Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2022 : 1ère réunion
Désignation d'un rapporteur

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

présidente. – Nous reprenons nos travaux sur le rapport de la mission d’information sur le contrôle des Ehpad.

M. Philippe Mouiller. – Je salue le travail des rapporteurs. Les conclusions de leurs travaux sont très attendues sur le terrain.

Le rapport montre qu’il est difficile de contrôler les crédits du volet hébergement des établissements et services médico-sociaux à but lucratif. Un amendement datant de 2009 avait exclu ces établissements de tout contrôle : pourrions-nous revenir sur cette disposition à l’occasion de l’examen d’un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Pour être efficaces, les contrôles supposent des sanctions : les outils à la disposition des autorités sont-ils adaptés ? Doivent-ils être améliorés ?

Cette mission d’information trouve son origine dans une crise : nous avons tous été choqués par le traitement réservé aux résidents par certains groupes privés. Pourtant, dans certains territoires, les difficultés seraient considérables sans leur concours. Je souscris à l’équilibre prôné par les rapporteurs : il faut restreindre les profits, et des moyens plus importants doivent être consacrés aux personnes âgées. Toutefois, ne multiplions pas les normes qui décourageraient le secteur privé d’investir.

Chacun est conscient du vieillissement de la population. Néanmoins, l’augmentation du nombre de places disponibles constitue-t-elle la seule réponse ? Ne faut-il pas envisager une transformation du modèle des Ehpad ?

Mme Monique Lubin. – Ce rapport est très intéressant. J’espère que nous pourrons nous en servir à l’occasion de l’examen d’une future loi consacrée à la dépendance.

Le livre a soulevé la question des financements normalement destinés aux soins et à la dépendance, qui, dans les faits, sont détournés pour améliorer l’attractivité des groupes aux yeux des investisseurs. Ce phénomène était-il connu ? Si c’est le cas, était-il toléré ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail.

Avec ma collègue Laurence Cohen, nous regrettons l’absence de loi sur le grand âge, pourtant promise par le précédent gouvernement. La cinquième branche de la sécurité sociale créée récemment est une coquille vide, du point de vue tant de son financement que de sa gouvernance : c’est une fausse bonne idée. Notre groupe déposera une contribution à ce sujet. Nous demandons des moyens pour les Ehpad : cela passe par des recrutements, des revalorisations salariales et des plans de formation de qualité.

Nous plaidons pour un grand service public du troisième âge. Nous ne devons pas faire de profits sur le dos de nos anciens. Le rôle des conseils départementaux au sein de la gouvernance des établissements doit être renforcé, de même que les contrôles inopinés au sein des grands groupes privés.

J’ai été profondément choquée par le niveau de salaire des directeurs d’Orpea : le chiffre de 1,2 million d’euros a été cité. Pendant ce temps, faute de moyens, les personnes âgées sont maltraitées dans les Ehpad privés. Étant donné que ces groupes bénéficient de fonds publics, est-il possible d’encadrer ces salaires exorbitants ?

Mme Raymonde Poncet Monge. – Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail. Les auditions ont été remarquablement dirigées par nos deux collègues. Je regrette toutefois que le rapport n’ait pas adopté la même tonalité.

Aujourd’hui, le constat est clair : les groupes à but lucratif tels qu’Orpea et Korian puisent dans la section hébergement au détriment des soins apportés aux personnes. Plus le niveau de dépendance est élevé, moins les résidents sont en capacité de réclamer une qualité de service minimale. La vulnérabilité est exploitée. Il en va de même pour les cliniques psychiatriques gérées par ces groupes. Pis encore, les personnes sans famille ne peuvent pas se défendre. Les indicateurs de qualité ne pourront pas résoudre tous les problèmes.

Ces groupes privés saisissent l’occasion des modifications législatives et réglementaires pour augmenter leur profit. Dans son livre, Victor Castanet a cité un exemple édifiant : lorsque l’assurance maladie passe de la solvabilisation individuelle des dispositifs au forfait afin de limiter la dépense devenue trop dynamique, ils parviennent encore à maximiser le profit. Le même scénario s’est répété lors de l’adoption de la loi ASV. Ces sociétés, qui disposent d’une grande puissance de feu, sont très lucratives et sont mieux gérées que certaines entreprises du CAC 40. D’aucuns soutiennent qu’elles se retireraient du marché sans ces profits : qu’elles le fassent !

Notre réaction est bien tardive. Ces groupes ne se contentent plus de puiser dans les sections soins et hébergement : ils ne sont plus un acteur du secteur médico-social – ne l’ont-ils jamais été ? – ou de l’immobilier de santé. D’ici à 2025, Orpea aura vendu un quart de son patrimoine immobilier, engendrant ainsi des profits spéculatifs via des filiales présentes au Luxembourg et dans les paradis fiscaux. La croissance externe d’Orpea s’est fondée sur l’endettement financier.

Au fil du temps, Orpea donne de moins en moins d’informations sur ses filiales à l’étranger : leur structure financière est inconnue, contrairement à la situation prévalant en Allemagne. Il est nécessaire que l’Autorité des marchés financiers (AMF) joue pleinement son rôle.

Nous examinerons prochainement le projet de loi du Gouvernement relatif au pouvoir d’achat. Orpea rassure actuellement ses actionnaires en leur rappelant que ses crédits-bails sont capés à 1 %. Ceux-ci peuvent se réjouir : les tarifs des contrats des usagers sont, quant à eux, bien indexés sur l’inflation, soit une augmentation vraisemblable de 7 à 8 %. Une volonté politique est indispensable pour réduire la place qu’occupent ces grands groupes privés dans le secteur médico-social. Les transferts d’autorisation doivent être mieux encadrés. Par ailleurs, les autorisations ne doivent plus être renouvelées tacitement tous les quinze ans.

Le taux d’encadrement doit être rendu obligatoire, comme dans les crèches. Sans personnel en nombre suffisant, il faut fermer les établissements.

présidente. – Les enfants rentrent chez eux le soir, à l’inverse des résidents des Ehpad.

Mme Frédérique Puissat. – Madame Poncet Monge, si l’on appliquait ce que vous proposez, tous les établissements devraient fermer.

Mme Raymonde Poncet Monge. – En moyenne, les résidents restent deux ans dans les Ehpad. Si des problèmes d’embauche apparaissent, il faut refuser les nouveaux résidents. N’étalons pas la misère, comme Orpea le fait aujourd’hui. Le taux d’occupation des établissements est leur levier d’action : sans personnel, ils seraient contraints de fermer.

M. Olivier Henno. – Je tiens à féliciter les deux rapporteurs, qui n’ont ménagé ni leur temps ni leur peine. Je rends hommage à leur pugnacité.

Toutefois, je m’interroge sur l’efficacité de l’action publique : un livre d’un journaliste aura été nécessaire pour approfondir un sujet aussi important. Quel a été le rôle de l’État, des ARS et des conseils départementaux ? J’ai moi-même consacré du temps aux conseils d’administration de plusieurs Ehpad publics.

Les rapporteurs soutiennent qu’une réflexion doit être ouverte sur la pertinence des dispositifs fiscaux visant à favoriser l’investissement privé dans le secteur. Ils s’interrogent sur l’opportunité de restreindre largement les mécanismes de défiscalisation de l’investissement locatif dans les Ehpad. J’y suis plutôt favorable, mais avez-vous mesuré les conséquences de cette décision ? Le modèle global ne serait-il pas remis en cause ? Cette préconisation des rapporteurs est importante et structurelle. Je me réjouis que vous ayez ouvert ce débat.

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