Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 16 février 2010 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Article 4

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur l’un des volets de la mise en œuvre du grand emprunt prévue par ce projet de loi : l’enseignement supérieur, la formation et la recherche.

Sur les 35 milliards d’euros de crédits complémentaires accordés au titre du grand emprunt, 11 milliards d’euros seront attribués à l’enseignement supérieur et la formation universitaire, dont 1 milliard d’euros pour le développement de la formation en alternance et l’égalité des chances. Par ailleurs, quelque 8 milliards d’euros seront impartis à la recherche.

Avec un total de 19 milliards d’euros sur les 35 milliards d'euros accordés, l’enseignement supérieur et la recherche sont en apparence les grands gagnants du grand emprunt. Si nous ne pouvons que nous en féliciter, nous ne devons pas oublier qu’une telle somme n’est nécessaire qu’en raison de l’insuffisance des engagements budgétaires accordés par l’État depuis maintenant plusieurs années. Un retard doit être rattrapé, de l’aveu même du Président de la République...

En outre, si de tels chiffres peuvent de prime abord enthousiasmer, vient ensuite le temps délicat du déchiffrage, et cet exercice est moins réjouissant. En effet, il s’agit non pas d’injecter des fonds dans les domaines qui en ont le plus besoin, mais bien de soutenir certains secteurs jugés stratégiques pour la prospérité future de l’économie française, ce qui traduit une vision purement marchande de la richesse d’un État.

Or s’il est un secteur où la richesse ne doit pas se mesurer uniquement à l’aune de la rentabilité, c’est bien celui de la connaissance et de la formation des esprits.

Ce grand emprunt a de quoi nous inquiéter.

L’enseignement supérieur est abondé à hauteur de 10 milliards d’euros supplémentaires. Ainsi, 7, 7 milliards d’euros sont consacrés à la création de campus d’excellence de visibilité mondiale, 1, 3 milliard d'euros à la poursuite de l’opération Campus, le milliard d’euros restant étant attribué à la constitution du campus scientifique et technologique européen du plateau de Saclay.

L’essentiel de ce grand emprunt sera accordé à un nombre très restreint d’établissements, tout au plus cinq à dix campus universitaires d’excellence, sélectionnés selon des critères préétablis, comme nous l’avons déjà fait remarquer.

L’opération Campus consiste à rénover un certain nombre de locaux d’universitaires, là encore, préalablement sélectionnés. Elle devait être financée à hauteur de 5 milliards d’euros par la vente des actions d’EDF. Celle-ci n’ayant en fait rapporté que 3, 7 milliards d'euros, le grand emprunt est un moyen astucieux d’attribuer à l’opération les fonds manquants.

Quant à la recherche, dotée de 8 milliards d’euros, elle reste ancrée dans la même logique élitiste et utilitaire. Le financement, d’une part, de laboratoires et d’équipements d’excellence, à hauteur de 2 milliards d'euros, et, d’autre part, de la recherche dans le secteur de la santé et des biotechnologies, à hauteur de 2, 4 milliards d'euros, doit permettre de dégager des débouchés économiques importants.

On favorise ainsi la recherche appliquée au service de l’économie libérale et l’on développe le partenariat public-privé dans ce domaine. Le privé n’ayant rien à gagner dans la recherche fondamentale, on marginalise cette dernière. La recherche publique et son armée de CDD de niveau bac + 10 continueront de se partager des queues de cerises, et le service public de la recherche mettra le second genou à terre !

Favoriser à outrance la recherche appliquée sur projets, c’est méconnaître le fonctionnement de la recherche et de l’innovation. Le Gouvernement mise tout sur la recherche incrémentale sur projets, alors que ce n’est pas elle qui est à l’origine des grandes avancées technologiques. Ce n’est pas parce qu’on a décrété vouloir lutter contre le cancer qu’on a inventé la résonance magnétique nucléaire, l’un des équipements les plus importants dans le diagnostic de cette pathologie. On n’a pas plus inventé l’ampoule électrique en cherchant à améliorer la bougie !

Ce grand emprunt reste donc marqué par l’idée de faire émerger des pôles universitaires et de recherche prestigieux, capables de rivaliser avec les grandes universités américaines. On crée des pôles de compétitivité et d’excellence et on les choisit en fonction de leur capacité à faire naître du profit. Ainsi, au nom de la crise, on intègre la logique du privé dans l’université et la recherche, on finance quelques grands pôles au détriment de la formation du plus grand nombre.

En d’autres termes, on creuse les inégalités entre les formations, en laissant de côté la recherche et l’enseignement en sciences sociales, en sciences humaines, disciplines qui, si elles contribuent à l’enrichissement de la pensée, ont le défaut de mal se vendre.

Par ailleurs, ces crédits seront distribués par des fondations qui viendront « doubler » les organismes publics compétents. Ils seront attribués sous la forme de dotations en capital. Par conséquent, les sommes dégagées ne pourront être consommées ; seuls le seront les intérêts, ce qui diminue considérablement l’effet que les sommes annoncées peuvent avoir. Nous sommes donc loin de l’accroissement annuel de 1, 8 milliard d'euros promis par M. Sarkozy. Votre dotation est un trompe-l’œil !

Je tenais à dénoncer ce véritable mirage que crée le grand emprunt. Avantager une minorité au détriment du plus grand nombre n’est en aucun cas un progrès. Ce n’est pas non plus notre conception de la connaissance et de la formation.

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