Intervention de Alain Christnacht

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Fabrice Leggeri ancien directeur exécutif de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex ne sera pas publié

Alain Christnacht, conseiller d'Etat honoraire :

J'ai participé, non à la discussion des accords de Matignon, mais, comme directeur de cabinet de Le Pensec, à ce qui a suivi : l'accord Oudinot, qui, au cours de l'été 1988, a mis en oeuvre les accords de Matignon, pour aboutir au projet de loi qui a été soumis à référendum.

La difficulté première de l'exercice, c'est la répartition de la population : au recensement de 2019, 41 % de personnes se sont déclarées kanaks, 24 % se sont déclarées européennes, les autres, métisses ou non, se déclarant calédoniennes par refus d'être assignées à une telle répartition.

L'espoir exprimé dès les accords de Matignon et renouvelé avec l'accord de Nouméa, c'était précisément de sortir d'un déterminisme ethnique opposant les Kanaks, pour l'indépendance, et tous les autres, contre.

Ainsi, en 1988, on avait prévu un référendum pour 1998. Mais, en 1991, Jacques Lafleur, leader des non-indépendantistes, a proposé d'y renoncer pour rechercher un accord consensuel. Cette proposition, à la fois très audacieuse et visionnaire - c'était la marque de fabrique de son auteur -, a fini par convaincre le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Dès lors, le Gouvernement lui-même a été convaincu.

On a bien avancé sur les voies d'un accord consensuel sous le gouvernement de M. Juppé, avant d'achopper sur la question du nickel. Le gouvernement de M. Jospin a résolu le préalable minier, puis a participé à l'accouchement de cet accord, qui, comme l'a dit M. Jospin à Nouméa lors de sa signature, s'inscrit dans les pas des accords de Matignon.

À cet égard, les corps électoraux distincts du corps électoral général ont toute leur importance. Il existe en effet un corps électoral restreint pour les élections provinciales et donc pour l'élection du Congrès.

Au départ, cette idée figure dans les accords de Matignon. En vertu du point n° 6 du texte n ° 2, « les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du Territoire. Ils seront donc seuls à participer, jusqu'en 1998, aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination ».

Cette disposition n'a pas été mise en oeuvre : lors de la discussion de l'accord Oudinot, elle a été jugée contraire aux principes constitutionnels. Toujours est-il qu'elle figurait explicitement dans les accords de Matignon.

Voilà pourquoi, lorsque la négociation de l'accord de Nouméa s'est engagée, le principe de restreindre le corps électoral pour les élections locales a été validé sans difficulté. Restait à savoir si ce corps électoral « glisserait » ou non : je ne reviens pas sur ce point, parfaitement connu de vous.

J'ajoute que la raison invoquée a toute son importance : il s'agit des scrutins qui sont qualifiés juridiquement comme ceux qui « détermineront » l'avenir du Territoire. Cette disposition est donc liée dès le départ à l'autodétermination. Ce point me paraît essentiel.

En 1998, cette restriction du corps électoral pour les élections provinciales a été liée à un nouveau concept : celui de citoyenneté, qui, lui, n'était pas directement lié à l'autodétermination. On estimait à ce titre qu'au-delà des délais légaux imposés au corps électoral national, un certain laps de temps était nécessaire pour comprendre les particularités calédoniennes.

Au terme des trois référendums, le pari initial - à savoir sortir à terme du clivage ethnique - n'a pas vraiment été tenu, même si, quand on analyse les motivations de vote, comme l'ont fait certains groupes d'universitaires, on constate la variété de motivations du vote indépendantiste, qu'il s'agisse du type d'indépendance, du lien avec la France ou, surtout, du corps de citoyens appelé à participer au nouvel État.

Les trois référendums ayant eu lieu, l'accord de Nouméa est révolu. Mais, juridiquement, la situation de l'accord de Nouméa est plus compliquée. Certains juristes soutiennent que les dispositions du titre XIII de la Constitution, fondements d'autres dispositions de la loi organique, ne peuvent disparaître de ce simple fait. À leurs yeux, il faut une révision constitutionnelle pour modifier ce titre ou le supprimer, afin que la Nouvelle-Calédonie rentre dans le droit commun de l'outre-mer.

Le Gouvernement avait sollicité le Conseil d'État sur ce point controversé, avant de retirer sa demande d'avis...

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