J’espère néanmoins, même si j’ai bien compris que je n’avais pas convaincu tout le monde, avoir été clair.

M. David Assouline. – Êtes-vous convaincu vous-même ?

– Je suis toujours convaincu, monsieur le sénateur, par nature : je suis un homme de convictions ! Je ne vois pas très bien pourquoi je vous raconterais des choses dont je ne suis pas assuré ! Je vous dis ce que nous avons vu et je vous rapporte les éléments que nous avons constatés. Vous pouvez légitimement les contester, mais ça n’est pas l’objet de mon propos aujourd’hui.

M. le président Buffet m’a posé une dernière question, mais je suis confus, car je l’ai mal notée…

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