Intervention de Martin Kallen

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 juin 2022 à 9h30
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de Mm. Martin Kallen directeur général de l'uefa events sa et julien zylberstein directeur des affaires européennes de la gouvernance de l'union des associations européennes de football

Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA :

Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il a été décidé de ne plus organiser la finale de la Ligue des champions à Saint-Pétersbourg. Tout le monde est convenu que c'était une excellente décision, prise en un temps record.

Dès lors, il fallait trouver au plus vite une solution de repli : chaque jour comptait pour organiser cet événement.

Nous devions remplir un certain nombre de critères. Il nous fallait un stade d'une capacité de 70 000 places, libre le 28 mai et toute la semaine précédente pour que l'on ait le temps de tout préparer sur place, dans une ville facile d'accès, avec une grande capacité de logements, et dans un pays ayant l'expérience nécessaire pour accueillir de grands événements sportifs.

Sur cette base objective et opérationnelle, Paris semblait la ville idéale et le Stade de France le stade idéal. D'ailleurs, à ce moment-là, nous n'avions quasiment aucune autre option. Il n'existe pas tant de stades de plus de 70 000 places en Europe répondant à nos différents critères. Le stade de Wembley aurait été idéal, mais il n'était pas libre à cette date.

Nous connaissons bien le Stade de France : nous y avons organisé sans problème plusieurs matchs de l'Euro 2016, dont la finale, et plusieurs finales de la Ligue des champions. La dernière d'entre elles remonte à 2006, car nous sommes attachés au principe de rotation.

J'y insiste, cette solution semblait parfaite. Elle revêtait également une forte valeur symbolique, Paris étant capitale de l'Union européenne de janvier à juin 2022. Tout le monde a salué cette décision.

Quand nous sommes arrivés à la conclusion que le choix de Paris s'imposait, le président de l'UEFA s'est entretenu avec le Président de la République, jeudi 24 février dans l'après-midi, pour l'informer de notre décision. M. Macron a compris la situation et a confirmé que l'État français apporterait son soutien à l'organisation de cet événement. Le Président Macron et le Gouvernement français n'ont jamais fait de lobbying pour accueillir cette finale.

Vendredi 25 février en début de matinée, la FFF a été informée par téléphone de ce choix, qu'elle a accueilli favorablement.

Peu après - à dix heures, le même jour -, s'est tenue, par visioconférence, une réunion extraordinaire du comité exécutif de l'UEFA. Ce comité exécutif, dont la FFF est membre, a validé le choix à l'unanimité, sans le représentant russe, bien sûr.

Habituellement, la phase de planification et de préparation d'une finale de la Ligue des champions de l'UEFA se déroule sur trente-six mois. Dans cet intervalle, plusieurs visites d'inspection, réunions de travail et autres événements tests peuvent être organisés pour assurer la préparation du site.

En raison du changement de site, cette phase préparatoire a dû être accélérée et ajustée en fonction d'autres événements déjà planifiés au Stade de France.

Je le répète, nous connaissons bien le Stade de France. De plus, la FFF a l'habitude d'organiser de grands événements. Il aurait été plus difficile d'organiser cette finale, avec un délai de trois mois, dans un autre stade et avec un autre organisateur. Londres n'était pas disponible. En parallèle, de nombreux événements sont prévus en Allemagne, en particulier l'Euro 2024 et la Champions League en 2025. En Espagne, deux stades répondaient à nos critères, mais l'un était occupé et l'autre était en travaux.

Vous l'avez rappelé, plus de 100 000 personnes ont afflué au Stade de France. Or les transports publics, ô combien importants, ont posé différents problèmes. Du fait de la grève du RER B, beaucoup de supporters se sont reportés sur le RER D : plus de 37 000 personnes sont venues par le RER D, contre 9 000 pour la finale de la coupe de France, avant d'être orientées directement vers l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire.

Un certain nombre de faux billets ont été détectés aux entrées 2 et 3 du périmètre de sécurité peu après leur mise en service. Ainsi, les stadiers ont pu croire que les stylos détecteurs utilisés pour vérifier l'authenticité des billets étaient défectueux, ce qui a ralenti le processus, les stadiers vérifiant chaque billet papier à plusieurs reprises.

À la mi-temps, les transports publics nous ont informés que 30 000 personnes se dirigeaient vers Paris. Beaucoup de personnes présentes sur place avaient bel et bien de faux billets, voire n'avaient pas de billet du tout.

Aux abords du stade, la circulation était saturée en permanence par les supporters et par divers véhicules. La sécurité s'en trouvait également menacée. Pour les groupes, l'accès aux parkings était, en principe, bloqué à partir de dix-neuf heures.

En matière de sûreté et de sécurité, le plan de déploiement des stadiers s'est principalement inspiré de celui de la finale de la coupe de France organisée le 7 mai 2022.

Avant le match, l'évaluation menée par nos équipes de sûreté et de sécurité et par la responsable de la sécurité a mis au jour un risque élevé d'invasion du terrain par des supporters sans billet ou détenteurs de billets contrefaits. Afin d'anticiper ces risques, plusieurs mesures ont été prises, notamment une opération de communication pour que les supporters sans billet s'abstiennent de venir au Stade de France.

Quelque 1 700 stadiers ont été déployés sur place. Malheureusement, la plupart d'entre eux ne parlaient ni anglais ni espagnol, ce qui a posé problème pour dialoguer avec les supporters des deux équipes.

Les tourniquets ont été ouverts à dix-huit heures après avoir fait l'objet d'une vérification finale de la part de l'UEFA et de la FFF. Les activités opérationnelles n'ont été fluides, conformément au plan opérationnel, que pendant trente minutes seulement. D'une part, l'aggravation de la situation au niveau de l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire, de l'autre, l'arrêt périodique des contrôles préalables visant à identifier les supporters sans billet, ont eu pour conséquence la formation d'une foule comprenant de nombreux supporters sans billet. Cette situation a permis à des bandes locales de venir errer devant le stade.

À dix-huit heures cinquante-deux, la première infraction a été constatée au niveau des tourniquets de la porte Y.

Globalement, aux tourniquets, les flux sont restés très faibles : on a comptabilisé au maximum 6 000 personnes toutes les quinze minutes. À ce rythme, il faut plus de trois heures pour remplir le stade. Or notre hypothèse de travail était de quatre-vingt-dix minutes, avec 12 500 personnes toutes les quinze minutes.

À partir de dix-huit heures cinquante-deux, des flots de supporters se sont succédé devant différentes portes du stade, perturbant le flux des spectateurs. La présence d'un nombre considérable de supporters sans billet ou sans vrai billet a entraîné de graves problèmes de sécurité.

Face aux problèmes constatés au niveau des portes, on a décidé la fermeture des tourniquets, victimes d'un engorgement massif. Le chef des stadiers au niveau de chaque porte a été informé d'une procédure opérationnelle standard consistant à fermer les portes en cas d'infraction. Le but ultime de la fermeture des tourniquets était d'éviter de dépasser la capacité maximale de plus de 4 %. En pareil cas, il aurait fallu arrêter le match pour raisons de sécurité.

À mesure que les supporters s'accumulaient devant les tourniquets, en particulier de supporters sans billet, les fermetures de tourniquets se sont multipliées. Elles ont permis de réduire avec efficacité le flux de personnes tentant de franchir le périmètre de sécurité lors du pic d'activité opérationnelle.

En salle de contrôle, le centre de coordination du site insistait sur la nécessité d'augmenter le flux. À plusieurs reprises, on a tenté de rouvrir les tourniquets, mais il a fallu les fermer de nouveau face à la pression exercée par les spectateurs, avec ou sans billet.

À partir de vingt heures, la FFF a demandé un soutien policier au niveau des tourniquets. La police est arrivée après un certain laps de temps ; sans son soutien pour maintenir l'ordre public, les stadiers auraient difficilement gardé le contrôle des tourniquets, dès lors que l'entrée 3 du périmètre de sécurité n'était plus opérationnelle.

La police de Merseyside avait informé l'UEFA que 50 000 à 70 000 supporters de Liverpool feraient le déplacement et que le nombre de supporters sans billet pourrait atteindre 50 000. Leur point de rencontre était situé cours de Vincennes, à Paris, près de la place de la Nation.

La projection de la finale sur écran géant avait été prévue, avec l'approbation des autorités, pour ces supporters sans billets. Au total, ce point de rencontre a accueilli 44 000 personnes. L'UEFA et les deux clubs ont communiqué à plusieurs reprises pour garantir une bonne rotation entre les supporters entrants et sortants.

Le jour du match, cinquante « gardes-supporters » de Liverpool ont été envoyés du stade vers les parkings des gares situées à proximité des points de rencontre des supporters de Liverpool. En effet, la plupart des supporters présents dans ces gares ne disposaient pas de billets pour le match.

J'en viens aux conséquences des billets papier.

Chaque club gère sa billetterie selon ses propres procédures et en fonction des habitudes de ses supporters. Or, au fil des discussions, il est apparu que les systèmes de billetterie mis à disposition par l'UEFA ne répondaient pas à toutes les exigences de Liverpool et du Real de Madrid. Ils auraient, à tout le moins, exigé beaucoup d'adaptations de la part des clubs.

En conséquence, le club de Liverpool a fortement insisté pour garder le contrôle de ses processus de vente et demandé à l'UEFA de lui délivrer des billets papier.

Le Real de Madrid a accepté de gérer une partie de ces ventes selon les procédures de billetterie de l'UEFA. Ainsi, des billets numériques ont été émis, représentant 60 % de l'ensemble. Le reste était imprimé sur papier.

Ces billets sont imprimés sur des papiers sécurisés répondant aux normes de sécurité les plus élevées possible, réservées, en principe, aux billets de banque.

Naturellement, ces critères de sécurité ont évolué avec le temps. Toutefois, un élément de sécurité utilisé depuis de nombreuses années s'est révélé particulièrement robuste : il n'a jamais été copié ni falsifié jusqu'à ce jour. Il s'agit d'une encre spéciale appliquée sur une zone spécifique du billet. Cette encre réagit au contact de stylos chimiques, déployés sur les périmètres de sécurité extérieure du stade et distribués aux agents de sécurité chargés de procéder à la prévérification des billets. Si le papier réagit au contact du stylo, il est considéré comme authentique et le billet est considéré comme valide.

Même si cette fonctionnalité n'a jamais été falsifiée, l'UEFA a continué de l'améliorer. Ainsi, après la finale de la Ligue des champions de 2019, l'encre réactive au stylo chimique a été appliquée non plus sur une ligne continue, mais sur un motif en pointillés.

De tels éléments renforcent la sécurité des contrôles. Lors de la finale de Paris, comme lors de nombreuses autres finales très courues de l'UEFA, les billets contrefaits ressemblaient visuellement aux billets authentiques, mais ne présentaient pas ces éléments de sécurité. Il reste donc possible de contrôler les billets au périmètre extérieur.

En plus de l'encre réactive, le billet de la finale de Paris comportait le trophée de la Ligue des champions gravé en relief. Cet élément était aisé à vérifier à l'aide du doigt, les faux billets ne présentant aucun relief perceptible. Il était donc possible, même sans stylo chimique à portée de main, de reconnaître un billet contrefait.

Bien qu'il ne soit pas possible de quantifier les billets contrefaits ayant atteint le périmètre du stade, on peut supposer qu'ils ont été plus nombreux lors de la finale de Paris que lors des finales précédentes.

Tous les éléments de sécurité des billets imprimés et mobiles visent à réduire les risques de contrefaçon. Reste que des groupes organisés sont déterminés à mettre en oeuvre tous les moyens pour accéder au stade.

Le soutien apporté par l'UEFA en matière de billetterie mobile était conçu pour réduire le risque de contrefaçon ; il représente la solution la plus innovante du marché à l'heure actuelle.

S'agissant enfin des problèmes de sécurité après le match, les médias, comme certains invités de l'UEFA et membres du personnel, ont signalé que des bandes de délinquants avaient créé un environnement hostile autour de Saint-Denis. Celui-ci s'est traduit notamment par des agressions, vols et intimidations à l'encontre des supporters, en particulier sur la ligne 13.

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