Nous voici réunis pour une table ronde sur la prévention des mégafeux et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque d'incendie. La mise en place de cette mission a été décidée par le bureau de notre commission le 16 février dernier ; nous avions alors décidé d'y associer la commission des affaires économiques, compétente en matière de forêt. Le 10 mai dernier, nos deux commissions ont désigné MM. Jean Bacci et Pascal Martin, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Olivier Rietmann rapporteurs de cette mission d'information. Je remercie Mme la présidente Sophie Primas pour cette collaboration, qui nous permettra d'enrichir notre travail.
Nous ne partons pas de zéro : un rapport flash sur la prévention des incendies de forêt et de végétation a été publié en début d'année par nos collègues de l'Assemblée nationale. Deux rapports sénatoriaux, adoptés en 2019 et en 2021, ont également traité de la lutte contre les incendies.
Mais l'originalité de notre mission de contrôle tient dans l'angle choisi : analyser nos politiques publiques à l'aune du risque grandissant induit par le changement climatique. Le changement climatique, combiné à la déprise agricole et à l'urbanisation croissante, expose en effet le territoire national à une augmentation du risque d'incendie, notamment de forêts. Les feux, historiquement contenus en France et concentrés dans le sud du pays, pourraient se diffuser au nord ; leur ampleur et leur intensité pourraient s'accroître, au point de faire craindre l'arrivée en France de mégafeux, incendies extrêmes particulièrement difficiles à maîtriser comme l'ont récemment expérimenté l'Australie ou les États-Unis. Cette menace nous a notamment été rappelée par les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dont des représentants seront à nouveau entendus par notre commission à la fin du mois.
L'objectif de notre mission est clair : formuler des propositions pour adapter notre stratégie de prévention du risque d'incendie au contexte du changement climatique, et faire évoluer le comportement des usagers et les pratiques des professionnels face à cette menace grandissante.
Pour mener à bien cette mission, les rapporteurs mènent un large cycle d'auditions et se rendront, le 11 juillet prochain, dans la plaine des Maures, un an après l'incendie particulièrement dévastateur ayant touché le massif.
J'ajouterai seulement à ce que vient de dire Jean-François Longeot que l'objectif de nos quatre rapporteurs est d'aboutir, le cas échéant, à une proposition de loi, qui pourrait être déposée dès la rentrée. C'est la raison pour laquelle nous serons très attentifs aux propositions d'améliorations concrètes de notre stratégie de prévention du risque d'incendies de forêt.
Les causes des feux sont multiples, et les forêts sont des écosystèmes complexes, imbriqués dans des espaces naturels, agricoles et urbains ; ainsi, trois personnes ne nous ont pas paru de trop pour nous éclairer ce matin. Nous avons souhaité convier des profils complémentaires, car sur un tel sujet il est essentiel de croiser les approches - c'est d'ailleurs pour cette raison que nos deux commissions unissent leurs capacités d'analyse.
Monsieur François Pimont, vous êtes chercheur spécialisé en écologie des forêts méditerranéennes à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Vos travaux portent sur la modélisation de la propagation des feux de forêt en fonction des flux d'énergie et de l'hétérogénéité de la végétation. Vous nous aiderez à répondre à la question, non encore tranchée, de savoir si des mégafeux pourraient advenir en France à moyen ou long terme.
Monsieur Christian Pinaudeau, vous êtes sylviculteur, représentant d'une vision productive de la forêt - ce n'est pas un gros mot dans ma bouche ! Vous avez été pendant quarante ans secrétaire général du syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, implanté dans le massif des Landes de Gascogne, caractérisé par la monoculture du pin maritime. Aussi avez-vous développé une expertise de terrain, dont vous avez tiré un livre, Échec aux feux de forêt, dans lequel vous soulignez le rôle de la gestion sylvicole dans la politique de défense des forêts contre l'incendie (DFCI).
Monsieur Grégory Allione, vous présidez la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et représentez, à ce titre, le dernier maillon de la chaîne, vital, celui de la lutte contre l'incendie. La prise en charge précoce des départs de feux par les pompiers explique en partie que l'on compte deux fois moins de surfaces brûlées en France qu'il y a cinquante ans, et quatre fois moins qu'au Portugal, en Espagne ou en Italie. Il faut toutefois veiller à la bonne articulation de la lutte contre l'incendie avec la prévention du risque qui nous préoccupe dans le cadre de ces travaux.
L'état de nos forêts se dégrade, vous le savez. À cet égard, je vous poserai une unique question, très ouverte : comment, face à la montée et à la mutation des risques d'incendie, améliorer notre stratégie de prévention ?
Je travaille depuis une vingtaine d'années sur les incendies de forêt. J'ai commencé ma carrière en étudiant le comportement du feu, c'est-à-dire sa vitesse de propagation et sa puissance en fonction de différents facteurs : météo, topographie, caractéristiques du combustible forestier. Mes travaux ont porté en particulier sur l'impact des traitements réalisés sur la végétation pour réduire les activités de feux ; les obligations légales de débroussaillement (OLD), notamment, sont un facteur clé pour réduire les sollicitations thermiques - flux radiatifs et convectifs - dans le voisinage des bâtiments à défendre.
Nos travaux montrent que la distance légale de 50 mètres n'est pas de trop pour permettre aux personnels de lutte d'intervenir en toute sécurité, compte tenu des puissances de feu enregistrées en fonction de la quantité de combustible. Nous avons testé plusieurs distances et modélisé leurs effets respectifs sur la réduction des flux : 10 mètres, 30 mètres et 50 mètres. Ce n'est qu'à partir de 50 mètres que l'on obtient, dans des conditions de propagation sévères, la diminution nécessaire des flux radiatifs et convectifs. La mise en oeuvre des OLD, aujourd'hui insuffisante, constitue donc une priorité.
Plus récemment, nous avons orienté nos recherches vers les activités de feu, c'est-à-dire le rapport entre nombre d'incendies et surfaces brûlées, d'une part, et facteurs météorologiques, d'autre part. Nous intégrons à nos modèles des indices de danger météorologiques régionaux et des facteurs locaux - empreinte agricole, densité routière - afin de déterminer leur influence sur la probabilité que des feux « échappent », c'est-à-dire dépassent le seuil critique d'un hectare, puis des seuils successifs, 10 hectares, 100 hectares, 1000 hectares.
Ce type d'approche nous permet d'analyser rétrospectivement l'évolution des activités de feux au cours des dernières décennies. Dans un contexte où les indices de danger climatique ont augmenté de 20 % environ, dont au moins la moitié est scientifiquement imputable au changement climatique, une diminution très importante des activités de feux a pourtant été constatée ces trente dernières années. Elle a eu lieu en deux temps : d'abord dans les années 1990, puis immédiatement après la crise de 2003. Nous démontrons qu'elle est exclusivement liée à la division par deux du nombre de feux d'un hectare permise par les efforts de prévention et de suppression, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile ayant mis au coeur du dispositif la stratégie d'attaque rapide des feux naissants. En revanche, nous n'avons pas constaté d'amélioration quant à notre capacité à éviter que des feux déjà partis deviennent très grands.
Cette transition, autour de la crise de 2003, a conduit à une baisse considérable du nombre de feux, mais peu de progrès ont été réalisés par la suite à niveau de danger équivalent, même concernant les feux naissants. Cela signifie qu'il ne sera pas aisé de continuer à améliorer ces résultats, qui sont d'ailleurs très contrastés entre l'est de la vallée du Rhône, où l'amélioration a été très importante, et l'ouest, où la situation s'est plutôt dégradée à niveau de danger équivalent. Notre interprétation du phénomène, qui ne vaut pas démonstration, est que la DFCI a pu rencontrer des difficultés à encaisser cette augmentation du danger climatique dans la partie ouest du bassin, qui, historiquement, avait connu moins de grands feux que la partie est.
Ni la déprise agricole ni l'augmentation de la surface forestière sur l'ensemble de la zone, dont nous avons testé l'influence, n'apparaissent pour le moment parmi les facteurs explicatifs de ces changements, même s'ils ont pu augmenter la probabilité de petits feux dans l'ouest du bassin.
Je résume : d'un côté, le changement climatique explique l'augmentation du nombre de feux, et, de l'autre, la prévention et la lutte ont permis des gains globaux, en particulier après 2003 sur les petits feux.
L'autre volet de nos travaux consiste à réaliser des projections climatiques.
Nous avons reçu une commande en ce sens, de la part des trois ministères concernés, dans le cadre de l'actualisation du rapport Chatry. Quelques mots, tout d'abord, sur l'augmentation générale attendue : en 2050, on attend une augmentation des surfaces brûlées au sein de la zone sud-est d'environ 80 %. Le chiffre attendu à la fin du siècle, quant à lui, dépend énormément de ce qui se passera à l'échelle globale en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Dans le scénario pessimiste, les activités de feux seraient triplées, quand le scénario intermédiaire de réduction des émissions, dit RCP 4.5, permettrait, s'il se réalisait, de les maintenir à 80 % après 2050.
En conséquence, la zone à risque, qui couvre environ 30 % de la zone sud-est aujourd'hui, s'étendrait à 50 % en 2050, puis jusqu'aux deux tiers à la fin du siècle. Cette expansion spatiale, considérable, peut sembler spectaculaire, mais deux tiers des nouvelles activités de feu auraient lieu dans la zone à risque historique, par intensification. Si des adaptations de la prévention et de la lutte seront bel et bien nécessaires dans des territoires actuellement peu exposés à ce risque, l'expansion, contenue par des franges de montagne, devrait se faire à la marge et non sur des centaines de kilomètres.
Se profile surtout un allongement considérable de la haute saison dans les zones où le risque existe déjà : concentrée aujourd'hui du 15 juillet au 24 août, elle irait désormais du 15 juin au 15 septembre, soit un quasi triplement. Là encore, le gros des activités sera attendu dans le coeur de la saison historique, ce qui exigera des interventions simultanées beaucoup plus nombreuses et plus intenses, entraînant usure et fatigue chez les professionnels.
Au-delà de mon rôle au sein de la FNSPF, qui m'a valu d'être invité aujourd'hui, je tiens à préciser que j'ai connu les feux de 1990, 2003 et 2016, que j'ai réalisé plusieurs missions en renfort sur le territoire national, notamment à La Réunion, ainsi qu'en Australie en janvier 2020.
Les perspectives tracées par François Pimont sont éloquentes. L'expansion du risque sur le territoire national aura des conséquences sur la sollicitation des personnels. Depuis que s'applique le principe de solidarité introduit par la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004, il est devenu habituel que les pompiers du nord de la France viennent aider ceux du Sud pour lutter contre les feux.
Je plaide pour que l'on arrête de parler de « saison des feux » : en tant que directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Bouches-du-Rhône, je peux vous dire que nous intervenons sur des départs de feux depuis le mois de janvier. Autrement dit, malgré une intensité particulière sur certains créneaux, la saison des feux, c'est du 1er janvier au 31 décembre, car la sécheresse est chronique !
Depuis 2019-2020, le dérèglement climatique, nous le vivons au quotidien. Avant-hier, je me trouvais dans le Gard pour des feux qui dépassent l'entendement - 10, 20, puis très rapidement 100 hectares -, malgré un faible vent. Ces feux ne sont pas « à taille humaine », leur intensité est telle qu'en l'absence de végétation entre la forêt et les éléments de lutte il est tout simplement impossible d'aller au contact. La puissance dont nous parlons se mesure en mégawatts : ce sont des centrales nucléaires qui se déplacent.
Au-delà du constat, je vous proposerai quatre axes de réflexion en vue de nourrir un éventuel texte législatif.
Premier axe : il faut un renforcement du soutien de l'État à l'investissement des SDIS, aujourd'hui assumé en très grande partie par les collectivités, hormis quelques subventions de l'Etat et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). La loi de 2004, qui a instauré le principe de solidarité « Nord-Sud », l'avait assorti du Fonds d'aide à l'investissement des SDIS, permettant aux départements de former le personnel concerné. Ce fonds, doté de plus de 300 millions d'euros entre 2004 et 2012, a fondu à 32 millions en 2016, puis à 7 millions aujourd'hui, orientés sur le seul projet NexSIS, logiciel d'alerte commun à tous les SDIS.
L'État doit faire bien davantage pour accompagner les collectivités, notamment en finançant les aménagements de défense extérieure contre l'incendie (DECI) pour l'accès à l'eau, ainsi que les aménagements de DFCI.
Je vous livre au passage deux observations. Lorsqu'un SDIS achète un véhicule pour commander la lutte contre les feux de forêt, mais ne contenant pas d'eau, il doit payer un malus qui augmente le prix de presque 50 %. De même, lorsque nos camions partent en opération, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) s'applique aux carburants utilisés, quand d'autres, parce qu'ils partent à la guerre, en sont exemptés. Voilà des pistes pour substituer des baisses de charges aux subventions, en déclin, dont dépendent les collectivités.
Deuxième axe : l'accroissement des moyens aériens de la sécurité civile. Il est prévu que le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) intègre un volet consacré à la sécurité civile ; c'est une première dans l'histoire de notre pays. On y trouve des éléments très intéressants, qu'il s'agira probablement de renforcer par voie d'amendement. Je veux croire à une prise de conscience.
Notre flotte - hélicoptères, avions bombardiers d'eau - est actuellement dotée pour couvrir une zone de risque déterminée. Or l'intensification des feux et leur déplacement sur le territoire national, voire au-delà, vont rompre le contrat opérationnel. Nous devons augmenter nos capacités, notamment en acquérant des hélicoptères bombardiers lourds, car un Canadair, utile sur la frange côtière, ne l'est pas en Bourgogne-Franche-Comté... Il serait par ailleurs intéressant de travailler au niveau européen afin de mutualiser les moyens. Les sapeurs-pompiers français sont par exemple partis en renfort en Suède. Le Groenland brûle, la Norvège brûle ; tout le continent est désormais touché.
Il est par ailleurs indispensable de moderniser nos infrastructures, à commencer par les logiciels -- je pense en particulier à NexSIS et au Réseau radio du futur. Je vais vous donner un exemple pour bien comprendre l'utilité de ces outils : si un camion de pompiers arrive du Vaucluse pour intervenir en curatif dans les Bouches-du-Rhône, il n'est pas géoréférencé dans le logiciel opérationnel du département ; il est alors impossible de le secourir s'il est piégé par le feu. Ces nouveaux outils le permettront et éviteront des drames.
Je pense également au dispositif FR-Alert, car la population a un rôle à jouer. En Australie, il existe des applications pour informer la population sur la situation des feux et des voies de communication en temps réel en cas d'incendies.
Troisième élément sur lequel je souhaite insister : en France, lorsqu'il faut réunir des financements, le réflexe est de solliciter les fonds publics, ceux des collectivités notamment. Nous avons modélisé, avec l'École d'économie de Toulouse et AgroParisTech, la valeur économique du « sauvé ». L'action des sapeurs-pompiers préserve en effet des vies, mais aussi le patrimoine forestier et l'activité économique. Dans le seul département des Bouches-du-Rhône, en 2019, la lutte contre 202 feux de forêt a permis de préserver une valeur de 1,4 milliard d'euros ; dans l'Hérault, la valeur « sauvée » était de 367 millions d'euros en 2021. De ce point de vue, le monde assurantiel a certainement un rôle à jouer, ce qui n'est pas sans lien avec le sujet des OLD.
Quatrième axe : le positionnement des sapeurs-pompiers dans la gestion de la sécurité civile. Nous sommes en pleine canicule : précisément, on ne parle des sapeurs-pompiers qu'en cas de catastrophe. C'est une politique en dessous des radars au quotidien. Dorénavant, toutes nos politiques publiques font une place à l'écologie, y compris lorsqu'une collectivité passe un marché, et il existe un ministère de l'écologie de plein exercice. Il s'agirait probablement de faire de même pour la sécurité civile. La Grèce, qui a subi des drames ces dernières années, l'a fait en créant un ministère de la protection civile et de la gestion des situations d'urgence.
Cette politique doit aussi impliquer la population dans la lutte contre les feux. Quant à doter la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises d'une véritable « direction métiers », je laisserai le sénateur Pascal Martin, en tant qu'ancien officier de sapeurs-pompiers, vous en dire plus. Nous gagnerions, en outre, à ce que l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers devienne un véritable institut national de sécurité civile : il faut former nos décideurs, préfets, maires, etc., à la gestion du risque et à la gestion opérationnelle.
Il faut une véritable politique des ressources humaines. J'ai évoqué une rupture du contrat opérationnel sur le matériel, mais il faut aussi évoquer, à la suite de notre collègue chercheur, la fatigue des personnels. Lorsque vous luttez contre les feux de forêt, une force civile intervient : les 196 000 sapeurs-pompiers volontaires. Leur nombre est constant depuis au moins vingt ans, alors que les sollicitations augmentent. Actuellement, la crise des urgences conduit à oublier totalement cette force essentielle au quotidien ; la mission flash actuellement menée sur ce sujet se concentre sur les personnels médicaux, alors que les sapeurs-pompiers contribuent également à répondre aux urgences médicales. Or ces mêmes pompiers répondent dans le même temps aux sollicitations qui sont au coeur de leur métier, à savoir canicule et feux de forêt.
Il est nécessaire aussi de renforcer les sapeurs-pompiers volontaires. C'est l'épine dorsale de la sécurité civile. D'ici à 2027, fixons-nous l'objectif de 250 000 volontaires. En Autriche, sur 9 millions d'habitants, on compte 242 000 sapeurs-pompiers volontaires ; en Pologne, pour 38 millions d'habitants, ils sont 260 000 - même s'ils n'ont pas tous les mêmes missions que les nôtres.
Il faut préserver cette force essentielle, faire en sorte que l'Europe considère l'engagement citoyen comme une véritable force. Nous attendons toujours la directive européenne sur ce sujet, même si, récemment, une motion du Conseil européen appelle à protéger l'engagement citoyen.
Ceux que l'on appelait les soldats du feu sont, par le biais des secours apportés en urgence aux personnes, les soldats de la vie : ce sont les mêmes qui, en ce moment, sont les soldats du climat.
L'expression de « mégafeux » est issue de la presse. Elle ne correspond à aucune définition scientifique. Les mégafeux seraient compris entre 1 000 et 10 000 hectares, ce qui voudrait dire, comme le disait le président de la FNSPF, que ces « mégafeux », en France, ont toujours existé. Quand on entend ce terme, on pense d'abord aux grands feux de Sibérie, du Québec ou des États-Unis parce qu'ils sont devenus totalement incontrôlables. Aucun moyen humain ne peut les arrêter : il n'y a plus qu'à prier. Seuls une pluie très forte, un fleuve, une montagne ou l'océan peuvent les arrêter.
Les mégafeux ne sont pas le vrai sujet. L'enjeu est de savoir comment éviter les risques, ou, en tout cas, les réduire, dans une approche préventive.
La politique de sécurité civile est fondée depuis longtemps sur un triptyque, quels que soient les secteurs : dans l'ordre hiérarchique, la prévention est première, puis vient la prévision et, enfin, la lutte. Le rapport flash de l'Assemblée nationale indique : « il est évident que le bon fonctionnement de la lutte contre les incendies dépend fortement de leur prévention. » La multiplication des moyens de lutte n'est pas la solution - nous le saurions, sinon, depuis longtemps. Il s'agit d'une solution très coûteuse ; les moyens ne sont pas infinis. La prévention et la prévision sont faiblement développées en milieu forestier, voire ne le sont pas du tout ; étant à la retraite, mes affirmations ne coûteront rien à ma carrière.
Certains constats sont partagés par tous les acteurs de la lutte contre les incendies. Seule la foudre est une cause naturelle : l'homme, directement ou non, est derrière tous les autres départs de feux. Le grand incendie en Sibérie, toujours pas éteint, provient d'une rupture de câble électrique. Près de 95 % des feux sont d'origine anthropique. Le réchauffement climatique, indiscutable, conduit à une augmentation des risques ; une autre cause est la densification démographique. Pour le dire simplement, le feu suit l'homme. Cette extension des risques est cartographiée, depuis le rapport Chatry de 2010 : à échéance 2030 et 2060, on sait, globalement, quelles zones seront menacées. Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas au courant.
Les solutions techniques, également, sont connues. Elles reposent sur une politique de prévention systématique à l'échelle de chaque massif forestier. À l'exception de la forêt de Gascogne, il n'y a pas de politique de prévention systématique dans les autres régions, seulement quelques expériences. Pourquoi ? La forêt, comme les pompiers, est invisible : on la voit seulement quand elle tombe ou qu'elle brûle. Entretemps, il ne se passe rien.
Le coeur du sujet est d'ordre politique, et non technique, car les solutions opérationnelles existent déjà. Le danger de l'expression « mégafeux » se trouve précisément dans cette espèce de connotation qui conduit à penser que le phénomène est inévitable, naturel, et donc que nous ne pouvons rien, si ce n'est fuir. Cela fournit un dangereux alibi supplémentaire pour ne rien décider politiquement. Étant donné le contexte actuel, la protection de la forêt devrait être une priorité nationale : cela n'est pas encore le cas.
Ce contexte est connu : réchauffement climatique, augmentation des populations, en particulier dans certaines zones en période estivale... De fait, l'intensification du risque suit les migrations de populations. Dans le Sud-Ouest, nous avons développé une technologie de géolocalisation des départs de feux : la corrélation est absolument parfaite avec la carte des infrastructures, que ce soient les routes, les autoroutes, les lignes de chemin de fer ou les lotissements.
Il faudrait engager la responsabilité de ceux qui veulent laisser faire la nature en forêt.
Une politique de prévention systématique est tout à fait possible : les modèles existent et sont opérationnels ; une décision politique suffit à les engager.
Toutes les conditions pour leur mise en oeuvre sont connues.
La première est l'application des textes. Nous avons un arsenal juridique complet. J'ai cru entendre que vous vouliez préparer une proposition de loi...
Tous les pays envient notre arsenal juridique en matière de lutte contre les incendies de forêt... sauf qu'il n'est pas appliqué. La loi spécifie qu'une fois une forêt classée, les préfets doivent mettre en place des associations syndicales autorisées (ASA). Les forêts sont classées depuis cinquante ans : dans le Sud-Ouest, les ASA ont été mises en place avant même cette loi ; dans le Sud-Est, ce n'est toujours pas le cas : aucun préfet ni aucun directeur de l'agriculture et de la forêt ou des territoires n'a'engagé ce processus. Il ne faut donc pas s'étonner des conséquences.
Une deuxième priorité est de définir ce qu'est la prévention en milieu forestier. Tout le monde en parle, mais personne ne parle de la même chose. La prévention consisterait à distribuer des dépliants aux rencontres avec les élèves... Pour nous, forestiers, la véritable prévention se passe sur le terrain : développement de points d'eau, de pistes d'accès pour les sapeurs-pompiers... À partir du moment où cette définition de la prévention est resserrée, nous pouvons organiser un quadrillage en conséquence, suivant la géolocalisation des départs de feu.
Troisièmement, il faut constituer un interlocuteur responsable. Dans le Sud-Ouest, dans chaque commune, il y a une ASA de DFCI, dirigée et présidée par les propriétaires forestiers. Ils sont responsables de ce qu'ils font et ils la financent. Voilà ce que j'entends par constituer localement un interlocuteur responsable. Certes, d'autres personnes s'occupent localement du risque d'incendie. Le maire, en particulier, responsable dans sa commune de la sécurité des biens et personnes, est confronté à tous les événements locaux, ce qui n'est pas une sinécure. Des bénévoles peuvent s'occuper de ce risque, mais sans interlocuteur responsable en forêt, il ne se passera rien. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2000, dans le Sud-Est, environ 30 % environ des pistes financées par des fonds publics avaient disparu, chiffre en deçà de la réalité.
Enfin, je vous transmettrai un dossier formulant des propositions de financement.
La prévention des feux non contrôlés, qu'on a qualifiés peut-être injustement de « mégafeux », et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, dans le contexte du réchauffement climatique, sont un sujet majeur qui dépasse largement la période estivale.
Ce que nous avons entendu depuis le début des auditions que nous menons est particulièrement inquiétant. Comme l'ont notamment rappelé les rapports du GIEC avec le réchauffement climatique, les conditions deviennent davantage propices aux feux de forêt et de végétation sur l'ensemble du territoire national métropolitain, ainsi qu'à une intensification et une augmentation de l'ampleur de ces feux, lesquels ont un impact sur la qualité de l'air et la capacité de la forêt à stocker le carbone. Cela affaiblit nos plans de réduction et d'absorption des gaz à effet de serre, au moment où notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC) nous engage dans des efforts budgétaires considérables.
Pour faire face à cette terrible menace, nous disposons d'un bouclier exceptionnel, celui des forces de sécurité civile, dont le travail remarquable sert d'exemple à nos voisins européens et à nos partenaires internationaux. Ce bouclier très puissant nous permet d'agir selon la doctrine française, fondée sur une attaque systématique, rapide et massive des feux naissants. Le réchauffement climatique va malheureusement accroître considérablement la pression exercée sur ce bouclier : nous n'avons pas d'autre choix que de renforcer drastiquement nos politiques de prévention, conjointement à un soutien continu à nos forces de lutte contre les incendies. Sans quoi le bouclier cédera, et les feux deviendront incontrôlables.
Heureusement, améliorer les actions de prévention nous semble envisageable : aménagement du territoire par un maillage de points d'eau, de pistes et de fossés, réduction des interfaces habitat-forêt, politique de sylviculture durable, mobilisation des activités agricoles pour couper la biomasse combustible, adaptation et extension des plans de prévention des risques d'incendie de forêt (PPRif) et des plans communaux de sauvegarde, application effective et simplification des obligations légales de débroussaillement autour des habitations, renforcement de la sensibilisation...
Sur quels leviers pouvons-nous agir de manière prioritaire et quels sont ceux sur lesquels nous sommes le plus en retard, et qui mériteraient une attention particulière ? Les premières auditions me laissent penser que c'est en matière de prévention au sens de l'aménagement du territoire, mais aussi de communication et de sensibilisation que nous disposons des plus grandes marges d'amélioration. Partagez-vous ce point de vue ? Les moyens alloués à cette politique de prévention sont-ils suffisants ? Pourraient-ils être évalués à l'aune des dommages sociaux et écologiques évités et de la « valeur du sauvé » ?
Par ailleurs, l'extension progressive du risque d'incendie à l'ensemble du territoire national et l'intensification des feux nécessitent de consolider les moyens de prévention, de surveillance et de lutte contre les incendies. Faut-il envisager d'autres niveaux de financement de ces politiques ? Avez-vous des recommandations en matière de gestion de la forêt, de planification territoriale et de responsabilisation des citoyens ?
Enfin, le feu de Gonfaron dans le Var, l'an passé, nous apprend qu'une meilleure coordination entre les règles issues du droit de l'environnement et du code forestier pourrait rendre plus efficace la prévention des incendies. Une application plus pragmatique du code de l'environnement aurait par exemple facilité la réalisation de débroussaillements, indispensables à la limitation de la propagation du feu. Qu'en pensez-vous ?
Cette audition complète le travail engagé depuis quinze jours. Je me centrerai sur le coeur de notre mission, la politique de prévention, à travers la problématique de la nouvelle cartographie du risque.
Les PPRif, un des fondements de cette politique, ne sont prévus que dans les « zones où la protection contre les incendies les rend nécessaires », c'est-à-dire principalement dans le Sud de la France, et particulièrement dans l'arc méditerranéen. Or, avec le réchauffement climatique, les conditions deviennent davantage favorables aux feux de forêt et de végétation sur l'ensemble du territoire national métropolitain. La réalisation d'un plan de prévention devrait-elle être projetée dans les zones réputées actuellement comme non exposées, voire sur l'ensemble du territoire national ? Cela permettrait de préparer le pays entier au risque et de trouver les réponses appropriées à chaque territoire - il est évident que les mesures prescrites dans le Sud-Est de la France n'ont pas vocation à être reprises à l'identique dans le reste du pays.
Plus largement, devrions-nous renforcer la prise en compte du risque d'incendie dans les documents d'urbanisme - schéma de cohérence territoriale (SCoT), plan local d'urbanisme (PLU), cartes communales ? Le cadre posé par la loi Climat et résilience en matière de recul du trait de côte pourrait nous servir d'exemple : nous avons prévu que les PLU définissent dans les zones particulièrement exposées les actions et les opérations nécessaires pour réorganiser le territoire au regard du risque d'inondation, ainsi que leur échéancier prévisionnel. Quel regard portez-vous sur cette piste, adaptée cette fois au risque d'incendie de forêt ?
Les OLD sont un sujet récurrent de nos auditions. Cette mesure de prévention est particulièrement efficace, puisqu'elle protège les habitations des feux et limite en même temps les risques de départ d'incendies à proximité des habitations. Malheureusement, ces obligations ne sont respectées que dans 30 % des cas environ. Face à l'accroissement du risque dans le contexte du réchauffement climatique, cette situation ne peut pas perdurer. Il semble y avoir deux solutions : soit nous maintenons une responsabilité individuelle de débroussaillement, reposant sur les propriétaires, en mettant en place des incitations ou en renforçant les sanctions pour s'assurer de la bonne application de l'obligation, soit nous instaurons - même si je sais le sujet particulièrement sensible - une maîtrise d'ouvrage collective des opérations de débroussaillement, sous l'autorité par exemple des collectivités territoriales. Quelle option vous semble la plus souhaitable ?
Je salue particulièrement M. Pimont, originaire de ma commune en Haute-Saône.
J'aimerais vous interroger sur l'aspect interministériel de notre politique de prévention du risque d'incendie, sujet déjà évoqué. Lors de nos précédentes auditions, j'ai été surpris de voir un grand nombre d'acteurs, ayant parfois des logiques différentes, voire antagonistes, mais pas d'autorité chargée d'intégrer ces logiques pour assurer la cohérence de cette politique. Jusqu'à quatre ministères sont concernés par le sujet ! Vous me direz que l'interministérialité, localement, c'est le rôle du préfet, mais ne manque-t-on pas d'un délégué interministériel au niveau de l'administration centrale et d'un document de planification national conciliant plus clairement ces logiques ?
Je suis élu d'un territoire rural, la Haute-Saône, qui a été durement affecté par la crise des scolytes. Quand je lis dans un article de presse, écrit l'été dernier, que « les Vosges flamberont comme une torche australienne », cela m'inquiète énormément. En quoi les dépérissements créent-ils un risque d'incendie spécifique ? Dans quelle mesure la prévention et la lutte doivent-elles être appréhendées d'une façon différente, dans un massif touché par des dépérissements ? L'Office national des forêts (ONF) nous fait remarquer qu'à terme, 30 % des arbres seront en inconfort dans leur station forestière...
Un autre sujet qui me tient à coeur est l'imbrication croissante entre feux de forêt, feux de récolte et feux de végétation. Dans mon département, il est de plus en plus difficile d'en faire des risques à part. Comment aménager les interfaces entre ces milieux ? Des aménagements à l'obligation de replanter en cas de défrichement seraient-ils souhaitables pour créer des coupures de végétation ?
Notre politique de prévention du risque d'incendie doit être articulée à nos moyens de lutte contre l'incendie. Il est nécessaire de repenser la répartition de nos forces de sécurité civile à l'aune de l'extension des zones à risque d'incendie dans la moitié nord de la France. Jusqu'à maintenant, si nous sommes les « champions du monde » de la lutte contre l'incendie, c'est parce que nous avons un système de prévention et d'intervention des plus rapides et efficaces, qui repose sur un équilibre fragile, notamment au niveau des forces en présence. Les pompiers du nord de la France venaient pendant la saison des feux pour aider leurs collègues du sud, à travers les fameuses « colonnes de renfort ». Demain, cela sera-t-il encore possible ? Ne serait-ce qu'en Haute-Saône, nous avions régulièrement une équipe de renfort qui partait dans le Sud ; avec les feux toujours plus importants de végétation et de culture, lors des récoltes, avec l'extension de la période et de la zone à risque, avec l'obligation croissante pour les pompiers de porter secours aux personnes, tout amène à penser que demain, ces renforts ne seront plus disponibles.
Hier, en audition, l'Office national des forêts (ONF) nous présentait trois scénarios possibles pour les SDIS : leur accorder davantage de moyens, libérer des effectifs pour lutter contre les incendies en confiant les missions de secours d'urgence aux personnes par d'autres ou enfin mieux identifier les causes de départ de feu pour lutter plus efficacement. De ces scénarios, lesquels vous paraissent les plus susceptibles d'être mis en oeuvre ?
On dénombre 2 500 départs de feux dans la forêt de Gascogne, soit un territoire d'environ deux départements et demi, pour 2 000 hectares brûlés en moyenne chaque année. Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, on compte un peu plus de 500 départs de feu en moyenne par an pour près de 4 000 hectares brûlés.
Les pompiers girondins et landais ne sont pas plus efficaces que ceux du Sud-Est. La différence réside dans l'aménagement de ces territoires et dans la prévention. Je suis certain qu'une prévention systématique à l'échelle des massifs réalisée dans le sud-est de la France permettrait de réduire les risques de départ de feu et d'améliorer la lutte contre les incendies. Pour cela, la logique doit être poussée à son terme.
Un autre exemple : un incendie est en cours au bord d'une autoroute dans l'Aude. Si l'absence d'entretien des lignes de chemin de fer par la SNCF ou des aires d'autoroutes par les concessionnaires - sources connues de départ de feu - donnait lieu à un procès en vue d'une indemnisation comme nous le faisons systématiquement dans le Sud-Ouest, je vous assure que l'entretien de ces zones à risque serait fait régulièrement.
La prévention doit être bien définie et mise en place. En effet, il est dangereux de communiquer ou de donner des informations sur un système de prévention et de lutte contre les incendies qui ne serait pas verrouillé. Cela peut susciter dans le cerveau de certaines personnes l'envie de mettre le feu. L'immense majorité de la population française respecte les consignes de sécurité ; nous travaillons tous à la mise en place de la meilleure sécurité possible pour les 0,5 % de personnes qui déclenchent des feux.
Ainsi, en 1975, année de forts incendies lors de laquelle la Direction de la sécurité civile avait rédigé un rapport sur les risques liés à l'urbanisation, des enfants avaient tenté de mettre le feu pour regarder les Canadairs en action. De même, l'expression « mégafeux » renforce les sentiments d'anxiété, de peur, mais aussi l'attirance pour le spectacle du feu.
Dans les années 1940 et 1950, dans le Sud-Ouest, nous avions mené des actions de communication sans, pour autant, que cela empêche les départs de feux. Nous avons alors abandonné la publicité et commencé un travail de fourmi sur le terrain. Aujourd'hui, nous maîtrisons les départs de feux.
Vous évoquiez l'action des ministères qui souhaiteraient s'occuper de tout. Les administrations centrales s'affrontent en permanence pour délimiter leurs domaines de compétences. En 2007, une circulaire du responsable de la sous-direction de la forêt détaillait la liste des compétences du ministère de l'agriculture en matière de prévention - soit à peu près toutes les compétences possibles. Six mois plus tard, le ministère de l'environnement publiait une circulaire pour rétablir son champ de compétences, tout comme la direction de la sécurité civile, qui ne voulait pas être en reste. Mais, pendant ce temps, il ne se passe rien sur le terrain !
À l'échelle nationale, nos interlocuteurs sont si brillants et compétents qu'il est inutile de leur poser la moindre question. Nous devons travailler localement.
Déjà, Haroun Tazieff, dans un rapport de 1983, déclarait que le ministère de l'environnement faisait de la « prévention réglementaire ».
Je suis un adepte de la décentralisation : il faut réfléchir et agir localement. Cela aide à développer une réflexion à l'échelle nationale. Il faut bien évidemment procéder à un nettoyage du code forestier et du code de l'environnement.
La meilleure façon de protéger les espaces consiste à bien gérer les risques. Il n'est pas possible de craindre le réchauffement climatique, l'augmentation des risques qu'il induit et ne rien faire pour lutter contre les feux, c'est-à-dire laisser faire la nature.
Autant il est possible de laisser brûler 900 000 hectares dans le nord du Québec, peu habité, autant la situation est différente dans les environs de Marseille, de Bordeaux, d'Arcachon ou de Los Angeles, où la densité de population est très importante. Nous ne sommes plus dans des environnements naturels et il n'existe donc pas de solutions naturelles pour ces zones. À Lacanau, dont la population passe de 7 000 habitants à 70 000 habitants pendant trois mois, des structures adéquates de gestion des risques sont mises en place. Si nous voulons limiter les risques, nous devons les gérer.
Sur cette question des risques et des dangers, il nous semble nécessaire de mettre en place une stratégie nationale et une application et une tactique locales, ce qui permet de répondre à cette volonté à la fois de déconcentration et de décentralisation.
Monsieur Bacci, nous avons du retard sur les actions prioritaires. Le contrat opérationnel est aujourd'hui en rupture. Il est essentiel de renforcer nos ressources humaines et nos capacités matérielles. Comme le sénateur Rietmann le soulignait, l'urgence est là. Face au réchauffement climatique et aux épisodes de canicule que nous subissons actuellement, se contenter de dire qu'il faut penser à se rafraîchir et éviter tout risque de départ de feu ne sert pas à grand-chose.
Notre politique globale de protection civile marque le pas. Aujourd'hui, en dehors des maires et des personnes en charge de cette politique, personne n'est impliqué. Or les premiers concernés sont nos concitoyens. J'ai déjà souligné l'importance du portage politique : aucune politique globale n'est aujourd'hui mise en oeuvre en termes de prévention des risques. J'ai entendu parler d'un délégué ministériel ; parlons peut-être d'un ministère !
En cas de feu de forêt, vous devez rester confinés dans votre habitation si le terrain est débroussaillé. Or tout le monde s'en va ! C'est bien le signe d'un échec en matière de prévention et d'information. De même, en cas d'inondation, il faut partir, mais tout le monde reste ! Est-il normal qu'un incendie, rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris, provoque la mort de dix personnes, en 2019, dans un bâtiment des années 1970 ? La politique globale de protection civile est en péril, parce qu'elle n'a tout simplement pas débuté. Vous me demandiez, M. Bacci, où nous avons du retard. Il s'agit d'un bel axe de travail pour le législateur.
Madame Loisier, il est évident que pour anticiper les SDACR doivent intégrer le risque incendie. La question du feu dans les espaces naturels doit être prise en compte dans l'ensemble de nos documents structurants dans nos territoires. Elle a des incidences aussi bien sur les personnels et les matériels amenés à lutter contre les incendies que sur les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde et sur les réserves communales de sécurité civile. Le sénateur Bacci pourrait, par exemple, évoquer les comités communaux « feux de forêt », composés de connaisseurs de l'environnement qui nous guident dans notre action. Il existe une vraie synergie entre les SDIS et les maires, chargés de développer une véritable politique au service de nos concitoyens.
Le modèle français de protection civile est particulier, sinon exceptionnel. Il n'a pas d'équivalent à l'échelle européenne ou dans le monde anglo-saxon. Les sapeurs-pompiers assurent à la fois le secours d'urgence aux personnes et la réponse au feu. Sans eux, les déserts médicaux seraient encore plus nombreux. Il ne s'agit pas de recruter à tort et à travers, mais nous avons besoin et de sapeurs-pompiers professionnels, qui constituent la colonne vertébrale de la protection civile, et de sapeurs-pompiers volontaires, citoyens engagés.
À l'heure du service national universel ou du service civique, il faut demander aux jeunes de s'engager dans cette démarche. Pour reprendre les mots d'un Président de la République, « notre maison brûle ». Nous avons besoin de citoyens engagés dans les forces de sécurité civile, aux côtés des pompiers professionnels et des militaires, pour prendre en charge les actions sanitaires quotidiennes et répondre aux événements exceptionnels. Les feux sont le sujet de l'été, mais je vous donne déjà rendez-vous à l'automne pour parler des épisodes méditerranéens.
Il existe un vrai sujet assurantiel à propos des OLD. De manière générale, les gens n'agissent qu'à partir du moment où l'on touche à leur porte-monnaie !
Les maires ne doivent pas être laissés seuls. À une certaine époque, les forces de l'ONF accompagnaient les élus dans la mise en oeuvre d'une politique non seulement d'aménagement du territoire et de gestion de l'espace forestier, mais aussi de prévention, voire de répression. Réduit comme peau de chagrin, l'ONF ne peut plus accompagner les élus sur le terrain.
Quand la prévention et la sensibilisation ont échoué vient le temps de la répression, qui doit être graduée. Dans ce dernier cas, les maires doivent être accompagnés par le pouvoir régalien afin de sanctionner les individus qui refusent de s'intégrer dans le dispositif collectif et qui nous mettent tous en péril.
Quant à l'interministérialité, Monsieur Rietmann, la politique s'étiole aujourd'hui entre les différents ministères. Je n'incrimine pas les personnes, mais notre organisation, qui ne permet pas la transmission des informations.
Les études les plus récentes conduites au niveau européen et français nous montrent que cette extension de la zone à risque est une sorte de tache d'huile. À deux exceptions près que je mentionnerai après, les territoires ne vont pas changer profondément d'un seul coup. Il s'agit de zones faiblement à risque qui vont devenir davantage à risque. À l'échéance de 2050, l'essentiel des efforts est à porter sur les zones en marge des actuelles zones à risque élevé.
Pour déterminer les zones d'intérêt, il est possible de s'appuyer sur les bases de données recensant les feux, même s'il faut mener un effort de systématisation des déclarations, afin de détecter les endroits où les risques de feux de forêt émergent. Il y a maintenant une base de données gérée par l'IGN, ayant permis de réaliser d'importants progrès en la matière, mais il faut poursuivre en ce sens.
La première des deux exceptions que j'évoquais concerne les scolytes. Ce problème est récent en France, mais bien connu aux États-Unis depuis des années. À court terme, les scolytes font roussir sur pied les peuplements, ce qui non seulement disperse la végétation, et donc le combustible, mais l'assèche aussi. Or un peuplement complètement asséché équivaut à un doublement de la vitesse du vent. Ainsi, des zones qui n'étaient pas ou peu sensibles au risque incendie, le deviennent fortement. Ce sont autant de points de vigilance particuliers.
La seconde exception est liée à l'agriculture : les feux de chaume, qui partent des zones agricoles, se propagent à la forêt située à proximité. Ces phénomènes se sont accentués ces dernières années. Il s'agit aussi d'un point de vigilance.
Des outils existent pour cartographier ces zones. Le ministère de l'écologie nous a commandé une carte d'occurrence à l'échelle du Sud-Est. S'appuyer sur ce type d'outils permet de mieux déterminer les zones d'émergence des risques pour y concentrer l'essentiel des mesures.
La prévention joue un rôle essentiel. Des aménagements forestiers, comme des pistes, par exemple, permettent d'éviter que beaucoup de feux ne détruisent plus d'un hectare. Il faut être conscient que la zone Sud-Est connaît déjà des indices de danger sans commune mesure avec ceux observés en en Grèce, au Portugal ou en Californie. Or ces indices vont continuer d'augmenter sous l'effet du changement climatique. Une politique de lutte et de prévention très efficace nous a permis de réduire le nombre de feux qui nous échappent à environ 200 par an dans la zone Sud-Est. Mais nous ne réalisons que peu de progrès en matière de lutte contre les feux qui nous ont échappé. On dénombre aujourd'hui six à sept feux de plus de 100 hectares par an, treize lors de grosses saisons. À la fin du siècle, on anticipe qu'il y en aura quarante par an. Il faut donc dès aujourd'hui diviser par quatre le nombre de petits feux pour en rester au même niveau de grands feux. On pourra sans doute réduire leur nombre, mais jamais les prévenir totalement. Il est donc très important de développer des mesures pour défendre les habitations, car des feux extrêmes - je préfère cette expression à celle de « mégafeux » - se déclencheront partout, quelles que soient les mesures de prévention. Un feu extrême est statistiquement exceptionnelle, que ce soit en termes de taille ou de danger. Mais comme le disait un statisticien célèbre : « Il est impossible que l'improbable n'arrive jamais. » Le feu de Gonfaron, en août 2021, en est un bon exemple : même si les services n'ont pas été désorganisés, dès lors qu'il faut traiter 80 kilomètres de lisière, on ne peut plus protéger toutes les habitations.
Les OLD, la culture du risque, l'information des populations sont des sujets importants. Je suis effaré de voir que les médias ne nous sollicitent qu'en été, au coeur de la saison des feux. Je leur demande souvent de me contacter en amont, pour inciter les gens à mettre en oeuvre leurs OLD en hiver ou au printemps - bien évidemment, aucun journaliste ne m'a jamais rappelé.
Je n'emploie pas non plus le terme de « mégafeux », qui relève du sensationnel. On a tendance à parler lorsque le feu monte en intensité de « virulent ». Je préfère parler de « feux agressifs », qui se propagent par l'avant, avec des sautes d'un kilomètre, et qui deviennent explosifs en se propageant également de manière latérale quand bien même le vent le dirige vers l'avant.
Un feu agressif, qui peut nous piéger, représente une réelle contrainte pour les services de secours et pour tout ce qui concerne l'interface de la lutte contre l'incendie. Il est plus facile de s'organiser pour combattre un feu dans un espace forestier sans habitation, plutôt que de devoir protéger des maisons. L'urbanisation est venue compliquer notre tâche. Nos concitoyens doivent savoir que nous ne disposerons jamais d'un camion pour chaque habitation.
Ancien président de conseil départemental, et accessoirement toujours membre de services de santé et de secours médical (3SM), j'estime que le secours à la personne doit être maintenu. Quelles solutions pouvons-nous mettre en place pour assurer la présence de moyens humains sur l'ensemble du territoire ?
Pensez-vous qu'une forme de récompense - déduction fiscale ou bonus sur la dotation globale de fonctionnement pour les collectivités territoriales, déduction fiscale pour les entreprises... - contribuerait à dégager ces moyens humains ?
Les SDIS sont financés à 95 % par les conseils départementaux, par les communes et par les intercommunalités. La défense incendie d'une commune relève, quant à elle, de la responsabilité du maire. Quels moyens financiers de l'État envisagez-vous pour soutenir cette politique et bâtir une prévention efficace ? Nous avons en effet pris la mauvaise habitude, dans notre pays, d'imposer des obligations aux conseils départementaux et aux communes sans leur transférer les crédits correspondants.
Lorsque les températures sont très élevées et que les matières deviennent très inflammables, des alertes spécifiques sont-elles données ? Un dispositif particulier pourrait être envisagé. Ces derniers jours, alors qu'il n'y avait pas de vent, le feu s'est propagé très rapidement.
Par ailleurs, il faut renforcer la sensibilisation, dont j'ai cru comprendre qu'elle avait été mise un peu entre parenthèses, alors qu'elle fait partie de la prévention. Pourriez-vous nous donner des chiffres concrets concernant l'origine des feux ? Si 95 % des feux sont d'origine humaine, quelles sont les parts des actes accidentels et des actes volontaires ?
Je suis assez surpris que le représentant de l'Inrae nous dise que la déprise agricole n'a pas fait évoluer le risque d'incendies. Lorsque j'étais un jeune agriculteur, dans les années 1980, le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) avait mené un travail approfondi en réponse à une demande forte des pompiers, du ministère de l'agriculture et des forestiers, pour que les agriculteurs débroussaillent. Une politique de reconquête de la production bovine et ovine avait été lancée, car on considérait, à cette époque, que la déprise agricole était un facteur de risque aggravant.
Je suis également surpris par ce qui a été dit des scolytes. Venant des Vosges, où des attaques de scolytes ont lieu depuis longtemps, je peux vous assurer que le problème ne concerne pas que les Américains. Seulement, la réponse a changé : il y a cinquante ans, le propriétaire d'un arbre devait couper l'arbre non quand il était mort, mais alors qu'il était encore habité par les scolytes, avant de l'éplucher et de le brûler, afin de lutter contre la propagation de ces insectes.
Aujourd'hui, on compte les morts sans soigner les blessés. Il y a quatre ans, j'avais interpellé le ministère de l'agriculture : les scolytes sont particulièrement implantés dans l'est de la France, en Bourgogne-Franche-Comté. À l'époque, nous avions estimé que des centaines de milliers d'hectares étaient touchés, mais le ministre avait considéré que nous exagérions, car de telles surfaces n'apparaissaient pas à l'observation satellitaire. Or cette dernière fausse la réalité : le satellite ne voit que les arbres morts, mais ne permet pas de percevoir les attaques en cours. Seule l'observation humaine dans la forêt permet d'intervenir.
D'autres problèmes sont posés par les réserves d'eau et la cartographie, mais je n'ai pas le temps de les aborder. En tant que vice-président Forêt de la commission Agriculture de Régions de France, et vice-président du groupe d'études Forêt et filière bois, nous aurons peut-être l'occasion de discuter plus longtemps.
Je vais peut-être vous choquer, mais il y a trois mois, j'ai demandé aux officiers du corps départemental que je dirige de réfléchir aux manières d'éteindre les feux sans eau. Cette contrainte est réelle : l'eau est un élément rare, et les sapeurs-pompiers utilisent de l'eau potable, ce qui me choque en tant que citoyen. Il faut trouver des techniques opérationnelles permettant d'utiliser de l'eau brute. Lorsque j'ai commencé ma carrière de sapeur-pompier, nous apprenions à éteindre les feux avec beaucoup moins d'eau, en particulier parce que les camions pouvaient moins en porter. Nous devons utiliser des techniques ancestrales, comme le contrôle de contre-feux, c'est-à-dire de feux tactiques et dirigés. Il s'agit d'un sujet de préoccupation tant pour les soldats du feu que pour les maires.
Un autre élément important est le volontariat. Les 3SM ont été notre force de frappe durant la crise du Covid, pendant laquelle nous avons vacciné 25 % de la population. Le volontariat est une force du quotidien, qui nous permet de réagir aux situations exceptionnelles. Il faut le favoriser et le défendre.
Je suis en discussion avec l'Assemblée des départements de France (ADF) au sujet d'une nouvelle prestation de fidélité et de reconnaissance. Aujourd'hui, un sapeur-pompier volontaire s'étant engagé pendant 30 ans verra sa retraite augmentée de 70 euros par mois. Il s'agit d'un vrai sujet : une véritable politique publique doit reconnaître l'engagement tant des volontaires que des entreprises et des collectivités leur permettant de se libérer.
Les précédents présidents de la fédération se désolaient que ce message ne soit porté que par la FNSPF. Il s'agit pourtant d'un véritable sujet de politique publique, qui permet que nos territoires soient résilients au quotidien, que cela soit au niveau du Secours d'urgence aux personnes (SUAP) ou lors de catastrophes naturelles.
Au sujet du soutien de l'État, il faut évidemment davantage accompagner les collectivités. L'accompagnement des territoires dans la mise en oeuvre de la Défense extérieure contre l'incendie (DECI) ne relève pas de mes compétences. Les maires sont contraints par la limitation de leurs capacités fiscales, et je comprends le débat à ce sujet. Cependant, en tant que citoyen, je pense que des manoeuvres fiscales peuvent permettre d'agir dans les territoires.
Pour autant, au sujet des crédits qui abondent les SDIS, la solidarité nationale doit s'exprimer. La crise que nous traversons et les situations d'urgence vécues par la protection civile doivent relever du « quoi qu'il en coûte ». Ce terme fait certes réagir, au sortir de la crise du Covid, alors que la question de l'endettement de notre pays se pose à nouveau. Aujourd'hui, face au dérèglement et à l'urgence climatique, il est nécessaire de maintenir un « bouclier » d'intervention rapide - je reprends à mon compte l'expression de M. Bacci -, qui nous permet d'éviter que les feux ne deviennent de gros feux : il faut davantage de moyens, humains et financiers.
Les feux d'aujourd'hui sont particuliers, car ils n'ont plus besoin de vent pour se propager. Nous devons davantage travailler pour que nos concitoyens ne mettent pas le feu. Une grande majorité des feux, à hauteur de 70 %, est liée à de l'imprudence : ils sont dus en particulier à des mégots de cigarettes jetés dans les aires d'autoroutes, ou à des travaux réalisés à proximité de zones à risque, des disqueuses ou des soudeuses projetant des étincelles. Le plus gros feu de 2016 dans les Bouches-du-Rhône, qui a menacé Vitrolles et Marseille, aurait ainsi été provoqué par quelqu'un qui coupait du carrelage.
Nous travaillons donc pour informer le public du comportement à observer dans leur environnement. À hauteur de 30 %, les feux sont dus à de la malveillance, pour diverses raisons - par exemple, les gens mettent sciemment le feu lors de conflits de voisinage, pour chasser ou encore pour détruire les preuves d'un délit. Seules la police et la répression judiciaire peuvent empêcher ces gens-là de mettre le feu.
Pour répondre à la question de Mme Préville sur les températures, Météo-France prévoit le niveau de danger quotidien à partir de différents indicateurs.
Nos recherches tentent de mieux comprendre les effets de la sécheresse et de la température sur l'état hydrique des végétaux, qui est un facteur déterminant : la quantité d'eau dans les végétaux va influer sur la virulence des feux. Une meilleure connaissance de l'hydraulique des plantes et les données satellitaires de surveillance permettent de cartographier plus précisément les risques.
Actuellement, le pilier du suivi de l'état de la végétation est le Réseau hydrique. Organisé par l'ONF, il mesure toutes les semaines l'état hydrique des végétaux dans une trentaine de sites en France. Sa situation budgétaire est extrêmement tendue, alors que les sommes en jeu pour financer ce réseau sont presque négligeables par rapport au coût des incendies de forêt. Ainsi, le nombre de points de mesure a dû être réduit, et les mesures commencent de plus en plus tard, le budget n'étant pas suffisant pour couvrir l'ensemble de la saison - aujourd'hui, les relevés n'ont toujours pas commencé, alors que des feux se déclarent déjà dans les Bouches-du-Rhône ou dans le Gard. Un meilleur suivi de la végétation est nécessaire.
Ces mesures sont croisées avec les observations satellitaires, afin d'étendre spatialement les informations. Des choses doivent encore être développées avant que cela ne puisse devenir opérationnel.
Je voudrais revenir sur la question des mégots, qui représentent entre 2 % et 3 % des causes d'incendies, pour 6 % des surfaces brûlées. Certains endroits souffrent clairement d'un déficit d'information : sur les aires d'autoroutes traversant le Var, aucune information concernant les feux de forêt n'est disponible, et certaines personnes en transit peuvent facilement ne pas s'apercevoir qu'elles se trouvent dans un territoire à risque. Aux États-Unis, dans tous les territoires à risque, un panneau avec un camembert indique le niveau de danger dans chaque commune. En France, il y a un déficit d'information : il faut sensibiliser le public au fait que nous nous trouvons dans une période à risque, même si la saison des feux peut désormais s'étendre tout au long de l'année.
Concernant la déprise agricole, il faut prendre en compte le contexte des observations. Notre étude - qui reste une étude préliminaire - montre qu'à l'échelle de l'ensemble du Sud-Est, la déprise agricole ne peut pas être considérée comme un facteur décisif de la variation des activités de feu. Cela ne veut pas dire que, plus localement, elle n'a aucun effet. Par exemple, dans l'Aude ou les Pyrénées-Orientales, nous suspectons que la déprise agricole liée à la vigne a des effets sur les incendies. Nous creusons actuellement la question avec la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l'Aude.
Si j'ai parlé des États-Unis au sujet des scolytes, c'est que l'interaction entre les scolytes et les feux existe déjà là-bas. En France, il y a des scolytes depuis de nombreuses années dans l'Est de la France, mais ils étaient relativement peu présents dans les zones à risque de feux de forêt. Pour cette raison, j'ai indiqué que cette interaction scolytes-feux avait été relativement peu considérée jusqu'à maintenant.
Mais il faut reconsidérer la question. Les attaques massives de scolytes, très amplifiées par la sécheresse, pourraient favoriser d'importantes activités de feux dans de nouvelles zones à risque. Aux États-Unis, les études montrent que les scolytes font doubler le niveau de danger. On peut rapidement basculer d'un côté à l'autre du seuil : des centaines d'hectares connexes roussis par les scolytes peuvent être le lieu d'un incendie important. Il s'agit donc d'un point de vigilance, à ajouter aux feux agricoles dans les facteurs de « sauts » en discontinuité de la tache d'huile.
Sans m'étendre sur la question, je voudrais simplement souligner qu'en matière forestière, s'il y a deux contre-exemples qui nous montrent ce qu'il ne faut pas faire, ce sont les États-Unis et le Portugal.
Je ne vais pas insister sur l'efficacité de la prévention et de la lutte contre les incendies dans le Sud-Ouest, mais il pourrait y avoir davantage d'échanges d'expériences. M. Pimont nous dit que la stratégie de la station de recherche d'Avignon est désormais ciblée sur les zones à risque à partir de la géolocalisation des départs de feu, alors qu'une telle stratégie a été mise en place dans le Sud-Ouest à partir des années 1980.
Des marges de manoeuvre importantes existent en matière de prévention, mais il ne faut pas pour autant baisser la garde en matière de lutte. Le sujet est politiquement complexe : il faut a minima conserver les mêmes moyens concernant la lutte, et peut-être espérer une légère augmentation, notamment par l'appui des volontaires. Mais il ne faut surtout pas baisser la garde.
En matière de prévention locale, nous avons un modèle avec les associations syndicales autorisées (ASA). Ces structures présentent l'avantage d'être obligatoires, quelle que soit la taille de la propriété. Elles y ont été développées après que la moitié des terres forestières avait brûlé, entre 1940 et 1950. Au départ, il y a certes eu des hurlements des propriétaires, car les associés devaient payer pour s'organiser collectivement. Mais il est désormais hors de question d'empêcher les propriétaires forestiers et agricoles de diriger leurs ASA de DFCI. L'astuce a été de confier ces associations aux propriétaires eux-mêmes, et non aux représentants d'une autorité. Dans le Sud-Est, il me semble qu'une marge de manoeuvre énorme existe pour permettre de limiter les risques de cette manière.
Concernant le financement des mesures, une modification de la taxe de séjour me semble possible. Comme le risque est socialisé, il ne serait pas aberrant que les personnes traversant ou séjournant dans des territoires à risque payent pour la préservation de ces territoires. Une augmentation de la taxe de séjour d'un euro par jour permettrait de réaliser de nombreuses actions, si les revenus de cette augmentation étaient dédiés à la prévention, selon la définition que j'ai donnée plus tôt, c'est-à-dire à l'aménagement du terrain, et non à des campagnes de communication et de promotion. Pour le Sud-Ouest, cela représenterait une augmentation des recettes de 5 millions d'euros par an. Si l'on ajoute la taxe additionnelle du conseil départemental sur la taxe de séjour, cela représente un joli budget, qui permettrait par exemple de réaliser des kilomètres de pistes ou des points d'eau naturels.
Au niveau national, je propose la mise en place d'un fonds de garantie sur les risques incendie et phytosanitaires, alimenté tant par les ministères compétents que par les régions. Ce fonds viendrait cofinancer les initiatives locales, et permettrait également de faciliter les demandes de cofinancements européens, aujourd'hui quasiment inaccessibles pour les acteurs de terrain.
La valeur des forêts n'est pas comptabilisée. La forêt est invisible : on ne la voit que quand elle tombe ou brûle. Or de nombreux travaux ont été menés, en particulier par M. Chevassus-au-Louis, qui évalue les fonctions environnementales de la forêt à environ 1 000 euros par hectare. Donner une valeur à l'espace forestier lui donne une signification pour les assureurs et pour les financeurs. Il faut comptabiliser cette valeur, car l'État considère aujourd'hui que seules les maisons doivent être remboursées lors d'un incendie de forêt. Il y a un travail à mener sur cette question.
Nous vous remercions de ces précisions. Je laisse la parole à nos collègues pour une dernière série de questions.
D'ici à 2050, compte tenu du dérèglement climatique, 50 % des forêts françaises seront soumises à un risque important d'incendie. Il y a urgence à agir, en particulier en raison des impacts des feux sur la qualité de l'air ou l'état des ressources en eau.
Vous avez dit qu'il fallait commencer par appliquer les lois - cela tombe bien, car le Sénat veille justement à l'application des lois.
Peut-on estimer le nombre d'hectares de forêts dégradées en France, afin de prévenir les feux ? Quel serait l'investissement nécessaire pour la restauration de ces hectares ?
Par ailleurs, connaît-on l'efficacité de la technique du brûlage dirigé, c'est-à-dire d'un débroussaillage fait par de petits incendies volontaires, permettant d'assainir les forêts et de prévenir la survenue de grands feux ? Cette technique est-elle suffisamment employée en France ?
Dans un rapport de février dernier sur l'évolution des feux dans le monde commandé par le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), les chercheurs ont recommandé d'utiliser les connaissances des populations locales sur les reliefs de leurs territoires et la végétation pour prévenir et lutter contre les feux de forêt. En France, dans les régions les plus concernées, ce type de consultation a-t-elle eu lieu ?
Ma deuxième question concerne la faune. Les incendies en Australie en 2019 et en 2020 ont entraîné la mort de plusieurs milliards d'animaux, ainsi qu'une destruction de 13 millions d'hectares. Est-il possible de mesurer les conséquences des feux sur la biodiversité en France ? Des espèces animales sont-elles menacées par l'augmentation de la fréquence des incendies ?
À la fin de 2023 ou au début de 2024, nous verrons arriver une nouvelle occasion d'aborder ces sujets dans un texte législatif - avec le nouveau projet de loi de programmation Énergie-climat. Pour la première fois, nous pourrons remonter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) dans la loi, au même niveau que la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie bas-carbone.
Il s'agira d'un moment important si l'on veut faire évoluer la législation, en particulier en ce qui concerne les assurances. Le Sénat doit se mettre en ordre de bataille pour faire converger les propositions législatives des différents groupes de travail, car il ne faudra pas rater cette échéance.
Nous avons parlé des Canadair et de la flotte des bombardiers d'eau, mais nous avons du mal à avancer sur ce sujet. Une mutualisation européenne semblerait logique, compte tenu des enjeux d'investissement et du mauvais état de la flotte, mais pourquoi les choses continuent-elles de bloquer ?
Par ailleurs, nous devons faire le lien entre le débroussaillement, la gestion de la biomasse et les filières de production d'énergie concernées. Y a-t-il des croisements entre ces enjeux ? Je suppose que cela n'est pas le cas, mais cela souligne qu'il faut une approche cohérente de la totalité de ces questions relatives à la forêt.
Dans mon département, un record de température pour un mois de juin vient d'être battu : il a fait 37,2 degrés à Nîmes. J'habite dans une petite commune où plus de 20 hectares ont brûlé lundi après-midi - si l'on considère l'ensemble des quatre incendies ayant sévi aux alentours, en quelques heures, plus de 200 hectares sont partis en fumée.
Madame la préfète a pris depuis maintenant plus d'une semaine un arrêté sécheresse sur l'ensemble du département du Gard, et la situation est très compliquée.
J'ai présidé pendant près de six ans le conseil départemental, j'ai participé pendant vingt ans à ses travaux, et je peux dire que le financement des SDIS est problématique. Je suis étonné d'entendre M. Allione dire que les SDIS payent la TICPE : la charge est considérable, d'autant plus que ces structures sont également chargées du secours à la personne.
Nous avons besoin de prévention. Le fonctionnement des Syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU) de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI) n'est peut-être pas assez coordonné avec les SDIS. Beaucoup d'argent public est dédié à la réalisation de pistes permettant aux pompiers de lutter contre les incendies, mais encore faudrait-il avoir les moyens de les entretenir .
Il y a deux ans, un incident dramatique a eu lieu, et les Trackers de la flotte de défense aérienne ont été mis en arrêt, car ils n'étaient plus adaptés aux normes de sécurité actuelles. Aujourd'hui, Nîmes a été retenue pour constituer une base aérienne de défense contre les incendies. Dans les départements du Sud, il est difficile d'entretenir la forêt, et la flotte aérienne est particulièrement importante. Le moment n'est-il pas venu de la renforcer, ce qui relève bien des compétences de l'État ?
Je voudrais revenir sur le facteur humain. Comme M. Allione l'a mentionné, alors que les besoins sont estimés à 250 000 bénévoles, il n'y aurait que 196 000 sapeurs-pompiers. Pascal Martin a relevé notre manque de culture du risque. Nos trois invités ont également parlé de l'encouragement au volontariat.
Aujourd'hui, sous l'égide de l'éducation nationale, il existe le Service national universel (SNU), d'une durée d'un mois. Pourrait-il inspirer un service de la protection civile citoyenne ? Que signifie s'engager comme volontaire aujourd'hui ? Une formation spécifique est nécessaire, pour informer et sensibiliser à ces sujets sur le terrain.
Concernant l'utilisation des moyens numériques de surveillance et d'anticipation des feux, des réflexions et des expérimentations ont-elles lieu ? Quels seraient les moyens à mettre en oeuvre ?
Dans le renouvellement de nos forêts, y a-t-il des réflexions sur les espèces et les essences à favoriser ? Y a-t-il une corrélation entre la présence de résineux et les risques d'incendie ? Les mono-cultures connaissent-elles des risques plus importants, ou ces risques sont-ils au contraire réduits ?
Parmi les causes de la déprise agricole, l'abandon des vignes a été mentionné. Je voudrais rajouter la prédation du loup : la pression sur les élevages est parfois telle que des secteurs non pâturés tombent dangereusement en friche. Il me semble qu'il s'agit d'une raison supplémentaire pour reconsidérer rapidement le statut du loup, et envisager une meilleure régulation de ce prédateur.
Ma circonscription est touchée par la diminution des zones de polyculture et d'élevage. Dans une perspective de prévention des risques, pensez-vous qu'il serait pertinent de considérer ces espaces regagnés par la nature comme des biens communs ? Ces espaces auront du mal à être exploités, pour des raisons de rendements agricoles et d'évolution de la société. La notion de bien commun pourrait justifier, auprès des collectivités et de la population, une intervention publique et des financements adaptés.
Plusieurs questions tournent autour de l'entretien du paysage. De manière générale, l'entretien du paysage vise à empêcher le développement d'une strate arbustive continue favorisant la propagation des feux, et il est évidemment favorable.
Le brûlage dirigé est une bonne solution. Il est utilisé pour une gestion extensive de la problématique des incendies de forêt : on fait partir des feux dans des conditions peu sévères, ils brûlent une partie du territoire sans trop d'impacts. Il est utilisé en France, mais il ne peut pas être utilisé partout. Des parcs naturels ou des zones de montagne s'y prêtent bien. À l'inverse, les zones plus densément peuplées, ou celles où les conditions météo propices à la propagation sans trop d'impacts de feux dirigés en hiver sont rares, cette technique ne peut pas être une solution unique. Elle n'en demeure pas moins intéressante.
Le développement de mesures agropastorales, en oeuvre à une époque avant d'être abandonnées, serait utile pour réduire l'embroussaillement, les troupeaux pâturant des zones de coupure. Il serait intéressant de relancer ce type de mesures, mais cela ne relève pas de mon domaine d'expertise.
Concernant les impacts environnementaux des feux, dans le Sud-Est, entre 2 % et 3 % du territoire brûle tous les ans. De grands feux ont touché des réserves naturelles, comme le feu de Gonfaron qui a mis en danger la tortue d'Hermann, mais le taux de survie semble avoir été important. Je n'ai pas l'impression que les feux de forêt sont la principale pression qui pèse sur les écosystèmes, même s'ils pourraient le devenir avec un triplement de leur fréquence.
Je ne suis pas expert concernant la question du choix des essences de bois. Les connaissances ne sont pas si nombreuses : le réseau mixte technologique Adaptation des forêts au changement climatique (Aforce) fournit des informations aux propriétaires et aux gestionnaires forestiers, afin d'améliorer la connaissance de la vulnérabilité des essences face au risque d'incendie. Un appel à projets a été lancé, afin de permettre l'élaboration d'informations supplémentaires.
De nombreuses observations sont réalisées, notamment par l'ONF. La littérature scientifique se penche sur ces questions, notamment en Espagne. Il est certain que les incendies sont plus fréquents dans les zones de conifères, mais en même temps ces arbres sont davantage présents dans des terrains secs. Il n'est pas évident de dissocier l'effet relatif à la sécheresse du milieu de celui relatif aux conifères. Selon les territoires, les éléments sont différents. Nous manquons de connaissances dans ces domaines, et nous essayons de synthétiser les informations disponibles, mais il n'y a pas actuellement de réponse à cette question.
Pour revenir sur les conséquences des feux sur la faune et la flore, il faut prendre en compte la répétition des feux de forêt sur un même territoire, qui change par nature la flore et la faune.
La ressource en eau représente une réelle difficulté pour nous. Il est nécessaire de se réapproprier les techniques dites « ancestrales », du brûlage tactique et dirigé, qui m'ont été apprises dès mon plus jeune âge lorsque mon père nettoyait ses châtaigniers. Il me livrait cette phrase : « Dans une châtaignerie, il faut que tu voies une souris courir. » Aujourd'hui, dans le massif des Maures, je pense qu'il faut chercher la souris.
Le vrai sujet est l'exploitation et la rentabilité des massifs. Il faut prendre en compte la parole de ceux qui vivent de ces massifs, et en particulier du monde agricole. L'exploitation touristique n'est pas suffisante pour que nos forêts soient rentables, et il faut une exploitation agricole. Il faut trouver des débouchés, mettre en place des filières, pour que la forêt soit valorisée et entretenue.
C'est autour de ces questions de rentabilité et d'entretien de nos forêts qu'est faite la consultation des populations locales.
Au sujet des vecteurs législatifs, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) me semble constituer un levier sur lequel vous pourrez intervenir, notamment au sujet des ressources humaines et matérielles, en particulier concernant la flotte des avions bombardiers d'eau.
La mutualisation européenne est une évidence. La base de Nîmes a été reconnue comme un pôle d'excellence par l'Union européenne, mais le renouvellement de la flotte ne progresse pas assez vite par rapport au dérèglement climatique. Pour autant, l'ensemble de la flotte a été remplacé. De gros efforts ont été faits par l'État, et nous disposons de six Dash. Un Canadair coûte de l'ordre de 25 millions d'euros, et le remplacement de la flotte de Trackers a coûté 80 millions d'euros.
Lorsque vous voyez passer un groupe d'intervention spécialisé dans les feux de forêt composé de quatre camions, cela représente un million d'euros pour les collectivités. Les gros camions des Bouches-du-Rhône coûtent chacun 480 000 euros.
Pour le service que je dirige, les 200 millions d'euros injectés dans le budget du SDIS des Bouches-du-Rhône représentent 4,8 milliards d'euros de « sauvé ». Avec les sapeurs-pompiers, c'est comme avec l'assurance de votre voiture ou de votre habitation ; on peut faire ce qu'on veut, mais il faut en assumer les conséquences.
Au sujet des ressources humaines, le volontariat est un élément important pour cultiver la culture du risque. Vous avez parlé du SNU, mais il faudrait le rendre obligatoire et rallonger sa durée. J'ai évoqué la question avec un collaborateur du président de la République lors de sa venue à Marseille. La jeunesse d'aujourd'hui est ouverte et agile, mais il lui manque un élément important : un cap, la faculté de savoir se fixer un objectif et des limites. À notre époque, nous sommes passés par des systèmes qui nous ont donné un cap et des limites : l'éducation parentale, l'instruction nationale et le service national.
Les moyens numériques permettent de développer la prévention et la détection. L'intelligence artificielle nous permet de travailler sur les prises d'appels, de cartographier numériquement les parcours de feu, d'anticiper davantage à l'aide de simulateurs qui participent à la formation des professionnels. Les SDIS investissent dans l'innovation, et il y aura toujours à faire dans ce domaine. En revanche, je pousse un cri d'alerte : il ne faut pas que l'innovation soit un prétexte pour systématiquement mettre aux normes des équipements, qui induit des coûts importants et une augmentation des charges.
Je n'ai pas les compétences pour répondre au sujet des pâturages, mais je sais que lorsque l'on abandonne un territoire, il tombe en friche, et que les friches sont dangereuses pour les incendies.
L'usage des technologies numériques est largement développé, tant en matière de prévention que chez les sapeurs-pompiers : nous disposons de systèmes de prévision des risques tout à fait stupéfiants, et nous avons la capacité technique d'organiser localement des préventions plus efficaces.
Les résineux se situent sur les terrains les moins riches, les plus secs, et brûlent donc plus que les feuillus, qui se trouvent dans des stations géographiques et climatiques différentes. Il est possible d'imaginer changer les espèces pour réduire le risque d'incendies de forêt, mais réaliser un tel changement prendrait une centaine d'années. D'ici là, la forêt aura brûlé plusieurs fois. Si la perspective est peut-être intéressante pour des chercheurs, cela n'est pas le cas pour les forestiers et les pompiers, qui aujourd'hui sont dans une situation d'urgence.
Le calcul de M. Allione sur la valeur du « sauvé » est très juste : dans le Sud-Ouest, la filière bois a le même chiffre d'affaires que le secteur des vins de Bordeaux - 5 milliards d'euros par an -, et cela sans même comptabiliser les revenus de secteurs afférents, comme le tourisme, ou la valeur environnementale de la forêt.
Il faut donner de la valeur aux choses : la rentabilité est là, le rendement de la surveillance et de la prévention est incontestable.
La monoculture ne peut pas se faire dans n'importe quelles conditions, mais il s'agit peut-être du lieu où les risques sont les plus faibles et les mieux gérés, contrairement à des discours que l'on peut entendre loin du terrain, mais qui ne répondent absolument pas à la réalité.
Enfin, concernant la question des biens communs, je n'ai pas le temps de développer, mais je pense qu'il s'agit de la pire solution possible pour nos forêts.
Je vous remercie pour ces interventions très riches.
Nous avons de quoi préciser des recommandations opérationnelles qui, si elles ne sont peut-être pas directement transférables dans une proposition de loi, seront transposables dans une loi de programmation pluriannuelle des moyens. Les besoins financiers supplémentaires de la protection civile pourront être concrétisés au moyen d'amendements lors de l'examen des prochains projets de loi de finances.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, nous en venons à présent au deuxième et dernier point inscrit à l'ordre du jour, à savoir l'examen du rapport de notre collègue Bruno Belin relatif au suivi des recommandations de la commission en matière de sécurité des ponts et des ouvrages d'art, qui constitue le cinquième volet des travaux de la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.
Ce rapport constitue un « droit de suite » au travail réalisé par notre commission en 2019, sous la présidence d'Hervé Maurey, à la suite de l'impressionnant effondrement du pont Morandi de Gênes, qui a causé la mort de quarante-trois personnes le 14 août 2018.
Afin de conduire ses travaux dans les meilleures conditions, le Sénat avait conféré à notre commission les prérogatives d'une commission d'enquête, pour une durée de six mois.
Les rapporteurs Patrick Chaize et Michel Dagbert, dont je salue le travail, avaient alors dressé un constat particulièrement préoccupant de l'état de nos ouvrages d'art. Pour ne citer qu'un chiffre, les travaux de notre commission avaient établi que 25 000 ponts étaient en mauvais état structurel et posaient des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers.
Tout juste trois ans plus tard, ce « droit de suite » s'inscrit dans le cadre des conclusions adoptées par le Bureau du Sénat à la suite du rapport de notre collègue Pascale Gruny sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, qui charge les commissions permanentes d'assurer un suivi de la mise en oeuvre des recommandations adoptées par le Sénat.
Le travail qui va vous être présenté a donc pour objet d'actualiser les constats formulés en 2019 et de rendre compte des suites qui ont été données aux propositions formulées par notre commission.
Sans plus attendre, je laisse à présent la parole à notre rapporteur Bruno Belin, puis je donnerai la parole à Patrick Chaize.
J'ai le plaisir de vous présenter les conclusions du travail sur la sécurité des ponts que vous avez bien voulu me confier et qui vise à tirer un bilan de la mise en oeuvre du rapport de notre commission sur ce sujet, adopté en 2019.
Notre président de séance l'a rappelé, ce rapport Sécurité des ponts : éviter un drame de 2019 avait été élaboré dans le cadre d'une mission d'information, présidée par Hervé Maurey, et dont les rapporteurs étaient Patrick Chaize et Michel Dagbert.
Après l'effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018 et vingt ans après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, il était indispensable de s'intéresser à ce sujet, dans un double objectif de protection des usagers et de préservation de notre patrimoine d'ouvrages d'art. Le rapport de notre commission a permis de mettre en évidence un certain nombre de constats.
En premier lieu, nous sommes incapables de connaître à ce jour le nombre exact de ponts routiers en France. Nous ne disposons que d'une fourchette : la commission a estimé qu'il existait entre 200 000 à 250 000 ouvrages. Tout cela n'est pas de nature à nous satisfaire tant la responsabilité est forte eu égard à la sécurité de nos concitoyens utilisateurs de ces ouvrages. D'après les travaux de 2019, 90 % des ponts relèvent de la propriété des collectivités territoriales, mais certains ouvrages sont orphelins : on ignore tout de leurs propriétaires...
En deuxième lieu, la commission a montré que l'état de ce patrimoine est particulièrement préoccupant. Au moins 25 000 ponts sont en mauvais état structurel. À titre d'exemple, elle a estimé qu'environ 5,8 % des ponts départementaux sont en mauvais état.
Troisième constat, nos ponts souffrent d'un sous-investissement chronique depuis dix ans en raison de transferts ou de carences budgétaires, avec une réglementation imparfaite et une disparition de compétences.
Si l'État dispose d'un cadre réglementaire adapté pour ses ouvrages, avec l'instruction technique pour la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art (Itseoa) depuis 1979 et la méthodologie « image de la qualité des ouvrages d'art » (IQOA), prescrivant des évaluations à effectuer tous les trois ans, aucune réglementation technique unifiée de ce type n'existe pour les ouvrages des collectivités territoriales.
Pour répondre à ces enjeux, notre commission avait formulé un certain nombre de propositions.
Premièrement, nous avions demandé la mise en place d'un « plan Marshall », visant à porter à 120 millions d'euros par an dès 2020, contre 45 millions d'euros en moyenne précédemment, les moyens consacrés par l'État à l'entretien de ses ouvrages et de créer un fonds d'aide aux collectivités de 130 millions d'euros par an pendant dix ans pour diagnostiquer et réparer leurs ponts.
Deuxièmement, le rapport de 2019 préconisait de sortir d'une culture de l'urgence au profit d'une gestion patrimoniale des ponts, en créant des outils pour améliorer la connaissance de l'état des ponts et leur suivi. L'objectif est de ne pas s'intéresser aux ponts qu'une fois qu'ils atteignent un niveau de dégradation préoccupant, comme on a pu le voir récemment sur l'île de Ré.
Troisièmement, le rapport proposait d'apporter une offre d'ingénierie aux collectivités. Nombre de ponts relèvent des territoires ruraux, dont les services techniques disposent de peu de moyens.
Trois ans après ce rapport, la situation toujours préoccupante de nos ouvrages d'art, nous amène à formuler sept propositions complémentaires que je vous propose d'adopter sur ce sujet. Je précise que ces propositions ont vocation à s'intégrer dans une proposition de loi. Il en va de la sécurité de nos concitoyens.
Dans les faits, quatre de ces sept propositions constituent la réitération de propositions déjà formulées en 2019, et qui n'ont, pour l'instant, trouvé aucun écho.
Première proposition, face au « mur d'investissements » qui s'annonce, nous avons besoin d'identifier un acteur de référence et d'agir dans la durée. C'est pourquoi je vous propose de conforter le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) dans la conduite du « programme national ponts ».
La deuxième proposition constitue une réitération de la demande de création d'un fonds pour les collectivités territoriales, doté de 130 millions d'euros par an et de 350 millions nets dès 2023, pour rattraper l'écart entre les financements inscrits en lois de finances et les estimations du Sénat. Vous le savez, les maires n'ont souvent d'autres solutions que de recourir à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou d'aller chercher des bouts de subventions au niveau des départements. Or toutes ces enveloppes sont plafonnées : comment alors s'attaquer à des ouvrages structurants s'il s'agit de viaducs, d'anciennes lignes SNCF ou de ponts séculaires ?
Troisième proposition, nous voulons réitérer la demande de porter à 120 millions d'euros par an en rythme de croisière les moyens mis par l'État pour l'entretien de ses ponts et augmenter cette enveloppe de 89 millions d'euros supplémentaires dès 2023 pour rattraper le retard accumulé depuis 2020.
Quatrième proposition, il s'agit de réitérer la demande de constituer un système d'information géographique national unique à horizon de 2025 permettant de recenser l'ensemble des ouvrages d'art de France et d'orienter le trafic des poids lourds, le cas échéant, à partir des applications GPS.
Cinquième proposition, nous voulons intégrer dans la section « investissement » des budgets locaux toutes les dépenses relatives à la maintenance et à la réparation des ponts, pendant une période de dix ans afin d'inciter les collectivités à investir.
Sixième proposition, je vous propose de « passer un cap législatif » pour nos ouvrages d'art, en posant le principe d'une obligation de déclaration de la propriété d'un ouvrage d'art pour l'ensemble des personnes publiques propriétaires, sur une plateforme dédiée. L'objectif est de disposer enfin d'un chiffrage exact du nombre de ponts et d'établir une véritable « carte d'identité » pour chaque ouvrage d'art. Il s'agit d'instaurer une obligation de déclaration de propriété, avec un suivi. Cela aura un coût : c'est pour cela que nous avons besoin de moyens dédiés. Au niveau législatif, nous pourrions également poser l'obligation pour tout pont de disposer d'un « carnet de santé ».
La septième et dernière proposition que je vous soumets consiste à remettre à niveau notre expertise et nos compétences publiques en matière de gestion des ouvrages d'art. Il s'agirait de faire des bilans de compétences dans les services de l'État et des collectivités, et de nouer des partenariats académiques pour former une génération d'ingénieurs capables de relever ce défi.
Je vous remercie de votre invitation. C'est un sujet qui nous a beaucoup occupés et sur lequel nous avons effectué un travail assez complet. Le rapporteur a parlé d'une fourchette concernant la connaissance des ponts routiers : il s'agit davantage d'un râteau. Et plus on descend dans les strates de collectivités, plus le râteau ou la fourchette s'élargit !
Les ponts sont entrés dans nos paysages et nos vies, mais pas dans notre patrimoine. Or il importe, selon moi, de les gérer dans leur dimension patrimoniale, notamment s'agissant de la gestion financière et comptable. Qui dit ouvrage en comptabilité publique dit amortissement de ces ouvrages et outils financiers à disposition pour les entretenir. Mais, en l'occurrence, rien de tel n'existe pour les ponts, ce qui constitue une carence très forte.
Toute la difficulté, c'est l'amorçage. Si l'on demande aux collectivités demain matin d'amortir ces ouvrages, cela va leur poser une grande difficulté en termes de reconstitution des provisions. L'impact sur leur trésorerie sera considérable. Il est donc nécessaire que l'État, notamment pour les ouvrages qu'il a transférés, apporte une contribution substantielle. Pour rappel, au moment du transfert des ouvrages, notamment des routes nationales, aucun moyen financier n'a été apporté...
Par ailleurs, quand on parle de la gestion de ces ouvrages, il faut y associer une durée de vie. Or cette dernière est très sensible au type de construction : un ouvrage en pierre n'aura pas la même durée de vie qu'un ouvrage en bois ou qu'un ouvrage en béton. Il importe donc de mettre en oeuvre un certain nombre d'outils que vous avez rappelés et auxquels j'adhère complètement. J'insiste également sur la mise en place d'une carte d'identité et d'un carnet de santé afin de pouvoir effectuer les piqûres de rappel au bon moment. Il s'agit, bien évidemment, d'assurer du mieux possible la sécurité de nos concitoyens.
En tout état de cause, je suis très heureux que notre rapport ait une vie et se prolonge par vos travaux. Le Gouvernement nous a adressé un petit signal au travers du plan de relance, mais aussi après la publication de notre rapport, en décidant d'engager au moins un recensement et des travaux sommaires. Il convient à présent de passer à la vitesse supérieure afin que ces ouvrages soient en parfaite santé pour les années à venir.
Comme l'a souligné notre rapporteur, la troisième étape sera la présentation d'une proposition de loi pour traduire l'ensemble des propositions formulées dans ce rapport.
Je partage les recommandations de ce rapport. Je siège à la métropole de Lyon. Lorsqu'à la fin de l'année 2015 les autoroutes A6 et A7 ont été déclassées pour devenir les voies M6 et M7, nous nous sommes aperçus que nous avions hérité d'ouvrages d'art dont l'état de santé n'avait jusque-là inquiété personne. L'addition a donc été un peu lourde !
Par ailleurs, si l'on permet de transférer, comme cela a été voté récemment, les voiries d'État à la métropole de Lyon, cela s'accompagnera également du transfert de soixante-dix ouvrages d'art. Le rapport soulève donc un point extrêmement important.
Par ailleurs, les travaux de la commission s'inscrivent dans une logique de prévention. Le rapport propose de recenser le nombre de ponts routiers et d'établir une carte d'identité, ainsi qu'un carnet de santé, ce qui me paraît fondamental dans cette perspective de prévention.
Il y a des inconvénients à être dans une métropole comme celle de Lyon, mais cela présente aussi des avantages, notamment parce que nous disposons d'un service avec des ingénieurs et des techniciens. Ce n'est pas le cas de toutes les collectivités territoriales. Il importe donc, comme le prévoit le rapport, de renforcer l'ingénierie, notamment via le Cerema.
Entre les bonnes intentions et les faits, il existe toujours une marge. Il faudra veiller à ce que les subventions soient bien au rendez-vous. Le rapporteur a parlé d'amorçage budgétaire, mais aussi de sécurité. Or quand la sécurité devient défaillante, on cherche toujours qui en est le responsable. Il importe de bien attirer l'attention des exécutifs sur ce point. Ce rapport, qui s'inscrit dans une logique de prévention, doit être perçu comme un investissement qui nous fera faire d'énormes économies dans l'avenir.
Je souscris pleinement aux propos de Gilbert-Luc Devinaz. La future proposition de loi apportera-t-elle des solutions au problème que vous avez soulevé des ouvrages d'art sans propriétaire ? C'est un sujet certes compliqué, mais disposez-vous déjà de pistes d'action ? Il n'est en effet pas envisageable de laisser des ouvrages sans propriétaire et donc sans obligation d'entretien. Serait-il possible, par exemple, d'attribuer les fonds nécessaires à un entretien à certaines collectivités ?
La question des ponts orphelins est très compliquée et doit être traitée au cas par cas. Sur ce sujet, nous avons même trouvé des ponts qui appartenaient à des associations communales de chasse agréées (ACCA).
Une proposition de loi devrait permettre d'apporter un certain nombre de réponses pour remédier à la situation dégradée de nos ouvrages d'art et nous verrons dans quelle mesure nous pourrons également traiter cette question. J'aimerais que cette proposition de loi puisse être examinée avant le projet de loi de finances. Le Cerema mérite effectivement d'être conforté. Il nous faudra impérativement des moyens. Or je rappelle que le fonds voté par le Sénat a été « retoqué » par l'Assemblée nationale.
En tout état de cause, le Gouvernement n'a pas pris la pleine mesure du danger. C'est le point qui me préoccupe le plus. Enfin, je souscris, bien évidemment, à la remarque de notre collègue Patrick Chaize sur les transferts de propriété et de compétence. Au moment de la départementalisation des routes, l'État nous a dit qu'il nous donnerait ce qu'il avait investi au cours des trois dernières années. Or, comme il n'avait rien dépensé, le calcul a vite été fait : trois fois zéro, ça fait zéro ! Quid si l'on nous transfère des ponts napoléoniens ou autres ?
Le futur texte de loi devra donc impliquer les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) en support d'ingénierie, en support historique, voire en support de financement. Mais en aucun cas il ne faudra compliquer les choses, comme souvent savent le faire les architectes des bâtiments de France (ABF).
La mission d'information adopte, à l'unanimité, les propositions et autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 20.