La commission désigne M. André Reichardt rapporteur sur la proposition de loi n° 514 (2021-2022) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
La commission désigne M. Philippe Bas rapporteur sur le projet de loi n° 9 (A.N., XVIe lég.) maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19, sous réserve de sa transmission.
Il me revient de rapporter le premier texte de notre session extraordinaire. Il s'agit d'une proposition de loi déposée en janvier dernier, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée et que l'Assemblée nationale a adoptée en février dernier.
Je note que nous avons là un exemple typique d'une pratique que nous dénonçons régulièrement : le texte a été rédigé par les directions centrales des ministères de l'intérieur et de la justice, déposé par les députés du groupe majoritaire, puis discuté au Parlement sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, pourtant bien utiles...
Il vise à adapter la législation française aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, qui est en vigueur depuis le 7 juin 2022 dans toute l'Union européenne.
Ce règlement européen a pour principal objet d'imposer le retrait de « contenus à caractère terroriste » en ligne dans l'heure - c'est un point important - à tous les fournisseurs de services d'hébergement qui proposent des services dans l'Union, quel que soit le lieu de leur établissement principal, dans la mesure où ils diffusent des informations au public.
Il instaure la possibilité pour les autorités nationales d'émettre des injonctions de retrait transfrontalières, exécutoires dans un autre État membre.
Enfin, il prévoit que les fournisseurs de services d'hébergement, quelle que soit leur taille, doivent prendre des « mesures spécifiques » pour protéger leurs services contre la diffusion au public de contenus à caractère terroriste dès lors qu'ils sont classés comme étant « exposés » à ces contenus par l'autorité qui en assure la supervision.
Ces dispositifs ne sont pas totalement nouveaux en droit français, puisque nous disposons déjà, depuis 2015, de la procédure administrative de retrait de l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, dite LCEN.
Dans ce cadre, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) - plus communément appelé Pharos, car il gère cette plateforme de signalement - peut demander aux éditeurs et aux hébergeurs de retirer des contenus faisant de la provocation ou de l'apologie du terrorisme ou des contenus pédopornographiques. S'ils ne le font pas sous vingt-quatre heures, Pharos a alors la possibilité de notifier la liste des adresses électroniques permettant l'accès aux contenus illicites aux fournisseurs d'accès internet afin qu'ils les bloquent sans délai et aux moteurs de recherche afin qu'ils les déréférencent.
Cette procédure administrative s'exerce sous le contrôle d'une personnalité qualifiée indépendante placée aujourd'hui auprès de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - qui a pris la suite du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - qui peut saisir le tribunal administratif, en référé ou sur requête, en cas de demande de retrait infondée. Je souligne que, depuis sa création, cette fonction est exercée par un magistrat judiciaire - un conseiller à la Cour de cassation, membre de l'Arcom. Cette pratique me semble très bienvenue s'agissant d'analyser le bien-fondé d'une mesure sensible au regard de la liberté d'expression.
Parallèlement, l'Arcom dispose d'une compétence de supervision des moyens de lutte contre la diffusion de contenus haineux mis en place par les plateformes au titre de l'article 6-4 de la LCEN.
Voilà en résumé le cadre dans lequel intervient la proposition de loi sur laquelle je vais revenir à présent, après avoir rappelé que notre marge de manoeuvre législative est assez étroite, puisqu'elle est définie par le règlement européen lui-même.
D'après mon analyse, ce ne sont pas tant les dispositions visant à transcrire les options laissées aux États membres en droit français qui posent problème, mais bien le choix qui a été fait de juxtaposer la nouvelle procédure à une procédure existante sans harmoniser ou coordonner les deux.
Pharos qui gère déjà les demandes de retrait de l'article 6-1 serait compétent pour émettre les injonctions de retrait. La personnalité qualifiée de l'Arcom serait compétente pour procéder à un examen approfondi des injonctions de retrait transfrontalières et l'Arcom assurerait la supervision des fournisseurs de services d'hébergement qui ont un établissement principal en France ou y ont désigné un représentant légal.
S'agissant des sanctions, deux obligations des fournisseurs de services d'hébergement seraient pénalement sanctionnées : l'obligation de retrait des contenus à caractère terroriste dans l'heure - un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende - et l'obligation de signaler un contenu à caractère terroriste « présentant une menace imminente pour la vie » - trois ans d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende. Je présenterai tout à l'heure un amendement pour harmoniser ces peines. Le reste relèverait du pouvoir de supervision et de sanction de l'Arcom, selon une procédure classique de mise en demeure préalable.
Enfin, la proposition de loi créerait des procédures ad hoc devant le président du tribunal administratif ou le Conseil d'État afin que les fournisseurs de services d'hébergement et les fournisseurs de contenus puissent contester rapidement l'injonction de retrait, la décision de la personnalité qualifiée de l'Arcom ou celle de l'Arcom, ce qui préserve la liberté d'expression.
Sur cet ensemble, je n'ai pas de réserves majeures.
Ce qui me semble plus discutable, je l'ai évoqué, c'est de faire coexister les procédures de l'article 6-1 et du nouvel article 6-1-1 créé par la proposition de loi. Cela ne semble pas tout à fait respecter l'esprit du règlement européen qui vise à harmoniser la procédure et les obligations découlant des injonctions de retrait. Au regard des auditions que j'ai menées, j'ai compris qu'il reviendrait à la pratique - c'est-à-dire principalement à Pharos - d'articuler ces dispositifs différents et potentiellement « concurrents ».
Je comprends tout à fait le choix de ne pas « désarmer » Pharos et de lui conserver la possibilité d'user de la procédure prévue par l'article 6-1 de la LCEN en matière de terrorisme, en particulier pour conserver les notifications de blocage ou de déréférencement. Cette procédure semble, selon les auditions que j'ai menées, fonctionner, mais on aurait pu réfléchir à intégrer ces dispositifs au nouvel article 6-1-1.
Le temps nous manque aujourd'hui et je vous propose de conserver ce choix, tout en prévoyant un mécanisme de supervision de Pharos afin de veiller à ce qu'il adopte la même pratique que les autres autorités compétentes européennes et utilise les injonctions de retrait du règlement européen dans les mêmes cas de figure, sans se reporter sur la procédure - moins formaliste - de l'article 6-1 de la LCEN. Cette supervision marche de manière très fluide et coopérative pour les procédures de l'article 6-1. Je suggère de la maintenir pour les nouvelles procédures d'injonctions de retrait.
Je vous proposerai à cette fin un amendement pour assurer une transmission systématique des injonctions de retrait au titre de l'article 3 du règlement européen à la personnalité qualifiée de l'Arcom, afin de permettre à celle-ci, d'une part, de suivre l'ensemble des demandes relatives aux contenus terroristes et de veiller à la cohérence globale de leur traitement par Pharos ; d'autre part, de saisir le président du tribunal administratif en cas d'injonction non fondée et de suppléer ainsi l'inaction de fournisseurs de services d'hébergement ou de contenus, qui peuvent être de petits acteurs ne disposant pas des moyens juridiques nécessaires.
Je vous proposerai trois autres modifications : étendre la compétence du suppléant de la personnalité qualifiée, qui a été créé sur l'initiative de la rapporteure de l'Assemblée nationale, pour que ce suppléant puisse également intervenir dans les procédures de l'article 6-1, y compris celles qui sont relatives aux contenus pédopornographiques, et ainsi alléger la charge de travail de la personnalité qualifiée ; fixer la suite de la procédure du nouvel article 6-1-4, en prévoyant un appel, dans les mêmes délais contraints, devant le Conseil d'État, assurant ainsi un recours effectif dans un court délai ; harmoniser les sanctions pénales encourues par les fournisseurs de service d'hébergement et veiller à l'application du futur texte dans les outre-mer.
Sous réserve de ces améliorations et de quelques retouches rédactionnelles, je vous proposerai d'adopter la proposition de loi pour se conformer - avec un peu de retard - au règlement européen du 29 avril 2021 qui est entré en vigueur, je le rappelle, le 7 juin 2022. À ce stade, seuls neuf États membres ont mis en oeuvre ce règlement dans leur droit national ; la France n'est donc pas tant en retard que cela. Pour autant, nous n'avons certainement pas intérêt à perdre du temps.
D'importants progrès ont été réalisés ces dernières années en matière de lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.
Pharos aura-t-elle les moyens de répondre à ses nouvelles obligations ? Il est souvent difficile d'évaluer concrètement le travail réalisé par ce type d'organisme et il serait intéressant que notre commission mène un contrôle sur cette question.
Pouvez-vous nous apporter des informations complémentaires sur les injonctions transfrontalières ?
Nous travaillons effectivement dans l'urgence et je salue le travail du rapporteur pour améliorer, dans ces conditions, ce qui peut l'être. Il est évidemment regrettable de « passer » par une proposition de loi pour mettre en oeuvre ce type de dispositions qui requièrent des moyens juridiques nettement plus solides.
Sur le fond, ce dispositif permettra de renforcer la lutte contre la diffusion de contenus terroristes. Néanmoins, nous devrons être attentifs à l'articulation entre les différentes procédures pour éviter tout problème dans la mise en oeuvre concrète. L'efficacité de l'ensemble du dispositif devra donc être évaluée.
Le rapporteur nous propose de prévoir que la personnalité qualifiée pourra saisir le président du tribunal administratif dans l'intention de faciliter l'exercice de ce droit par les petits fournisseurs de services d'hébergement ou de contenus. Est-ce que l'aide juridictionnelle n'est justement pas faite pour cela ?
Le temps dont nous disposons pour examiner ce texte est particulièrement court et je m'étonne que de telles dispositions soient contenues dans une proposition de loi, et pas dans un projet de loi.
Je rappelle que le sujet dont nous débattons a déjà fait l'objet d'une proposition de loi dans la mandature précédente, proposition qui avait été déposée par la députée Laetitia Avia, et que le Conseil constitutionnel avait censuré en juin 2021 de nombreuses mesures contenues dans ce texte. L'un des arguments du Conseil était que la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l'administration.
Par ailleurs, plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), dont Human Rights Watch, Reporters sans frontières, Amnesty International ou La Quadrature du Net, ont émis des réserves : elles considèrent que la brièveté du délai conduira nécessairement à de nombreuses erreurs techniques et que l'utilisation d'algorithmes entraînera la suppression indue de contenus licites, parfois même avant leur publication - ces filtres sont souvent incapables de faire la distinction entre de l'activisme, de la satire ou du contre-discours et de véritables contenus propagandistes, d'autant que les contextes et le droit varient selon les États membres.
Par ailleurs, donner une telle responsabilité à l'Arcom, alors que nous n'avons pas de réel contrôle sur cette compétence et qu'aucun moyen supplémentaire ne lui est accordé - à ce stade en tout cas -, pose évidemment problème.
Pour ces raisons, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires s'abstiendra en commission sur ce texte.
Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec les contenus pornographiques accessibles aux mineurs en ligne : il ne serait pas possible de les retirer rapidement, alors que cela le serait pour des contenus à caractère terroriste. Je regrette que les acteurs d'internet ne puissent pas être aussi réactifs pour ces contenus pornographiques que pour les contenus terroristes.
Je remercie le rapporteur de nous avoir invités à participer à ses auditions sur ce texte et je retiens, avec une grande inquiétude, un propos que j'ai entendu à cette occasion : « Pharos n'est que le miroir de notre société ! »
Nous avons entendu les responsables de Pharos et, pour eux, la question des moyens ne se pose pas particulièrement. Ils traitent déjà des volumes importants. En 2017, il y a eu 32 739 demandes de retrait en matière terroriste sur le fondement de l'article 6-1 de la LCEN, 14 888 en 2021. En 2021, ces demandes ont donné lieu à seulement 19 notifications de blocage et 1 651 demandes de déréférencement.
Pour autant, il nous faudra suivre la question des moyens, tant pour Pharos que pour l'Arcom. S'agissant de l'Arcom, sa demande devrait se limiter à un ou deux postes en équivalents temps plein.
Beaucoup de sites sont hébergés en Irlande ou dans d'autres pays de l'Union européenne. Il est donc très important que les autorités nationales compétentes puissent émettre des injonctions transfrontalières et que celles-ci soient exécutoires dans un autre pays de l'Union.
En ce qui concerne la saisine par la personnalité qualifiée du tribunal administratif, l'aide juridictionnelle n'est pas ouverte aux personnes morales, seulement aux personnes physiques.
Est-il vraiment opportun de favoriser l'exercice de ce recours, car cela ne peut qu'alourdir la charge des tribunaux ? Et est-il également opportun d'aider les hébergeurs en la matière, même si nous ne parlons que des « petites » structures ?
En pratique, il y a très peu de recours ; il n'y a eu qu'un jugement ! Le nombre de cas devrait donc être limité.
La question de la constitutionnalité du dispositif est évidemment essentielle.
Contrairement à la proposition de loi de Mme Avia, nous sommes ici dans le cadre de la mise en oeuvre d'un règlement européen, ce qui modifie le champ du contrôle de constitutionnalité - dans ce cas, le Conseil constitutionnel contrôle l'absence d'atteinte à une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
Par ailleurs, des garanties sont introduites qui n'existaient pas dans la proposition de loi précédente : un délai de préavis de douze heures est laissé au fournisseur de services d'hébergement avant la première injonction ; le délai d'une heure est décompté à compter de la réception de l'injonction, et non de la notification ; le délai d'une heure est suspendu dans certains cas ; le fournisseur de services d'hébergement a l'obligation de conserver les contenus et de les remettre en ligne en cas d'annulation de l'injonction ...
Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous proposer, avant que nous n'examinions l'article unique de cette proposition de loi, le périmètre de l'article 45 de la Constitution applicable à ce texte ?
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions visant à adapter la législation au règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'amendement COM-1 vise à préciser que l'autorité compétente pour émettre une injonction de retrait au titre du règlement européen est la même que celle qui agit dans le cadre de l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'amendement COM-2 est destiné à faire apparaître que la personnalité qualifiée mentionnée à l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique est celle qui est compétente pour examiner de manière approfondie les injonctions de retrait transfrontalières dans le cadre du règlement européen.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.
L'amendement COM-4 permet de faire apparaître l'ensemble des autorités compétentes susceptibles d'échanger des informations. Il s'agit d'une précision.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'amendement COM-5 vise à permettre au suppléant désigné d'assister également la personnalité qualifiée dans le cadre de l'article 6-1 de la LCEN.
Cet amendement entre-t-il dans le périmètre que nous venons de fixer concernant l'application de l'article 45 de la Constitution ?
C'est une disposition qui facilitera la mise en oeuvre de l'ensemble du dispositif.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement COM-6 apporte une précision rédactionnelle.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'amendement COM-7 vise à aligner les peines encourues en cas de non-respect par un fournisseur de services d'hébergement de l'obligation d'informer les autorités compétentes d'un « contenu à caractère terroriste présentant une menace imminente pour la vie » dont il aurait connaissance sur celles qui sont prévues en cas de non-respect de l'injonction de retrait en une heure. Il s'agit d'assurer une meilleure cohérence de l'échelle des peines.
L'amendement COM-7 est adopté.
Les amendements rédactionnels COM-8 et COM-9 sont adoptés.
L'amendement COM-10 vise à assurer la transmission systématique à la personnalité qualifiée de l'Arcom des injonctions de retrait au titre de l'article 3 du règlement européen, c'est-à-dire les injonctions nationales. Il s'agit de lui permettre de superviser la manière dont Pharos fait usage des articles 6-1 et 6-1-1 de la LCEN.
L'amendement COM-10 est adopté.
L'amendement COM-11 vise à préciser la suite de la procédure après la première instance devant le président du tribunal administratif. Il prévoit une procédure d'appel devant le Conseil d'État, comme en matière de référé-liberté, et ce, dans un délai rapide identique à celui de la procédure devant le tribunal administratif.
Il me semble que nous devons aussi prévoir que, si le tribunal administratif ne s'est pas exprimé dans le délai imparti, le dossier est automatiquement transmis au Conseil d'État, comme en matière électorale. Je déposerai certainement un amendement en ce sens en vue de l'examen du texte en séance publique.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'amendement COM-12 vise à assurer l'application de la proposition de loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
Je ne suis pas certain que cet ajout soit indispensable, parce que nous sommes ici dans le cadre d'un texte lié à la souveraineté nationale, pas dans le cadre du principe de spécialité législative. Un tel texte s'applique à l'ensemble du territoire de la République sans qu'il soit besoin de le préciser.
Cette précision figure déjà dans la LCEN. Il s'agit d'une simple actualisation.
L'amendement COM-12 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Nous sommes heureux de vous recevoir, Monsieur le président, pour la présentation du rapport annuel de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site du Sénat.
L'année 2021 a été particulièrement dense pour votre institution, du fait notamment des échéances électorales de 2022 et de l'élargissement du champ des personnes contrôlées - nous pensons notamment à l'obligation récente pour les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de transmettre à la Haute Autorité leur déclaration d'intérêts.
Le bilan de l'année 2021 est, en outre, révélateur, dans la mesure où il s'agit de la première année de plein exercice des nouvelles compétences confiées en matière de contrôle déontologique des agents publics à la Haute Autorité par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. À ce sujet, nous nous souvenons que s'est tenue au Sénat, en octobre dernier, la troisième édition de la Rencontre annuelle des référents déontologues de la sphère publique : pourriez-vous nous indiquer les conclusions tirées à cette occasion ?
Par ailleurs, comment la Haute Autorité appréhende-t-elle les conséquences de l'entrée en vigueur de la réforme de la haute fonction publique, s'agissant en particulier des obligations accrues de mobilité et de la disparition de certains corps ? L'augmentation du nombre de saisines de la HATVP qui pourrait en découler semble probable : quelle organisation avez-vous prévue ?
Il faut également mentionner, comme élément d'actualité récente, l'extension, depuis le 1er juillet dernier, du répertoire des représentants d'intérêts à l'échelon local. Nous savons que bon nombre d'élus locaux sont préoccupés par cette extension, au regard notamment du nombre élevé de décisions individuelles qu'ils peuvent être amenés à prendre. Pourriez-vous nous préciser les éventuelles mesures d'accompagnement prévues ?
Enfin, je souhaite rappeler les évolutions qu'a connues ces derniers mois le dispositif de prévention des conflits d'intérêts, avec, en premier lieu, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui a redéfini à l'article 432-12 du code pénal la notion d'intérêt et, en second lieu, la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », qui a exclu de la situation du conflit d'intérêts l'élu représentant sa collectivité au sein de certaines instances tierces, tout en prévoyant certaines exceptions.
Dans le rapport de cette année, vous suggérez que ces avancées pourraient être complétées par d'autres dispositions. Vous proposez ainsi de mieux définir, à l'article L. 1111-6 du code général des collectivités territoriales, les critères permettant de déterminer les organismes à l'égard desquels les élus ne sont pas tenus de se déporter, alors qu'ils y représentent leur collectivité ès qualités. Pourriez-vous préciser les enjeux de cette mesure ?
Pour conclure, et de façon plus générale, je souhaiterais avoir votre analyse concernant la politique publique de lutte contre la corruption. La création de la Haute Autorité, il y a plus de huit ans, a posé un jalon important, complété notamment par la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II. Où en est désormais le processus ? Quelles devraient être les prochaines étapes ? Nous nous souvenons que la proposition de loi déposée en octobre dernier par le député Raphaël Gauvain n'a pas été inscrite à l'ordre du jour des travaux de la précédente législature. Le colloque européen sur l'éthique et la transparence organisé le mois dernier par la Haute Autorité a-t-il fait apparaître des « bonnes pratiques » chez nos voisins dont la France pourrait s'inspirer ?
Je vous remercie de m'avoir convié à présenter devant votre commission le rapport d'activité 2021 de la HATVP, le troisième depuis que je la préside. Je suis accompagné de Lisa Gamgani, secrétaire générale, et de Ted Marx, directeur des publics, de l'information et de la communication.
Au cours de ces huit ans, la HATVP a oeuvré pour contribuer à améliorer la probité et l'intégrité de la vie publique française, et en rendre plus intelligibles pour nos concitoyens les manquements éventuels. Notre institution a vu ses missions se renforcer - encadrement du lobbying, des mobilités entre le public et le privé - et ses moyens progresser - c'est la marque de confiance du législateur à notre égard. Les citoyens, toujours plus vigilants, n'ont cessé de nous interpeller, parfois en nous demandant d'aller au-delà de nos missions. Cette confiance et cette exigence constituent l'essence même de nos missions et nous poussent jour après jour à nous consacrer au noble objectif de conforter encore la probité dans les sphères de la décision publique et à informer les citoyens des nombreuses actions entreprises à cet effet par le législateur et des résultats des contrôles opérés.
Les données relatives à l'exercice de nos missions sont parfois très nombreuses. Aussi, je ne retiendrai que les principales et vous présenterai rapidement le bilan de notre activité de l'année 2021, articulé avec les propositions que nous formulons pour l'avenir.
Comme vous le savez, la HATVP exerce trois missions principales : le contrôle du patrimoine et des intérêts des responsables publics, le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé et la régulation de la représentation d'intérêts. La HATVP assure aussi, plus largement, un rôle d'accompagnement et de conseil, auquel elle consacre de plus en plus de temps et de moyens.
Sur le contrôle des déclarations de situation patrimoniale et d'intérêts, ce sont plus de 17 000 responsables publics, élus, agents, collaborateurs et dirigeants qui sont concernés. La HATVP vérifie le caractère exhaustif, exact et sincère de ces déclarations ; elle s'assure de l'absence d'enrichissement au cours des fonctions et, surtout, elle veille à prévenir les conflits d'intérêts.
Avec 15 574 déclarations reçues, l'année 2021 fut une année très dense, même si elle le fut légèrement moins que l'année précédente. Nous avons notamment reçu les déclarations des élus départementaux et régionaux nouvellement élus, tout comme, pour la première fois, celles des membres du CESE. Les députés arrivant à la fin de leur mandat ont également déposé l'an dernier leur déclaration de situation patrimoniale de fin de mandat.
Cette année fut aussi l'occasion d'un nouveau contrôle, issu de la loi pour la confiance dans la vie politique de 2017 : celui de la variation du patrimoine du Président de la République. À cette occasion, la Haute Autorité a rendu un avis, le 14 décembre 2021, constatant que la variation du patrimoine de M. Emmanuel Macron, entre 2017 et 2021, n'appelait pas d'observation.
Sur l'ensemble de ces déclarants, nous observons un taux de dépôt, dans les délais légaux, assez inégal et parfois insatisfaisant. Les services de la Haute Autorité ont ainsi dû adresser 1 261 relances et 250 injonctions aux déclarants n'ayant pas déposé leurs déclarations dans les délais. Après relance et injonction, le taux de dépôt s'améliore très nettement, mais la Haute Autorité a tout de même dû transmettre 55 dossiers à la justice pour non-dépôt. Ce chiffre est faible en proportion, rapporté au nombre de personnes tenues de remplir leurs déclarations, mais reste significatif au regard notamment de la tension actuelle dans les juridictions. Cela illustre toute l'utilité de la proposition de la Haute Autorité qui vise à la doter d'un pouvoir propre de sanction administrative, qui pourrait justement être appliqué dans ces situations de non-dépôt - nous ne voulons pas, pour autant, nous substituer au juge. Cette faculté, plus rapide et plus efficace qu'une procédure judiciaire, serait aussi in fine plus incitative pour les déclarants. Le non-remboursement des frais de campagne pour les élus n'ayant pas respecté le délai légal de dépôt de leur déclaration de patrimoine et de leur déclaration d'intérêts contribuera certainement à l'amélioration des statistiques. Cette disposition, certes incitative, concerne toutefois assez peu les adjoints au maire et les vice-présidents des intercommunalités, ceux des départements et des régions, qui représentent la part la plus importante de ces 55 dossiers transmis à la justice.
3 150 déclarations ont fait l'objet d'un contrôle approfondi. La majorité présentait des lacunes ou des erreurs mineures. Pour 62 % des déclarations d'intérêts contrôlées, la Haute Autorité a formulé des mesures de prévention de conflits d'intérêts. Elle a transmis onze dossiers à la justice, dont huit pour des situations de prise illégale d'intérêts.
Dans l'ensemble, nous pouvons dire que les responsables publics respectent très largement leurs obligations déclaratives. Peu de situations justifient une transmission des dossiers au Parquet. Cela s'explique par un réflexe déontologique bien mieux ancré que par le passé. C'est aussi le résultat de l'accompagnement de nos services effectué auprès des décideurs publics, tout comme le travail des référents déontologues, bien plus nombreux qu'auparavant au sein des administrations. Je remercie d'ailleurs le Sénat d'avoir accepté de réunir, à nouveau, les référents déontologues à l'automne prochain, afin d'échanger et de mieux expliquer la doctrine de la Haute Autorité. Bien sûr, il reste des situations qui doivent être signalées à la justice et sanctionnées par elle. Mais la probité et l'intégrité progressent et ce constat mérite d'être largement partagé, alors que la défiance de nos concitoyens envers leurs responsables publics demeure grande dans notre pays.
La Haute Autorité formule d'ailleurs des propositions pour aller plus loin. Nous souhaitons élargir le champ de contrôle en soumettant certaines fonctions stratégiques aux obligations déclaratives.
C'est le cas des maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille, ainsi que des dirigeants de filiales de la Caisse des dépôts, comme de La Poste ou de Bpifrance, qui échappent aujourd'hui à ces obligations. Nous sommes également favorables à une clarification du risque de prise illégale d'intérêts pour les élus locaux siégeant dans des organismes extérieurs.
Même si des dispositions ont déjà été prises par le législateur en ce sens - dans la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et la loi 3DS -, sur proposition de la Haute Autorité d'ailleurs, il reste à définir des critères permettant de déterminer quels sont les organismes à l'égard desquels les élus ne sont pas tenus de se déporter, alors qu'ils y représentent leur collectivité. Il nous paraît nécessaire d'ajuster la rédaction de certaines dispositions en dissociant, en matière de prise illégale d'intérêts, la participation d'un élu, d'une part, à sa propre désignation et, d'autre part, à la détermination de son indemnité. Assimiler la participation d'un élu à sa propre désignation à une prise illégale d'intérêts peut ne pas sembler justifié, dans la mesure où voter pour soi-même n'est pas interdit.
Je profite de cet échange pour vous présenter un court bilan des contrôles et des publications à la suite des élections municipales et intercommunales de 2020. Cette année-là, 1 526 contrôles au fond des déclarations déposées ont été programmés dans notre plan de contrôle. À ce jour, 97 % d'entre eux sont clôturés et toutes les déclarations correspondantes ont été publiées ou le seront d'ici la semaine prochaine. Il ne nous reste donc plus que quelques contrôles à finaliser pour que l'intégralité des déclarations déposées en 2020 ait été contrôlée et publiée, conformément à l'engagement que j'avais pris de ne pas dépasser un délai de deux années après l'élection, contrairement aux élections municipales de 2014, pour lesquelles nous avions rencontré beaucoup de difficultés.
Sur le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé, la Haute Autorité a pour rôle de prévenir les conflits d'intérêts. La loi nous a dotés du pouvoir de contrôle de la reconversion dans le privé des membres du Gouvernement, de leurs collaborateurs, de certains élus locaux et des membres des autorités administratives et indépendantes. Depuis la loi de transformation de la fonction publique de 2019, ce contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé s'est étendu à l'ensemble des fonctions les plus stratégiques, soit près de 20 000 hauts fonctionnaires. Ce contrôle comprend même une phase préalable à la nomination dans les fonctions publiques pour certaines fonctions très identifiées, comme celle de conseiller ministériel.
L'année 2021 est donc notre première année de plein exercice en matière de contrôle des mobilités, après le transfert des compétences de la commission de déontologie de la fonction publique en février 2020. Nous avons ainsi rendu, l'an dernier, 307 avis.
Vous trouverez de nombreux chiffres dans notre rapport, mais le contrôle le plus structurant porte sur la reconversion des agents publics vers le secteur privé. Pour cette population, nous avons rendu 166 avis. Près de 10 % ont été des avis d'incompatibilité, et les deux tiers des avis ont été assortis de réserves de fond. Parmi ces 166 avis, près de 40 % concernaient des collaborateurs du Président de la République ou des conseillers ministériels.
Pour vous permettre d'évaluer cette activité et son ampleur, nous avons rendu, entre le 1er janvier 2022 et le 1er juillet 2022, 306 avis, soit l'équivalent de l'année 2021 ; 152 avis concernaient des projets de reconversion professionnelle.
La Haute Autorité relève toutefois des défauts de saisine persistants dans les cas de reconversion vers le privé. Grâce un travail de veille, nous avons pu identifier une vingtaine de cas et demander aux personnes concernées ainsi qu'à leur autorité hiérarchique de nous saisir. Notre avis exprimé a posteriori ne régularise pas la situation de personnes en situation d'irrégularité pour ne pas avoir sollicité l'avis de la HATVP. Ainsi, si nous rendons un avis d'incompatibilité, cela entraîne automatiquement la nullité du contrat.
Consciente des enjeux représentés par ces prises de fonctions dans le public comme dans le secteur privé, la Haute Autorité se mobilise fortement pour rendre ses avis dans un délai inférieur aux délais légaux : moins de huit jours pour un contrôle préalable à la nomination, alors que le délai légal est de quinze jours ; moins de trente jours pour les mobilités postérieures à l'exercice de fonctions publiques, alors que le délai légal est de deux mois.
Dans ses avis, la Haute Autorité s'appuie sur une analyse in concreto de chaque situation, chacune faisant l'objet d'une procédure d'instruction approfondie. Nos avis sont motivés, proportionnés et adaptés aux risques pénal et déontologique détectés. Les avis d'incompatibilité, au nombre de quatorze depuis le début de cette année, sont rendus lorsque nous estimons qu'aucune mesure ne paraît susceptible de neutraliser l'un de ces deux risques. Concernant les nombreux avis de compatibilité avec réserves, qui constituent, je le rappelle, la majorité des cas, la Haute Autorité s'efforce d'assurer un suivi strict et régulier du respect de ces réserves dans les trois ans qui suivent. C'est le principal défi auquel nous sommes confrontés, comme je l'avais déjà expliqué devant vous et devant la commission d'enquête sur les consultants extérieurs.
La Haute Autorité souhaite, par ailleurs, et c'est l'une des propositions que nous formulons dans le rapport d'activité, étendre le champ de contrôle des mobilités aux vice-présidents de région, de département et d'établissement public de coopération intercommunale, ainsi qu'aux adjoints au maire des communes de plus de 100 000 habitants. Aujourd'hui, la reconversion d'un adjoint au maire de Paris, par exemple, n'est pas soumise au contrôle de la Haute Autorité. Nous formulons la même demande concernant la mobilité vers le privé des responsables de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) ou de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), qui entretiennent pourtant de nombreuses relations avec le secteur privé.
Sur la régulation de la représentation d'intérêts - plus communément désignée « lobbying » -, la Haute Autorité veille au respect par les lobbyistes de leurs obligations déclaratives sur un répertoire accessible depuis son site internet et des règles déontologiques qui encadrent leurs activités. Au 31 décembre 2021, plus de 2 000 entités étaient inscrites au répertoire et près de 10 000 actions de représentation d'intérêts ont été menées au cours de l'exercice déclaratif 2021. Un bilan annuel devrait être publié dans les prochains jours. Néanmoins, le dispositif légal reste complexe et présente, selon nous, de nombreuses lacunes qui nuisent gravement à la transparence de l'impact normatif du lobbying. La Haute Autorité a d'ailleurs proposé plusieurs recommandations en octobre 2021, dans son rapport sur l'encadrement de la représentation d'intérêts, pour améliorer le dispositif, qui s'étend, depuis le 1er juillet 2022, aux décideurs locaux.
En huit ans d'existence, la Haute Autorité est désormais reconnue dans le paysage de la vie publique française. Elle a bénéficié de la confiance à la fois du législateur, mais aussi des citoyens, qui l'identifient de plus en plus et l'interpellent sur toutes les questions de probité, parfois même au-delà de ses propres compétences. Cette confiance est aussi le témoignage d'une certaine exigence. Une exigence démocratique qui nous oblige, avec indépendance et impartialité, à améliorer sans cesse nos dispositifs de conseil et de contrôle, afin de garantir à nos concitoyens que les responsables publics remplissent bien leurs obligations déclaratives et que les décisions publiques sont prises dans l'intérêt général. Et c'est à nous aussi, à travers les missions que vous nous avez confiées, d'en convaincre le citoyen, en lui rendant compte des contrôles que nous effectuons.
Avez-vous relevé une baisse des signalements concernant les parlementaires qui ne détiennent plus de fonctions exécutives depuis la loi sur le non-cumul des mandats ?
Les parlementaires sont des personnes politiquement exposées (PPE). S'il est logique que les banques nous demandent des précisions lors d'opérations importantes, est-il normal que ces interrogations concernent également nos enfants, alors qu'ils n'ont rien à voir avec nos fonctions ? Nous nous en étions ouverts au président Gérard Larcher.
Je vous remercie pour votre présentation, qui souligne l'apport essentiel de la Haute Autorité dans le bon usage de la transparence dans une démocratie.
Je note qu'un certain nombre de vos vérifications concernent des collaborateurs du chef de l'État, qui doivent désormais fournir des déclarations de patrimoine et d'intérêts, et le Sénat peut se réjouir de la mise en oeuvre rapide de cette mesure, qui avait été proposée, je le rappelle, par une commission d'enquête parlementaire.
Vous avez évoqué les possibles élargissements de l'obligation de rédiger des déclarations de patrimoine et d'intérêts, par exemple aux maires d'arrondissement, mais je n'ai pas entendu qu'ils pourraient concerner les membres du Conseil constitutionnel. Est-ce un oubli de votre part ? Quel est votre avis sur cette question récurrente ?
Au regard de l'élargissement du périmètre de contrôle de la Haute Autorité, disposez-vous des moyens suffisants pour mener à bien votre mission ?
Le climat global de « suspicion » induit par les dispositions déjà évoquées concernant les PPE ne risque-t-il pas de freiner l'engagement dans la vie publique, qui nécessite beaucoup de disponibilité et de sacrifices, y compris sur le plan familial, pour servir l'État avec un grand E ? J'ai une fille qui a découvert, à l'occasion d'une demande de prêt bancaire, qu'elle était la fille d'une PPE ...
S'agissant des PPE, les dispositions relèvent d'une directive européenne qui liste un certain nombre de fonctions dont les titulaires sont considérés comme des PPE. C'est totalement indépendant des procédures que vous avez confiées à la Haute Autorité. J'ai moi-même été une PPE pendant longtemps, comme Premier président de la Cour des comptes et, auparavant, comme député. En tant que président de la Haute Autorité, je ne le suis plus - peut-être parce que la Haute Autorité n'était pas créée au moment de la rédaction de cette directive ... J'ai donc connu ce sujet de l'entourage familial, sachant que les banques font parfois de l'excès de zèle, ce que j'avais signalé à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). J'ai pour la première fois découvert ces dispositions comme Premier président de la Cour des comptes, lorsqu'un président de chambre régionale des comptes s'étonnait qu'on lui refuse un prêt parce qu'il était une PPE. J'ai donc dû lui expliquer ces dispositions ...
Au sujet du non-cumul des mandats, nous n'avons pas constaté d'évolution du nombre de signalements. Nous recevons des signalements de citoyens ou d'élus, qui nous font part d'omissions ou de situations particulières, laissant supposer l'existence de conflits d'intérêts ou de prises illégales d'intérêts. Nous vérifions systématiquement, tout en prenant le recul nécessaire, notamment pendant les périodes électorales, où nous pouvons recevoir plus de signalements que d'habitude. Nous nous efforçons aussi de prévenir les situations de conflits d'intérêts et de jouer un rôle de conseil et d'accompagnement auprès des élus concernés.
Pour répondre à M. Sueur, désormais les collaborateurs du Président de la République sont inclus dans le champ du contrôle des mobilités et de la reconversion professionnelle vers le secteur privé.
S'agissant de l'élargissement possible du contrôle, les maires d'arrondissement ne font pas encore de déclarations d'intérêts ni de déclarations de situation patrimoniale, alors qu'un adjoint est obligé de le faire. Ils le font officieusement, de manière volontaire, mais ils n'en ont pas l'obligation.
Je ne vois aucun inconvénient à élargir notre domaine d'action. Une disposition votée par le législateur, annulée ensuite par le Conseil constitutionnel, prévoyait de placer sous notre compétence les membres de la Cour des comptes et du Conseil d'État. Le décret d'application n'est pas paru compte tenu de l'annulation de l'article qui le fondait. Je trouve cependant légitime de nous permettre de solliciter un certain nombre de responsables étatiques, en les invitant à transmettre des obligations déclaratives touchant tant au patrimoine qu'aux intérêts.
En ce qui concerne nos moyens, j'ai relevé un certain nombre de chevauchements et de doublons entre différents acteurs qui ont les mêmes missions. Il est possible de partir de ce constat pour réaffecter un certain nombre de moyens humains. Sur ce point, je n'ai pas été entendu. C'est une très mauvaise utilisation de l'argent public, qui devrait être inacceptable, mais il en est ainsi dans notre pays ...
Nous sommes, de fait, confrontés actuellement à un véritable problème de moyens, compte tenu de l'élargissement de nos missions. J'ai demandé que le budget de l'année à venir soit l'occasion de nous allouer des moyens supplémentaires. Si nous ne les obtenons pas, nous ne serons pas en mesure de remplir la totalité de nos missions, notamment le suivi des réserves émises à l'occasion des avis sur les projets de reconversion professionnelle.
Nos moyens budgétaires sont contraints : nous multiplions les astreintes de nos personnels. Nos responsables sont très loin des 35 heures ... Ils seront sollicités jusqu'au mois d'août, puis, en septembre, il s'agira de contrôler les déclarations des ministres et des députés nouvellement élus. Cette forte activité nécessite des ajustements au niveau des moyens, et pas seulement budgétaires. En effet, nous demandons un pouvoir de sanction pour les non-dépôts de déclaration par exemple. La situation est préjudiciable eu égard aux dispositions que vous avez adoptées : elle peut avoir une valeur de contre-exemple extrêmement grave. On peut ne pas respecter ses obligations déclaratives sans encourir de sanctions, ou les éviter pendant deux à trois ans. Durant cette période de non-respect d'une obligation déclarative définie par la loi, aucun contrôle n'a lieu sur la déclaration de patrimoine ni sur la déclaration d'intérêts. C'est profondément injuste.
Pour ces raisons, nous souhaitons des sanctions plus rapides, même si elles ne sont pas la priorité des parquets, déjà submergés. L'existence de sanctions administratives pourrait être dissuasive, par exemple au travers d'une amende définie, au sein de la HATVP, par une commission des sanctions.
La HATVP demande enfin un droit de communication. L'accès nous est donné à un certain nombre de fichiers, mais, pour nous adresser à un établissement bancaire ou financier, nous sommes parfois obligés de passer par Bercy, ce qui allonge les délais de plusieurs mois parfois. Cela a d'autant moins de sens que Bercy est favorable à ce que nous disposions, dans certaines circonstances, de ce droit de communication directe en lien avec les contrôles que nous effectuons sur les déclarations de patrimoine et d'intérêts.
À la suite d'une commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, nous avons élaboré, sous l'autorité d'Éliane Assassi et d'Arnaud Bazin, une proposition de loi visant à étendre les compétences de la HATVP. Quelle est votre appréciation des dispositifs que nous présentons de manière transpartisane ?
Par ailleurs, comment fonctionnent les coopérations internationales de la HATVP ? Je pense à des pays qui ont un besoin certain de transparence de leur vie publique, comme le Liban, un pays rongé par la corruption.
Quelles lignes de force porte la HATVP sur les questions de déontologie ? D'un côté, vous avez rejeté le projet de reconversion du ministre Jean-Baptiste Djebbari vers CMA CGM, mais, de l'autre, vous avez validé avec réserve son départ pour la société Hopium. Le rejet était, semble-t-il, lié au nombre de rencontres antérieures, ce qui n'a pas grand-chose à voir avec l'influence possible a posteriori. De la même façon, un grand nombre de membres de cabinets ministériels rejoignent discrètement des structures privées. Ainsi, vous avez autorisé le départ d'une conseillère chargée de la macroéconomie auprès du ministre de l'économie Bruno Le Maire dans la banque américaine Citigroup ; vous avez également autorisé la cheffe de cabinet de Marc Fesneau lorsqu'il était ministre des relations avec le Parlement à rejoindre le secteur de l'agrochimie. Bref, on a un peu de mal à s'y retrouver. Je prône la rigueur à la fois pour les personnes concernées et pour les Français. Des règles claires semblent nécessaires à l'« amélioration » de l'image de ceux qui contribuent à la vie politique.
Je partage les propos de ma collègue. De quels éléments tenez-vous compte dans ces contrôles des mobilités du public vers le privé ? Comment jugez-vous les cas de personnes ayant pris des décisions relatives aux politiques publiques qui rejoignent des sociétés privées ayant pu elles-mêmes influer sur de telles décisions ?
Merci de votre exposé. Mes collègues ayant posé plusieurs questions sur ce sujet, j'aimerais, pour ma part, vous interroger sur le contrôle des comptes bancaires des descendants, voire des ascendants, des parlementaires. Si les accords de Bâle ont demandé, à juste titre, aux banques d'exercer une surveillance sur les personnes politiquement exposées, il est parfois excessif de la voir s'exercer dans des conditions très intrusives pour les descendants de PPE. Certaines banques vont jusqu'à fermer unilatéralement les comptes bancaires d'enfants de parlementaires parce que cette surveillance a un coût. Par ailleurs, les parlementaires eux-mêmes peuvent se voir demander des informations sur leur descendance : or les enfants de parlementaires sont des tiers. Les exigences ainsi posées par les banques sont tout à fait excessives.
La HATVP pourrait-elle délibérer sur cette question et suggérer au législateur des précisions, notamment sur l'interdiction faite aux banques de fermer un compte bancaire au motif que le parent est une PPE ? Des bornes pourraient plus aisément être posées par le législateur si votre institution faisait des propositions.
Le principe même de limiter la suspicion à l'égard des élus, qui présidait à la création de la HATVP, n'a pas produit, me semble-t-il, ses pleins effets. Quel est votre sentiment à cet égard ?
Au sujet des faibles moyens dont vous disposez pour assurer le suivi des réserves, j'ai envie de dire, par esprit cabotin, qu'un petit transfert budgétaire pourrait être opéré depuis le Défenseur des droits, qui bénéficie d'un budget quatre à cinq fois plus élevé...
Pourriez-vous également nous indiquer si le phénomène du non-respect des obligations déclaratives est marginal ? Auriez-vous des données sur l'ampleur des manquements ?
Pour compléter l'intervention de mon collègue Philippe Bas, je souligne que le compte bancaire de l'association familiale dans le domaine du handicap, dont je suis présidente, a été bloqué au motif que les membres du conseil d'administration ne voulaient pas transmettre leur déclaration de patrimoine alors que j'étais une PPE. La question des contrôles dépasse donc la sphère familiale.
Concernant ces contrôles, n'oublions pas leur origine. L'Union européenne est vaste et diverse : certains territoires pratiquent allègrement le pot-de-vin, et, dans 99 % des cas, celui-ci est versé sur le compte non pas du décideur, mais de ses collatéraux. Par conséquent, si l'on veut être efficace, je ne vois pas comment on peut éviter ces intrusions, même si certaines banques font preuve d'un excès de zèle, qui s'apparente en réalité à de l'autoprotection.
La HATVP peut tout à fait travailler sur la question des PPE. Ce point relève d'une réglementation européenne, laquelle tient compte de pays où le niveau de corruption est particulièrement élevé. Vous pouvez aussi en appeler au gouverneur de la Banque de France et au président de l'ACPR. L'ACPR pourrait prendre des dispositions pour que les banques respectent cette réglementation européenne sans tomber dans l'excès de zèle.
En ce qui concerne les coopérations internationales, nous répondons à un certain nombre de demandes. À ce titre, nous avons participé, la semaine dernière, à un webinaire avec le Liban. Nous avons aussi accompagné la Moldavie. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous avons organisé un colloque sur la transparence et l'éthique. Des pays de l'Afrique francophone peuvent nous solliciter pour compléter leurs dispositifs. Nous sommes à la disposition de celles et ceux qui souhaitent pouvoir bénéficier de l'expérience française pour avancer sur ces sujets : deux à trois personnes, dans nos services, répondent aux demandes qui nous sont exprimées. La visioconférence permet de diffuser les informations et les bonnes pratiques. Nous échangeons nous-mêmes avec les États-Unis, l'Irlande, le Canada et un certain nombre de pays européens.
Nous nous efforçons, côté déontologie, de construire une doctrine cohérente et de la faire connaître. Nous publions les avis qui nous sont demandés ou exigés par la loi lorsqu'ils concernent des ministres ou des élus ; pour les hauts fonctionnaires, nous publions des résumés pour expliquer nos décisions. Nous avons également édité un guide déontologique. Sur notre site internet figurent quelque 70 ou 80 avis.
Nous apprécions, dans nos avis, le risque pénal et la déontologie.
Dans le cadre de l'article 432-13 du code pénal, si des personnes ont pu commettre un acte de surveillance ou de contrôle dans l'exercice effectif de leurs fonctions, le risque pénal étant réel, nous proposons une incompatibilité.
La déontologie est une matière de droit souple, avec une marge d'interprétation. Les mobilités demeurent possibles ; la jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que nous ne pouvons pas décider d'une incompatibilité qui n'est pas prévue par la loi. Parmi les principes qui nous guident, un projet de reconversion professionnelle ne doit pas remettre en cause le fonctionnement normal, indépendant et neutre de l'administration. Nous analysons toutes les situations particulières in concreto, à l'aide d'attestations que nous recoupons et nous faisons les vérifications nécessaires en vue de porter la meilleure appréciation possible. À cet effet, j'ai la chance de disposer d'un collège avec des profils et des expériences différentes, qui peut apprécier la réalité des situations.
M. Djebbari nous avait saisis de trois projets de reconversion professionnelle.
Le premier évoquait la possibilité de rejoindre le conseil d'administration de la société Hopium, start-up qui devrait commercialiser des véhicules à hydrogène à compter de 2025. Nous avons estimé que ce projet était compatible avec les fonctions antérieures de M. Djebbari dans la mesure où cette société n'a bénéficié d'aucune subvention publique. La filière hydrogène est encouragée depuis des années par les gouvernements successifs et la responsabilité du plan hydrogène relevait non pas du ministère des transports, mais de Bercy. Nous avons seulement émis un certain nombre de réserves concernant les démarches qu'il pourrait entreprendre auprès de ses anciens services et des membres de son cabinet.
Nous avons, en revanche, émis un avis d'incompatibilité sur le deuxième projet de M. Djebbari, qui souhaitait rejoindre la société CMA CGM, acteur extrêmement important dans le domaine des transports. Nous avons notamment estimé que les rencontres entre M. Djebbari et les dirigeants de cette société avaient été trop fréquentes pour que d'éventuelles réserves nous permettent de surmonter les risques déontologiques.
M. Djebbari nous a également saisis d'un troisième projet, visant à la création d'une société de conseil. Nous avons rendu un avis de compatibilité, sous la réserve que M. Djebbari s'abstienne de travailler pour des entreprises avec lesquelles il aurait été en relation dans le cadre de ses fonctions ministérielles.
Venu du privé, M. Djebbari retourne dans le privé. La loi n'interdit aucunement les mobilités entre secteur public et secteur privé. Nous ne sommes pas compétents pour les limiter. Nous sommes seulement chargés d'apprécier les éventuels risques déontologiques et pénaux.
La conseillère que vous évoquez a présenté son projet de reconversion professionnelle alors qu'elle était au cabinet de M. Fesneau, lorsque celui-ci était ministre chargé des relations avec le Parlement. Quelques jours plus tard, ce dernier était nommé ministre de l'agriculture. Je pense qu'elle ignorait totalement que cela se produirait au moment de la présentation de son projet. Nous avons donc exprimé un certain nombre de réserves par rapport aux démarches qu'elle pourrait entreprendre aussi bien auprès de M. Fesneau que des membres de son cabinet. Nous ne pouvons pas décider d'une interdiction de secteur, mais seulement relever d'éventuelles incompatibilités déontologiques.
Depuis février 2020, la moitié de nos ordres du jour sont consacrés à ces projets de reconversion professionnelle et à ce contrôle des mobilités. La réforme de la haute fonction publique que vous avez évoquée, et qui vise à favoriser les mobilités entre le secteur public et le secteur privé, va multiplier ces situations. Tenus par des délais de réponse de quinze jours, nous avons dû doubler le nombre de réunions du collège de la Haute Autorité consacrées aux projets de reconversion professionnelle.
À cet égard, je suis partisan de la plus grande transparence sur les critères que nous retenons pour évaluer le risque pénal et le risque déontologique, en particulier la mise en cause possible du fonctionnement indépendant de l'administration.
Monsieur Benarroche, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation concernant les articles 432-13 et 432-12 du code pénal est assez stricte. Nous nous inscrivons dans ce cadre, tout en conservant notre capacité d'interprétation, notamment au regard de l'effectivité de la responsabilité. Parfois, les intéressés pensent qu'une simple délégation de signature permet de se soustraire à ces problèmes, alors qu'une délégation de pouvoir est nécessaire. La question du déport peut également poser problème quand la personne ne quitte pas la salle où a lieu le vote, alors même qu'elle s'est déportée.
Nous appelons de nos voeux une harmonisation de la politique pénale, par l'intermédiaire soit d'une loi, soit d'une circulaire du garde des Sceaux. Les poursuites ne devraient pas être différentes selon les ressorts des parquets. La loi 3DS a représenté des progrès incontestables. Toutefois, il reste encore quelques problèmes à régler. Il s'agit d'un sujet particulièrement sensible et sans doute les propositions seront-elles plus facilement reçues si elles émanent d'une institution indépendante, comme nous, que des responsables politiques.
Quelques progrès ont été réalisés, mais la défiance reste forte, comme le montrent les dernières études du Cevipof. À cet égard, il est important que la Haute Autorité soit visible et que nos concitoyens constatent que les dispositifs de contrôle fonctionnent et que l'immense majorité des responsables publics remplissent leurs obligations déclaratives tout à fait honnêtement.
Je vais me rendre plus fréquemment dans les départements pour m'entretenir non seulement avec les hauts fonctionnaires, mais aussi avec les élus locaux, qui nous sollicitent de plus en plus pour des conseils.
En ce qui concerne les non-dépôts, le respect des délais légaux n'est pas toujours spontané. Nous devons encore adresser de nombreuses relances et injonctions. Depuis quelques années, nous assistons à une certaine prise de conscience. En 2021, nous avons adressé 1 261 relances et 250 injonctions, mais nous n'avons transmis que 55 dossiers au parquet - ils concernaient surtout des vice-présidents d'intercommunalités, de département ou de région et des adjoints au maire. Dès lors qu'il s'agit d'un manquement à une obligation imposée par la loi, il est très important de sanctionner administrativement ces non-dépôts. En cas de récidive, le juge pénal sera saisi.
La question du remboursement des frais de campagne concerne essentiellement les têtes de liste qui engagent leur responsabilité.
En ce qui concerne les cabinets de conseil, je ne peux porter d'appréciation en opportunité. Comme je l'ai souligné lors de mon audition par la commission d'enquête sénatoriale, le recours à des consultants extérieurs peut être légitime à partir du moment où l'administration n'est pas en mesure de répondre à un certain nombre de demandes. Toutefois, un tel recours doit être très encadré pour éviter tout conflit d'intérêts. Il me semble tout à fait légitime que cette nouvelle mission nous revienne. J'ai noté que vous aviez retenu notre proposition de création d'une commission des sanctions propre à la Haute Autorité. Peut-être serait-il souhaitable d'élargir la compétence de cette commission au respect des obligations déclaratives ...
Nous nous tenons à votre disposition pour apporter tout l'éclairage nécessaire sur ces propositions.
Merci, monsieur le président, de nous avoir présenté votre rapport et d'avoir bien voulu répondre à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Madame la Défenseure des droits, nous vous entendons aujourd'hui à la suite de la publication de votre rapport annuel pour l'année 2021. Avant que vous nous présentiez les points saillants de ce rapport, je souhaite rappeler certains éléments de contexte.
Depuis la mise en place du Défenseur des droits en 2011, la croissance constante de son activité prouve que l'institution a su trouver sa place dans le paysage institutionnel et qu'elle est désormais bien identifiée par nos concitoyens. Preuve de cette notoriété grandissante, les demandes d'intervention ou de conseils avaient déjà augmenté de 50 % pendant le mandat de votre prédécesseur, Jacques Toubon, entre 2014 et 2019. Cette hausse était de 38 % pour les réclamations. Plus récemment, près de 115 000 dossiers de réclamations vous ont été adressés pour la seule année 2021, soit une augmentation de 18,6 % par rapport à l'année précédente. Au total, l'ensemble des sollicitations des 231 agents et des 550 délégués territoriaux formant les équipes du Défenseur des droits ont augmenté de 21 % sur l'année écoulée.
Ce surcroît d'activité trouve tout d'abord des explications conjoncturelles, avec la poursuite de la lutte contre la pandémie de covid-19. Les mesures mises en oeuvre dans ce cadre affectant les droits et libertés des citoyens, elles se sont mécaniquement traduites par une augmentation des saisines du Défenseur des droits.
Mais si l'activité de votre institution va en augmentant, c'est également pour des raisons structurelles liées aux transformations actuelles de l'action publique. Je pense notamment à la dématérialisation des services publics, qui peut engendrer des difficultés d'accès à l'administration pour les usagers les plus éloignés du numérique. Cette problématique, à laquelle vous avez consacré un rapport spécifique en février dernier, est, en effet, une source croissante de réclamations auprès de vos services. Notre commission a d'ailleurs formulé un constat similaire à propos du nouveau système dématérialisé d'instruction des demandes de titre de séjour dans un rapport d'information intitulé Services de l'État et immigration : redonner sens et efficacité adopté en mai dernier. L'insuffisant accompagnement d'usagers étrangers et parfois peu à l'aise avec l'outil informatique y est notamment mis en exergue.
L'année 2021 a également vu l'aboutissement de projets de grande ampleur pour le Défenseur des droits. Le plus important d'entre eux est sans doute le lancement, en février dernier, de la plateforme antidiscriminations.fr et du numéro d'appel correspondant, le 39 28. Comme l'a souligné notre collègue Jean-Yves Leconte dans son dernier avis budgétaire, cette plateforme contribue encore un peu plus à l'identification par nos concitoyens du Défenseur des droits et facilite grandement l'assistance aux victimes de discriminations.
Enfin, l'année écoulée a vu s'ouvrir de nouvelles perspectives pour le Défenseur des droits, avec notamment l'adoption de la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte, qui élargit sensiblement ses prérogatives dans le cadre des procédures de signalement externe. Véritable pivot du dispositif de protection des lanceurs d'alerte, le Défenseur des droits pourra notamment, avec ce nouveau régime, être saisi par toute personne pour émettre un avis sur sa qualité de lanceur d'alerte. Je tiens, par ailleurs, à souligner que c'est sur l'initiative du Sénat, et particulièrement de notre rapporteur Catherine Di Folco, que la nomination d'une adjointe spécialement en charge des lanceurs d'alerte, Mme Cécile Barrois de Sarigny, a pu être inscrite dans la loi.
Après ces quelques éléments de contexte, je vous cède la parole, madame la Défenseure des droits.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour vous présenter ce rapport annuel d'activité 2021. C'est pour moi un moment important d'échange avec vous. Je souligne la présence de notre nouvelle adjointe Cécile Barrois de Sarigny, chargée de la protection des lanceurs d'alerte, de George Pau-Langevin, chargée de la lutte contre les discriminations, de Pauline Caby, chargée de la déontologie des forces de sécurité et d'Éric Delemar, Défenseur des enfants. Je suis aussi venue avec Constance Rivière, qui est la secrétaire générale de l'institution.
Nous sommes nombreux à constater, depuis plusieurs années, une distance croissante entre nos concitoyens et nos institutions, qu'il s'agisse des services publics, des autorités administratives et politiques ou des élus. Nous sommes aussi nombreux à essayer d'expliquer une telle situation.
En tant que Défenseure des droits, avec plus de 550 délégués présents sur l'ensemble du territoire, je suis assez bien placée pour constater au quotidien toutes les défaillances, les pratiques illégales ou discriminatoires et les blocages, qui alimentent un sentiment à la fois de découragement et de défiance.
À mes yeux, il n'y a pas de meilleure solution, pour répondre au découragement et à la défiance, que de veiller en toutes circonstances au respect des droits, qui constitue une bonne boussole. Certes, je ne vois que ce qui dysfonctionne, par le biais des réclamations que nous recevons.
Je note que les obstacles qui s'accumulent sur le chemin des droits peuvent devenir de véritables entraves. Ainsi, ce rapport annuel n'est pas uniquement le reflet de ce que nous faisons, mais aussi de ce que nous observons, à savoir des pratiques et des dispositions apparemment neutres aboutissant à traiter de manière défavorable des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, des personnes en situation de précarité ou d'origine étrangère. Ces défaillances, ces obstacles, ces entraves, ce sont d'abord les personnes les plus vulnérables qui en font les frais. Si elles en payent le prix fort, notre société tout entière s'en trouve abîmée et ébranlée dans ses repères, ce qui conduit au doute, au repli sur soi, mais aussi à la violence. J'insiste sur cette question de la vulnérabilité, que nous avons observée avec une particulière acuité dans le cadre du rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). En effet, c'est bien la vulnérabilité qui peut créer le risque d'atteinte aux droits. Cette approche est importante, car elle permet de comprendre comment le phénomène peut toucher l'ensemble de la population.
Une telle évolution n'est pas inéluctable, pourvu que l'on s'attache à réparer les maux, en faisant en sorte que les droits de chacun soient garantis pleinement et en toutes circonstances.
C'est ce à quoi je m'attache à contribuer dans les cinq domaines de compétence que m'a confiés la loi, à savoir la défense des droits des personnes dans leur relation avec les services publics, la lutte contre les discriminations, la défense et la promotion des droits de l'enfant, le contrôle de la déontologie des forces de sécurité et l'orientation, et la protection des lanceurs d'alerte.
Je souhaite en premier lieu insister sur deux points. Tout d'abord, vous l'avez dit, le nombre de réclamations a augmenté de plus de 18 % de 2020 à 2021, ce qui révèle les difficultés que je viens d'évoquer, mais aussi notre capacité à résoudre les problèmes par une écoute, par un dialogue, par de la rigueur, par de la détermination, voire de l'obstination.
Face aux manquements, le Défenseur des droits, et particulièrement ses 550 délégués territoriaux, offre aux personnes ce que les services publics ne sont plus en mesure d'apporter, à savoir une écoute et une considération de leur situation, ainsi qu'un accueil physique. Grâce à leurs permanences, réparties dans plus de 870 locaux, les délégués comblent un manque dont souffrent de plus en plus nos services publics, à savoir la présence de guichets permettant un accueil physique et une écoute humaine. C'est l'attention à la personne, à sa situation et à ses attentes qui nous permet d'intervenir de manière ajustée pour résoudre les difficultés que rencontrent ces personnes. Cela peut se faire par le biais de la médiation. Dans 80 % des cas, les médiations aboutissent favorablement. Si elles ne suffisent pas, nous pouvons intervenir par la voie d'une décision, après avoir mené une instruction contradictoire pour adresser des recommandations aux services publics mis en cause. Enfin, si ces recommandations ne sont pas suivies d'effet, nous pouvons enjoindre aux services publics concernés de prendre les mesures nécessaires ou bien publier un rapport spécial, ce que nous avons fait dans l'affaire des bons du Trésor : saisis par une réclamante à laquelle l'État refusait de rembourser les bons du Trésor qu'elle avait acquis, nous avons déployé l'ensemble de nos moyens pour qu'elle puisse retrouver les 90 000 euros qu'elle avait prêtés à l'État. L'affaire a tout de même duré cinq ans, et nous avons véritablement dû faire preuve d'obstination.
Les atteintes aux droits résultant de défaillances des services publics peuvent être assez considérables. Ainsi, quand une femme est accusée illégitimement de fraude pour avoir omis de déclarer à la caisse d'allocations familiales (CAF) les revenus de sa fille, qu'elle a par ailleurs déclarés aux impôts, elle risque de devoir faire face à un montant disproportionné d'indus ne lui laissant pas de quoi vivre.
Quand un étranger ne parvient pas à prendre rendez-vous dans une préfecture pour la demande ou le renouvellement de son titre de séjour, il peut se retrouver en situation irrégulière.
Je pense également aux cas des agriculteurs qui ne reçoivent pas l'aide de la politique agricole commune parce que l'administration ne valide pas leurs demandes.
Toutes ces défaillances alimentent un découragement. Les services publics, au lieu d'inspirer la confiance, deviennent source de méfiance, voire de rejet, ce qui engendre finalement des situations de non-recours. Ainsi, le non-recours pour le revenu de solidarité active (RSA) est estimé à plus de 30 % et, pour le minimum vieillesse, à 50 %.
On ne le sait pas assez, 80 % des réclamations qui nous sont adressées concernent des difficultés dans la relation des usagers avec les services publics.
J'en viens à la lutte contre les discriminations. Depuis plusieurs années, nous sommes saisis d'un nombre croissant de réclamations. Pour autant, d'après nos enquêtes, cela ne reflète pas du tout l'ampleur des discriminations. Ainsi, de très nombreuses personnes ne font rien, par méconnaissance de leurs droits, par peur des représailles ou en raison d'une difficulté à établir les faits.
Il convient, pour remédier à une telle situation, de mettre en lumière les discriminations et de les dénoncer. C'est ce que nous faisons, en publiant des rapports. Je pense à notre rapport de 2021 sur les gens du voyage ou les personnes roms, mais aussi au rapport sur la mise en oeuvre de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH), ou celui sur les expériences de discrimination vécues par les jeunes.
Je vous le rappelle, nous sommes le mécanisme indépendant de contrôle de l'application de la CIDPH. À cet égard, notre rapport va exactement dans le même sens que celui du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies.
À la demande du Président de la République, nous avons créé la plateforme antidiscriminations.fr, pour signaler et sanctionner les discriminations. C'est un véritable outil d'accès au droit, qui offre trois types de ressources : un service de signalement et d'accompagnement, avec le numéro 39 28 ; des contenus pédagogiques destinés à expliquer ce que sont les discriminations ; et un annuaire de plus de 1 200 partenaires, acteurs engagés localement dans la lutte contre les discriminations.
Après un peu plus d'un an de fonctionnement de cette plateforme, nous avons reçu près de 17 000 appels et 3 500 chats. Surtout, nous avons observé une augmentation de 25 % des réclamations pour ce qui concerne les discriminations. Le nombre d'appels a également augmenté sur notre plateforme généraliste, le 09.69.39.00.00.
Cette plateforme permet une écoute de qualité : la durée moyenne des appels est de 20 minutes. Si on prend en compte les appels donnant lieu à une réorientation, on s'aperçoit que les appels pertinents durent de 40 à 45 minutes. Dès le début, nous avons demandé à nos écoutants de prendre le temps pour permettre une véritable écoute et, le cas échéant, une véritable réponse, car les histoires de discrimination sont souvent longues et compliquées à expliquer.
Toutefois, la lutte contre les discriminations ne peut pas reposer uniquement sur les épaules des victimes. Il est indispensable de mettre en oeuvre des mesures de prévention, de sensibilisation et d'éducation, de renforcer la portée de l'action de groupe, en créant notamment un fonds de financement des recours collectifs, et d'adopter des dispositions rendant les discriminations réellement dissuasives. En effet, les sanctions en la matière se limitent au paiement, par les entreprises, de ce qu'elles auraient dû payer au salarié. Enfin, il convient de créer un observatoire afin de mesurer ces discriminations.
L'ensemble de ces recommandations se trouve d'ailleurs dans la contribution que nous avions remise dans le cadre de la consultation citoyenne lancée par la ministre de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.
Ce qui m'a frappé, en tant que Défenseure des droits, c'est la persistance des discriminations dues à la grossesse, alors que la loi est claire et protectrice en la matière. De nombreuses femmes ne retrouvent pas un emploi équivalent à salaire équivalent.
J'en viens maintenant à la défense des droits des enfants. En 2021, dans le contexte de la crise sanitaire, nous avons décidé d'accorder une importance particulière au droit à la santé, sujet souvent négligé. La crise a, en effet, révélé les insuffisances caractérisant ce secteur, le manque de moyens, le manque de professionnels, le défaut de coordination et l'absence d'approche globale. Pour documenter ces fragilités et faire en sorte que la santé mentale devienne une priorité des politiques publiques, nous avons consacré notre rapport annuel sur les droits des enfants à ce sujet. Chaque année, nous recevons plus de 3 000 saisines relatives aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur. Nous nous sommes aperçus qu'un bon nombre d'entre elles concernaient directement ou indirectement le sujet de la santé mentale, que ce soit dans le sens le plus large du bien-être ou dans des aspects plus spécifiques que sont les soins en pédopsychiatrie.
Ces réclamations font état d'insuffisances et de défaillances portant atteinte à la santé mentale des enfants : délai de plusieurs mois ou plusieurs années pour intégrer un suivi dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) ou un institut médico-éducatif ; insuffisance de la prise en compte du harcèlement à l'école entre élèves ; absence de protection face aux violences ; prise en charge inadaptée des mineurs non accompagnés, placés à l'hôtel sans accompagnement et avec un suivi éducatif résiduel ; morcellement des prises en charge et sectorisation des soins, qui créent des ruptures dans les parcours de soins.
Nous avions fait 29 recommandations, qui insistaient sur les questions de prévention, notamment en augmentant les moyens des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et de la médecine scolaire, sur une prise en charge consolidée en pédopsychiatrie, grâce à l'augmentation du nombre de psychologues dans les CMPP, sur la prise en compte systématique de la parole de l'enfant ; et sur la nécessité d'améliorer les connaissances, grâce à des enquêtes et des études.
La quatrième de nos compétences, qui permet aussi de redonner confiance en nos institutions, c'est l'indispensable contrôle de la déontologie des forces de sécurité. Une déontologie claire et rigoureuse valorise aussi bien la personne que le métier, car, au-delà de la population, c'est le policier ou le gendarme lui-même que les principes déontologiques protègent.
C'est sur cette base que nous nous sommes opposés à l'article 24 de la proposition de loi de sécurité globale. En effet, l'interdiction de diffuser des images permettant d'identifier des policiers aurait conduit à une forme d'opacité assumée de leur action et aurait finalement créé de la défiance à l'égard de la police. Le Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs prononcé dans le même sens.
Pour consolider la confiance qu'inspirent les forces de sécurité, il faut pouvoir la contrôler. C'est notamment le rôle du Défenseur des droits, qui est le seul organe de contrôle externe et indépendant de la déontologie des forces de sécurité. J'insiste aussi sur l'importance du contrôle interne, par les pairs, de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).
C'est dans ce cadre que nous avons présenté des observations à propos du contrôle d'identité de trois lycéens de Seine-Saint-Denis en mars 2017 à la gare du Nord. Après avoir mené une instruction contradictoire, nous avons considéré que ces contrôles d'identité étaient discriminatoires. La cour d'appel de Paris a confirmé nos observations le 8 juin 2021. Cette décision, de même que celle qui a été rendue par le Conseil d'État à propos du schéma de maintien de l'ordre, montrent bien la solidité de nos analyses et de nos recommandations.
Notre mission de contrôle du respect de la déontologie participe à retisser un lien de confiance entre la population et les forces de sécurité. Malheureusement, elle est souvent entravée, en raison de la difficulté à identifier les fonctionnaires ou du manque de réceptivité des institutions de police ou de gendarmerie face à nos préconisations.
J'évoquerai brièvement les observations que nous formulons devant les tribunaux. Aux termes de la loi organique, nous pouvons intervenir en tant qu'amicus curiae. Nous avons réalisé 172 observations devant les tribunaux en 2021, et avons été suivis dans 82 % des cas, ce qui montre la solidité et la rigueur de notre travail.
La dernière de nos compétences concerne le traitement réservé aux lanceurs d'alerte, qui constitue aussi un indicateur de la vitalité de notre démocratie. À l'occasion de la transposition de la directive européenne sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l'Union, nous avons émis un avis et formulé plusieurs recommandations : mise en place d'un fonds de soutien dédié aux lanceurs d'alerte ; octroi aux lanceurs d'alerte de l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources ; mise en oeuvre de sanctions pour les organismes ne mettant pas en place des procédures de signalement, alors qu'ils sont obligés de le faire ; et instauration d'un dispositif spécifique pour les signalements relatifs à la défense nationale et au secret de la défense.
Nous avons activement participé au processus qui a mené aux évolutions positives contenues dans les propositions de loi organique et ordinaire. Je pense en particulier à l'extension aux personnes morales de la possibilité de venir en aide aux lanceurs d'alerte, en leur permettant d'être reconnues comme facilitateurs et à la faculté pour les juges d'allouer en cours de procédure une provision pour frais de l'instance et aux fins de subsides.
Le rôle du Défenseur des droits a été sensiblement renforcé. Il jouera un rôle pivot dans l'orientation des lanceurs d'alerte et pourra aussi se prononcer sur la qualité de lanceur d'alerte d'une personne.
Toutes ces actions montrent notre capacité à résoudre les problèmes, par une écoute et un dialogue, par les permanences des délégués, par la plateforme antidiscriminations.fr, par la prise en compte, selon nous essentielle, de l'avis des personnes concernées dans les rapports que nous rendons.
Elles témoignent également de notre rigueur, puisque nous sommes suivis par les tribunaux dans nos observations, mais aussi de notre détermination, voire de notre obstination.
Je veux conclure sur un point. L'institution du Défenseur des droits et la défense des droits imposent de refuser les glissements et relégations qui placent les personnes les plus vulnérables dans des zones de non-droit. La situation des personnes vulnérables est un repère qui nous renseigne sur l'ensemble de la société. J'en suis convaincue, l'effectivité des droits se vérifie là où ils sont les plus fragiles.
Je vous remercie, madame la Défenseure des droits, de votre présentation et de votre énergie.
Vous êtes amenée à résoudre certaines situations. Vous exercez également un magistère d'influence, voire de publicité, dans le sens littéral du terme, ce qui est évidemment très important. Je vous poserai trois questions.
Premièrement, vous avez été saisie par la Ligue des droits de l'homme d'une affaire concernant des contrôles et des verbalisations massives de jeunes de quartiers populaires pendant la période du premier confinement, pour déplacement sans attestation ou non-port du masque, qui ont conduit certains jeunes à cumuler plusieurs milliers d'euros de dettes, qu'ils sont évidemment incapables d'honorer. Ces jeunes font parfois l'objet d'avis à tiers détenteur. En la matière, il semble que les contacts pris avec la préfecture de police de Paris n'aient pas produit d'effet. Qu'entendez-vous faire, sachant que nous nous réservons la possibilité de présenter un amendement dans le cadre du texte sanitaire qui sera présenté prochainement, afin d'envisager peut-être, un dispositif d'amnistie très spécifique ?
Deuxièmement, concernant l'accès à la santé des détenus, nombre d'entre eux doivent attendre des mois avant d'avoir accès à des spécialistes. Ils font l'objet d'examens dans des conditions quasi indignes, en présence de l'escorte, et renoncent ainsi à se soigner. Entendez-vous vous saisir de ce sujet ?
Troisièmement, avez-vous fait l'objet de saisines concernant ce qui est communément appelé le « fiasco du Stade de France » ?
Je vous remercie, madame la Défenseure, pour ce rapport complet, plein de dynamisme et de conviction.
J'aimerais revenir sur un point, que vous avez largement abordé dans le rapport sur la dématérialisation des services publics, à savoir l'accès à internet pour les détenus, et le manque de moyens des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) pour remplir des dossiers dans le cadre de l'insertion ou constituer une médiation en matière d'illectronisme.
Nous sommes en train de mener une mission d'information avec ma collègue Marie Mercier, dans le cadre de la commission des lois, sur les systèmes pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
J'ai pris note de votre pugnacité et de votre volontarisme. Dans votre rapport, vous faites référence à des bases juridiques essentiellement internationales et européennes. Dès lors, nous avons l'impression que les bases juridiques françaises sont inexistantes, d'autant que les pays européens plus à la pointe sur ce sujet disposent d'autres référentiels en matière d'incarcération et de préparation à la sortie. De quels outils juridiques auriez-vous besoin pour avancer sur cette question ?
J'ai tâché de lire la totalité du rapport dont nous avons eu communication ce matin. J'ai constaté qu'il était dans la droite ligne des précédents rapports, confirmant ainsi une certaine lecture de la notion de discrimination.
À cet égard, vous ne manquez pas de moyens, puisque l'institution dispose de 24 millions d'euros, et de 1,4 million d'euros pour sa plateforme.
À longueur de rapports, vous insistez sur des manquements de plus en plus importants et des discriminations de plus en plus fortes.
Votre statut indépendant ne garantit ni le discernement ni le bon exercice des missions confiées.
Par ailleurs, au sein de l'institution, le comité d'entente Origines réunit, je le rappelle, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), la Ligue des droits de l'homme et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), qui ont tenu des déclarations tout à fait contestables, évoquant une violence « systémique » de la police. Cela donne une certaine orientation à ce rapport.
J'ai pris connaissance de l'ensemble des éléments discriminatoires relevés dans votre rapport. Vous procédez parfois à des extrapolations discutables en vous fondant sur des cas individuels.
L'année dernière s'est posée la question du port du crop top dans les écoles. À cet égard, M. Blanquer alors ministre, avait rappelé que l'école n'était ni la plage ni la boîte de nuit. Toutefois, Mme la ministre Schiappa avait applaudi la « spontanéité » de ces jeunes filles et l'affirmation de leur liberté face aux actes et aux jugements dits « sexistes ».
Ce genre d'épisode témoigne d'une certaine dérive. N'est-il pas normal, madame la Défenseure, que l'école soit soumise à quelques règles, conformément à la loi de 2004 ?
Votre rapport me semble témoigner d'une certaine dérive anglo-saxonne. Vous évoquez ainsi les boucles d'oreilles pour les garçons, dont l'interdiction à l'école serait discriminatoire. Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'enfants, qui sont en construction de citoyenneté. Vous vous honoreriez à rappeler également leurs devoirs, conformément au principe d'équilibre républicain. Votre lecture quelque peu déréglée de la discrimination participe d'une dérive anglo-saxonne, au détriment de la République. Je souhaiterais que Régis Debray vienne nous aider à lutter contre ce genre de situations !
Comment se fait-il que vous ne veilliez pas à un certain équilibre dans l'appréciation des situations, alors que vous êtes en charge d'une autorité indépendante ? Vous semblez, en effet, redouter un État qui menacerait nos libertés. Pour ma part, je redoute plutôt les dérives d'une société où le citoyen, dans son hypersubjectivité, n'aurait que des droits.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », le Sénat avait souhaité que la médecine scolaire bascule de l'État, en particulier du ministère de l'éducation nationale, aux conseils départementaux, qui assurent déjà la compétence de la protection maternelle et infantile. Nous partions du constat simple que, aujourd'hui, la médecine scolaire n'a aucun moyen. Je regrette fortement que ce transfert n'ait pas été décidé. J'imagine qu'il y avait des arrière-pensées corporatistes - et je le dis alors que je suis un ancien de l'éducation nationale... C'est dommage d'abord pour les enfants, puisque les inégalités sociales vont, ainsi, perdurer.
Vous souhaitez que le nombre de médecins scolaires soit augmenté ; cela ne sera évidemment pas le cas dans le cadre actuel !
Je voudrais d'abord féliciter la Défenseure des droits, qui agit avec beaucoup de détermination et de bienveillance.
Je veux surtout revenir sur les contrôles au faciès. Votre prédécesseur m'avait beaucoup aidée lorsque je préparais une proposition de loi sur ce sujet. Nous avions ensuite négocié avec Manuel Valls quand il était au gouvernement, mais nous n'avons jamais abouti, en particulier sur la question des récépissés, qui sont pourtant essentiels en termes de traçabilité - qui est contrôlé, où, sur quelle durée et à quelle fréquence ?
Les contrôles de police se passent souvent bien, mais ce n'est pas toujours le cas et certains plaignants ont même gagné leur procès.
Finalement, nous en sommes aujourd'hui au même point qu'en 2011, ce qui ne peut que faire perdurer les fractures sociales. Beaucoup de jeunes ont perdu confiance dans la France et il ne faut alors pas s'étonner du niveau des votes extrêmes et de l'abstention.
Je veux également féliciter la Défenseure des droits et ses équipes pour leur travail, qui est particulièrement utile. Par manque de temps, j'évoquerai simplement trois sujets.
Tout d'abord, l'illectronisme. C'est un véritable fléau ! La numérisation à marche forcée conjuguée à la réduction de la présence physique des services publics est une catastrophe. Pouvez-vous évaluer le nombre de fonctionnaires qu'il faudrait redéployer au plus près de la population ?
Ensuite, les droits des étrangers. La difficulté, là aussi, est le manque de personnel. Même les personnes en situation régulière ne parviennent parfois plus à faire faire un certain nombre de formalités administratives, ce qui est très pénalisant pour elles. Comment remédier à cette situation ?
Enfin, le harcèlement scolaire, dont le cyberharcèlement. Certains établissements ne réussissent pas à mettre en oeuvre les dispositifs qui existent pour lutter contre ces phénomènes. Comment avancer ?
Nous avons été saisis par la Ligue des droits de l'homme sur le caractère massif des verbalisations durant les différents confinements et sur le risque d'arbitraire de ces contrôles. Beaucoup de parents m'ont d'ailleurs alertée sur ce problème et sur le coût que cela a pu représenter pour certains. J'ajoute, en tant qu'habitante du XVIe arrondissement de Paris, que je n'ai moi-même jamais été contrôlée, ce qui est tout de même étrange...
En ce qui concerne l'accès des détenus à la santé, nos délégués sont présents dans quasiment tous les lieux de détention et nous sommes régulièrement saisis de cette question. Je crois que tout le monde est conscient des grandes difficultés qui existent en la matière. Y répondre demande des moyens.
Nous avons été alertés par nos homologues européens, en particulier l'office britannique - l'Independent Office for Police Conduct (IOPC) -, sur les événements du Stade de France. En effet, des supporters de Liverpool avaient demandé à l'IOPC quelle était la procédure applicable en France en matière de déontologie des forces de sécurité. Nous avons fait traduire notre formulaire ad hoc en anglais et l'avons mis à disposition de l'IOPC.
La question de la dématérialisation est une préoccupation constante pour nous. Nous devons être attentifs à ne pas briser le lien social. J'ajoute que presque tout le monde rencontre des difficultés à un moment ou à un autre... Maintenir l'humain est absolument indispensable ! Nombre de détenus sortent de détention sans pièce d'identité, parce qu'ils ne peuvent pas les renouveler durant cette période, ce qui ne peut que nuire à leur réinsertion ; nous préconisons donc qu'ils aient un accès à internet, certes limité, dans ce but.
Monsieur le sénateur Bonhomme, je ne défends pas « ma » vision des discriminations, et je souhaite que nous ayons un dialogue serein sur cette question. La lutte contre les discriminations est à la base de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Comment dire que l'on attaque la société, lorsque l'on pointe simplement du doigt les problèmes - l'accès des enfants en situation de handicap à l'école ou la cantine et le nombre de leurs accompagnants, le retour des femmes de leur congé maternité, l'emploi des personnes de 55 ans, etc. ? Ce sont bien des discriminations ! Et cela concerne l'ensemble de la société.
Il existe aussi des discriminations dues à l'origine : nous sommes régulièrement saisis par des personnes qui ont envoyé un curriculum vitæ avec leur nom et qui n'ont pas été sélectionnées, mais qui le sont après avoir renvoyé le même CV avec un nom francisé... C'est bien là aussi de la discrimination.
Dire que ces discriminations existent n'est évidemment pas une remise en cause de la République. C'est au contraire être républicain et respecter notre devise.
Vous estimez que nous avons beaucoup de moyens. Nous avons eu, il est vrai, des moyens supplémentaires pour la mise en place de la plateforme antidiscriminations.fr, mais nous n'aurions pas pu la mettre en place sans ces moyens. Le nombre de réclamations augmente ; nous indemnisons des délégués, qui sont, par ailleurs, bénévoles. Notre budget est contraint. Je n'ai pas du tout la même impression que vous. Nous estimons même que nous manquons de moyens. D'ailleurs, je n'ai pas dit que les discriminations augmentaient ; j'ai dit que le nombre de saisines avait progressé de 25 %, ce qui est largement dû à la mise en place de la plateforme.
Je répète que nos observations devant les tribunaux, qu'elles concernent les droits des enfants, la déontologie des forces de sécurité ou des discriminations, sont suivies dans 82 % des cas. Je pense donc que nos analyses sont les bonnes.
Oui, les enfants ont des droits, et il est tout à notre honneur de les respecter. À cet égard, la question de l'accès à la médecine scolaire, qui joue un très beau rôle en matière de prévention, de l'accès à la PMI, est l'une de mes préoccupations majeures. Santé publique France a publié des chiffres alarmants sur la santé mentale des enfants : les passages à l'acte, des idées suicidaires, des dépressions, des troubles alimentaires, des troubles du sommeil augmentent. Il y a urgence à agir. Au reste, on sait que plus la prise en charge des enfants et des adolescents est précoce, plus elle est efficace.
Nous sommes très préoccupés par l'écart que nous avons parfois pu observer en termes de scolarisation entre jeunes filles et jeunes hommes détenus : les premières ne bénéficient en moyenne que de sept heures de cours par semaine dans les lieux de détention, contre 14 à 21 pour les garçons. Les discriminations cachées de cet ordre sont assez redoutables.
Je suis très heureuse de pouvoir revenir sur la question des contrôles d'identité. Même si ce n'est pas assez vite, nous avançons. Nous avons été suivis par la cour d'appel de Paris sur des contrôles d'identité discriminatoires en gare du Nord.
Faute de traçabilité, nous ne savons pas, en France, combien de contrôles d'identité ont lieu chaque année. Je suis allée voir mes homologues, notamment à l'office britannique - l'IOPC. En Grande-Bretagne, il n'y a pas de contrôle d'identité, pour la simple et bonne raison qu'il n'existe pas de pièce d'identité. Ce n'est pas pour autant une zone de non-droit ! Les contrôles, qui peuvent donner lieu à des fouilles, s'appellent « stop and search ». En 2021, il y en a eu 700 000 - la moyenne annuelle s'établit autour de 500 000. Le policier enregistre le stop and search sur une tablette. Le lendemain, la personne qui a été contrôlée peut aller au commissariat et demander un récépissé, ce qui permet un suivi et un dépôt de plainte en cas de stop and search considéré comme discriminatoire.
Je demande une expérimentation pour rechercher le meilleur moyen de traçabilité - est-ce le récépissé ? L'enregistrement sur tablette ? Les caméras dont sont équipés les policiers sont-elles suffisantes ? En outre, j'ai saisi la Cour des comptes pour qu'elle essaie d'évaluer quantitativement et qualitativement les contrôles d'identité, de manière que l'on connaisse leur nombre, leur efficacité, leur impact sur la délinquance ainsi que sur la confiance de la population. Je pense qu'il faut sortir de la situation de blocage actuelle. Je pense aussi que la traçabilité est essentielle : c'est l'un des moyens de rétablir la confiance dans nos forces de sécurité.
Je vous remercie d'avoir félicité la totalité de nos équipes. Je suis d'accord avec vous : je suis entourée de personnes remarquables.
Vous avez insisté sur la question de l'accès aux préfectures. Le système actuel est, en effet, totalement absurde, comme la Cour des comptes l'a aussi remarqué. Je ne mets pas en cause les agents de service public : ils cherchent à faire au mieux, mais l'on manque sans aucun doute de personnes à l'accueil. Combien faudrait-il de fonctionnaires ? Il ne m'appartient pas de le dire. Mon curseur est l'égalité devant les services publics. Faire respecter les droits demande évidemment des moyens. Il faut les déployer. C'est ce qui rétablira la confiance dans notre République.
Pour ce qui concerne le harcèlement scolaire, je suis inquiète du retard dans la prise en compte de la parole de l'enfant et du fait que ce sont les enfants harcelés, et non les harceleurs, qui doivent changer d'école. Il faudrait une écoute et une prise en charge de l'enfant beaucoup plus rapide.
J'invite celles et ceux qui, dans notre société, voudraient penser ou laisser à penser que nous serions dans l'ère de l'enfant roi à considérer la situation en cette période post-covid : augmentation des tentatives de suicide, du mal-être, des dépressions ; peur de l'avenir ; réchauffement climatique ; terrorisme ; arrêt de la culture et du sport - nous n'avons toujours pas retrouvé les chiffres d'inscription dans les clubs de sport et de culture d'avant la pandémie...
Nous voyons que le nombre de mesures de protection de l'enfance non mises en oeuvre dans les départements est croissant, faute de moyens et de dispositifs dédiés et du fait de difficultés d'attractivité et de recrutement sans précédent. Je crois donc qu'il faut raison garder sur la question de l'enfant roi.
Je veux rappeler que la Convention internationale des droits de l'enfant, dont la France a été l'un des premiers pays signataires, dispose que l'enfant devient titulaire de l'ensemble des droits de l'homme dès son enfance.
Je pourrais vous parler des violences sexuelles. Si l'on peut saluer le courage des adultes qui se sont exprimés sur ce qu'ils ont subi dans leur enfance, l'enjeu est désormais que les enfants puissent parler.
La commission des lois a été très active sur ce dernier point : grâce à la mobilisation de plusieurs de ses membres sur les derniers textes - je pense notamment à Marie Mercier -, nous avons aussi fait bouger les choses.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 20.