Intervention de Claire Hédon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h10
Audition de Mme Claire Hédon défenseure des droits pour la présentation de son rapport annuel

Claire Hédon, Défenseure des droits :

Nous avons été saisis par la Ligue des droits de l'homme sur le caractère massif des verbalisations durant les différents confinements et sur le risque d'arbitraire de ces contrôles. Beaucoup de parents m'ont d'ailleurs alertée sur ce problème et sur le coût que cela a pu représenter pour certains. J'ajoute, en tant qu'habitante du XVIe arrondissement de Paris, que je n'ai moi-même jamais été contrôlée, ce qui est tout de même étrange...

En ce qui concerne l'accès des détenus à la santé, nos délégués sont présents dans quasiment tous les lieux de détention et nous sommes régulièrement saisis de cette question. Je crois que tout le monde est conscient des grandes difficultés qui existent en la matière. Y répondre demande des moyens.

Nous avons été alertés par nos homologues européens, en particulier l'office britannique - l'Independent Office for Police Conduct (IOPC) -, sur les événements du Stade de France. En effet, des supporters de Liverpool avaient demandé à l'IOPC quelle était la procédure applicable en France en matière de déontologie des forces de sécurité. Nous avons fait traduire notre formulaire ad hoc en anglais et l'avons mis à disposition de l'IOPC.

La question de la dématérialisation est une préoccupation constante pour nous. Nous devons être attentifs à ne pas briser le lien social. J'ajoute que presque tout le monde rencontre des difficultés à un moment ou à un autre... Maintenir l'humain est absolument indispensable ! Nombre de détenus sortent de détention sans pièce d'identité, parce qu'ils ne peuvent pas les renouveler durant cette période, ce qui ne peut que nuire à leur réinsertion ; nous préconisons donc qu'ils aient un accès à internet, certes limité, dans ce but.

Monsieur le sénateur Bonhomme, je ne défends pas « ma » vision des discriminations, et je souhaite que nous ayons un dialogue serein sur cette question. La lutte contre les discriminations est à la base de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Comment dire que l'on attaque la société, lorsque l'on pointe simplement du doigt les problèmes - l'accès des enfants en situation de handicap à l'école ou la cantine et le nombre de leurs accompagnants, le retour des femmes de leur congé maternité, l'emploi des personnes de 55 ans, etc. ? Ce sont bien des discriminations ! Et cela concerne l'ensemble de la société.

Il existe aussi des discriminations dues à l'origine : nous sommes régulièrement saisis par des personnes qui ont envoyé un curriculum vitæ avec leur nom et qui n'ont pas été sélectionnées, mais qui le sont après avoir renvoyé le même CV avec un nom francisé... C'est bien là aussi de la discrimination.

Dire que ces discriminations existent n'est évidemment pas une remise en cause de la République. C'est au contraire être républicain et respecter notre devise.

Vous estimez que nous avons beaucoup de moyens. Nous avons eu, il est vrai, des moyens supplémentaires pour la mise en place de la plateforme antidiscriminations.fr, mais nous n'aurions pas pu la mettre en place sans ces moyens. Le nombre de réclamations augmente ; nous indemnisons des délégués, qui sont, par ailleurs, bénévoles. Notre budget est contraint. Je n'ai pas du tout la même impression que vous. Nous estimons même que nous manquons de moyens. D'ailleurs, je n'ai pas dit que les discriminations augmentaient ; j'ai dit que le nombre de saisines avait progressé de 25 %, ce qui est largement dû à la mise en place de la plateforme.

Je répète que nos observations devant les tribunaux, qu'elles concernent les droits des enfants, la déontologie des forces de sécurité ou des discriminations, sont suivies dans 82 % des cas. Je pense donc que nos analyses sont les bonnes.

Oui, les enfants ont des droits, et il est tout à notre honneur de les respecter. À cet égard, la question de l'accès à la médecine scolaire, qui joue un très beau rôle en matière de prévention, de l'accès à la PMI, est l'une de mes préoccupations majeures. Santé publique France a publié des chiffres alarmants sur la santé mentale des enfants : les passages à l'acte, des idées suicidaires, des dépressions, des troubles alimentaires, des troubles du sommeil augmentent. Il y a urgence à agir. Au reste, on sait que plus la prise en charge des enfants et des adolescents est précoce, plus elle est efficace.

Nous sommes très préoccupés par l'écart que nous avons parfois pu observer en termes de scolarisation entre jeunes filles et jeunes hommes détenus : les premières ne bénéficient en moyenne que de sept heures de cours par semaine dans les lieux de détention, contre 14 à 21 pour les garçons. Les discriminations cachées de cet ordre sont assez redoutables.

Je suis très heureuse de pouvoir revenir sur la question des contrôles d'identité. Même si ce n'est pas assez vite, nous avançons. Nous avons été suivis par la cour d'appel de Paris sur des contrôles d'identité discriminatoires en gare du Nord.

Faute de traçabilité, nous ne savons pas, en France, combien de contrôles d'identité ont lieu chaque année. Je suis allée voir mes homologues, notamment à l'office britannique - l'IOPC. En Grande-Bretagne, il n'y a pas de contrôle d'identité, pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas de pièce d'identité. Ce n'est pas pour autant une zone de non-droit ! Les contrôles, qui peuvent donner lieu à des fouilles, s'appellent « stop and search ». En 2021, il y en a eu 700 000 - la moyenne annuelle s'établit autour de 500 000. Le policier enregistre le stop and search sur une tablette. Le lendemain, la personne qui a été contrôlée peut aller au commissariat et demander un récépissé, ce qui permet un suivi et un dépôt de plainte en cas de stop and search considéré comme discriminatoire.

Je demande une expérimentation pour rechercher le meilleur moyen de traçabilité - est-ce le récépissé ? L'enregistrement sur tablette ? Les caméras dont sont équipés les policiers sont-elles suffisantes ? En outre, j'ai saisi la Cour des comptes pour qu'elle essaie d'évaluer quantitativement et qualitativement les contrôles d'identité, de manière que l'on connaisse leur nombre, leur efficacité, leur impact sur la délinquance ainsi que sur la confiance de la population. Je pense qu'il faut sortir de la situation de blocage actuelle. Je pense aussi que la traçabilité est essentielle : c'est l'un des moyens de rétablir la confiance dans nos forces de sécurité.

Je vous remercie d'avoir félicité la totalité de nos équipes. Je suis d'accord avec vous : je suis entourée de personnes remarquables.

Vous avez insisté sur la question de l'accès aux préfectures. Le système actuel est, en effet, totalement absurde, comme la Cour des comptes l'a aussi remarqué. Je ne mets pas en cause les agents de service public : ils cherchent à faire au mieux, mais l'on manque sans aucun doute de personnes à l'accueil. Combien faudrait-il de fonctionnaires ? Il ne m'appartient pas de le dire. Mon curseur est l'égalité devant les services publics. Faire respecter les droits demande évidemment des moyens. Il faut les déployer. C'est ce qui rétablira la confiance dans notre République.

Pour ce qui concerne le harcèlement scolaire, je suis inquiète du retard dans la prise en compte de la parole de l'enfant et du fait que ce sont les enfants harcelés, et non les harceleurs, qui doivent changer d'école. Il faudrait une écoute et une prise en charge de l'enfant beaucoup plus rapide.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion