Intervention de Michel Cadot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 juin 2022 à 10h30
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de M. Michel Cadot délégué interministériel aux jeux olympiques et paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs

Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs :

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je m'adresse à vous en ma qualité principale de délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et en ma qualité de délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop). Mes missions sont fixées par des décrets, qui prévoient que le délégué interministériel, dans le respect des compétences des préfets, a pour mission de faciliter l'animation et la coordination entre les acteurs, entre autres les administrations d'État, les collectivités locales et les comités d'organisation des grands événements sportifs, notamment internationaux.

Ma présentation s'appuie sur le rapport qui m'a été demandé par la ministre des sports et par le ministre de l'intérieur, le 30 mai dernier, à l'issue de la première réunion de travail qui s'est tenue au ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Rédigé dans les dix jours impartis, il a été remis à la Première ministre le vendredi 10 juin et publié immédiatement. L'objectif du rapport est double : premièrement, analyser les explications possibles de ces dysfonctionnements, qui ont conduit à une situation grave, très défavorable à notre réputation internationale en matière d'organisation des événements sportifs ; deuxièmement, proposer des recommandations générales d'amélioration.

Compte tenu des délais dans lesquels nous avons rédigé le rapport, ce dernier s'appuie uniquement sur les éléments qui m'ont été transmis, à ma demande, par les services chargés de la sécurité et de l'organisation de l'événement, par exemple le consortium du Stade de France. Les éléments sont parfois arrivés la veille ou l'avant-veille de la finalisation du rapport, avant que la question des enregistrements vidéo ne soit posée.

Le rapport s'intéresse à la préparation de la manifestation, au déroulement de la journée et aux conditions dans lesquelles la crise a été gérée ; ensuite, j'ai préconisé un certain nombre d'améliorations pour de grands événements internationaux, des événements de grande ampleur ou présentant des enjeux très particuliers. Le Stade de France ne constitue qu'une petite part de la mission de sécurisation et de réussite de l'organisation des jeux, que je suis chargé de coordonner en qualité de Dijop.

La préparation de la finale de la Ligue des champions a été réalisée de manière assez sérieuse. Les réunions de coordination ont été très nombreuses. J'en ai moi-même présidé trois, la dernière d'entre elles s'étant tenue le 19 mai. Une autre réunion, sur le terrain, avec les services de transport, a eu lieu le 27 mai. Ce travail de coordination entre les acteurs, assez dense et satisfaisant, a conduit à ce que la plupart des informations soient parfaitement partagées entre toutes les parties prenantes. La physionomie du public, dans les notes que nous avons reçues tant du milieu sportif que des autorités de police, n'indiquait pas de risque particulier de hooliganisme, contrairement à d'autres matchs. En revanche, ces notes indiquaient l'arrivée d'un grand nombre de supporters sans billet venus profiter de la fête et de l'événement.

Nous avons essayé, dans ces réunions préparatoires, de dimensionner correctement les moyens, en réponse à ces informations. Des zones d'accueil et de visionnage, à Paris, ou dans le parc de la Légion d'honneur à Saint-Denis, ont été créées en peu de temps. Ces zones ont complètement rempli leur rôle en matière de jauge, pendant toute la durée de l'événement, en journée comme en soirée, lors du match. Les moyens ont été également renforcés dans les transports et dans la sécurité privée. Concernant les forces de sécurité intérieure, le préfet de police a reçu 29 unités de forces mobiles, pour l'ensemble de l'événement.

Un certain nombre d'éléments sont survenus plus tardivement dans le processus de préparation. Le 19 mai dernier, l'Union européenne des associations de football (UEFA) a demandé de distribuer des billets papier plutôt que des billets électroniques - scénario de départ -, en totalité pour les billets des supporters de Liverpool et pour 40 % des supporters du Real Madrid, dans un souci de continuation et de simplification au regard des matchs précédents. S'est ajoutée la grève du RER B, qui a été notifiée dans des délais impartis. Sa prise en compte avait été préparée au plan local.

Les difficultés sont survenues au moment de l'exécution des mesures, principalement à cause d'une gestion des flux mise en défaut. Premièrement, environ 30 000 personnes supplémentaires - nombre important - sont arrivées en transports en commun ; le système de transport lui-même a été efficace. En revanche, l'orientation de ces passagers a été réalisée, au sein du système de transport, de manière trop massive vers le RER D, en raison de la grève du RER B Sud ; il n'y a pas eu de suivi fluide des arrivées, notamment pour orienter les passagers en fonction des contraintes existantes, à savoir des contrôles de préfiltrage et des contrôles aux portes du stade. Ainsi, le nombre de supporters était sensiblement plus élevé que d'habitude, de quelques dizaines de milliers.

Deuxièmement, des difficultés ont été rencontrées dans l'adaptation du système de préfiltrage et d'orientation vers ces préfiltrages ; par ailleurs, la prise en compte de phénomènes de délinquance ou de petites agressions a été lente. Ces phénomènes, constatés dès 14 heures, se sont développés au fur et à mesure que la foule s'accumulait et se sont enfin amplifiés quand le préfiltrage au niveau du cheminement du RER D a conduit à l'envahissement du parvis du stade, en amont des portes, par plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles se trouvaient des fauteurs de troubles, des voleurs à la tire et de jeunes délinquants.

En matière de gestion de crise, la première mesure, qui a consisté à laisser s'écouler le surplus de personnes au niveau du préfiltrage au débouché du tunnel sous l'autoroute A1, à l'arrivée de l'autoroute A86, a été globalement pertinente. Certes, cet embouteillage n'aurait pas dû se produire, grâce à une meilleure orientation des flux en amont. Le rétablissement de ce préfiltrage a été nécessaire et s'est effectué dans des délais raisonnables, d'environ une quinzaine de minutes. Il était difficile de faire beaucoup plus vite, vu le positionnement des forces.

La gestion de la délinquance et le rétablissement de l'ordre public au niveau du parvis ont rendu le gazage nécessaire, dans des conditions qui ne sont pas complètement satisfaisantes et qui appellent incontestablement une approche différente, notamment en ce qui concerne le positionnement des moyens humains autour des portes et la répartition entre forces de sécurité, sécurité privée et stadiers. Voilà pour le déroulé des faits.

J'en viens aux recommandations que nous pouvons en tirer.

Il est souhaitable que, pour des événements de cette ampleur, la responsabilité de l'organisation de proximité entre le consortium du Stade de France, l'UEFA, la Fédération française de football (FFF), les autorités de transport et les services de police - la préfecture de police de Paris est compétente en la matière, et non le préfet de Seine-Saint-Denis - soit validée à un niveau national, au moment de la mise en place du dispositif et quelques jours avant la fin du dispositif. Ce regard extérieur, à un haut niveau d'autorité - celui du ministère de l'intérieur, des douanes et des aéroports -, est nécessaire. J'ai proposé d'organiser une coordination nationale pour un nombre restreint de grands événements, afin de garantir cette validation.

Ce système existe déjà pour les jeux. J'ai proposé aux deux ministres de l'instituer dès le mois de juillet ou début septembre pour la Coupe du monde de rugby, qui se déclinera dans neuf sites, également en province ; nous pourrons ainsi échanger avec les préfets, qui ont tous instauré un comité local, pour disposer d'une vision d'ensemble de la question.

En matière de gestion des flux, des progrès sont possibles autour du Stade de France. L'organisation des flux doit tenir compte, à tout moment, des imprévus, en planifiant des scénarios possibles. Cela implique un travail étroit, au niveau international d'abord, grâce à des informations le plus en amont possible, en matière de renseignement, de surveillance dans les trains et dans les gares, de caractérisation du public, du niveau national jusqu'à la gestion de proximité. L'approche des transports doit être enrichie par une approche similaire en matière de gestion des points de contrôle et de préfiltrage. Ce point est très important pour les grands événements. Il s'agit aussi d'impliquer beaucoup plus systématiquement les usagers : quand il n'y a pas de risque de violences avérées ou prévisibles, il ne faut pas hésiter à renforcer l'accompagnement des spectateurs grâce à une véritable expérience spectateur. Cela consiste à instaurer une signalétique, une prise en charge dès la gare par des bénévoles identifiables facilement, en attendant de disposer de systèmes plus digitaux. Un dispositif d'accompagnement permettrait rapidement de réorienter des flux - très clairement, des voies d'entrée ont été sous-utilisées, alors que d'autres étaient surchargées, notamment celles du RER D.

La troisième recommandation porte sur le renforcement d'un concept de service d'ordre qui soit beaucoup plus flexible, réactif et partagé avec les acteurs. Cela n'a pas été réellement possible, sans doute en raison d'un délai plus court dans la préparation de ce match. Cela suppose une préparation anticipée et l'instauration de protocoles de sécurité. Nous travaillons à ces protocoles depuis janvier 2021 pour les JOP et novembre 2021 pour la Coupe du monde de rugby ; ils définissent les règles et les responsabilités de chacun, de manière structurée, pour des événements inédits.

Nous devons aussi intégrer systématiquement la prise en compte de la délinquance dans la gestion des foules nombreuses. Il s'agit de positionner systématiquement des brigades anticriminalité et des personnels en civil, qui peuvent intervenir rapidement. Les PC de site doivent plus se parler ; actuellement, au Stade de France, le système est un peu cloisonné, nous pouvons sans doute l'améliorer.

Quand il faut agir, au moyen d'instruments d'ordre public, il faut aussi privilégier, quand cela est encore possible, la prévention, en diffusant des messages par haut-parleurs ou écrans, pour sensibiliser les foules et prévenir l'escalade des tensions. Nous pouvons aussi envisager la présence de brigades montées, à l'instar d'autres pays.

Ces recommandations ne sont pas neuves, mais diversement appliquées. Du fait du confinement et de la réouverture des matchs avec des jauges sanitaires, impliquant un double contrôle, il semble nécessaire de rappeler à l'ensemble des préfets cette méthode dans une circulaire et de les aider à la mettre en place.

Le point suivant intéressera le législateur. Il existe un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) : dans la perspective des jeux, l'utilisation de l'intelligence artificielle a été envisagée au sein de ce texte pour identifier, sans aucune technique de reconnaissance faciale, des mouvements de foule et ainsi prévenir les situations d'engorgement progressif. Ce dispositif, qui permet de réagir très vite, semble justifié pour les zones où nous attendons beaucoup de monde, notamment dans le centre de Paris, entre la place de la Concorde, le Trocadéro, la tour Eiffel et l'esplanade des Invalides.

La billetterie constitue un enjeu majeur. La pratique du sport se doit d'être beaucoup plus digitale et beaucoup plus itérative entre l'usager et l'autorité. Nous pouvons, pour ces grands événements sportifs internationaux (Gesi), imposer une forme de billetterie électronique. Cela permet de réduire les risques de fraude. Cette disposition, prévue pour les jeux, est déjà instaurée pour la Coupe du monde de rugby. L'expertise de l'État en matière de billetterie électronique doit être renforcée. Les ministères des sports et de l'intérieur y semblent favorables. L'inspection générale de l'administration (IGA), dans son prochain rapport sur la sécurité, pourrait faire des recommandations en la matière.

Une billetterie interactive, beaucoup plus personnalisée, permettrait de donner des renseignements sur les accès, d'intégrer rapidement les évolutions de l'état du réseau de transport et de diffuser des informations, comme c'est le cas à Roland-Garros.

Le Stade de France présente de sérieuses contraintes, même si nous pouvons mettre à notre crédit la réussite de grands événements, jusqu'à présent. Il est souhaitable de recréer un schéma de circulation, en matière de transports en commun comme de circulation routière, en y associant le préfet du département, qui a la compétence de terrain et qui connaît les lieux, les élus, les maires, le maire de Saint-Denis, les organisateurs d'événements et le consortium du Stade de France. Des marges de progrès existent. Nous pourrions instaurer, aux abords du stade, des barrages et des sas, au service de circulations beaucoup plus fluides et organisées.

S'agissant des JOP, beaucoup de ces recommandations sont mises en oeuvre. Nous travaillons depuis plusieurs années avec l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ), le ministre de l'intérieur et le ministre des sports.

De nouvelles voies d'accès seront à disposition : la ligne 14 arrivera jusqu'à Saint-Denis-Pleyel et il sera possible d'emprunter la ligne H et la ligne 12. Des solutions complémentaires existent pour des flux de transport collectif qui seront encore plus importants, en raison des épreuves au centre aquatique olympique et des épreuves d'escalade au Bourget, qui pourront avoir lieu concomitamment : 80 000 personnes au total sont alors attendues. Il faut donc planifier, et utiliser toutes les solutions de manière réactive pendant l'événement.

Je conclus en exprimant beaucoup de regrets, parce que l'engagement de beaucoup d'acteurs, comme la FFF et les forces de police, pour préparer cet événement a été réel. Cet échec est important et il nous blesse. Le travail mis en place pour les jeux, qui sera infiniment plus compliqué, s'inscrit dans les recommandations que je vous ai présentées et qui me semblent être de nature à répondre à l'ensemble des risques et des enjeux, en matière de terrorisme, de cybersécurité, d'accès et de gestion des flux et de satisfaction des spectateurs, dans ce qui doit rester un événement festif sécurisé.

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