Intervention de Alain Christnacht

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juin 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Fabrice Leggeri ancien directeur exécutif de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex ne sera pas publié

Alain Christnacht, conseiller d'Etat honoraire :

Évidemment, compte tenu de la date de sa remise, cet avis aurait pu interférer avec les débats électoraux.

On annonce à présent un référendum dit « de projet » que l'accord de Nouméa ne prévoyait bien sûr pas. On parle également d'un référendum institutionnel pour Mayotte.

Conscient de la situation, le précédent ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, avait en tête l'hypothèse d'une révision constitutionnelle pour soumettre un référendum de projet à un corps électoral restreint, qui ne serait peut-être pas celui de l'accord de Nouméa, mais qui ne serait pas en tout cas le corps électoral général. En effet, il ne sera pas facile de convaincre les indépendantistes, selon qui le troisième référendum n'a pas vraiment eu lieu, sinon juridiquement, du moins politiquement, de participer à une négociation portant sur le référendum « de projet » ; si ce référendum est présenté au corps électoral général, on se heurtera d'emblée à un blocage.

On revient donc à cette question : la fin de l'accord de Nouméa exige-t-elle une révision constitutionnelle explicite ? A titre d'exemple, le préambule de l'accord mentionnait le peuple kanak. Or la Constitution ne reconnaît pas de peuple corse ; elle ne reconnaît pas non plus de peuple kanak. Sans base constitutionnelle, le concept de peuple kanak disparaîtrait, alors même qu'il est maintenant admis par tous ; ce serait fâcheux.

Certains acquis des accords de Matignon et de Nouméa restent, cependant, bien ancrés dans la population. Je pense à l'institution provinciale, même si, bien sûr, on ne peut pas aller jusqu'à lui transférer tous les pouvoirs. Je pense à la notion de citoyenneté elle-même, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un corps électoral totalement figé. À ce titre, les obstacles juridiques sont en partie solubles, même au plan conventionnel - je vous renvoie à l'arrêt Polacco et Garofalo c/ Italie de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de 1997. De plus, même si la clef de répartition créée en 1988 et maintenue, l'idée de 1998 a un peu vieilli selon certains et l'idée de rééquilibrage reste présente.

Telle est, selon moi, la base sur laquelle il faut s'appuyer : un préambule, une charte des valeurs reconnaissant l'histoire, ses ombres et ses lumières, ainsi que le peuple kanak ; une certaine forme de citoyenneté ; et la nécessité d'un rééquilibrage pour mieux partager les fruits d'une économie très cyclique, car liée au nickel.

Le dernier point difficile de ces discussions, si elles peuvent s'engager, c'est l'exercice du droit à l'autodétermination.

En juin 2021, au cours de discussions auxquelles participaient certains indépendantistes, notamment ceux de l'Union calédonienne, le principe du droit à l'autodétermination a été rappelé. Bien sûr, le moment de son exercice posera difficulté. Il n'est pas envisageable de déclencher un quatrième, un cinquième référendum avec le seul tiers de voix que les indépendantistes détiennent nécessairement au Congrès.

Plus fondamentalement, beaucoup considèrent qu'il faut se garder de fixer de nouvelles dates pour l'autodétermination, même à horizon de quarante ans, notamment du fait des difficultés économiques du territoire. On peut imaginer des mécanismes d'autodétermination sans date fixe, ce qui ne serait évidemment pas sans difficulté.

J'y insiste, le sujet est lié à l'éventuelle restriction du corps électoral pour les élections provinciales : déconnectée du référendum d'autodétermination, une telle restriction n'est plus réellement justifiée.

Enfin, si l'on a proposé la date de 2023 pour le référendum de projet, c'est parce que le renouvellement du Congrès aura lieu en 2024. Il faudra décider au préalable la composition du corps électoral : on revient donc une nouvelle fois à la question constitutionnelle. Or le précédent gouvernement entendait bien qu'une révision constitutionnelle mette clairement fin à l'accord de Nouméa, donc au corps électoral très restreint et non glissant pour les élections provinciales et au Congrès, et pose les soubassements d'un autre corps électoral, applicable dès 2024.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion