Intervention de Bruno Belin

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 juin 2022 à 9h30
« sécurité des ponts droit de suite au rapport d'information de la commission de 2019 » — Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs

Photo de Bruno BelinBruno Belin, rapporteur :

J'ai le plaisir de vous présenter les conclusions du travail sur la sécurité des ponts que vous avez bien voulu me confier et qui vise à tirer un bilan de la mise en oeuvre du rapport de notre commission sur ce sujet, adopté en 2019.

Notre président de séance l'a rappelé, ce rapport Sécurité des ponts : éviter un drame de 2019 avait été élaboré dans le cadre d'une mission d'information, présidée par Hervé Maurey, et dont les rapporteurs étaient Patrick Chaize et Michel Dagbert.

Après l'effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018 et vingt ans après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, il était indispensable de s'intéresser à ce sujet, dans un double objectif de protection des usagers et de préservation de notre patrimoine d'ouvrages d'art. Le rapport de notre commission a permis de mettre en évidence un certain nombre de constats.

En premier lieu, nous sommes incapables de connaître à ce jour le nombre exact de ponts routiers en France. Nous ne disposons que d'une fourchette : la commission a estimé qu'il existait entre 200 000 à 250 000 ouvrages. Tout cela n'est pas de nature à nous satisfaire tant la responsabilité est forte eu égard à la sécurité de nos concitoyens utilisateurs de ces ouvrages. D'après les travaux de 2019, 90 % des ponts relèvent de la propriété des collectivités territoriales, mais certains ouvrages sont orphelins : on ignore tout de leurs propriétaires...

En deuxième lieu, la commission a montré que l'état de ce patrimoine est particulièrement préoccupant. Au moins 25 000 ponts sont en mauvais état structurel. À titre d'exemple, elle a estimé qu'environ 5,8 % des ponts départementaux sont en mauvais état.

Troisième constat, nos ponts souffrent d'un sous-investissement chronique depuis dix ans en raison de transferts ou de carences budgétaires, avec une réglementation imparfaite et une disparition de compétences.

Si l'État dispose d'un cadre réglementaire adapté pour ses ouvrages, avec l'instruction technique pour la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art (Itseoa) depuis 1979 et la méthodologie « image de la qualité des ouvrages d'art » (IQOA), prescrivant des évaluations à effectuer tous les trois ans, aucune réglementation technique unifiée de ce type n'existe pour les ouvrages des collectivités territoriales.

Pour répondre à ces enjeux, notre commission avait formulé un certain nombre de propositions.

Premièrement, nous avions demandé la mise en place d'un « plan Marshall », visant à porter à 120 millions d'euros par an dès 2020, contre 45 millions d'euros en moyenne précédemment, les moyens consacrés par l'État à l'entretien de ses ouvrages et de créer un fonds d'aide aux collectivités de 130 millions d'euros par an pendant dix ans pour diagnostiquer et réparer leurs ponts.

Deuxièmement, le rapport de 2019 préconisait de sortir d'une culture de l'urgence au profit d'une gestion patrimoniale des ponts, en créant des outils pour améliorer la connaissance de l'état des ponts et leur suivi. L'objectif est de ne pas s'intéresser aux ponts qu'une fois qu'ils atteignent un niveau de dégradation préoccupant, comme on a pu le voir récemment sur l'île de Ré.

Troisièmement, le rapport proposait d'apporter une offre d'ingénierie aux collectivités. Nombre de ponts relèvent des territoires ruraux, dont les services techniques disposent de peu de moyens.

Trois ans après ce rapport, la situation toujours préoccupante de nos ouvrages d'art, nous amène à formuler sept propositions complémentaires que je vous propose d'adopter sur ce sujet. Je précise que ces propositions ont vocation à s'intégrer dans une proposition de loi. Il en va de la sécurité de nos concitoyens.

Dans les faits, quatre de ces sept propositions constituent la réitération de propositions déjà formulées en 2019, et qui n'ont, pour l'instant, trouvé aucun écho.

Première proposition, face au « mur d'investissements » qui s'annonce, nous avons besoin d'identifier un acteur de référence et d'agir dans la durée. C'est pourquoi je vous propose de conforter le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) dans la conduite du « programme national ponts ».

La deuxième proposition constitue une réitération de la demande de création d'un fonds pour les collectivités territoriales, doté de 130 millions d'euros par an et de 350 millions nets dès 2023, pour rattraper l'écart entre les financements inscrits en lois de finances et les estimations du Sénat. Vous le savez, les maires n'ont souvent d'autres solutions que de recourir à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou d'aller chercher des bouts de subventions au niveau des départements. Or toutes ces enveloppes sont plafonnées : comment alors s'attaquer à des ouvrages structurants s'il s'agit de viaducs, d'anciennes lignes SNCF ou de ponts séculaires ?

Troisième proposition, nous voulons réitérer la demande de porter à 120 millions d'euros par an en rythme de croisière les moyens mis par l'État pour l'entretien de ses ponts et augmenter cette enveloppe de 89 millions d'euros supplémentaires dès 2023 pour rattraper le retard accumulé depuis 2020.

Quatrième proposition, il s'agit de réitérer la demande de constituer un système d'information géographique national unique à horizon de 2025 permettant de recenser l'ensemble des ouvrages d'art de France et d'orienter le trafic des poids lourds, le cas échéant, à partir des applications GPS.

Cinquième proposition, nous voulons intégrer dans la section « investissement » des budgets locaux toutes les dépenses relatives à la maintenance et à la réparation des ponts, pendant une période de dix ans afin d'inciter les collectivités à investir.

Sixième proposition, je vous propose de « passer un cap législatif » pour nos ouvrages d'art, en posant le principe d'une obligation de déclaration de la propriété d'un ouvrage d'art pour l'ensemble des personnes publiques propriétaires, sur une plateforme dédiée. L'objectif est de disposer enfin d'un chiffrage exact du nombre de ponts et d'établir une véritable « carte d'identité » pour chaque ouvrage d'art. Il s'agit d'instaurer une obligation de déclaration de propriété, avec un suivi. Cela aura un coût : c'est pour cela que nous avons besoin de moyens dédiés. Au niveau législatif, nous pourrions également poser l'obligation pour tout pont de disposer d'un « carnet de santé ».

La septième et dernière proposition que je vous soumets consiste à remettre à niveau notre expertise et nos compétences publiques en matière de gestion des ouvrages d'art. Il s'agirait de faire des bilans de compétences dans les services de l'État et des collectivités, et de nouer des partenariats académiques pour former une génération d'ingénieurs capables de relever ce défi.

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